Campylobacter coli et jejuni dans la filière poulet de chair au Maroc

Auteurs-es

  • Raja ASMAI Office National de la Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires, Région Marrakech-Safi, Marrakech, Maroc
  • Khadija ES-SOUCRATTI Département de Biologie, Faculté des sciences Ain Chock, Université Hassan II, Casablanca, Maroc
  • Abderrahman HAMMOUMI Département de Biologie, Faculté des sciences Ain Chock, Université Hassan II, Casablanca, Maroc
  • Bouchra KARRAOUAN Laboratoire de microbiologie des aliments et de l’environnement, Institut Pasteur du Maroc, Casablanca, Maroc
  • Hakim KARIB Département de Pathologie et Santé Publique Vétérinaire, Unité HIDAOA, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc
  • Reda TRIQUI Département de Pathologie et Santé Publique Vétérinaire, Unité HIDAOA, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc
  • Brahim BOUCHRIF Laboratoire de microbiologie des aliments et de l’environnement, Institut Pasteur du Maroc, Casablanca, Maroc

Résumé

Le tube digestif des animaux de boucherie et de la volaille constitue un réservoir majeur des Campylobacter qui représentent l’une des principales causes de maladies diarrhéiques au niveau mondial. La présente  étude a consisté en une analyse de 102 souches de Campylobacter jejuni (CJ) isolées des fientes fraiches de poulet de chair au niveau du marché du gros de Casablanca,  et de 75 souches de Campylobacter coli (CC) isolées à partir de prélèvements cloacaux de poulet de chair des fermes avicoles dans la région de Marrakech – Safi. La prévalence notifiée de Campylobacter spp. des deux études réalisées au marché de gros de Casablanca et dans les élevages de poulet de chair à Marrakech -Safi est respectivement: 73% (102/140) et 71,4% (75/105). Les résultats des tests de sensibilité aux antibiotiques de CJ et CC respectivement sont: 85% - 100% à l’ampicilline, 61,4% - 65% à l’acide clavulanique, 100% - 86% à la tétracycline, 77% à la ciprofloxacine, 12% - 9% à la gentamycine et 97% - 100% à l’érythromycine. L’objectif de cet article est de présenter une synthèse des connaissances sur la résistance de Campylobacter dans la filière poulet à travers les souches isolées provenant du marché de gros à Casablanca et des fermes de poulet de chair dans la région de Marrakech-Safi.

Mots clés: Campylobacter, résistance aux antibiotiques, poulet de chair, Maroc

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INTRODUCTION

Les Campylobacters sont considérés comme la cause principale de gastro-entérites bactériennes dans le monde (Altekruse et al., 1999). La campylobactériose est une zoonose transmise à l’homme par les animaux ou les produits qui en dérivent (Altekruse et al., 1999).

Des chercheurs de «l’Institut des Pathogènes Émergents» (EPI) de l’université de Floride aux États-Unis se sont intéressés aux Maladies Infectieuses d’Origine Alimentaire (MIOA). Ils ont estimé que 31 pathogènes véhiculés par les aliments sont responsables de 9,4 millions de cas d’infections humaines chaque année aux États-Unis, conduisant à 55961 hospitalisations et 1351 décès (Messaoudi et al., 2013). Parmi tous ces cas, 59% sont associés à des virus, 39% à des bactéries et 2% à des parasites. Parmi les virus, les norovirus sont impliqués dans 58% des cas et pour les bactéries, Campylobacter spp., Salmonella spp. et Clostridium perfringens occupent les trois premières places du classement (Messaoudi et al.,2013).

Campylobacter est considérée comme la bactérie zoonotique la plus abondante au sein de l’union européenne. En effet, 190 566 cas d’infections à Campylobacter ont été reportés en 2008 (Messaoudi et al., 2013).

Même si les bactéries du genre Campylobacter sont retrouvées dans le mucus intestinal de la plupart des animaux de boucherie (bovins, porcins, petits ruminants) et de compagnie (chats et chiens), le réservoir aviaire reste prédominant du fait du taux de portage élevé et de la charge bactérienne par gramme de matières fécales, pouvant atteindre 107 UFC/g (Messaoudi et al., 2013).

Une recrudescence de la résistance de souches de Campylobacter spp. aux antibiotiques, notamment aux quinolones (acide nalidixique) et aux fluoroquinolones (enrofloxacine) a été observée (Mégraud et al., 2004; Dermott et al., 2009).

L’objectif de cette étude a été d’évaluer la prévalence de Campylobacter jejuni et coli issus de poulets de chair et le risque inhérent en santé publique. De même, le profil d’antibiorésistance a été aussi déterminé pour les souches de Campylobacter isolées.

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Marché de gros de Casablanca

Un total de 140 prélèvements de fientes fraîches de poulet de chair ont été réalisés par un technicien d’élevage qualifié. Ces prélèvements ont été placés dans des sachets stériles et transportés au laboratoire dans une glacière isotherme, puis analysés dans les deux heures qui suivent le prélèvement.

L’étude a été réalisée sur une période de huit mois (février – septembre, 2017) à raison de quatre prélèvements par mois (n=140 échantillons de fientes de poulet de chair) pendant laquelle nous avons isolé et identifié les souches de Campylobacter dans le laboratoire de microbiologie des aliments et de l’environnement de l’Institut Pasteur du Maroc.

Fermes d’élevage de poulet de chair de la région de Marrakech-Safi

L’étude a été réalisée sur une période s’étalant de Mai à Décembre, 2017 (8 mois) à raison de sept prélèvements par ferme d’élevage de poulet de chair dans la région de Marrakech-Safi. L’étude a concerné un nombre de 15 fermes (le nombre d’individus varie entre 5000 et 10 000 par ferme, avec un âge compris entre 2 et 4 semaines). Les prélèvements ont donc consisté en 105 écouvillons cloacaux. Nous avons isolé et identifié les souches de Campylobacter dans le laboratoire de microbiologie des aliments et de l’environnement de l’Institut Pasteur du Maroc.

Campylobacter

L’isolement de Campylobacter a été effectué après enrichissement selon la norme NM ISO / TS 10272-3 (2013): Méthode horizontale pour la recherche et le dénombrement de Campylobacter spp., Méthode semi-quantitative.

Brièvement, 2 ml de suspension d’écouvillons cloacaux et 1g de fientes de poulets de chair ont été transférés dans 9 ml de bouillon de base d’enrichissement Preston (CM 0067 Oxoid, Oxoid LTD., Basingstoke, Hampshire, UK) contenant un facteur de croissance (SR 0232E Oxoid, Oxoid LTD., Basingstoke, Hampshire, UK) and 7% (v/v) du sang de mouton défibriné.

L’incubation a été réalisée dans une jarre avec un générateur d’une atmosphère microaérophile (5% d’oxygène, 10% de dioxyde de carbone, 85% d’azote) de type CAMPYGen (CN0025A Oxoid, Basingstoke, Hampshire, UK) pendant 24 heures à 42°C.

Après enrichissement, chaque échantillon a été directement ensemencé sur une gélose de base sélectif de Campylobacter (Oxoid Ltd., Basingstoke, Angleterre) contenant 5% du sang de mouton frais stérile défibriné et Campylobacter supplément III (Sigma, St. Louis, MO, USA) pour l’isolement primaire.

Les milieux gélosés ont été ensuite incubés à 37°C pendant 72 heures dans des jarres contenant une atmosphère microaérophile dans les conditions déjà décrites. Les isolats caractéristiques ont été confirmés Campylobacter spp. par des tests biochimiques (test d’oxydase, test de catalase, test d’hydrolyse d’hippurate), motilité, examen microscopique et une coloration de Gram. Tous les isolats ont été stockés à -80°C dans un bouillon Brucella (Thermo Fisher Scientific, Milan, Italie) jusqu’à leur utilisation.

La confirmation génique du genre Campylobacter a été réalisée par PCR d’un fragment spécifique du gène rRNA 16S, à l’aide d’amorces, décrites par Linton et al. (1996), d’un fragment d’ADN de 816 pb. Campylobacter Jejuni ATCC 33560 est utilisée comme contrôle positif et Escherichia coli VA517 comme témoin négatif. Toutes les réactions PCR contenaient 2,5 μl de modèle d’ADN, 0,2 μM de chaque amorce, 0,2 mM de dNTP (PROMEGA), 5X Taq DNA polymerase buffer, et 1.0 U of Taq DNA polymerase (Invitrogen), dans un volume de réaction finale de 25 μl. Le protocole PCR pour l’identification du genre était le suivant: 5 minutes à 95°C, 35 cycles composés de 1 min à 95°C, 1 min à 55°C, 1 min à 72°C, et une étape finale de prolongation de 10 minutes à 72°C. Toutes les réactions d’amplification de l’ADN ont été effectuées dans un Thermo-cycler Dyad Disciple (BIO-RAD).

Génotypage

L’ADN a été extrait par la méthode rapide (boiling-prep) adaptée à des petits volumes: les colonies prélevées à partir d’une culture fraîche de 18 à 24 heures sur gélose nutritive TCS (Treptone Caséine Soja) sont mises en suspension dans 500 μL d’eau biologie moléculaire, lysées par action thermique dans une eau bouillante pendant 10 minutes, suivi d’une centrifugation à 12000 rpm pendant 5 minutes, on récupère le surnageant qu’on stocke à -20 °C jusqu’à l’utilisation.

Toutes les souches de Campylobacter recueillies dans la présente étude, ont été testées pour la recherche du gène spécifique au sérotype jejuni et coli utilisant les amorces décrites au Tableau 1. Le protocole utilisé pour la réalisation de la PCR, utilisant les amorces spécifiques déjà décrites est le suivant: une dénaturation initiale d’une minute à 95°C suivie de 30 cycles, une dénaturation de 45 sec à 95°C, hybridation de 30 sec à 57°C, élongation de 72°C à 45 sec et extension finale à 72°C pendant 10 min. Le produit de PCR est analysé par une électrophorèse sur gel d’agarose à 1,5%. Campylobacter jejuni ATCC 33560 et Campylobacter coli ATCC 33876 ont été utilisées comme contrôle positif et Escherichia coli VA517 comme témoin négatif (Stonnet et al., 1996; Manel et al., 2018).

Résistance aux antibiotiques

Le test de sensibilisation aux antibiotiques a été réalisé par la méthode de diffusion sur gélose Mueller-Hinton de disques d’antibiotiques (BIORAD). L’interprétation des résultats a été faite selon les règles et les recommandations du Comité d’antibiogramme de la Société française de microbiologie (Jehl et al., 2020). Les antibiotiques suivants ont été testés: ampicilline (10 µg); ampicilline+acclavulanique (20 µg/10µg), tétracycline (30 µg), ciprofloxacine (5 µg); érythromycine (15 µg) et gentamycine (10 µg).

RÉSULTATS

Prévalence de Campylobacter

Sur les 140 échantillons de fientes fraiches de poulet de chair prélevés au marché de gros de Casablanca et analysés, 102 souches de Campylobacter ont été isolées, soit un pourcentage d’isolement de 73% (102/140). L’amplification génique réalisée, utilisant les amorces spécifiques déjà décrites, ont permis d’identifier 41 souches appartenant à l’espèce Campylobacter jejuni soit un pourcentage de 40,2% (41/102). Les résultats pour les échantillons prélevés durant la saison chaude font état d’environ 40% de cas positifs à Campylobacter en comparaison aux échantillons analysés durant la période hivernale (8% de cas positifs) (Figure 1).

Pour la partie de l’étude réalisée dans les fermes d’élevage de poulet de chair de la région de Marrakech-Safi, sur 105 écouvillons cloacaux prélevés, 75 souches de Campylobacter ont été isolées, soit un pourcentage d’isolement de 71,4% (75/105). L’amplification génique réalisée utilisant les amorces spécifiques déjà décrites ont permis d’identifier 42 souches appartenant à l’espèce Campylobacter coli soit un pourcentage de 56 % (Figure 2).

Les résultats des échantillons prélevés durant la saison chaude (Mai – Aout) montrent un taux de cas positifs de Campylobacter plus élevé par rapport aux échantillons prélevés et analysés durant la période hivernale (Figure 2).

Résistance aux antibiotiques

La détermination du phénotype de résistance a été obtenue par la méthode de diffusion vis-à-vis de 6 antibiotiques testés, selon les recommandations du CA-SFM (Jehl et al., 2020).

La multi-résistance (MDR) a été définie comme la non-sensibilité acquise à au moins un agent dans trois ou plusieurs catégories d’antimicrobiens (Magiorakos et al., 2012). Pour les souches de Campylobacter jejuni isolées des fientes fraiches de la volaille au marché du gros de la volaille à Casablanca, les résultats ont montré que 98% des souches étaient résistantes à au moins un antibiotique testé, alors que 51,3 % de l’ensemble des souches testées présentaient une multi-résistance ≥ 3 antibiotiques (Tableau 2).

Pour les souches de Campylobacter coli isolées des 15 fermes d’élevage de poulets de chairs dans la région de Marrakech -Safi, les résultats de l’antibiogramme ont montré que 100% des souches sont résistantes à au moins un antibiotique testé, alors que 95% des souches testées présentent une multi-résistance ≥ 3 antibiotiques (Tableau 2).

DISCUSSION

Campylobacter

Les rares études d’évaluation quantitative des risques disponibles sur le couple Campylobacter/poulet menées dans différents pays, mettent souvent l’accent sur l’efficacité des moyens physiques et chimiques d’élimination de cet agent zoonotique après le maillon élevage (Rosenquist et al., 2006).

L’étude menée au niveau du marché de gros de volaille de Casablanca sur les Campylobacter isolés des fientes fraîches de la volaille a montré une prévalence de 73%. Nos résultats sont proches de ceux enregistrés en France en 2008 avec un taux de 76,1%, au Royaume-Uni avec 75,3% et en Italie avec 63,3% respectivement (EFSA, 2010).

Les résultats des PCR utilisant les amorces spécifiques montrent un taux de 41,6% de Campylobacter jejuni portant la même taille de bande (358 pb) par rapport à la souche de référence Campylobacter jejuni ATCC 4378. Cette prévalence (73%) reste modérée par rapport aux résultats obtenus dans différentes études similaires dans plusieurs pays. En effet, des études publiées sur la recherche de Campylobacter d’origine aviaire au Brésil ont révélé une prévalence de 100%, au Costa Rica de 80%, et au Sri Lanka de 63,8%. (Giacomelli et al., 2014, Kalupahana et al., 2018).

L’étude menée dans la région de Marrakech-Safi a mis en évidence la prévalence de Campylobacter spp., plus spécifiquement Campylobacter coli, dans les élevages de poulet de chair. Parmi les 105 échantillons (provenant de poulets de chair âgés de 2 à 4 semaines) analysés, 71,4% (75/105) étaient positifs pour Campylobacter spp.

Toutes les souches de Campylobacter spp. confirmées par des tests de microbiologie et de biochimie ont été criblées par PCR conventionnelle, en utilisant les amorces spécifiques de Campylobacter coli. Les résultats ont montré que 56% (42/75) de ces souches portaient la même taille de bande (258 pb) par rapport à la souche de référence Campylobacter Coli ATCC 4378.

Résistance aux antibiotiques

La détermination du profil d’antibiorésistance des Campylobacter à 6 antibiotiques différents réalisé sur des colonies de Campylobacter cultivées sur le milieu Columbia avec du sang (milieu sans additifs ni antibiotiques), a montré que les bactéries (Campylobacter jejuni et coli) étaient particulièrement résistantes aux fluoroquinolones avec 77% de souches résistantes en particulier à la ciprofloxacine, l’antibiotique de choix pour le traitement des gastroentérites chez les adultes. Selon un rapport de l’OMS (WHO, 2001), l’apparition des résistances à ces antibiotiques chez les souches animales et humaines de Campylobacter daterait du traitement curatif des animaux de production en 1987 par l’enrofloxacine.

Depuis, la fréquence des souches résistantes aux quinolones serait en constante augmentation. Des résultats similaires avec un taux très élevé (90%) de résistance de Campylobacter, isolés de la volaille, aux fluroquinolones, ont été signalés en Algérie (Laidouci et al., 2013). Dans cette étude, une forte proportion de Campylobacter coli (100%) a résisté aux effets de l’érythromycine, résultats similaires à ceux décrits par Laidouci et al., (2013). L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Office International des épizooties (OIE) ont élaboré en 2015, un plan d’action mondial pour combattre la résistance aux antimicrobiens. À cet effet, il serait souhaitable d’instaurer une surveillance et un dépistage systématiques au Maroc de ce germe, en particulier en vue de déterminer sa prévalence et les variations de résistance aux différents antibiotiques.

Conclusion

Le poulet de chair a été identifié comme principal véhicule des Campylobacter thermophiles dans la chaîne alimentaire. Dans cette étude, il a été constaté qu’une très forte proportion de souches de Campylobacter spp. de 73 et 71,4% respectivement , ont été isolées au marché de gros et au niveau de différentes fermes à Marrakech –Safi. Les résultats de la résistance aux antibiotiques ont montré une très forte proportion (plus de 77%) de résistante aux fluroquinolones, en particulier à la ciprofloxacine, à la tétracycline (plus de 86%) et à l’érythromycine (plus de 97%). La connaissance de la prévalence de Campylobacter spp. au niveau des élevages de poulet de chair est nécessaire en vue d’évaluer les niveaux de contamination qui seraient attendus au niveau des carcasses, des découpes, et de manière ultime au niveau des plats prêts à consommer.

RÉFÉRENCES

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Publié-e

15-09-2021

Numéro

Rubrique

Sécurité sanitaire des produits avicoles