Investissements publics, développement agricole et croissance économique en Côte d’Ivoire: Une analyse des liens de causalité selon l’approche économétrique
Résumé
Cette étude a pour objectif d’évaluer la contribution de l’investissement public au développement agricole et à la croissance économique en Côte d’Ivoire. Pour y parvenir, l’outil économétrique des séries temporelles basé sur le modèle ARDL a été utilisé. Les résultats de l’estimation montrent une relation positive entre les investissements nationaux (FBCF), la production agricole et le PIB à court et long terme. Par contre, l’Aide publique au Développement (APD) influence négativement la production agricole et la croissance économique ivoirienne à court et long terme. Enfin, l’Investissement Direct Étranger (IDE) n’a aucun effet sur le développement agricole et la croissance économique dudit pays. Alors, pour booster le développement économique en Côte d’Ivoire, l’État doit investir davantage dans le secteur agricole.
Mots clés: investissements publics, développement agricole, croissance économique, Côte d’Ivoire
Introduction
En Côte d’Ivoire, comme dans beaucoup de pays en développement, l’agriculture est au cœur de l’économie. De ce fait, au lendemain des indépendances, l’accroissement et la diversification de la production agricole étaient un impératif pour propulser le développement économique (Kouakou, 2017).
L’objectif du pays était de promouvoir une agriculture moderne, mécanisée, intensive, largement diversifiée et compétitive. La Côte d’Ivoire est alors à la recherche de nouveaux mécanismes, à savoir les sources de financement qui pourront lui permettre de booster son économie notamment par le biais de l’agriculture. Le rôle de l’investissement public dans la croissance agricole voire économique est généralement tenu pour acquis. Cet ordre de grandeur tiré de l’expérience des pays occidentaux lors de la première révolution industrielle, doit d’ailleurs être augmenté, car les techniques employées sont aujourd’hui beaucoup plus gourmandes en capital qu’au 19ème siècle. Dès lors, cette politique publique était «tirée» par un effort considérable d’investissement public qui a soutenu un taux d’investissement élevé de l’ordre de 25% du PIB (MINADER,2017). D’ailleurs, les bonnes performances économiques des années 60 et 70 justifient l’impact de cette politique gouvernementale (une croissance vigoureuse du produit intérieur brut à un rythme annuel de l’ordre de 7,5 %).
Mais, cette dynamique de croissance a été confrontée aux chocs extérieurs des années 1980 (MINADER, 2017). L’économie ivoirienne a alors connu une profonde récession avec un taux moyen de croissance d’à peine 1%, parfois même négatif. La productivité du capital a chuté de plus de 10 points, passant de 30% durant les années 70 à environ 18% en 1993, avec une dégradation considérable du taux d’épargne intérieure et du taux d’investissement (de 25% en 1980 à environ 8% en 1993). Les finances publiques se sont détériorées du fait de la contraction du PIB, d’un faible niveau de recouvrement fiscal et du niveau élevé des dépenses publiques. Ceci a conduit à un accroissement rapide de la dette publique qui a atteint 184% du PIB en 1993. De même, les paiements extérieurs se sont dégradés, se caractérisant par un solde du compte courant qui s’est situé à –11% du PIB en 1990 et –8% en 1993.
Comme alternative, en Côte d’Ivoire, de nombreuses mesures de restructuration sont prises au plan agricole et le pays opte pour un régime d’économie libéralisée. Il s’agit notamment de la restructuration des entreprises publiques du secteur agricole, de la suppression de certaines subventions, de la cession au secteur privé de certaines entreprises étatiques.
La part du budget d’investissement de l'État affectée au développement économique enregistre depuis 1996 une baisse sensible qui est la conséquence de la politique de privatisation et de libéralisation de l’économie. Si l’on se réfère au Programme d’Investissements Publics (PIP), on constate une baisse en valeur puisque le budget affecté à l’agriculture passe de 93,0 milliards FCFA en 1996, à 70,6 milliards FCFA en 1997, et à 68,0 milliards FCFA en 1998. Désormais, il appartient aux investissements privés d’être les moteurs de la croissance économique (Kouakou, 2020).
Le secteur agricole s’inscrit ainsi dans la droite ligne de l’objectif gouvernemental qui, à travers l’élargissement du rôle des organisations privées et le développement d’un partenariat public/privé, est de faire passer la part des investissements du secteur privé dans l’investissement global voire agricole de 53 % en 1993 à 80 % dès 2000.
A la fin des années 2015, des investissements de l'ordre de FCFA 1 294 milliards (€ 1,9 milliard) ont été mobilisés sur un total de 2 040 milliards FCFA, soit 63,4% des ressources totales prévues du Programme National d’Investissement Agricole (PNIA) 2012-2016. Sur ce total de FCFA, 1 294 milliards d'investissements mobilisés, 61,1% ont émané des bailleurs (partenaires techniques et financiers), 21,7% des privés et 17,2% de l'État (MINADER,2017).
D’où l’intérêt de notre étude qui analyse la relation entre l’investissement, le développement agricole et la croissance économique en Côte d’Ivoire.
Plus spécifiquement, il s’agit de:
• Déterminer les principales sources d'investissement de l’économie;
• Et d’évaluer le lien de causalité entre l'investissement, la production agricole et la croissance économique.
Investissement public et la croissance économique
Plusieurs auteurs ont analysé la relation entre l’investissement public et la croissance économique. Les résultats obtenus par ces différents auteurs sont mitigés. En effet, les conclusions des études dépendent des échantillons et des indicateurs utilisés.
Devarajan et al. (1996) ont trouvé un impact négatif de l’investissement public sur la croissance du PIB par tête. Ils attribuent ce résultat, qui n’est pas en phase avec la théorie de la croissance à la non productivité de l’investissement public. Plus récemment, des études ont montré que les dépenses publiques ne captent pas correctement le stock de capital, particulièrement dans les pays en développement.
Dabla-Norris et al. (2011) ont montré que le lien entre les dépenses publiques et la croissance économique est affaibli par l’inefficacité des investissements. En effet, d’après ces auteurs, l’utilisation des investissements publics comme proxy du stock de capital dans les modèles de croissance pose problème. Dans les pays en développement, les investissements publics réalisés dans des contextes marqués par la corruption affectent négativement la croissance économique (Dabla-Norris et al., 2011). Cette conclusion a été corroborée par les travaux de Calderon et Serven (2010, 2008). En effet, ces derniers ont trouvé que la corrélation n’est positive entre l’investissement public et la croissance économique que dans le cas où la qualité et la quantité de l’infrastructure sont prises comme proxy de l’investissement.
Pour le cas spécifique des pays de l’UEMOA, très peu d’études sur la relation entre l’investissement public et la croissance économique ont été réalisées. Dans son étude, Vamvakidis (1998) a estimé un modèle de panel pour expliquer les déterminants de l’investissement dans l’Union. Il a montré que le degré d’ouverture, la transparence du marché intérieur et la libéralisation financière sont positivement corrélées à l’investissement dans l’Union. Toutefois, cette étude ne s’intéresse pas spécifiquement à l’impact des investissements publics sur la croissance économique de l’Union.
Dans un autre cadre, Abou (2007) a trouvé un lien positif entre le volume des dépenses publiques d’investissement et la croissance économique d’une part, et d’autre part, entre l’augmentation de l’activité économique et l’accroissement du ratio des dépenses publiques d’investissement sur les dépenses totales des États de l’Union. Bien que cette étude ait apporté des éclairages sur la structure des dépenses publiques et la croissance dans l’UEMOA, elle n’a pas abordé la question de l’efficacité des investissements publics dans l’Union.
Diagne et Fall (2007) ont analysé l’impact des dépenses publiques sur la productivité des entreprises au Sénégal. Leurs résultats montrent que les investissements publics jouent un rôle important dans l’accroissement de la productivité des entreprises au Sénégal, à travers la réduction du coût de production. Toutefois, cette étude est très restreinte dans l’analyse, dans la mesure où elle ne prend en compte que quelques entreprises du secteur moderne sélectionnées par échantillonnage.
Méthodologie
Spécification du modèle
Le présent modèle est inspiré du modèle ARDL de Pesaran et al. (2001) qui propose une nouvelle approche permettant d’obtenir de meilleures estimations sur des échantillons de petite taille. Ce choix répond au souci de mettre en évidence les mécanismes probables qui pourraient lier les variables. Il doit permettre de faire ressortir les relations possibles entre le PIB par habitant, l’Aide Publique au Développement (APD), l’Investissent Direct Étranger (IDE), la production agricole (PROAGR) et la Formation Brute du Capital Fixe (FBCF). Pour y parvenir, le modèle autorégressif à retards distribués, ARDL (Auto Regressive Distributed Lag model) a été estimé.
La représentation ARDL de la fonction est la suivante:
Avec:
• Variable expliquée:
PIB: Produit Intérieur Brut.
• Variables explicatives:
- FBCF: Formation Brute de Capital Fixe; APD: Aide Publique au Développement; IDE: Investissement Direct Étranger; PROAGR: Production Agricole.
• Δ: Opérateur de différence première; α0: constante; α0... α5: effets à court terme; β1 …β5: dynamique de long terme du modèle; et ~iid (0,σ)": terme d’erreur (bruit blanc).
Données de l’étude
Les données de cette étude sont tirées des bases des données de la Banque mondiale. Ces données annuelles couvrent la période allant de 1985 à 2017. Le choix de cette période d’étude s’impose par souci d’éviter des séries avec des données manquantes. De plus, les séries proposées par cette institution donne la possibilité d’effectuer des estimations sur une période assez longue permettant ainsi d’aboutir à des résultats suffisamment robustes. Ces données concernent certaines variables telles que le Produit Intérieur Brut par Habitant (PIBH), l’investissement direct étranger (IDE), la Formation Brute de Capital Fixe (FBCF), l’Aide Publique au Développement (APD) et la Production Agricole (PROAGR) (Tableau 1).
Résultats et discussion
Caractéristiques descriptives des variables utilisées
Selon le tableau 2, la variable LIDE est plus volatile que toutes les autres variables (Kurtosis = 28,72703 > 3). La probabilité associée à la statistique de Jarque –Bera est inférieure à 5%, alors, la variable LIDE n’est pas normalement distribuée. Les autres variables du modèle (LPIBH, LFBCF, LAPD, LPROAGR) ont leur probabilité associée à la statistique de Jarque- Bera supérieure à 5%. Donc, ces variables sont normalement distribuées.
Évolution des variables
La figure 1 montre une certaine stabilité globale des variables étudiées dans le temps (présomption de la stationnarité en moyenne). Toutefois, la décennie 92 reste particulière quant aux événements qui imposent un comportement aux variables étudiées (des légers pics qui se suivent avec un creux).
En fait, les années 80 ont été marquées par une forte instabilité politique et une crise économique causée la chute des cours mondiaux du cacao. D’ailleurs, cette situation va précipiter le pays dans une profonde crise (1980-1993). Pendant cette période, l’on note une rupture du pays avec les milieux financiers internationaux (bailleurs bilatéraux) et les entreprises étrangères rapatrient massivement les capitaux.
Cependant, malgré ce contexte, certaines variables macro-économiques restent constantes (Figure 1). Kouakou (2020) soutient cette affirmation.
Stationnarité des séries
Pour tester la stationnarité des données, trois types de test ont été réalisés: le test ADF, le test PP et le test AZ.
Selon le tableau 3, les tests ADF et PP, les variables LFBCF, LAPD sont toutes stationnaires en différence première et intégrées d’ordre 1. Aussi, la variable LPIBH est stationnaire en différence première selon les conclusions des tests ADF et AZ. Les variables LIDE, LPROAGR restent stationnaires à niveau et intégrées d’ordre 0. Au regard de ce qui précède, l’on peut noter que les séries sont intégrées à des ordres différents. Ce qui rend inefficace le test de cointégration de Engle, de Granger (cas multivarié) et de Johansen. Alors, le test de cointégration aux bornes (Pesaran et al., 2001) est opportun.
Détermination du nombre de retard optimal
Selon le tableau 4, le critère Schwarz (SC) indique que les minimas des statistiques correspondent au retard 1, tandis que celui d’Akaike (AIC) et d’Hannan-Quin (HQ) montrent que les maximas des statistiques correspondent tous au retard 2. Le nombre de retard du modèle est alors 2.
Test de cointégration de Pesaran et al. (2001)
Décalage optimal du modèle ARDL
Le critère d’information d’Akaike (AIC) a servi de base pour sélectionner le modèle ARDL optimal (Tableau 5). D’après ce critère, toutes les variables ne sont pas statistiquement significatives, exception faite à la variable FBCF. Mais, le modèle est globalement significatif avec un R2 = 98%. Cela signifie que les variables explicatives (IDE, FBCF, APD, PROAGR) influencent à 98% la variation de la variable expliquée (PIBH).
Selon Tableau V, l’on obtient l’équation suivante:
Estimation du modèle ARDL
Le modèle ARDL (1,2,2,2,2) est le plus optimal parmi les 19 autres présentés, car il offre la plus petite valeur du AIC (Figure 2).
Diagnostic du modèle ARDL
Selon le tableau 6, les erreurs sont normalement distribuées, car la probabilité associée à Jarque-Bera est supérieure à 5% (28%). L’hypothèse de normalité des résidus est validée. En outre, les séries sont stationnaires. Au regard du test de ARCH, la probabilité associée à la statistique de Fisher est supérieure à 5% (81%). Ce qui conduit à l’acceptation de l’hypothèse nulle d’homoscédasticité.
De plus, au seuil de 5%, il indique une absence d’autocorrélation des résidus. Par ailleurs, le test de RESET de Ramsey montre que le modèle ne souffre d’aucun problème d’omission de variable et la p-value du test est supérieure à 5%. En d’autres termes, le modèle est bien spécifié et validé sur le plan statistique. En somme, le modèle ARDL (1,2,2,2,2) estimé est globalement significatif et explique à 98% la dynamique du PIB par habitant en Côte d’Ivoire de 1985 à 2017.
Test de cointégration aux bornes
Les résultats du test de cointégration aux bornes confirment l’existence d’une relation de cointégration entre les variables étudiées (la valeur de F-stat est supérieure à la valeur de la borne supérieure) selon le Tableau 7.
Causalité au sens de Toda-Yamamoto entre variables
Au sens de Toda-Yamamoto, il existe une causalité bidirectionnelle entre les variables PROAGR et PIB, puis, entre PIB et ADP. En outre, il existe une relation unidirectionnelle entre les variables FBCF et PIB, entre ADP et PROAGR, puis enfin, entre FBCF et PROAGR. Les variables ADP et FBCF justifient la dynamique de l’agriculture ivoirienne, qui a son tour influence la croissance économique. Par contre, l’IDE qui n’a pas de lien de causalité avec toutes les autres variables et n’influence ni le développement agricole, ni la croissance économique (Tableau 8).
Coefficients de court terme (CT)
Le coefficient d’ajustement ou force de rappel est statistiquement significatif (Tableau 9). Il est négatif et est compris entre zéro et un en valeur absolue. Ce qui garantit un mécanisme de correction d’erreur, et donc l’existence d’une relation de long terme (cointégration) entre variables.
Coefficients de Long terme (LT)
Selon le tableau 10, les variables FBCF et PROAGR ont un impact positif sur la croissance sur la période 1985-2017. A long terme, l’élasticité du taux de variation des flux entrant du LogFBCF par rapport au logPIBH est de 6,1% et celui de l’élasticité du log PROAGR par rapport au logPIBH est de 69%. Par contre, l’APD a un effet négatif sur la croissance économique sur cette même période. L’élasticité du logAPD par rapport au logPIBH est de -3,6 %. Mais, la variable IDE n’a aucun effet sur le PIBH à long terme sur la période 1985-2017.
Au vu de ces résultats, l’on peut noter que les investissements, en occurrence, la Formation Brute du Capital Fixe (FBCF) permet d’augmenter la production agricole. Cette production agricole impacte positivement à son tour la croissance économique et permet l’amélioration des conditions de vie des populations ivoiriennes. Cette assertion est soutenue par Bigot et Raymond (1991).
Par contre, l’Aide publique au Développement (APD) a une influence négative sur la croissance économique. En effet, depuis le milieu des années 80, l’aide publique au développement en faveur de l’agriculture a sensiblement baissé (AISA, 2010).
Aussi, l’Investissement Direct Étranger (IDE) n’a aucun effet sur la croissance économique de la Côte d’Ivoire. Selon CNUCED (2008), la part de l’IDE agricole dans l’IDE total est très faible (0,7 %). Il joue donc un rôle mineur dans le secteur agricole. En général, l’IDE se concentre principalement sur les activités en aval (transformation, fabrication, commerce etc.).
Conclusion
L’objectif de cette étude est d’évaluer l’effet des investissements publics sur le secteur agricole et le développement économique en Côte d’Ivoire.
Il ressort des résultats, qu’à court et long terme, la formation brute du capital fixe (FBCF), influence la production agricole et, de ce fait, a un impact positif et très significatif sur la croissance économique. A contrario, l’aide publique au développement (APD) a, quant à elle, une influence négative et significative sur la production agricole et le développement économique. Par ailleurs, les investissements directs étrangers (IDE) n’ont aucun lien avec les autres variables et donc n’ont aucun effet sur le secteur agricole et sur la croissance économique.
En définitive, ces résultats montrent l’importance des investissements publics, en l’occurrence, la formation brute du capital fixe (FBCF), dans le secteur agricole et la croissance économique de la Côte d’Ivoire.
Références
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