Commercialisation des poissons capturés par la pêche aux claies au Sud-Ubangi, République démocratique du Congo
Résumé
Une étude relative à la commercialisation des poissons capturés par la pêche aux claies a été menée entre août 2021 et novembre 2022 dans le Sud-Ubangi, en République démocratique du Congo pour évaluer le niveau de profitabilité du commerce en gros. Les résultats ont montré que le fumage est le mode de conservation le plus pratiqué pour les poissons destinés à la commercialisation dans les marchés éloignés. Le coût de commercialisation en gros d’un kilogramme de poissons fumés de Bomboma à Zongo est en moyenne de 6 222,2FC/Kg (±1344,3FC) soit 2.8$Kg (au taux de 1$ = 2 200FC). Ce commerce génère un profit moyen de 1 599,4FC/Kg de poissons (±1 904,7) (équivalent de 0.727$/Kg). Les plus gros bénéfices sont réalisés par les grossistes dont les gains nets sont compris entre 5 003,1FC/Kg et 6 058,7FC/Kg. Mais cette catégorie ne représente que 4% des répondants. Le prix de vente accuse une variation à la hausse de 3 060FC le Kg (± 1 898,6FC) (équivalent de 1.39$) soit un taux d’accroissement moyen de 74,7% (±57,5%) de prix de vente bord capture qui est en moyenne de 4 761,6 FC/Kg (±1263,2) soit 2.16$ (au taux de 1$=2 200FC). Cette augmentation n’est pas profitable à tous les grossistes car 26,5% d’entre eux enregistrent une rentabilité négative suite au coût élevé de transport. En conséquence, le revenu brut engendrés par cette pêche n’est pas équitablement répartis entre les deux premiers maillons de ladite filière : la part revenant à la capture (pêcheur) représente en moyenne 62,9% (±18,2%) contre 37,1% (±18,3%) pour la vente en gros, en majeur partie dominé par le coût de transaction. Autrefois considérée comme une pêche de subsistance, elle constitue une source non négligeable des revenus et peut faire l’objet d’insertion dans le circuit de commercialisation à l’échelle tant nationale qu’internationale.
Mots clés: Répartition, Revenu, Claies, Halieutique, Profitabilité, Bomboma
INTRODUCTION
La pêche désigne l’activité qui consiste à capturer les organismes aquatiques. Elle englobe même la gestion, la transformation et la commercialisation des poissons. Ainsi, le produit de la pêche peut être inséré dans le système de commercialisation à l’échelle tant nationale qu’internationale. Par analogie avec la culture des végétaux, la pêche peut être comparée à la cueillette tandis que la pisciculture représente la culture d’un champ. La pêche traditionnelle a toujours été une activité de cueillette où on prélève du poisson sans contribuer à sa régénération. La pêche est une importante source d’aliment pour l’humanité. Elle assure, en outre, un emploi et procure des bénéfices économiques à ceux qui la pratiquent (Adjanke, 2011). Elle est une régulatrice de l’économie de plusieurs pays et source de diversification alimentaire en matière de protéines animal car le poisson demeure la protéine la plus accessible et la moins coûteuse pour les populations (Ipungu et al., 2019).
Ceci étant, le poisson est une source importante de nutriment, vitamines et minéraux et pris uniquement avec certains produits végétaux, il constitue un aliment complet (Adjanke, 2011). Les poissons constituent donc des sources non négligeables de protéines (au même titre que la viande), de revenus et de travail soutenant ainsi les ménages et faisant partie de nœuds d’éclosion du développement (Kpogue et al., 2013). Ils sont une opportunité d’affaires tant pour la pêche que pour l’aquaculture et l’industrie y relative (Bosanza et al., 2019).
Selon Kato-Kale (2009), dans l’exercice des fonctions qui les caractérisent, les agents économiques effectuent une multitude d’opérations dans chacune desquelles on trouve toujours deux aspects indissociables: toute dépense faite par un agent constitue une recette pour un autre agent, et vice versa. De cette évidence, il résulte que toute opération économique implique une relation et le circuit économique est engendré par la réunion de toutes ces relations, étant entendu que l’on ne s’intéresse qu’aux relations intervenant entre agents qui appartiennent à des catégories différentes.
En effet, au sortir d’une unité quelconque de production, une partie de la production est destinée à l’autoconsommation et une autre partie est commercialisée. La commercialisation couvre toutes les opérations depuis la fabrication ou la production d’un produit jusqu’à sa destruction ou son utilisation finale par les consommateurs (Ad De Veld, 2005; Nkikela, 2013; Mpanzu, 2015).
Ainsi, dès que la production et la consommation deviennent des maillons distincts de la filière, chacun ayant ses propres acteurs, alors la commercialisation s’installe inéluctablement comme troisième maillon et elle devient un passage obligé entre les consommateurs et les producteurs: sans eux, il peut y avoir une pénurie artificielle des produits qui ne seront pas disponibles pour les consommateurs, même s’ils sont abondants au niveau de la production (Mpanzu, 2012). Composé d’un ensemble des canaux ou «intermédiaires» utilisées pour distribuer un produit, le circuit de distribution traduit alors l’itinéraire parcouru par un produit à son stade de consommation du producteur au consommateur. Sa connaissance est nécessaire car les coûts de distribution sont fonction de sa longueur: plus le circuit s’allonge, plus les coûts de distribution augmentent (Kinkela, 2013a). Biloso (2008) ajoute que, pour favoriser la commercialisation, l’approche filière peut être très utile car elle permet d’avoir une vue d’ensemble des principaux intervenants, ainsi que de leurs interactions, dans toute la chaîne de commercialisation. Il est évident que dans le programme d’amélioration de la commercialisation, le critère essentiel devrait être celui de l’efficacité économique, celle-ci atteint son maximum lorsqu’on arrive à faire passer le produit du producteur au consommateur au moindre coût possible tout en assurant le service indispensable aux deux parties (Mpanzu, 2015). Tel devrait être le cas de la commercialisation des poissons dans la Province du Sud-Ubangi.
En effet, parmi les techniques de pêche qualifiée de coutumière suite aux matériels utilisés et à leur technologie moins développée (Bolakonga, 2017), la pêche aux claies appelée «Ndobo» dans le secteur de Bomboma, est pratiquée par un bon nombre de pêcheurs se trouvant surtout dans le groupement de Lokombo, Motuba, Nzumbele et Bokonzi. Cette pêche périodique permet d’attraper un nombre varié d’espèces de poissons dominés par celles de la famille de Claridae communément appelés «Ngolo» (en lingala, langue vernaculaire en RDC). Autrefois considérée comme une pêche alimentaire ou de subsistance, elle fait aujourd’hui l’objet d’une importante activité dans le circuit de commercialisation des poissons à l’échelle tant nationale qu’internationale. Ainsi, le poisson, surtout transformé et essentiellement destiné à la vente fait l’objet d’un circuit de distribution très complexe, faisant intervenir de multiples intermédiaires et spécifiques selon chaque type de produit.
Ceci dévoile sans doute que cette pêche constituerait une source non négligeable des revenus pour les acteurs qui s’en occupent. Autrement dit, la filière halieutique occuperait une place importante parmi les sources de revenus des ménages des pêcheurs dans le secteur de Bomboma et de toutes les catégories de distributeurs des poissons au niveau provincial et national; voire international.
Cependant, en République Démocratique du Congo, l’enclavement des zones de production prive les populations de l’accès aux échanges et les distances séparant les zones rurales de centres urbains d’importante consommation deviennent le cadre d’activité d’une multitude d’intermédiaires dont la structure, le comportement et les performances en termes de gestion de l’information et de pouvoir de marchés, accès aux services des marchés, coûts de transactions et marges réduisent la profitabilité des producteurs (Mastaki, 2006).
Ainsi, cette étude se charge de répondre aux préoccupations de savoir si cette activité est profitable aux différents maillons de la filière halieutique et si le revenu engendré est équitablement réparti entre ces maillons (de la capture à la distribution).
D’emblée, nous pensons que cette activité est rentable financièrement et que le revenu brut engendré par cette filière halieutique n’est pas équitablement réparti entre les différents maillons, de la capture à la distribution.
Cette étude analyse la commercialisation des poissons et s’assigne comme objectif de fournir aux acteurs qui y sont intéressés, les informations sur les coûts et revenus engendrés par la filière de production halieutique par la pêche aux claies appelée localement «dobo» en vue d’estimer le niveau de la profitabilité de ce maillon.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Milieu d’étude
Le secteur de Bomboma se trouve dans le Territoire de Kungu, Province du Sud-Ubangi en République Démocratique du Congo. Selon le GPS, le milieu d’étude est compris entre 2°20’ et 3°15’ de l’attitude Nord et 18°40’ longitude Est. Il est composé de seize groupements parmi lesquels Bokonzi, Motuba et Nzumbele qui constituent les sites de cette étude, Une fraction importante de la population active, notamment dans les groupements concernés par cette étude se livre aussi aux activités des pêches périodiques entre autres la technique de pêche appelée «Ndobo», les filets maillants, les sennes, les filets dormants, les hameçons, les nasses et claies. Certains pêcheurs, notamment les femmes, pratiquent l’écopage des étangs naturels et parfois l’empoisonnement des eaux (Ministère de Plan, 2005).
Dans les marchés primaires [Motuba (2°21’50’’N et 18°35’37’’ E), Nzumbele (2°19’52.7’’N, 18°39’26’’E et Liboko] et secondaire [Bokonzi (2°24’41.2’’N et 18°38’26’’), Saba-Saba], les poissons sont vendus à l’état frais (poissons vivants) ou fumés; en détail (tête par tête ou en colis appelé localement «Mopiko») ou en unités de vente de contenances diverses et non standardisées (généralement dans les marmites, les bassins, les paniers, etc.). Les collecteurs, après achat, rassemblent les poissons dans des sacs d’un poids variant de 53 à 60 kg avec une moyenne 56,2 kg (±2,5 kg) pour former le lot de voyage. Ces poissons sont évacués vers les marchés de consommation dans les grandes agglomérations au niveau provincial (principalement: Dongo, Gemena et Zongo), national (Kinshasa, Mbandaka) et international (Bangui en République Centrafricaine et Brazzaville en République Populaire du Congo).
Le marché de Dongo, situé dans le secteur de Dongo, se trouve à 52 km du lieu où se pratique cette pêche, à la frontière entre la République Démocratique du Congo et la République Populaire du Congo. La ville de Gemena, à environ 250 km du lieu de production, est le chef-lieu de la province du Sud-Ubangi. Elle se situe à 3°17’ de l’attitude Nord et 19°17’ longitude Est à plus ou moins 500 m d’altitude. Quant au marché de Zongo, il se trouve à environ 360 km du site de capture. C’est une ville frontalière entre la République Démocratique du Congo et la République Centrafricaine; en face de Bangui (la capitale de la République centrafricaine), séparée par la rivière Ubangi large d’1 km et ayant les coordonnées géographiques suivantes: 4°21’ Nord et 18°36’ Est, 365 mètres d’altitude (Nagifi et al., 2013).
Matériel d’étude
Le matériel de cette étude est constitué principalement de poissons de la famille des Claridae, appelés communément et localement «Ngolo» (plus capturés que ceux des autres familles), des pêcheurs et vendeurs qui sont impliqués dans la filière halieutique relative à la pêche aux claies ou «Ndobo» pratiquée dans le secteur de Bomboma. En effet, la technique de la pêche du type «Ndobo» (appellation en langue vernaculaire) est une sorte de la pêche aux claies qui couvre une période d’environ 6 mois et qui consiste à la construction d’un enclos en forme de guitare, possédant en aval deux ouvertures munies des dispositifs particuliers pour permettre l’entrée des poissons et empêcher leur sortie. La partie en aval de la structure est prolongée d’un col étroit dont l’extrémité rétrécis est bien aménagée pour servir de pêcherie. Les poissons y entrent la nuit et la récolte se fait la journée à l’endroit le moins profond à l’aide d’équipement varié comprenant le javelot ou «Mosuki» et les épuisettes de formes variables appelées localement «Mwanya et Etokele» (Bosanza et al., 2023).
Méthode
Comme l’étude concerne la commercialisation en gros des poissons capturés par la pêche aux claies du type «Ndobo» pour évaluer le niveau de la profitabilité de chaque maillon de cette filière halieutique, nous avons recouru à la méthode analytique ou par filière, utilisée pour la première fois par Jefferys en Angleterre, recommandée par la FAO pour nos pays et en vigueur de nos jours. C’est une méthode de mesure par laquelle le produit est suivi au cours de son acheminement du producteur au consommateur (ou utilisateur final) (Mpanzu, 2012). Cette méthode suppose la conduite d’une enquête qui consiste à suivre tout en relevant tous les frais encourus, les dépenses réellement effectuées par les intervenants suite à l’exercice des activités de fonction de commercialisation nécessaire à l’acheminement de la denrée agricole du producteur au consommateur.
Ceci étant, après avoir parcouru les documents pour recueillir les informations pertinentes permettant l’analyse de différents paramètres de cette étude, la collecte des données a fait usage d’une méthodologie basée sur l’enquête face-à-face associée aux observations au moyen d’un questionnaire élaboré et adressé aux pêcheurs et aux vendeurs grossistes.
N’ayant pas les statistiques sur les types d’acteurs à enquêter dans la zone d’étude, la technique de l’échantillonnage en grappe de neige a été adoptée (Kinkela, 2013b). Pour faciliter l’interview relative à la collecte des données qui ont servi à l’élaboration de ce travail, les enquêtés ont été sélectionnés selon la facilité d’accès, leur disponibilité et leur coopération.
Les paramètres d’étude ont porté sur la nature du produit commercialisé et l’analyses de différents aspects de la commercialisation en l’occurrence: le circuit commercial, l’estimation des coûts, du produit brut en valeur, de transaction, de la part de revenu de chaque catégorie maillon ciblé par l’étude (à savoir le pêcheur et les grossistes) et de la rentabilité de la vente en gros de poissons «Ngolo».
Le coût de distribution ou le coût de transaction de produits issus de cette technique de pêche est obtenu par le rapport:
L’estimation du produit brut a concerné la valeur monétaire au niveau de lieu de capture (prix de vente bord production équivalant au revenu brut du producteur) et de vente en gros des poissons (recette de vente en gros ou revenu brut de vendeur en gros).
Le profit est reconnu par son caractère différentiel: différence entre le prix de revient et le prix de vente (Kato-Kale, 2009). C’est la combinaison de deux notions: le chiffre d’affaire (ensemble des ventes) et le prix de revient (ensembles des dépenses) (Isangu, 2014). Pour cette étude, le profit ou marge nette de la vente en gros est obtenu à partir de la formule:
Marge nette Vente Gros = Recette totale (Coût de transaction + Prix d’achat)
Son expression en pourcentage de coût de transaction ajouté de prix d’achat traduit la rentabilité financière (RF) soit:
Rentabilité Financière (%)=(Marge Nette Vente en Gros (en FC))/(Coût d'Achat + Coût de Transition (en FC))×100
L’estimation de la part de revenu de chaque maillon de la filière (en %) a été obtenue par les rapports suivants:
Part de Revenu du Pêcheur (en %) = (Prix de Vente bord Capture (en FC))/(Prix de Vente en Gros (en FC))×100
Part de Revenu du Grossiste (en %)=(Marge Nette de Vente en Gros (en FC))/(Prix de Vente en Gros (en FC))×100
Part de la Transaction (en %)=(Coût de Transction de Vente en Gros (en FC))/(Prix de Vente en Gros (en FC))×100
Enfin, pour les coûts et la rentabilité, compte tenu de la sensibilité aux valeurs extrêmes de la moyenne arithmétique aux valeurs extrêmes (valeur maximum et valeur minimum), la préférence a été surtout donnée à la moyenne pondérée puisqu’elle permet de refléter l’importance de chaque observation du jeu de donnée et peut donc permettre une description plus fidèle de la réalité suivant les critères observés.
Celle-ci a été obtenue à l’aide de la formule: Où fi représente la fréquence de la classe i, représente la valeur centrale de la classe i et n représente la taille de l’échantillon (Mumba, 2022).
Pour ce faire, les données ont été groupées en classes suivant la règle de Yuile selon laquelle le nombre des classes (k) est obtenu par la formule suivante:où n traduit la taille de l’échantillon.
Les analyses statistiques (moyenne, écart type, etc.) des données collectées ont été effectuées à l’aide du tableur Excel (version 2010) sous Microsoft Windows 8. Les graphiques ont été aussi générés par ce même tableur.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Les poissons capturés généralement en milieu rural, sont vendus dans les marchés locaux et urbains. Les données de cette étude se rapporte à la vente en gros des poissons «Ngolo» dans de la ville de Zongo: une ville frontalière entre la République Démocratique du Congo et la République Centrafricaine. Les résultats des observations, enquêtes et analyses de tous les paramètres envisagés dans cette étude sont présentés sous forme de tabulaire et graphique dans les points ci-dessous.
État des poissons commercialisés
Dans la zone de capture, il n’existe pas d’infrastructures de transformation ni de conservation des poissons. Ceci étant, pour la vente de poissons frais aux clients qui sollicitent les récupérer les jours du marché, la conservation des poissons vivants est pratiquée sur les sites mêmes de capture: des centaines de poissons sont maintenus vivants dans des grands récipients (marmites surtout) contenant de l’eau ou dans des corbeilles spécifiques de diverses formes appelées localement «Esoko, Epenza, ekokolo, Mopila et elunga» qu’on place au fond d’un étang ou d’un cours d’eau en vue de protéger les poissons contre les fortes chaleurs et la prédation.
Cette technique est légèrement différente de celle qu’a relevé Bolakonga (2017) dans certains villages de la Tshopo où, des pêcheurs conservent les poissons pendant 10 à 14 jours dans l’eau, après les avoir capturés: 10-15 poissons vivants sont attachés chacun sur un nœud d’une corde munie d’une pierre jetée dans l’eau pour soutenir et stabiliser ladite corde au poids des poissons.
Quant aux poissons destinés à la commercialisation dans les marchés éloignés, le fumage des poissons entiers est le mode de conservation le plus pratiqué: les techniques utilisées sont rudimentaires et consommatrices de bois. Selon Diaw et al. (1989), le fumage appelé métorah, technique qui prédomine dans de nombreux pays africains (Guinée, Nigeria, Cameroun, Ghana) où l’on ne relève pas moins de 15 modes de préparation du poisson fumé en usage dans la baie du Cameroun et sur le littoral maritime dont 6 modes de préparation du poisson entier (sans préparation, en boulettes, recourbé queue contre tête, recourbé en cercle, la queue dans la bouche, roulé en spirale, recourbé en cercle, la queue contre le museau. A la différence du poisson frais, essentiellement destiné au marché local, la transformation artisanale génère des flux commerciaux plus lointains. Compte tenu de l’état de route délabré, la moto demeure le moyen de transport le plus utilisé pour les marchés éloignés.
Circuits de commercialisation
La commercialisation des poissons capturés se réalise sous deux formes: la vente en frais (des poissons vivants ou morts) destiné essentiellement aux marchés locaux et celle des poissons transformés (uniquement fumés) qui alimentent des circuits plus longs en direction des marchés intérieur et extérieur. Néanmoins, le pêcheur a plusieurs choix pour assurer la commercialisation de ses produits en les engageant dans des circuits plus ou moins longs, faisant intervenir différents acteurs de la filière des produits halieutiques. Il se dégage quatre types de circuits de distribution à savoir: la vente directe (sans intermédiaire), le circuit court (avec un intermédiaire), circuit moyen (avec deux intermédiaires) et le circuit long (avec au moins trois intermédiaires), comme l’illustre la figure 1A.
En effet, la vente directe correspond à la commercialisation sans intermédiaire entre le producteur et le consommateur final des produits. Pour le pêcheur, cette vente directe n’est pas réglementée et ne s’effectue dans un cadre précis c’est-à-dire elle se fait directement à n’importe quels endroits, sans restriction de volume, ni exigence de certaines conditions d’hygiène, et le poisson est vendu vivant, morts frais ou fumé. Le choix pour un producteur de se lancer dans l’activité de vente directe peut correspondre à plusieurs stratégies: une activité régulière ou ponctuelle, permettant d’écouler tout ou partie des volumes pêchés ou activité de diversification pratiquée car elle apporte un revenu complémentaire. Comme cette activité demande un investissement personnel en temps et en énergie important de la part du producteur, ce sont surtout les femmes de ces derniers qui s’en occupent (Figure 1B).
Le circuit classique de commercialisation des produits de la pêche est la mise en vente par l’intermédiaire d’un regroupement surtout des mamans appelées localement «maman bisombela».
Une fois ses poissons débarqués dans le lieu de vente, le collecteur a à sa disposition plusieurs choix pour assurer l’écoulement de ses poissons. C’est à ce niveau que ces derniers s’engagent dans des circuits plus ou moins longs, faisant intervenir différents acteurs de la filière. Au cours de ce processus de commercialisation, quelques relations de confiance, plutôt individuelles, s’établissent entre les différents acteurs qui y sont impliqués notamment entre les collecteurs et les pêcheurs, les collecteurs et les demi-grossistes, les collecteurs et les détaillants, les demi-grossistes et les détaillants. Il apparaît clairement deux types de relation de transfert de propriétés des poissons mis en vente: acquisition par l’achat et acquisition par confiance.
Le premier type consiste en une espèce de commerce triangulaire où la revendeuse «Esombela» fidélise un grossiste en prenant son produit tout en s’arrogeant l’exclusivité de l’achat. Elle prend le poisson à un prix relativement bas pour enchérir sur les consommateurs, sur quasiment le même lieu de vente.
Le second type, assez similaire au premier mais où une revendeuse «Esombela» prend une quantité relativement importante de poisson auprès d’un collecteur des poissons fumés sur lesquels elle tire un certain bénéfice avant de remettre le montant préalablement convenu au collecteur venu du lieu de capture.
Cette situation est similaire à ce qu’a soulevé Bolakonga (2017) dans la Tshopo où il n’existe pas, à proprement parlé, d’intégration horizontale ni verticale entre différents maillons de la chaîne de valeur.
Coûts commerciaux
Dans la zone d’étude, pareil à la majorité des producteurs, les pêcheurs ne tiennent aucune comptabilité et ne savent pas déterminer ou estimer exactement le capital financier qu’ils utilisent. Ce qui pose de difficultés sur l’évaluation des différentes charges liées aux activités effectuées par le pêcheur lui-même et sa famille (dès la prospection du site de pêche jusqu’à la capture et transformation des poissons) y compris les diverses matériels et équipements utilisés. Toutefois, les rares pêcheurs qui recourent à une main d’œuvre rémunérée uniquement pour la mise en œuvre de la structure de pêche (Ndobo) payent un montant forfaitaire variant de 100 000 à 150 000 FC avec une moyenne de 125 000 FC (± 19 003 FC).
Le coût de transaction ou d’échanges qui se sont ajoutées au prix payé aux pêcheurs va des taxes sur le commerce, à des coûts de transports, en passant par les marges de plusieurs intermédiaires d’autant plus élevées qu’elles doivent à la fois rémunérer ces derniers et tenir compte des conditions difficiles du transport, sources de pertes importantes. Similairement aux pêcheurs, les vendeurs n’ont pas la culture de tenir la comptabilité de leurs activités afin d’orienter la prise de décision efficace de demeurer ou quitter la filière. Cette situation ne les met pas à l’abri des risques de travailler à perte.
Pour cette étude, les valeurs relatives à la répartition des grossistes en fonction de coût de l’activité commerciale (coût d’achat et de transaction pour distribuer 1 kg de poisson) de Bomboma à Zongo sont résumées dans le tableau 1.
Le coût de commercialisation en gros d’un kilogramme de poissons de Bomboma à Zongo varie de 3 357 à 10 014 FC. Soit une moyenne pondérée de 6 278 FC/kg légèrement supérieur à la moyenne arithmétique qui est de 6222 FC/kg (±1344 FC). Les coûts les plus fréquents (soit 35% de grossistes) se situent entre 6 211 et 7 161 FC comme illustré par la figure 2.
De l’analyse des données collectées, il se dégage que le coût de transaction est estimé en moyenne à 58,6% (±17%) du prix de vente en gros, soit un minimum de 36,0% et un maximum de 96,7%. Ce coût de transaction est surtout influencé par le moyen de transport utilisé par les vendeurs à savoir la moto. Ainsi, l’impact du transport dans le prix de vente en gros varie d’un vendeur à l’autre et représente en moyenne 82,1% (±4,9%) de coût de transaction, avec un minimum de 69,1% et un maximum de 90,4%.
Par rapport au prix de vente en gros, l’influence de transport va de 32,7% à 144,7% avec une moyenne de 59,8% (±21,4%) de Bomboma à Zongo. En se référant à la classification réalisée par Wickham relative à l’impact du transport sur les biens et services (Mpanzu, 2015), la moyenne obtenue confirme son influence non négligeable dans le prix de vente, réduisant notablement les marges nettes de vendeurs à ce stade de vente. C’est comme a affirmé Nkikela (2012) pour le cas de la RDC, le coût de transport exerce une influence plus déterminante dans la fixation du prix de détail. Car pour certaines denrées, ce coût avoisine plus de 50% du prix de détail.
Rentabilité de la vente en gros des poissons fumés
La Rentabilité Financière (RF) étant l’expression de la marge nette en pourcentage de coût de transaction ajouté de prix d’achat, les valeurs relatives aux résultats obtenus par les grossistes en fonction de coût de l’activité commerciale (coût d’achat et de transaction pour distribuer 1 kg de poisson «Ngolo» de Bomboma à Zongo) et de chiffre d’affaire de la vente en gros des poissons sont regroupées en classes résumées dans le tableau 2.
Les résultats de ce tableau montrent que l’activité de commercialisation des poissons fumés de Bomboma à Zongo génère un profit moyen pondéré de 1 596 FC/kg de poissons. Ce qui correspond à une moyenne arithmétique de 1600 FC/kg de poissons (±1905). Les plus gros bénéfices sont réalisés par les grossistes dont les gains nets sont compris entre 5 003 FC et 6 059 FC le kg. Mais cette catégorie est moindre car ne représente que 4% des répondants.
Il ressort du tableau 3 que le Taux de Rentabilité Financière dans la commercialisation en gros de poissons de Bomboma à Zongo varie de –20 à 124%. Soit une moyenne pondérée de 31,1%, légèrement supérieure à la moyenne arithmétique qui est de 30,2% (±36,6). Les taux le plus fréquent (soit 26,5% de grossistes) se situe entre –20 et 0%.
Dans l’ensemble, la commercialisation des poissons est dominée par les grossistes qui accusent une rentabilité positive soit 73,5% d’enquêtés contre 26,5% qui enregistrent une rentabilité négative. La plus grande rentabilité n’est enregistrée que par 2% de grossistes et se situe entre 104 et 125%.
Répartition des revenus
L’étude a révélé qu’il est très délicat d’évaluer les revenus tirés de la filière du poisson fumés car les acteurs connaissent rarement les charges supportées, leurs gains et, même dans ce cas-là, ne les dévoilent pas volontiers.
Le graphique prouve à suffisance que le revenu brut engendré par la filière halieutique n’est pas équitablement réparti entre les différents maillons, de la capture à la distribution de poissons. Pour illustrer cette répartition inéquitable, la part revenant à la production ou capture est traduite par le prix de vente de poisson bord capture à Bomboma (précisément dans le groupement de Bokonzi et Motuba) tandis que celle de la vente en gros est différentielle c’est-à-dire issue de prix de vente en gros à Zongo, diminué prix de vente bord capture. Ainsi, par rapport au lieu de vente d’un sac de 56,3 kg de poisson «Ngolo», la part du pêcheur (premier maillon de la filière) représente en moyenne 62,9% (±18,2) de revenu total brut traduit par prix de vente en gros à Zongo; avec des valeurs extrêmes: 100% pour le maximum et 33,3% pour le minimum. La part revenant à la vente en gros (deuxième maillon de la filière) équivaut à 37,1% (±18,3) avec un maximum de 54% et un minimum de -24,9%.
En considérant isolement la part de revenu brut du deuxième maillon de la filière, en l’occurrence la vente en gros (Figure 5), il apparaît clairement que celle-ci est en majeur partie dominée par le coût de transaction qui représente une moyenne de 52,9% contre 47,1% pour la marge nette du grossiste.
Ce coût de transaction ou de distribution représente en moyenne 19,8% (±7,4%) du revenu global de la filière, atteint un Maximum de 41,6% pour certains grossistes et un minimum 10,4% pour d’autres. En outre, en décomposant ce coût de transaction, on s’aperçoit que le coût de transport est très important et représente 82,1% (±4,9) de coût de transaction et 58,8% (±17,0) du prix de vente en gros. Ce qui montre l’influence non négligeable de prix de transport dans la commercialisation des poissons.
Aussi, interprétant l’impact du transport dans le prix de vente, Wickam cité par Kinkela (2013a), et Mpanzu (2015) soulignent que si le prix de vente est supérieur à 20%, c’est un élément important du prix de détail.
Évolution des prix de vente
Le rôle que doit exercer le prix est perçu différemment selon les opérateurs économiques. Obtenir un prix rémunérateur pour son produit est l’objectif de toute entreprise. Acheter au meilleur prix un produit donné constitue un idéal pour le consommateur. Le négociant ou l’intermédiaire se soucie relativement peu du niveau des prix, ce qui l’intéresse, c’est l’écart entre le prix auquel il achète la marchandise au producteur et celui auquel il revend cette marchandise au consommateur (Mpanzu, 2015).
Dans le cadre de cette étude, la formation de prix de vente des poissons est fonction de plusieurs éléments notamment le lieu de vente, l’unité de mesure, l’état du produit (frais, transformé), la taille du poisson, l’espèce transformée, le nombre d’intermédiaires et le décalage entre l’offre et la demande.
Le prix de vente des poissons fumés de marché primaire (à Bomboma) au marché ciblé pour la vente en gros (à Zongo) accuse une variation à la hausse de 3 060 FC le kg (± 1898,6FC) (équivalent de 1,39 $) soit un taux d’accroissement moyen de 74,7% (±57,5%) de prix de vente bord capture qui est en moyenne de 4 762 FC le Kg (±1 263 FC) (soit 2,16 $ au taux de 1$=2 200 FC). Cet accroissement est nul pour certains vendeurs et atteint 200% pour d’autres.
En dépit de ces chiffres encourageant, cette augmentation n’est pas profitable au vendeur suite au coût élevé de transport et due aux modalités de fixation de prix de vente. En effet, privés souvent d’autonomie pour la vente de leurs marchandises et pour éviter des tracasseries au niveau du marché, certains grossistes font recours aux intermédiaires appelées localement «maman Bisombela» qui, ne connaissant pas le coût de transaction, proposent un prix de vente sans tenir compte de différentes charges car voulant à tout prix tirer un certain bénéfice.
Ce phénomène est assez similaire à celui que Bolakonga (2017) qualifie de «sima ya mukongo» (derrière le dos) où une revendeuse prend une quantité relativement importante de poisson auprès d’un collecteur des poissons fumés sur lesquels elle tire un certain bénéfice avant de remettre le montant préalablement convenu au collecteur venu du lieu de capture. Cette variation de prix prouve à suffisance ce qu’a relevé Mastaki (2006) en ces termes : les imperfections du système de commercialisation, se traduisant par des asymétries d’information et des coûts de transactions, des concentrations de pouvoir de marché et l’absence des règles transparentes de fonctionnement, des stratégies sociales de survie, sont incapables d’induire une bonne coordination des filières. Mpanzu (2015) renchérie en ces termes: l’idéal dans les échanges est que les parties en présence puissent négocier et établir des relations sur des bases légales, ce qui n’est pas toujours le cas dans la mesure où dans la plus part des cas, l’une des parties détient plus d’information sur les marchés ; plus d’alternative d’échanges, plus de moyens matériels et financiers que l’autre partie, rendant ainsi la réalisation des conditions d’échanges égales difficiles.
Un bon service d’information sur le marché est indispensable pour que le système de commercialisation puisse fonctionner de manière économique et avec précision. Un ingrédient vital recherché par les petits fermiers pour accroître leur pouvoir sur le marché est l’information. Certainement une de raisons de leur position défavorable est leur connaissance limitée sur le prix agricoles et le circuit alternatif de vente. Une commercialisation efficace implique l’apprentissage de nouvelles compétences, de nouvelles techniques et de nouveaux modes d’obtention de l’information Les technologies de communication modernes ont permis d’améliorer la distribution de l’information, en particulier grâce aux SMS par téléphone portable et à la croissance rapide de stations de radio FM dans de nombreux pays en développement, qui permettent de mettre en place des services d’information plus localisés.
CONCLUSION
L’objectif général de ce travail était d’évaluer le niveau de profitabilité du commerce en gros afin de fournir aux acteurs intéressés à la commercialisation des poissons capturés par la pêche aux claies du type «Ndobo». Pour y parvenir, la collecte des données a fait usage d’une méthodologie basée sur l’enquête face-à-face au moyen d’un questionnaire élaboré et adressé aux pêcheurs et aux vendeurs grossistes. Au regard des analyses effectuées, il apparaît clairement que pour la vente de poissons frais est locale et la conservation des poissons vivants est pratiquée sur les sites où les poissons sont maintenus vivants dans des grands récipients (marmites surtout) contenant de l’eau ou dans des corbeilles spécifiques placées au fond d’un étang ou d’un cours d’eau. Quant aux poissons destinés à la commercialisation dans les marchés éloignés, le fumage est le mode le plus pratiqué. Quatre types de circuits de distribution existent: la vente, le circuit court, circuit moyen et le circuit long. Le coût de commercialisation en gros d’un kilogramme de poissons fumés de Bomboma à Zongo varie de 3 357 à 10 014 FC. Soit une moyenne de 6222 FC/kg (±1344 FC). Les coûts les plus fréquents (soit 35% de grossistes) se situent entre 6 211 et 7 161 FC.
Le coût de transaction est estimé en moyenne à 58,6% (±17%) du prix de vente en gros et est surtout influencé par les frais de transport dont l’impact du transport dans le prix de vente en gros, variant d’un vendeur à l’autre, représente en moyenne 82,1% (±4,9%) de coût de transaction.
Quant au profit, les résultats obtenus montrent que l’activité de commercialisation génère un profit moyen pondéré de l’ordre de 1 596 FC/kg de poissons. Ce qui correspond à une moyenne arithmétique de 1599 FC/kg de poissons (±1904,7). Les plus gros bénéfices sont réalisés par les grossistes dont les gains nets sont compris entre 5 003 FC et 6 059 FC le Kg. Mais cette catégorie est moindre car ne représente que 4% des répondants. Le prix de vente des poissons fumés de marché primaire (à Bomboma) au marché ciblé pour la vente en gros (à Zongo) accuse une variation à la hausse de 3 060 FC le kg (± 1898,6FC) (équivalent de 1,39 $) soit un taux d’accroissement moyen de 74,7% (±57,5%) de prix de vente bord capture qui est en moyenne de 4 762 FC le kg (±1 263 FC). Cet accroissement est nul pour certains vendeurs et atteint 200% pour d’autres. En dépit de ces chiffres encourageant, cette augmentation n’est pas profitable à tous les vendeurs suite au coût élevé de transport. Ce qui fait que le revenu du producteur soit nettement supérieur à celui du vendeur en gros. Par rapport au lieu de vente d’un sac de 56,3 kg de poisson «Ngolo», la part du pêcheur (premier maillon de la filière) représente en moyenne 62,9% (±18,2) de revenu total brut traduit par prix de vente en gros à Zongo; avec des valeurs extrêmes: 100% pour le maximum et 33,3% pour le minimum. Contre 37,1% (±18,3%) pour la vente en gros (deuxième maillon de la filière) avec maximum 54% et minimum -24,9%. Ce qui confirme les hypothèses selon lesquelles cette activité est rentable financièrement et que le revenu brut engendré par cette filière halieutique n’est pas équitablement réparti entre les différents maillons, de la capture à la distribution
Enfin, cette étude a montré que ce type de pêche, bien que saisonnière, est une activité qui contribue à l’amélioration des conditions de vie de la population par la création d’emplois à plusieurs niveaux: capture, distribution, transport, manutention, etc. dans différents endroits car le poisson, capturé généralement en milieu rural est vendu sur les marchés frontaliers (Dongo, Zongo, Libenge) et ceux de chefs-lieux des provinces (Gemena dans le Sud-Ubangi, Mbandaka dans l’Equateur). Il fait aussi l’objet d’exportation dans les pays voisins dont la République Populaire du Congo (Brazzaville) et surtout la République Centrafricaine (Bangui). Ceci étant, autrefois considérée comme une technique de pêche de subsistance, cette technique de pêche saisonnière peut faire l’objet d’insertion dans le circuit formel de commercialisation à l’échelle tant nationale qu’internationale et constitue de ce fait une source non négligeable des revenus pour les acteurs intéressés à cette filière halieutique.
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