Résumé

La filière d’Argane a connu des progrès importants durant les dix dernières années. L’enjeu de son développement est de permettre la réduction de l’extrême pauvreté, tout en soutenant la protection de l’arganeraie. Sa chaîne de valeur s’articule autour de trois maillons, notamment la production, la transformation et la commercialisation. Elle est composée d’une grande variété d’acteurs (locaux, nationaux et étrangers) ayant des objectifs et intérêts spécifiques. Cette chaîne de valeur est caractérisée par l’absence de monopole, mais aussi par son manque de transparence pour la plupart des opérateurs. De fortes incertitudes, liées à l’instabilité de l’offre, à la qualité du produit et au prix, influencent les relations entre les acteurs. Les acteurs publics et privées impliqués dans la promotion de la filière argane sont invitées à développer une approche intégrée qui permet une meilleure gouvernance de la chaîne de valeur en améliorant la compétitivité de ses maillons, en renforçant les liens entre ses multiples acteurs, en facilitant l’accès au marché et en veillant à répartir équitablement les valeurs créées tout au long de la chaîne.


Mots-clés: Arganier, Argane, Arganeraie, Tiznit, chaîne de valeur

INTRODUCTION

Au Maroc, la chaîne de valeur de l’arganier atteint actuellement un niveau de développement lui assurant une reconnaissance à l’échelle nationale. La filière connaît un foisonnement d’acteurs nourris d’intérêt pour la ressource « arganier » et l’huile extraite de ses graines. Les actions de ces différents acteurs entraînent depuis les années 90, une véritable dynamique tout au long de la chaîne de valeur de l’arganier.

Cependant, la filière soulève plusieurs préoccupations en matière d’accès aux ressources et conditions de travail. Elle fait face également aux questions d’efficacité productive et de rentabilité ainsi qu’aux pressions sociales et environnementales, suscitant une prise de conscience systémique.

Outre le contexte Marocain, la filière d’argane s’inscrit dans une dimension plus large. En effet, elle bénéficie de toute l’attention des organismes internationaux et des scientifiques sensibles aux questions environnementales et de la biodiversité à travers le monde.

Cet article s’inscrit dans la dynamique autour de la chaîne de valeur de l’arganier au niveau de la province de Tiznit. Il cherche à fournir des éléments de compréhension de la filière d’argane, en mettant l’accent sur son organisation, sa gouvernance, ses différentes interactions, ses avantages et ses contraintes. De plus, cet article pourrait servir de base pour nourrir les réflexions préalables aux politiques de développement de la filière et de sauvegarde de l’arganeraie.

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Analyse de la chaîne de valeur

L’analyse de la chaîne de valeur (ACV) est un processus dans lequel une entreprise identifie ses activités principales et de soutien qui ajoutent de la valeur à son produit final, puis analyse ses activités pour réduire les coûts ou augmenter la différenciation. C’est un outil stratégique utilisé pour analyser les activités internes des entreprises. Son but est de reconnaître quelles sont les activités les plus précieuses (source d’avantage de coût ou de différenciation) pour l’entreprise et celles qui pourraient être améliorées pour offrir un avantage concurrentiel (Soosay, Fearne et Dent, 2012).

L’analyse de la chaîne de valeur (ACV) constitue un cadre conceptuel de cartographie et de catégorisation des processus économiques. Elle permet d’identifier les challenges et les opportunités, ainsi que les points de levier auxquels les actions d’amélioration peuvent atteindre l’impact le plus élevé. En agriculture par exemple, une telle analyse étudie les liens entre les agriculteurs, les commerçants et les producteurs de produits agro-alimentaires, les détaillants et les consommateurs finaux.

La première étape d’une analyse de la chaîne de valeur est l’élaboration de sa cartographie. Pour ce faire, les limites d’autres chaînes doivent être définies. L’idée principale est d’identifier d’abord les acteurs pour «mapper» ensuite le produit tracé tout au long de la chaîne, compte tenu des activités d’approvisionnement, de production, de traitement et de commercialisation. L’objectif est de donner une illustration des acteurs identifiés et des flux de produits associés. Une chaîne de valeur cartographique comprend alors les acteurs, leurs relations et leurs activités économiques dans lesquelles ils interviennent, avec les flux physiques et monétaires connexes.

A ce niveau, il existe deux types d’approches pour élaborer la cartographie de la chaîne de valeur, notamment l’approche fonctionnelle et institutionnelle et l’analyse des réseaux sociaux (SNA).

L’approche fonctionnelle et institutionnelle (préconisé dans le cadre de cette étude), commence par construire une «carte préliminaire» d’une chaîne particulière pour donner un aperçu de tous les acteurs (analyse institutionnelle) et le type d’interaction entre eux (analyse fonctionnelle). La méthodologie de la FAO comprend trois aspects essentiels pour l’élaboration d’une carte préliminaire (FAO, 2005), notamment les principales fonctions à chaque étape, les agents exerçant ces fonctions et le parcours des principaux produits tout au long de la chaîne. Il est à noter que les flux sont quantifiés en termes monétaires afin d’évaluer l’importance relative des différentes étapes de la chaîne.

L’analyse de réseaux sociaux, quant à elle, se rapporte aux théories relationnelles qui permettent de formaliser les interactions sociales en termes de nœuds et de liens (notions issues de la Théorie des graphes). Les nœuds sont habituellement les acteurs sociaux ou institutions qui interagissent et les liens sont les relations entre ces nœuds. Il peut exister plusieurs sortes de liens entre les nœuds. Dans sa forme la plus simple, un réseau social se modélise pour former une structure analysable où des liens effectifs entre les nœuds sont étudiés. Cette approche sert d’outil pour cartographier et analyser les relations et les flux de la chaîne de valeur lorsqu’elle est plus caractérisée par un réseau que par une seule chaîne verticale.

Limites de l’ACV

L’analyse de la chaîne de valeur est limitée par plusieurs facteurs, entre autres:

• Les acteurs ne doivent pas succomber à la « paralysie par analyse » où ils recueillent trop d’informations et oublient que l’objectif de cet outil est l’identification des problèmes afin que des mesures puissent être prises;

• Les hypothèses constituent souvent la base de la plupart des données utilisées, rendant toute décision prise en fonction de ces données subjectives;

• La tendance à se concentrer excessivement sur la rentabilité ou la rupture des composants de coûts, alors que l’efficacité de la production devient de plus en plus une condition nécessaire pour pénétrer les marchés mondiaux;

• Les chaînes de valeur ne sont pas réparties en termes de composition, de relations, ou le positionnement sur le marché alors qu’il existe un besoin concurrentiel de modifier et d’améliorer la chaîne à la lumière des choix stratégiques relatifs au marchés d’intervention;

• Les analystes de la chaîne de valeur ne tiennent pas compte de l’environnement commercial dans lequel la valeur de la chaîne fonctionne. Ce faisant, l’analyse peut ne pas identifier les interventions potentielles pour améliorer les performances des entreprises et de la chaîne de valeur.

RÉSULTATS ET DISCUSSIONS

La filière d’argane est complexe. Ses multiples ramifications peuvent engendrer de nombreuses incompréhensions et relever ainsi des préjugés. Elle est composée d’une grande variété d’acteurs (locaux, nationaux ou étrangers) ayant des objectifs et intérêts spécifiques. Elle a également plusieurs dimensions eu égard aux acteurs qui animent sa production et sa commercialisation. Il est donc impossible d’entrevoir la filière argane d’un seul prisme. Pour mesurer son ampleur, il est tout d’abord impératif de définir sa chaîne de valeur.

Maillons de la chaîne de valeur de l’argane

La chaîne de valeur de l’argane se décompose en trois maillons essentiels à savoir: la production, la transformation et la commercialisation.

La production

La production des fruits de l’arganier et produits dérivés peut varier très fortement d’une saison à l’autre. C’est l’une des grandes difficultés pour les acteurs locaux, en particulier les coopératives, qui sont souvent dans l’incapacité de prévoir leur niveau de production. En outre, les activités de production dépendent fortement des stratégies de gestion des ressources de l’arganeraie. Ceci, d’autant plus que, la superficie et la densité de l’arganeraie se réduisent progressivement en raison de plusieurs facteurs (Achour et al., 2013), entre autres, l’aridité du climat, la récolte de la plupart des fruits, l’expansion de la mise en culture irriguée des forêts d’arganiers dans les plaines, la surexploitation par les troupeaux du sous-bois de l’arganeraie, etc. Ainsi, l’enjeu de la production est crucial aussi bien pour la filière que pour l’économie locale.

La transformation

D’un point de vue technique, l’huile d’argane est extraite de l’amande, contenue dans le fruit de l’arganier. En fonction du mode d’extraction, le rendement varie entre 35 et 55 % (Charrouf, 1999). Traditionnellement, la préparation de l’huile passe par six principales étapes à savoir: le dépulpage des fruits secs, le broyage ou concassage des coques, la torréfaction, l’écrasement des amandes, le malaxage et le pressage de la pâte.

La première étape, effectuée par les femmes de la région, consiste à séparer la pulpe de la noix. Ce même procédé peut être effectué par les caprins qui contribuent au dépulpage en consommant le fruit de l’argane pour en rejeter la noix. Cette étape est réalisée entre juillet et septembre. Les noix ainsi obtenues sont concassées et mises à sécher avant le concassage.

Le concassage est la phase la plus pénible et s’effectue généralement à l’aide de deux pierres,« une plate qui sert de support et une allongée qui fait office de marteau (Charrouf et Guillaume, 2007) ». Les amandes sont ensuite torréfiées à feu doux dans des récipients traditionnels jusqu’à ce qu’elles brunissent. La torréfaction est nécessaire pour le développement du goût, de la couleur, et du parfum de l’huile extraite. Ces amandes torréfiées sont ensuite écrasées à l’aide d’une meule en pierre. La pâte extraite est ainsi collectée dans un récipient en poterie pour le malaxage. Celui-ci se fait manuellement avec l’ajout de petite quantité d’eau tiède pour avoir une pâte visqueuse nommé «Tazguemmoute». La dernière étape, quant à elle, consiste à libérer l’huile en pressant manuellement la pâte obtenue.

Cette méthode traditionnelle nécessite plus de 14 heures de travail pour obtenir un litre d’huile. Elle pose en fait des problèmes sanitaires; dans certains cas, l’eau ajoutée à la pâte est récupérée des pluies et l’huile est directement versée dans des bouteilles en plastique usagées (Charrouf et Guillaume, 2007).

C’est pourquoi les populations locales, principalement les femmes, ont commencé à s’organiser en coopératives afin de pouvoir disposer de meilleurs moyens de production de l’huile d’argane et de réaliser les opérations de production dans les meilleures conditions.

En conséquent, le procédé d’obtention de l’huile au sein des coopératives devient plus simple. En ce sens, le dépulpage se fait à l’aide d’une machine mécanique, la torréfaction se fait par le biais des torréfacteurs à gaz et le malaxage par les presses mécaniques. Ceci s’est traduit par une augmentation du rendement à l’extraction d’environ 20 %. En effet, «dans certains cas, le rendement d’extraction a été augmenté de 50 % par rapport à la méthode artisanale (Charrouf, 1999)». Par ailleurs, les techniques de transformation dépendent des acteurs et de l’utilisation finale de l’huile (cosmétique ou alimentaire).

La commercialisation

Les circuits de commercialisation des deux types d’huiles d’argane sont distincts puisqu’elles sont destinées à deux marchés différents. Actuellement, l’argane est devenu un terme de marketing fondamental associé à des marques de produits cosmétiques ou alimentaires de renommée, qui n’hésitent pas à le mettre en avant dans leurs campagnes promotionnelles, ce qui a impacté positivement les exportations. La figure 1 détaille le circuit de commercialisation de l’huile d’argane.

Les coopératives sont les principaux acteurs de commercialisation de l’huile d’argane. Pour améliorer leurs ventes, les coopératives se sont progressivement regroupées en groupement d’intérêt économique (GIE).

Acteurs de la filière

Bien qu’ils partagent la même ressource, les intérêts des acteurs de la filière argane sont dichotomiques, voire conflictuels. Certains acteurs bénéficient plus que d’autres de la commercialisation de ces produits. A ce niveau, il est jugée primordial de mettre en évidence les enjeux et défis spécifiques à chaque acteur.

Les producteurs

Les premiers acteurs de fabrication de l’huile d’argane sont les femmes de la zone de production. Plus précisément, « la récolte des fruits est exclusivement réservée aux femmes berbères (Faouzi et Martin, 2014) », généralement organisées en famille ou en coopérative. Leur intérêt est avant tout d’assurer le bien-être de leurs familles vivant dans un milieu caractérisé par la pauvreté et la précarité. De ce fait, l’arganeraie participe au maintien des populations au sein des campagnes et, par conséquent, à la lutte contre l’exode rural.

Les entreprises privées

Ces opérateurs positionnés en aval de la chaîne de valeur, n’ont pas les mêmes préoccupations en matière du développement durable, du soutien social et économique aux populations locales et de la préservation de la forêt d’arganiers. Avec l’augmentation de la demande d’huile d’argane et, par conséquent, la hausse de son prix de vente, les laboratoires, les entreprises privées et les intermédiaires ne cessent de s’intéresser à cette filière. Leur objectif est simple: réaliser la meilleure marge. Pour eux, le retour sur investissement est la clé de la réussite de leurs activités dans le secteur. Ainsi, ces acteurs sont minoritaires en nombre, mais accaparent la majorité des bénéfices de la commercialisation de l’huile d’argane.

Les institutions publiques et semi-publiques (ANDZOA, AMIGHA, FIMARGANEE, ANCA…)

Face aux diverses pressions économiques, environnementales et sociales, les autorités ont progressivement mis en place les institutions nécessaires pour protéger les produits issus de l’arganier. L’une de ces actions concerne l’attribution d’une indication géographique (IGP) « argane » visant à protéger la propriété culturelle et environnementale de l’huile d’argane au sein du territoire de Souss-Massa. En plus, l’administration soutien l’agro-industrie de la région, notamment en empêchant la délocalisation de la filière argane en dehors de la zone de production, via l’amélioration de la traçabilité des produits et la lutte active contre les fraudes et contrefaçons liées à ce secteur.

Organisation et fonctionnement de la chaîne de valeur

L’analyse organisationnelle et fonctionnelle de la chaîne de valeur de l’argane dans la province de Tiznit, se réfère à l’identification des principaux acteurs qui y interviennent, leurs fonctions et les rapports qu’ils entretiennent entre eux. Ceci est dans le but de mettre en place et de valoriser les produits de l’arganier (huile d’argane cosmétique et alimentaire), et les faire parvenir jusqu’aux consommateurs finaux.

Dans le cadre de la présente étude, les chaînes de valeur de ces deux produits seront considérées comme identiques, du fait que leurs modes d’organisation et les acteurs qui y opèrent sont les mêmes. En outre, cette chaîne de valeur est tournée essentiellement vers le marché local et dont les produits sont écoulés sur le marché domestique.

Par ailleurs, il est à préciser l’existence de trois principaux groupes d’activités de la chaîne de valeur de l’argane, où interviennent plusieurs acteurs avec des stratégies diverses et des interactions pouvant aller des plus simples aux plus complexes.

Les activités et acteurs de la chaîne de valeur

Trois groupes d’activités ainsi que trois groupes d’acteurs se distinguent sur la chaîne de valeur de l’argane. En amont de la chaîne, se trouvent les activités de collecte des fruits dont les acteurs principaux sont les ménages. Au niveau des maillons intermédiaires, se situent les activités de transformation dans lesquelles participent les ménages, les coopératives et dans une moindre mesure, les commerçants. Ces trois acteurs sont également présents en aval de la chaîne, où s’opèrent les activités de commercialisation.

Les frontières entre ces différentes activités ne se sont pas souvent assez nettes, en passant d’un acteur à un autre. En effet, on retrouve certains acteurs qui interviennent, simultanément, sur un ou plusieurs maillons de la chaîne, rendant complexe la distinction des particularités inhérentes à chaque catégorie d’acteurs.

Activité 1: la collecte

La principale activité en amont de la filière argane de Tiznit consiste en la collecte des fruits de l’argane. Cette opération est principalement réalisée par les ménages, composés majoritairement de femmes. La collecte des fruits de l’arganier est l’activité la plus importante de la chaîne de valeur puisqu’elle conditionne la disponibilité de la matière première pour l’ensemble de la filière. Sur le plan technique, la collecte des fruits est réalisée de manière manuelle par des ménages-usufruitiers qui sillonnent la forêt de l’arganier, dont ils ont le droit de jouissance pour cueillir, à coups de branche, les fruits d’argane. A ce niveau, la main d’œuvre est le plus souvent familiale. Cette opération est suivie du séchage manuel des fruits qui se tient, généralement, sur les toits ou sur les sols des habitations des ménages. Il s’en suit le stockage des fruits secs d’argane dans des sacs de 50 à 60 kg, qui sont entreposés dans les lieux d’habitation des ménages ou dans les bâtiments d’élevage. Ces fruits sont destinés à rentrer, en partie ou en totalité, dans le processus de transformation par les ménages eux-mêmes, ou par les commerçants ou les coopératives achetant ces fruits auprès des ménages. Ainsi, ces derniers sont considérés comme les principaux acteurs en amont de la chaîne de valeur de l’argane.

La plupart des ménages participant à la collecte des fruits de l’argane sont composés en moyenne, de 6 personnes par ménage. Cependant, il est important de souligner que la quantité des fruits collectée par les ménages varie considérablement en fonction de la densité des arganiers dont ils ont la jouissance, de l’âge des arbres, des conditions pédo-climatiques et bien d’autres facteurs.

En termes de destination, il est à noter que les ménages transforment, eux-mêmes, environ 75 % de leur production de fruits d’argane. Les 25 % restants sont vendus aux coopératives et aux commerçants/intermédiaires présents dans la province.

Tableau 1: Destination des fruits d’argane collectés par les ménages

Destination des fruits d’argane collectés par les ménages %

Auto-transformation par les ménages 75

Vente aux coopératives 15

Vente aux commerçants 9

Autres (vente à d’autres ménages, alimentation de bétails, etc.) 1

En fait, la qualité des fruits demeure le principal critère d’acceptation exigé par coopératives (taille spécifique, absence de taches blanches, etc.). Lors de la vente des fruits, les ménages s’attachent plus aux critères du prix et de la proximité, des liens familiaux et de la qualité des relations commerciales précédemment établies. En ce qui concerne les modes de paiement pratiqué sur ce maillon de la chaîne, plus de 95% des transactions sont faites avec un paiement direct de la totalité de la somme due.

Activité 2: la transformation

Les activités de transformation des fruits d’argane s’articulent autour de deux principales opérations distinctes, mais complémentaires. Il s’agit des opérations de transformation primaire et des opérations de transformation secondaire (Figure 2).

Ces deux opérations se succèdent pour aboutir à l’obtention de l’huile d’argane alimentaire et/ou cosmétique. La caractérisation des spécificités de ces opérations permet de cerner les tenants et les aboutissants du maillon intermédiaire de la chaîne de valeur de l’argane.

Les opérations dites de « transformation primaire » sont effectuées par les ménages et les coopératives et consistent à dépulper et concasser les fruits d’argane ayant été collectés par les ménages ou achetés par les coopératives. Ces dernières s’approvisionnent auprès des ménages ou des commerçants qui procurent les fruits, à leur tour auprès des ménages, pour les besoins de leurs activités de transformation. Les résultats de ces opérations sont les amandons (produits) et les pulpes et les coques (sous-produits).

Les acteurs intervenant sur ce maillon sont les ménages, les coopératives et les commerçants.

Les ménages

Il est à noter que la majorité des fruits transformés par les ménages est collectée par les ménages eux-mêmes. La quantité moyenne d’amandons produits par ménage est de 320 Kg/an. Ces amandons sont destinées aussi bien à la vente qu’à la transformation en huile d’argane. Les pourcentages correspondant aux différents postes de destination des amandons sont récapitulés dans le tableau suivant.

Tableau 2: Destination des amandons produits par les ménages dans la province de Tiznit

Destination des amandons produits par les ménages %

Auto-transformation 90

Vente aux coopératives 6

Vente aux commerçants 4

Les coopératives

Il existe, en somme, 36 coopératives d’argane dans la province de Tiznit dont la moyenne de leurs adhérents se situe autour de 20 personnes.

En ce qui concerne leur niveau technologique, il est à constater que peu de coopératives effectuent encore leurs activités de manière traditionnelle. La mécanisation a permis d’améliorer les niveaux de productivité sur la chaîne (66 % des coopératives de la province sont semi-mécanisées et ayant au plus 10 équipements mécaniques différents).

Au regard des quantités de fruits d’argane transformés, il est à souligner qu’une coopérative transforme en moyenne 10,7 tonnes de fruits d’argane par an. Ces coopératives s’approvisionnent auprès les divers acteurs de la chaîne, et principalement auprès des ménages adhérents qui leurs fournissent plus de 54 % des fruits.

Les relations commerciales entre les coopératives et leurs fournisseurs sont essentiellement informelles. Seule 5 % des coopératives affirment disposer de contrats d’approvisionnement. Par ailleurs, le choix de ces fournisseurs est tributaire de la qualité des produits, de la disponibilité des produits en quantité suffisantes, du niveau des prix et de la proximité. En ce qui touche le paiement, il est principalement effectué au moment de l’achat. Toutefois, certaines coopératives peuvent recourir au paiement à crédit ou un paiement différé.

Dans l’exercice de leurs activités, plusieurs contraintes ont été mises en évidence par les coopératives de la zone. Il s’agit principalement des difficultés d’approvisionnement en fruits et du manque d’entente entre les coopératives sur les prix d’acquisition de ces fruits.

Les commerçants ou intermédiaires

Il existe environ 200 commerçants/intermédiaires dans la province de Tiznit intervenant sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’argane. Leur répartition dans la province est très inégalitaire. Le cercle de Tiznit rassemble environ 60 % des commerçants, contre seulement 22 % et 18 %, respectivement pour les cercles de Tafraout et Anezi.

Par ailleurs, ces commerçants jouent un double rôle. Il sont à la fois acheteur et revendeur des fruits d’argane et d’amandons. En effet, Ils achètent, en amont de la chaîne, les fruits d’argane auprès des ménages et les revendent sur le marché à d’autres ménages, coopératives et autres commerçants. A l’issue de la transformation primaire des fruits d’argane, ils achètent également des amandons, principalement auprès des ménages (70 %) qu’ils revendent sur le marché.

Certains commerçants se livrent à des activités de production, en transformant une partie des fruits d’argane en amandons, en vue d’accroître leur valeur ajoutée. Cette activité de transformation reste, toutefois, très discrète et peu connue des autres acteurs de la chaîne.

Les relations commerciales entre les commerçants et leurs fournisseurs (ménages ou autres commerçants) ainsi que clients (ménages, coopératives et autres commerçants), se font de manière informelle. Les critères de choix des fournisseurs dépendent essentiellement de la disponibilité des produits, les prix, la qualité des produits et la proximité des fournisseurs.

La transformation secondaire, l’extraction de l’huile est la seconde opération de transformation réalisée au niveau «Intermédiaire» de la chaîne de valeur de l’argane. Elle consiste à transformer les amandons résultant du dépulpage des fruits et concassage des noix d’argane, ou achetés auprès d’autres acteurs de la filière, pour obtenir de l’huile d’argane alimentaire et/ou cosmétique (produits). En ce sens, les tourteaux obtenus suite au pressage de la pâte d’argane sont considérés comme des sous-produits.

Cette opération se déroule techniquement en plusieurs étapes: la torréfaction des amandons (pour l’huile d’argane alimentaire), le broyage/mouture, le malaxage/pressage et enfin la décantation et filtration de l’huile obtenue.

Les principaux acteurs qui opèrent sur ce maillon sont les ménages et les coopératives. En effet, les ménages de la province de Tiznit produisent exclusivement de l’huile d’aragne de consommation. Dans ce cadre, il est à signaler que seulement 39 % de ces ménages intervenant dans la chaîne de valeur de l’argane, vont au bout du processus, en produisant eux-mêmes leur huile. Les coopératives, quant à elles, produisent à la fois de l’huile d’argane alimentaire (représentant le quart des huiles produites) et cosmétique.

Activité 3: la commercialisation

Cette activité correspond aux opérations de conditionnement et de commercialisation des huiles produites par les ménages et les coopératives et celles achetées par les commerçants auprès des producteurs, précités. Ce maillon de la chaîne fait intervenir, en plus de ces trois acteurs, un quatrième participant qui est le Groupement d’Intérêt Économique (GIE).

Les ménages conditionnent et commercialisent eux-mêmes l’huile d’argane qu’ils produisent et procèdent à la vente directe aux particuliers. Ces ménages n’adhèrent généralement à aucune coopérative ou groupement, et ne passent pas par des intermédiaires pour la vente de leurs produits.

Pour les coopératives, la majorité conditionne elle-même sa production d’huile d’argane. Certaines le font, cependant, à travers les GIE, auxquelles elles sont affiliées. 82% des coopératives de la province disposent de leurs propres points de vente, situés au sein de leurs sièges. Ces points ne sont généralement pas facile d’accès et ne constituent pas une réelle opportunité de vente des produits. En ce qui est des relations commerciales avec les clients, elles sont généralement informelles (seul 5,6 % des coopératives affirment avoir entretenu des contrats). Les clients des coopératives résident au niveau local, national et même international. Le tableau 3 montre le part des ventes consacrées à chaque type de clients.

Il est à noter qu’il existe deux groupements dans la province, composés de la moitié des coopératives d’argane de la zone, auxquelles, ils offrent des services de soutien nécessaires pour le conditionnement, la valorisation et la commercialisation de leurs produits. Le GIE représente un débouché pour les produits des coopératives membres, vu qu’il les présente dans les salons internationaux et les différents marchés qu’il fréquente. Cependant, ce type de partenariat engendre certaines contraintes liées à la faiblesse des quantités de produits commercialisés à travers les GIE et la faiblesse des prix de vente.

En ce qui est des commerçants, ils vendent la majorité des huiles aux particuliers. A ce niveau, deux catégories de commerçants sont à distinguer en fonction de leur capacité d’approvisionnement et de commercialisation.

Par ailleurs, il est à préciser que la quantité totale d’huile d’argane revendue par certains grands commerçants est supérieure aux quantités achetées. Ceci s’explique par le fait qu’ils mènent, de manière non déclarée, des activités de production d’huile d’argane au travers certains ménages. Le tableau 4 répartit les ventes d’huile d’argane par type de clients.

Cartographie de l’organisation de la chaîne de valeur

Les analyses fonctionnelles et technico-organisationnelles de la chaîne de valeur de l’argane permettent d’identifier les acteurs directs et supports de la chaîne ainsi que leurs opérations, de décrire les différents maillons et d’analyser les flux physiques et géographiques. Ces analyses ont contribué à dresser la cartographie de la chaîne de valeur de l’huile d’argane (Tableau 5),en mettant en évidence les flux de produits et le positionnement spécifique de chaque acteur.

Bien-que chaque acteur joue un rôle important et occupe une grande place dans l’organisation de la chaîne, force est de constater que les ménages en constituent la pierre angulaire puisqu’ils assurent son bon fonctionnement. En effet, ils sont considérés comme le principal facteur de production sur chaque maillon.

Les commerçants sont également présents sur les trois principaux maillons de la chaîne de valeur (en amont pour l’obtention des fruits séchés, la transformation et en aval pour la commercialisation). Cependant, leur rôle se limite à l’intermédiation.

Quant aux coopératives et GIE, ils se cantonnent aux maillons de transformation et de commercialisation de la chaîne, demandeurs en main d’œuvre et de moyens matériels, mais plus pourvoyeurs de valeur ajoutée.

Au regard de cette cartographie et des flux d’échanges entre les acteurs de la chaîne de valeur, il est à souligner que cette dernière est principalement orientée vers le marché local et ce sont les ménages qui alimentent l’ensemble des acteurs de la chaîne, notamment les commerçants avec lesquels, ils ont le plus d’interactions et ce, tout au long de la chaîne.

La gouvernance de la chaîne de valeur

La gouvernance de la chaîne de valeur se réfère à la structure des relations et aux mécanismes de coordination qui existent entre ses acteurs. De ce fait, les mécanismes de coordination de la chaîne de valeur de l’argane sont principalement analysés du point de vue des aspects non commerciaux des transactions, c’est-à-dire au regard des règles sociales qui sont souvent intégrées dans le cadre d’engagements informels qui s’approchent des «contrats relationnels».

La chaîne de valeur de l’argane est caractérisée par l’absence de monopole, mais aussi par son manque de transparence pour la plupart des opérateurs. De fortes incertitudes, liées à l’instabilité de l’offre, à la qualité du produit et au prix, influencent les relations économiques entre les acteurs.

Au niveau des zones de production des fruits d’arganiers, les ménages font généralement face à de nombreuses contraintes liées à l’isolement, au manque de transport, à la taille extrêmement réduite des exploitations ainsi qu’à l’absence de circuits de commercialisation bien structurés. Ce qui crée une certaine concurrence horizontale entre les acteurs présents à chaque niveau de la chaîne. En conséquence, les flux des produits sont distribués de manière informelle, avec un niveau faible de contrôle de qualité, de volumes, de conditionnement et d’entreposage ou encore des conditions de transport.

Au niveau des coopératives, la gestion des flux semble être un peu plus aisée, notamment en raison de leur positionnement géographique plus favorable, de la présence de points de vente dédiés et de leur niveau de mécanisation. Leur bonne image auprès du grand public facilite la commercialisation de leurs produits.

Au niveau de la distribution, la relation entre les consommateurs et les différents acteurs de la chaîne, est basée sur des accords informels, caractérisés par des marques de confiance mutuelle. Ce qui tend à réduire significativement les aléas sur le marché et les coûts de transaction.

Enfin, du coté institutionnel, il s’avère que les établissements publics ne jouent pas réellement un rôle permanent dans l’organisation et la structuration de la chaîne de valeur. En effet, il existe peu de mesures de traçabilité des produits et peu de contrôle de qualité tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de production et de commercialisation de l’huile d’argane.

De surcroît, avec les incertitudes et contraintes que connaisse la chaîne de valeur, un nouveau mode de gouvernance a émergé auprès des acteurs de la filière. Plus précisément, certains producteurs ont développé leurs activités suivant l’approche d’intégration verticale, afin de produire et de commercialiser leurs propres produits pour en récupérer le maximum de marges bénéficiaires. C’est le cas des coopératives qui sont, de plus en plus, présentes à presque tous les niveaux de la chaîne de valeur de l’argane (seule la collecte qui n’est pas ou très peu effectuée par les coopératives). En commercialisant tous les produits finaux de la chaîne de valeur de l’argane, la mutualisation des charges et bénéfices leur permet de garantir une certaine rentabilité et une sécurité de revenu au profit de leurs membres.

CONCLUSION

Bien que la chaîne de valeur d’argane offre des perspectives prometteuses en termes de création d’emplois, d’autonomisation des femmes et de promotion du développement local durable, des défis importants restent à soulever, aussi bien au niveau de ses différentes activités (notamment la collecte de la matière première, la production et la commercialisation), qu’au niveau de sa gouvernance. En ce sens, les institutions (publiques et privées) impliquées dans la promotion de la filière sont invitées à développer une vision intégrée qui permet une meilleure organisation de la chaîne de valeur en améliorant la compétitivité de ses maillons, en renforçant les liens entre ses multiples acteurs, en facilitant l’accès au marché et en veillant à répartir équitablement les valeurs créées tout au long de la chaîne.

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