Résumé

Topographie montagnarde, forts épisodes pluvieux et structure de sol dominée par des matériaux tendres essentiellement des marnes, sont toutes des contraintes environnementales qui ont fait des talus de l’autoroute Fès-Taza une zone très exposée à l’érosion hydrique. Ces talus ont présenté de sérieux problèmes d’érosion depuis la première année d’ouverture de ce tronçon. Les dégâts qui y ont été enregistrés et les interventions d’entretiens à chaque saison pluviale ont augmenté les coûts de construction de ce tronçon. Pour stabiliser ces terrassements, plusieurs techniques à base du génie civil ont été installées. Vu que ces installations sont très coûteuses voire même inefficaces pour certains talus, les auteurs ont envisagé d’évaluer l’efficacité de quelques techniques à moindre coût à base du génie biologique. Il s’agit des techniques suivantes: semis et plantations avec roseaux en maille, semis avec utilisation de la paille et semis en ligne. L’expérimentation a été menée en installant des collecteurs linéaires de sédiments de 4 m de longueur à la base des parcelles (4×18 m2; 4×28 m2) de traitements, sur des talus sud et nord d’un tronçon en déblai. Ces traitements ont engendré une réduction de l’érosion, par comparaison au témoin, de 65% avec l’utilisation du semis seul, 74% avec l’utilisation du semis et plantations avec roseaux et 78% avec l’utilisation du semis, paille et grillage. Les plus grandes quantités de sédiments sont issues des témoins, le charriage maximum est arrivé pour une seule parcelle témoin à 12,7 kg comme quantité sèche de terre pour 33 mm de pluie avec une intensité de 58 mm/h. La couverture végétale est plus importante sur les versants nord. Il faut donc choisir des espèces adaptées et peu consommatrices d’eau en ce qui concerne les versants sud.


Mots clés: Érosion, marnes, génie biologique, semis, plantation, autoroute.

INTRODUCTION

Les infrastructures de circulation comme les routes, autoroutes et chemins de fer sont des voies de communication qui assurent et accélèrent le développement économique et social des régions traversées. Cependant, elles créent des perturbations dans les paysages traversés (Tlemçani et al., 2014). La modification du milieu naturel par des travaux de remblais et de déblais peut d’une part obstruer certains ruisseaux ou changer leur écoulement naturel et, d’autre part exposer les zones dénudées de végétation aux risques d’érosion (Benkaci et Dechemi, 2010).

Bache et MacAskill (1984) affirment que les activités de construction d’infrastructures routières sont une source majeure d’érosion et de sédiments. En effet, l’équivalent de plusieurs décennies d’érosion naturelle ou due aux activités agricoles, peut se produire au cours d’une seule année dans des zones de construction. Les travaux de construction accélèrent donc les pertes en sol et créent une perturbation des zones concernées. Cette perturbation s’accentue avec la fragilité du sol, comme c’est le cas notamment de l’autoroute Fès-Taza (Maroc), qui a la particularité de traverser des séries marneuses qui constituent un milieu fragile et vulnérable, où l’érosion hydrique cause d’énormes pertes en terres et génère une production excessive de sédiments (Tribak et al., 2012). Ces marnes ont la caractéristique de gonfler avec l’eau et sont considérées comme des sols instables, en raison de leurs modifications volumétriques dépendant de la durée et de l’intensité des changements climatiques extrêmes que connaît cette zone, à savoir les forts épisodes pluvieux et les sécheresses (Demehati et al., 2018).

La topographie contrastée et les conditions hydrologiques et météorologiques sévères ont fait que le tronçon de l’autoroute étudié n’échappe pas aux risques de déclenchement de glissements. Effectivement, ces phénomènes nombreux et d’envergure ont été relevés pendant et après la fin des travaux de construction des terrassements (Mouhssine et al., 2015) (Figure 1).

Plusieurs solutions et techniques ont été proposées par les cadres techniques de l’autoroute afin de stabiliser les glissements apparus durant les travaux, d’empêcher l’apparition de nouveaux dégâts et de veiller à la durabilité de l’autoroute et à la sécurité des utilisateurs. Ces mesures techniques ont pratiquement augmenté les coûts de réalisation de ce tronçon.

Malgré beaucoup d’efforts déployés pour stabiliser les terrassements, plusieurs dégâts sont toujours observés après la mise en circulation de ce tronçon (Figure 2):

• Fissures au niveau de la chaussée, en particulier pendant les saisons pluviales (Figure 2, A);

• Rigoles et ravines avec des profondeurs et des largeurs allant de quelques centimètres jusqu’à plusieurs mètres, susceptibles de mettre en péril la stabilité des talus tout entier. Ces rigoles et ravines sont plus visibles en périodes sèches (Figure 2, B et C);

• Effondrement d’une partie des arcades bétonnées dédiées à la stabilisation des talus. Plusieurs signes d’érosion au niveau de ces arcades laissent présager de nouveaux dégâts à court ou moyen terme (Figure 2, D);

• Éboulement inquiétant observé sur certains talus (Figure 2, E).

Devant une telle situation, nous avons envisagé de tester l’effet de quelques techniques et procédés écologiques inspirés du génie végétal pour contrer l’érosion des talus marneux de l’autoroute.

En effet, le potentiel de la végétation dans le contrôle des risques naturels en général et de l’érosion en particulier a été prouvé dans plusieurs pays (Cohen et Rey 2005; Georgi et Stathakopoulos 2006; stokes et al., 2007; Hytiris et al., 2015; Tardio et al., 2018).

L’érosion date du déboisement et s’éteindra avec le reboisement (Veyret ,1943). Si on prend le cas des forêts, en plus du rôle joué en tant que ressource économique, elles apportent également des avantages liés à la réduction des inondations, au contrôle de l’érosion et à la prévention des glissements de terrain (Bache et MacAskill, 1984).

Leprun (1994) explique que toute modification du couvert végétal et du sol d’un écosystème naturel supposé en équilibre se traduit nécessairement par une modification plus ou moins importante de la structure du sol, entraînant ainsi une altération plus ou moins grande de ses caractères hydrodynamiques. Chaque transformation du terrain engendrant une surface dépouillée de végétation rend le sol vulnérable et exposé aux ravages du vent et de l’érosion hydrique (Bache et MacAskill, 1984).

En plus de son rôle de protection contre les aléas naturels, la végétation peut être intégrée dans les projets de génie civil. Plusieurs auteurs ont démontré ce rôle (Bache et MacAskill, 1984; Coppin et Richards, 2007; Freer, 1991). Elle contribue à des aspects tels que la stabilisation des pentes et le contrôle de l’érosion hydrique afin de créer un ouvrage non seulement plus attrayant sur le plan visuel, mais pouvant également apporter d’autres avantages environnementaux positifs (Freer, 1991).

L’atout des ouvrages issus du génie biologique réside notamment dans l’accroissement, dans le temps, de leur efficacité (L’abonne et al., 2007; Evette et al., 2009). Ils ont pour fonction première de créer sur quelques années des conditions de stabilité temporaire des sols, nécessaires pour permettre aux plants de s’enraciner et s’installer. Ils permettent ainsi de retenir les matériaux meubles. L’efficacité d’un ouvrage correspond ainsi à son aptitude à permettre l’installation et le développement de végétaux qui assureront après plusieurs années un rôle de protection efficace et durable contre l’érosion (Rey et al., 2001).

L’un des avantages majeurs du génie biologique, c’est qu’il offre une panoplie de techniques, soit déjà mises en œuvre, soit imaginées selon le contexte local. Dans ce contexte, et pour le tronçon étudié (Autoroute Fès-Taza), plusieurs mesures antiérosives ont été expérimentées pour quelques talus, essentiellement basées sur des techniques de génie civil. Le but ici c’est comment lutter contre l’érosion tout en restant en harmonie avec le paysage environnant.

Dans ce contexte, cet article traite de l’effet de certaines méthodes de génie biologique qui ont été testées sur les talus pour décider de celles les plus efficaces afin de les intégrer dès la réalisation des travaux de construction des chaussées.

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Zone d’étude

La zone d’étude fait partie de l’axe autoroutier reliant la ville de Fès à la ville de Taza (Figure 3). Il s’agit d’un site de déblai situé entre les entrées Est et Ouest de la ville de Taza (PK 298). Cette zone, comme toutes celles faisant partie du bassin méditerranéen, est connue pour être sujette à des risques érosifs très élevés (Bou Kheir et al., 2001; Benoit et al., 2003) (Figure 4).

Les essais ont été installés sur les deux talus de part et d’autre de la route (PK=298 et coordonnées x=629476.445, y=406316.667). La superficie retenue pour le talus exposé sud a été de 1350 m2 et celle pour le talus exposé nord de 900 m2. La hauteur du talus exposé sud est de 28 m et celle du talus exposé nord est de 18 m et la pente est de 3H:2V (Figure 5).

Présentation des techniques du génie biologique testées

Le génie biologique se définit comme l’ensemble des techniques et méthodes permettant l’installation d’une couverture végétale à rôle de protection contre un aléa naturel. Il associe reboisement, embroussaillement et engazonnement, par plantation, bouturage ou semis (Rey, 2004). Le génie végétal utilise les aptitudes biologiques, physiologiques et physiques des plantes pour apporter des solutions techniques à des problèmes de protection des sols, et plus particulièrement de lutte contre l’érosion (Frossard et Evette, 2009).

Dans le cas de l’autoroute Fès-Taza, un travail de prospection a été effectué dans un premier temps par l’installation de plusieurs traitements combinant semis, plantations et méthodes d’appui à base de matériaux locaux essentiellement de la paille, des roseaux et de la toile de jute (Figure 6) pour sélectionner les techniques de génie végétal les plus adaptées avant de les généraliser dans le cadre d’un dispositif plus élargi.

Le mélange de semences testé correspond aux espèces suivantes: Sanguisorba minor, Hedysarum coronarium, Acacia cyanophylla, Melilotus officinalis, Medicago arborea, Cassia floribanda, Leucaena leucocephala, Spartium junceum, Lupinus latifolius, Atriplex halimus, Retama monosperma, Avena sativa et Lolium perenne.

Les espèces plantées: Spartium junceum, Atriplex halimus, Coronilla glauca, Medicago arborea, Chamaerops humilis, Leucaena leucocephala, Vetiveria zizanioides et Lavandula dendata.

Des récipients ont été installés en bas des différentes parcelles pour évaluer l’effet joué par les traitements contre l’érosion. Les quantités de terre érodée piégées dans ces récipients suite aux précipitations ont été pesées. Ce protocole a fait l’objet d’une année de suivi. Les traitements qui ont montré des résultats prometteurs ont fait l’objet d’un suivi avec un protocole expérimental prenant en considération toute la largeur des parcelles d’essais pour récupérer les sédiments suite aux précipitations.

Cet essai est un dispositif en blocs aléatoires complets. Chaque bloc est composé de 4 parcelles, chaque parcelle correspond à un traitement (Figure 6). Il s’agit des traitements suivants:

SPR: Semis et plantations avec roseaux en maille (Figure 7) ;

SPG: Semis avec utilisation de la paille et du grillage (Figure 8);

S: Semis en ligne (Figure 9);

T: Témoin.

Méthodes de quantification de l’effet des techniques du génie biologique testées

Pour déterminer les mélanges les plus efficaces de semences et des espèces plantées qui donnent un couvert végétal important sur les talus marneux, des collecteurs sont déposés en bas des parcelles de traitements pour quantifier la terre érodée des talus en fonction des quantités de précipitations et des méthodes de génie biologique (Figure 8). Pour obtenir des mesures comparables, une largeur de 4 m est maintenue pour les différentes parcelles. Des séparations entre les différentes parcelles sont aussi mises en place pour éviter l’effet de bordure (Figure 9). Pour les prélèvements de la terre érodée, un total de 18 prélèvements a été séché par la suite dans une étuve à 37°C pendant 2 jours.

Analyse statistique

Les paramètres statistiques ont été calculés à l’aide du logiciel statistique SAS (SAS, 2004) y compris les matrices de corrélation, entre la quantité de la terre érodée et les caractéristiques de pluie. L’ANOVA (Analyse de la variance) a été réalisée à l’aide du même logiciel pour tester les effets principaux et les interactions des facteurs (l’exposition des talus (nord /sud), les traitements testés (S/SPG/SPR/Témoin) et les relevés (18 relevés effectués)) sur la quantité sèche de terre érodée suivie du test de comparaisons multiples de moyennes de Duncan.

RÉSULTATS

Les résultats présentés ci-dessous correspondent aux quantifications de la terre érodée prélevée pendant une période de suivi de trois années de 2014 à 2016. Le suivi a pris en compte les talus de part et d’autre du déblai situé au PK 298 de l’autoroute Fès-Taza (A2).

Dix-huit relevés de terre érodée ont été effectués pour chaque parcelle, soit un total de 432 relevés pour les 24 parcelles étudiées. Les principales statistiques descriptives relatives aux variables étudiées (Erodkg, Erodkgm2, pluie, durée, intensTot, intensMax, intensMin) sont présentées dans le tableau 1, avec:

Erodkg: Quantité sèche de terre érodée absolue/parcelle d’essai;

ErodkgM2: Quantité sèche de terre érodée par m2;

Pluie: Précipitations cumulées correspondant aux différents relevés;

Durée: Durée pendant laquelle les précipitations ont été enregistrées;

IntensTot: Intensité totale des pluies;

IntensMax: Intensité maximale de pluie;

IntensMin: Intensité minimale de pluie.

Pendant la période de suivi, les valeurs de la variable Erodkg pour l’ensemble des parcelles ont été comprises entre 0 et 12,7 kg et la moyenne a été d’environ 3 kg. La valeur maximale correspond à la quantité de sédiments relevée à partir du collecteur installé en bas de l’une des parcelles témoins situées sur le talus exposé sud. Cette quantité a été prélevée suite à un événement pluviométrique concentré en quelques minutes avec une intensité de pluie de 58,2 mm/h qui est l’intensité maximale enregistrée durant la période de suivi (Tableau 1). Pour cette variable, le coefficient de variation (CV) est de 88% pour le versant exposé nord et il est de 81,3% pour celui exposé sud, ce qui montre une grande variabilité.

En ce qui concerne la variable ErodkgM2, dont les valeurs sont comprises entre 0 et 0,14 Kg/m2 et la moyenne est de 0,033 kg/m2, le coefficient de variation est de 88,5% pour le versant exposé nord et de 80,8% pour celui exposé sud. Les précipitations correspondant aux relevés effectués de la terre érodée ont été comprises entre 26 et 162,6 mm avec des intensités totales très variables (CV=329%). La valeur moyenne des précipitations a été de 75 mm. Les événements pluviométriques ont connu des changements extrêmes avec des durées très variables. Les durées correspondant aux relevés effectués ont été comprises entre 0,6 et 238 heures. Le tableau 2 représente la répartition des précipitations durant la période d’observation.

Le tableau 1 correspond aux résultats obtenus à partir des parcelles installées sur le talus exposé nord et sur le talus exposé sud. En moyenne, les valeurs de terre érodée par m2 sont 0,035 kg/m2 pour le talus exposé nord et 0,03 kg/m2 pour le talus exposé sud. Cette quantité est relativement plus variable pour le talus exposé nord (CV=88,5%) que pour le talus exposé sud (CV=80,8%).

Pour comprendre l’effet des différents facteurs étudiés et de leurs interactions sur la quantité absolue de terre érodée et sur la quantité de terre érodée par m2, notamment l’exposition des talus (nord /sud), les traitements testés (S/SPG/SPR/Témoin) et les relevés (18 relevés effectués), nous avons procédé à une analyse de variance (ANOVA). Les résultats des ANOVA effectuées sont présentés dans les tableaux 3 et 4 et ils ont révélé des différences significatives (p<0,0001) pour l’effet de l’ensemble des facteurs étudiés sur les deux variables étudiées (Erodkg et ErodKgM2), d’où le recours au test de comparaisons multiples de moyennes de Duncan (Figures 10 et 11).

Le test de comparaison des moyennes de Duncan a révélé que les traitements testés sont tous significativement différents entre eux (α =0,05) en ce qui concerne les quantités moyennes d’Erodkg et d’ErodKgM2 (Figure 10).

Les 18 relevés effectués ont présenté des différences significatives (Figure 11). Ceci est dû principalement aux hétérogénéités des précipitations relatives à ces relevés et à leurs intensités très variables. Les relevés qui ne sont pas significativement différents correspondent à des événements pluviométriques similaires. Si on prend par exemple les deux premiers relevés, ils correspondent successivement à 0,63 et 0,62 mm/h comme intensité totale de pluie. Le relevé 3 qui est significativement différent de ces deux premiers correspond à une intensité totale de pluie de 1,54 mm/h.

Au sein de chaque relevé on remarque que le témoin est significativement différent des 3 autres traitements (SPR, S et SPG) pour l’ensemble des relevés. Les traitements SPR et SPG ne présentent pas de différences significatives pour la plupart des relevés. Ceci est valable pour les deux expositions nord et sud (Figure 12 et Figure 13).

Les plus grandes quantités de sédiments ont été prélevées à partir des témoins pour les deux versants nord et sud. Les quantités maximales de sédiments ont été prélevées pendant le relevé 10. C’est un relevé qui correspond à l’événement pluviométrique le plus marquant pendant la période de suivi (Figure 14), il a été effectué après 33 mm de pluie, c’est une quantité qu’on peut juger minime comparée à la quantité maximale de pluie durant la période d’essai, qui est de 162,6 mm (relevé 18), mais qui a été très concentrée dans le temps. Elle n’a duré que 34 min donnant ainsi lieu à l’intensité maximale de pluie durant la période d’étude (58,2 mm/h) (Figure 14).

On peut conclure que l’intensité de pluie influence la quantité prélevée de sédiments. Effectivement, le tableau 4 montre qu’il y a une corrélation très significative (p<0,0001) entre d’une part, les variables Erodkg et ErodkgM2, et d’autre part, l’intensité de pluie. Elle est moins importante pour la quantité de pluie et non significative pour la durée. Pour expliquer ce résultat, on prend l’exemple du relevé qui correspond à la durée maximale. Il s’agit du relevé 6, dont la durée est de 237,9 h, les précipitations cumulées sont de 106,2 mm, l’intensTot=0,44 mm/h, l’intensMax=3 mm/h et l’intensMin=0,03 mm/h. Suite à ce relevé, la plus grande quantité de terre érodée par m2 n’a pas dépassé 0,086 kg/m2.

Vu que les résultats des matrices de corrélation entre les variables Erodkg et ErodkgM2 et les caractéristiques de pluies pour les parcelles installées sur le talus nord et les parcelles installées sur le talus sud sont généralement assez similaires, nous analysons dans les matrices de corrélation présentées dans le tableau 4 les relations entre les différents traitements et les caractéristiques de pluie sans tenir compte de l’exposition des talus. Globalement, on observe une corrélation significative à 5% entre la terre érodée et l’intensité de pluie. Elle est plus importante pour les témoins (r>0,5) (coefficient de corrélation de Pearson), et moins importante pour les traitements SPG, S et SPR avec des valeurs de r se situant entre 0,31 et 0,49.

Pour mieux comprendre l’effet des intensités maximales de pluie sur les quantités de sédiments susceptibles d’être arrachées à partir des talus marneux de l’autoroute suite à des pluies très concentrées dans le temps, des équations de régression linéaire (Tableau 5) ont été calculées pour les différents traitements (S, SPG, SPR et Témoin).

L’impact des intensités de pluie maximales est très visible pour le témoin dont le coefficient de régression est de 0,076 qui est la valeur la plus grande parmi celles observées pour les autres traitements, il est plus que 2 fois plus grand pour le témoin que pour les différents autres traitements. Le coefficient de détermination (R2) le plus grand correspond au témoin. Ceci nous donne une idée sur la différence entre les quantités de sédiments arrachés à partir des différentes parcelles (S, SPG, SPR et Témoin).

Le SPG est le traitement qui a montré plus d’efficacité pour la réduction de l’érosion des talus marneux autoroutiers, suite aux événements pluviométriques enregistrés durant la période de suivi (Figure 15). Ces résultats restent liés aux conditions édapho-climatiques spécifiques à la zone d’étude.

Discussion

Les résultats de cette étude ont montré que l’absence du couvert végétal, l’abondance et l’intensité des précipitations ont un impact important sur l’augmentation de l’érosion des talus marneux dans les déblais étudiés. Il a été démontré que les quantités de terre érodée issues des parcelles végétalisées sont significativement moindres de celles issues des collecteurs installés en bas des parcelles témoins, qui n’ont reçu aucun traitement de génie biologique. Ces résultats sont comparables aux études précédentes qui indiquaient que l’érosion diminue avec l’augmentation de la couverture végétale (De Baets et al., 2007; Rey, 2009; Seutloali et Beckedahl 2015; Kostadinov et al., 2018).

Au Maroc, l’érosion hydrique est reconnue comme étant la forme de dégradation des sols la plus dangereuse. Elle se manifeste essentiellement dans les montagnes du Rif et du pré-Rif où la dégradation spécifique dépasse souvent 30 tonnes/ha/an (Badraoui, 2006). Dans le cas du déblai situé au PK298 et durant la période d’étude, une quantité totale d’environ 1300 kg de sédiments a été prélevée sous l’effet des pluies à partir de l’ensemble des parcelles. Les parcelles témoins ont enregistré une quantité approximative de 700 kg soit plus de 50% de la quantité totale des sédiments piégés dans les collecteurs. Selon les résultats obtenus, l’érosion dans les talus de l’autoroute peut arriver jusqu’à 4,22 t/ha/an, elle est approximative de 5 t/ha/an pour le versant exposé nord et de 4 t/ha/an pour celui exposé sud. Ces quantités sont proches de celles déclarées par le Haut-Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification (HCEFLCD) au Maroc qui sont situées entre 5 et 50 t/ha/an. Ces chiffres sont globaux, ils incluent les friches et les terrains naturels, alors que dans le cas du tronçon autoroutier étudié, les talus ont été compactés ce qui explique la faible quantité de terre érodée par rapport à celle déclarée par le HCEFLCD.

A la lumière des résultats obtenus, l’exposition des talus d’autoroute est un facteur important à prendre en considération dans les opérations de restauration des talus présentant des signes d’érosion ou bien de préservation de ces talus contre l’érosion. En effet, les talus exposés nord ont enregistré plus de sédiments pour les parcelles témoins. Cependant, nous avons observé que la végétation est plus réussie sur le versant nord que sur le versant sud. Ceci peut être expliqué par le fait que les versants sud sont exposés au soleil, ce qui augmente l’évapotranspiration et par la suite les plantes n’en profitent pas pour mieux se développer. Il faut penser pour les versants sud à des espèces peu consommatrices d’eau. En ce qui concerne les versants nord, la végétation permettra à long terme une meilleure protection contre l’érosion. L’exposition des talus doit orienter le choix des espèces végétales. Ce résultat est corroboré par Bochet et Garcia-Fayos (2004) et Bochet et al., (2010) qui ont observé que le taux de couverture végétale est plus important pour les versants nord pour l’ensemble des remblais et déblais étudiés.

Les quantités de sédiments enregistrées sont corrélées aux quantités de pluie enregistrées. Une corrélation très hautement significative a été observée entre les variables Erodkg et ErodkgM2 et l’intensité de pluie maximale. Les intensités de pluie ont été très variables durant la période d’étude. Effectivement, la zone d’étude fait partie d’une région marquée par de forts contrastes saisonniers et des irrégularités très nettes des précipitations. Les épisodes pluvieux sont généralement brutaux et les pluies les plus importantes se concentrent en quelques jours de la saison humide (Tribak et al., 2012). Les maximas des précipitations se réduisent à quelques jours, voire à quelques heures seulement (Akdim et al., 2003). C’est le cas des relevés 10 et 16, correspondant respectivement à 58,2 et 52,8 mm/h comme intensités maximales de pluie, suite auxquelles des pertes de sol maximales ont été enregistrées.

Les quantités de sédiments augmentent avec la quantité des précipitations très concentrées dans le temps, surtout en ce qui concerne les sols dénudés de végétation. Une étude menée par Zhang et al., (2011) sur les parcelles de la station de recherche Ansai en Chine sur la conservation des sols et des eaux de l’Académie Chinoise des Sciences a montré que par rapport aux parcelles nues, les quantités de sédiments dans les parcelles couvertes de végétation ont diminué de 30 à 80 %.

Les 3 méthodes du génie biologique utilisées, ont permis de réduire les pertes annuelles en terre dans le déblai étudié malgré la forte pluviométrie enregistrée durant la période de suivi. Ces 3 traitements ont engendré une réduction de l’érosion, par comparaison au témoin, de 65% avec l’utilisation du traitement S (semis), de 74% avec l’utilisation du traitement SPR (semis, plantations et roseaux) et de 78% avec l’utilisation du traitement SPG (semis, paille et grillage).

En effet, pour le traitement SPG, en plus de la protection due à la couche de la paille répartie de façon homogène sur les talus, il crée un microclimat favorable à la germination des semences et au maintien d’une certaine humidité résiduelle dans le sol tout au long de la phase d’émergence des plantules. Par ailleurs, ce traitement permet à long terme une production de matière organique générée par la décomposition naturelle de la paille.

Le traitement aux roseaux SPR est moins efficace que le traitement avec la paille, mais permet néanmoins l’amortissement de la force de la pluie sur les talus, ce qui laisse aux semences suffisamment de sol pour se développer et empêcher de les entraîner en bas des talus.

Enfin, le traitement S a été le moins performant en termes de protection des talus contre l’érosion, étant donné que les semences ont été entraînées avec le sol puisqu’il n’y avait pas d’obstacles permettant de les retenir. Ce traitement pourrait être amélioré en agissant sur des talus préalablement scarifiés à l’horizontal au moment du chantier.

La végétalisation des talus autoroutiers devrait avoir lieu simultanément avec la réalisation des travaux de construction avant l’apparition des signes d’érosion. Une étude menée par Seutloali et Beckedahl (2015) sur les tronçons routiers situés dans la partie sud-est de l’Afrique du sud, dans la province du KwaZulu-Natal et dans l’ancienne région du Transkei, dans la province du Cap oriental a montré que le pourcentage moyen de couverture végétale (principalement herbacée) pour les déblais de routes non dégradés était élevé (91,7%) par rapport aux déblais de route dégradés (24,1%).

CONCLUSION

Le suivi de l’efficacité des ouvrages de génie végétal installés sur les talus marneux de l’autoroute Fès -Taza a montré qu’il y a des différences très significatives entre l’ensemble des traitements testés. Les résultats de quantification de la terre érodée montrent que la végétation joue un rôle important dans la protection des talus contre l’érosion. Cette protection, comme les résultats l’indiquent, augmente avec l’utilisation du traitement mécanique qui vise à contrecarrer les effets de l’érosion. Les traitements qui ont donné les meilleurs résultats sont ceux à base de la paille, du grillage et du roseau. En ce qui concerne le semis seul, il pourrait être envisagé dans des situations de faible risque d’érosion tout en scarifiant le sol. Ces techniques peuvent être appliquées comme mesures antiérosives simultanément à toute nouvelle réalisation routière ou autoroutière, tout en déterminant les palettes végétales les mieux adaptées aux conditions édapho-climatiques du site et à l’orientation des talus parce qu’agir sur des versants nord ou sud nécessite un choix préalable des espèces végétales. Pour le cas du déblai étudié, les espèces les mieux adaptées au versant sud sont les Acacias, l’Atriplex halimus et l’Agave americana. Pour le versant nord, l’Hydesarum coronarium et le Medicago arborea sont les espèces végétales qui ont montré des résultats prometteurs. Il y a aussi d’autres espèces qui sont plus souples et poussent sur les deux versants comme le Spartium junceum et le Retama monosperma. Réduire ou arrêter l’érosion des talus marneux nécessite donc la mise en place de plusieurs techniques à la fois et la réussite d’un projet d’autoroute est liée au travail de plusieurs spécialistes dont les paysagistes, géographes, topographes, ingénieurs du génie civil, aménageurs de l’espace… qui sont appelés ensemble à trouver des solutions pour la durabilité de l’autoroute et la lutte contre l’érosion des talus marneux.

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