Résumé

L’érosion hydrique est la principale forme de dégradation des sols en Algérie septentrionale. Ce phénomène naturel inévitable qui affecte notamment la partie nord-ouest du pays est exacerbé par les pratiques effarantes de l’homme et la fragilité des sols. La vulnérabilité des sols à l’érosion hydrique a été étudiée dans le bassin versant de la Tafna à travers une analyse spatiale basée sur l’utilisation de la télédétection et des systèmes d’information géographiques. Le bassin versant de Tafna, un des grands bassins versants de l’Algérie septentrionale, constitue la région la plus arrosée de l’Ouest et la plus productive de la Wilaya de Tlemcen. Sa superficie totale est de 724 500 ha, dont 27% en territoire marocain. L’approche cartographique suivie a été élaborée dans le cadre du programme d’actions prioritaires du plan d’actions pour la Méditerranée (PAP-PAM) avec la direction générale de la conservation de la nature de Madrid (DGCOM) et la FAO en 1998. Cinq classes de vulnérabilité à l’érosion hydrique ont été distinguées. Les zones à sensibilité très faible couvrent 7,32% de la surface du bassin, les zones à sensibilité faible à moyenne couvrent plus de la moitié (51,87%) et les zones à sensibilité élevée et très élevée couvrent 40,80%. La partie aval du bassin est la plus touchée par l’érosion hydrique, notamment linéaire, à cause de la dominance des terrains accidentés et la présence de substrats tendres. La partie amont, grâce à sa composition lithologique résistante à l’érosion, est plus stable. L’effet de la pente et la dégradation du couvert végétal occasionnent des inondations lors des pluies intenses. Toutes les formes de l’érosion hydrique ont été observées et les plus catastrophiques sont les badlands et les glissements de terrain, qui occasionnent des pertes considérables de terre agricole et mobilisent des sédiments importants menaçant les structures en aval (agglomérations, routes, barrages, etc.). Pour ralentir ce processus il faut freiner la dégradation du couvert végétal et favoriser l’utilisation des méthodes traditionnelles de conservation de l’eau et des sols.


Mots clés: Vulnérable des sols, Erosion hydrique, SIG, Cartographie, Bassin versant de Tafna, Nord-Ouest Algérien

INTRODUCTION

La dégradation des sols par l’érosion est l’un des problèmes majeurs auquel sont confrontées la majorité des nations à travers le monde. La croissance démographique et l’augmentation du niveau de vie ont induit à une demande de plus en plus importante en produits alimentaires, en eau et en habitat. Cette demande progressive, où les besoins des populations dépassent souvent la production des écosystèmes, a poussé l’homme à utiliser des pratiques inappropriées qui ont bouleversé les équilibres naturels et ont induit à une érosion accélérée. Cette dernière touche chaque année de plus en plus de terre, réduisant leur capacité de production en devenant parfois totalement stériles.

Les surfaces dégradées s’étendent sur plus de dix millions d’hectares par an, dont la principale cause est l’érosion hydrique. Cette dernière est responsable de la dégradation de 56 % des terres, suivie par l’érosion éolienne avec 28%, la dégradation chimique (acidification et salinisation) avec 12% et la dégradation physique (compaction) avec 4% (Roose et al., 2010).

En Algérie, l’érosion hydrique a dégradé 45% des zones telliennes, soit 12 millions d’hectares (Chebbani et al., 1999), voire même plus aujourd’hui. La région Ouest est la plus érodée avec 47% de l’ensemble des terres érodées, viennent ensuite les régions du centre et de l’Est avec respectivement 27 et 26% des terres érodées (MATE et GTZ, 2000). Cette érosion, sous ses différentes formes, occasionne des pertes en terre considérables. Les chercheurs de l’INRF et de l’IRD ont mesuré des pertes en terre de 0,1 à 20 t/ha/an pour l’érosion en nappe, 5 à 60 t/ha/an pour l’érosion mécanique sèche par les travaux culturaux motorisés et 90 à 300 t/ha/an pour le ravinement (Roose et al., 2000). Toutefois, l’érosion en nappe reste modeste en Algérie tandis que le ravinement et les mouvements de masse mobilisent des volumes importants de terre.

Le bassin versant de Tafna, situé à l’extrême Nord-Ouest de l’Algérie, est affecté par le phénomène de l’érosion hydrique qui engendre une perte considérable des terres agricoles et dépose des quantités non négligeables de sédiments au niveau des réservoirs hydrauliques. Dans ce cadre, nous avons jugé utile d’étudier la vulnérabilité des sols à l’érosion hydrique dans ce bassin pour dégager les zones à grand risque érosif qui nécessitent des mesures de conservation de l’eau et du sol.

De nombreux modèles empiriques (quantitatif et qualitatif) ont été conçus pour évaluer le risque d'érosion hydrique. L'un des plus utilisés est l’équation universelle des pertes en sol (USLE) de Wischmeier et Smith (1960 et 1978) qui regroupe les facteurs actifs (intensité des précipitations, énergie cinétique, érosivité) et les facteurs passifs (érodibilité du sol, couverture végétale, topographie, etc.) de l’érosion hydrique. Ce modèle qui permet de quantifier l’érosion, a été développée et modifié ensuite par d’autres scientifiques pour améliorer les méthodes de calcul, notamment du facteur d’érosivité des pluies (R) et du facteur d’érodibilité des sols (K) (Zékri, 2003).

La difficulté, parfois même l’impossibilité d’avoir les données sur l'intensité des pluies dans notre pays, paramètre essentiel pour le calcul du facteur d’érosivité des pluiesR, appelé aussi indice d’agressivité climatique, ne permet pas d'utiliser un modèle quantitatif de type USLE. Le recours à un modèle qualitatif en introduisant les autres facteurs (facteurs passifs) qui influencent l'érosion dans un SIG est plus utile. Le résultat de cette approche qualitative est une carte de sensibilité à l’érosion hydrique, dont les unités spatiales sont réparties en plusieurs classes, de la plus faible à la plus forte.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Zone d’étude

Le bassin versant de Tafna est l’un des seize grands bassins versants de l’Algérie septentrionale. Il est situé entre 1° et 2° de longitude W et de 34°3 à 35°2 de latitude N (Figure 1). Il s’étend sur une superficie de 724500 ha répartie sur huit (8) sous bassins versants, dont deux (2) se trouvent en amont dans le territoire marocain, englobant une superficie de 195000 ha (soit 27% de la surface totale du bassin). La partie algérienne du bassin couvre 529500 ha (Zékri, 2003).

Figure 1: Situation géographique du bassin versant de Tafna

Le bassin versant de Tafna présente des reliefs très diversifiés, délimitant entre eux une vaste zone déprimée (la plaine de Maghnia et la moyenne et basse vallée d’Isser). A son embouchure, il se rétrécit pour atteindre une largeur de 34 Km au niveau de Remchi. Son altitude moyenne est estimée à 780m (Zékri, 2017a). Les pentes dominantes oscillent entre 6 et 25%. Les pentes faibles à modérées occupent les lits d’oueds, les plaines et les plateaux et les pentes fortes et très fortes occupent les zones montagneuses (Zékri, 2017b) (Figure 2).

Figure 2: Carte des pentes du bassin versant de Tafna

Le bassin de Tafna est caractérisé par une géologie très complexe et qualifiée de grande tectonique surtout au niveau des monts de Tlemcen. L’évolution du terrain va du primaire au plio-quaternaire. Presque la moitié de la superficie du bassin étudié est composée de calcaires et de dolomies dures (45,51%).Cette formation lithologique occupe la partie amont du bassin. La partie aval est composée essentiellement de marnes, des alluvions et sables, des calcaires friables et des croûtes calcaires. Les autres formations (grés, roches volcaniques, schistes et argiles) occupent de petites superficies (Zékri, 2017b).La diversité des substratums géologiques a donné naissance à différents types de sols qui peuvent être regroupés dans les grands ensembles suivants:

- Les terres d’alluvions qui recouvrent les basses terrasses et les lits majeurs des oueds;

- Les terres caillouteuses aux piémonts des monts de Tlemcen et des Traras;

- Les terres rouges à encroûtement, localisées dans la plaine de Maghnia et Ouled Riah et

- Les terres marneuses, couvrant une grande partie du bassin.

Le réseau hydrographique du grand bassin versant de Tafna est très dense et très ramifié (Figure 1). L’aspect du relief et la présence parfois de roches imperméables ont permis la naissance d’un réseau important. Oued Tafna est le cours d’eau principal, long de 170 km, il prend sa source dans les monts de Tlemcen à 1090 m d’altitude. Son écoulement y est d’abord souterrain et son exsurgence se trouve sur le rebord sud en amont de Sebdou à Rhar Boumaza. Il traverse la plaine de Remchi et atteint la Méditerranée au niveau de la commune de Rachegoun, située à environ 60 km au Nord de Tlemcen. Les affluents les plus importants sont Oued Isser à l’Est (qui est de loin le plus grand) et oued Mouillah à l’Ouest. Aux principaux oueds vient s’ajouter un grand réseau de habens (cours d’eau) dont l’origine est l’activité de l’érosion hydrique linéaire. Ce phénomène dominant sur des substrats tendres et en pente, avec un maigre couvert végétal (exemple des monts des Traras) accroit la densité et la longueur du chevelu hydrographique par l’installation des griffes, des rigoles et des ravines.

Les ressources en eau au niveau du bassin d’étude sont de deux types: superficielles et souterraines. Les eaux superficielles sont composées de lacs artificiels (barrages, retenues collinaires, etc.) et des oueds à régime temporaire souvent secs. Les eaux souterraines sont formées par quatre nappes phréatiques principales, la plus importante est localisée dans les monts de Tlemcen et les autres sont des nappes alluviales situées le long des cours d’eau (nappes de Maghnia, Ghazaouet et El Hennaya). Ces nappes sont exploitées à travers un nombre important de puits, de forages et de sources.

Les potentialités hydriques superficielles annuelles du bassin sont estimées à 335 millions de m3dont près de 60 millions de m3 proviennent de la partie marocaine (sous bassin versant de Mouilah), soit 18% (ANAT, 2000). La zone d’étude contient aussi 5 grands barrages, 7 petits barrages et plus de 70 retenues collinaires. Leurs capacités de stockage en eau diminuent malheureusement avec le temps suite au phénomène dû à l’envasement. Certaines retenues se trouvent dans un état d’envasement très avancé (~100%), notamment les petits barrages et les retenues collinaires, à cause de l’ampleur de l’érosion hydrique qui touche les bassins versants qui les alimentent.

La quantité de sédiments présente actuellement dans les cinq grands barrages en exploitation situés à l’intérieur du bassin versant de Tafna, est donnée dans le tableau 1.

Tableau 1: Etat d’envasement des cinq grands barrages du bassin versant de Tafna (ANBT, 2014 et Zékri, 2013)

La quantité de vase déposée annuellement au barrage El Meffrouche est moins importante, elle constitue environ la moitié de la quantité déposée dans les autres barrages. Cela est dû à la nature lithologique résistante du bassin versant qui alimente ce barrage, bien que cette zone soit la plus arrosée. Cette constatation confirme les résultats des travaux qui ont prouvé que l’érosivité des pluies ne détermine pas l’importance de l’érosion et du ruissellement en région méditerranéenne. Elle peut être dissimulée par l’effet de la couverture végétale.

Le climat est de type méditerranéen, marqué par la dominance du semi-aride. Son originalité réside essentiellement dans la variabilité spatio-temporelle accentuée des précipitations. Les précipitations annuelles varient entre 300 et 600 mm. Elles sont souvent d’origine orographique, l’élévation et l’orientation des versants conditionnent souvent les quantités tombées. Les régions les plus arrosées sont les retombées Nord des monts de Tlemcen et des Traras (400-600mm). Les régions sèches sont les retombées Sud des monts de Tlemcen et des Traras, la plaine de Maghnia et la zone de Fatmi El Arbi (300-400mm). La saison pluvieuse est faite d’une succession de périodes de beau temps plus ou moins longues et de passage pluvieux. Elle s’étend généralement entre Octobre et Mai. Le reste du temps, c’est une saison sèche franchie par quelques orages.

De point de vue dynamique érosive, la plus forte érosion est enregistrée dans la saison d’automne, période connue par les orages de courte durée et de forte intensité (surtout dans le mois de Septembre et Novembre). Les écoulements sont très chargés de sédiments et les apports solides dans cette saison représentent souvent plus de 50% des apports solides de l’année entière. Dans les saisons d’hiver et du printemps, caractérisées par des pluies plus abondantes et longues, les transports liquides sont importants mais l’érosion reste faible (Zékri, 2003). L’agressivité des pluies se manifeste souvent sur des sols peu couverts par la végétation et plus secs suite à la saison chaude de l’été et du début d’automne. Cette période est connue aussi par les incendies répétées rendant les sols plus pulvérulents et plus vulnérables à l’érosion Splash et l’érosion par ruissellement (Zékri, 2017b).

Le couvert végétal a connu une régression notable et l’érosion ne cesse d’évoluer. Cela est dû aux incendies répétés, aux défrichements, au surpâturage, à l’urbanisation, etc. Les forêts se sont transformées en pré-forêts et en matorrals, à leurs tours dégradés laissant place à une flore éphémère à base de thérophytes, ne protégeant en aucun cas les sols exposés à une forte érosion. La population par contre a connu une croissance significative après l’indépendance comme dans toute l’Algérie septentrionale. Cette croissance a induit une demande de plus en plus importante en eau, en produits alimentaires, en habitat et en emploi. De vastes étendues ont été ainsi consommées pour la mise en place des retenues d’eau, pour l’extension des terres agricoles, l’urbanisation et l’industrialisation au dépend des terres végétalisées.

Approche méthodologique

La méthodologie suivie pour établir la carte de vulnérabilité potentielle des sols à l’érosion hydrique du bassin versant de Tafna a été basée sur une approche cartographique qualitative. Elle a été élaborée à partir d’un projet de coopération, réalisé par le centre d’activité régionale pour le programme d’actions prioritaires du plan d’actions pour la Méditerranée (PAP-PAM) et la direction générale de la conservation de la nature de Madrid (DGCOM) avec l’organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 1998.

Une série de cartes a été ainsi réalisée pour aboutir à une carte synthétique du risque érosif. Ce document permettra une analyse spatiale du phénomène de l’érosion hydrique à travers la reconnaissance des zones les plus vulnérables. Il constituera aussi un outil d’aide à la décision en permettant la localisation des sites prioritaires d’intervention par les actions de conservation de l’eau et du sol.

Justification du choix adopté

Le choix de l’approche cartographique qualitative était fonction des critères suivants :

- L’indisponibilité des données sur l’intensité des pluies, paramètre essentiel dans le calcul de l’indice d’érosivité des pluies R et dans les modèles quantitatifs de l’estimation de l’érosion hydrique.

- La possibilité de se baser seulement sur l’érodibilité des sols et leur degré de protection dans l’estimation de leur vulnérabilité potentielle à l’érosion car il a été prouvé à travers certaines études que l’érosivité des pluies ne détermine pas l’importance de l’érosion et du ruissellement en région méditerranéenne mais c’est plutôt la fragilité des terrains qui en est la cause (couvert végétal dégradé, pentes fortes, substrats fragiles, mauvaises techniques culturales, urbanisation, etc.). Selon Roose et al. (1997), il y a une situation paradoxale, d’une part les climats méditerranéens sont réputés agressifs, les paysages sont ravinés et les inondations catastrophiques sont nombreuses, mais d’autre part les auteurs s’accordent sur la modestie des indices d’agressivité des pluies en comparaison avec les pluies des régions tropicales humides. Selon Roose et al. (2010), l’indice Ram est inférieur à 20 en milieu aride (où les Pam≤200 mm) et il est inférieur à 120 en milieu méditerranéen montagnard humide (où Pam≤1200 mm), alors qu’il atteint 500 à 1400 unités dans les régions subéquatoriales selon Roose et Faukh (1981). Dans le bassin versant de Tafna l’indice d’érosivité des pluies R a varié de 20 à presque 100 unités seulement: entre 20 et 30 dans la zone côtière, 40 et 60 dans la zone des plaines et des plateaux, 70 à 90 dans les zones montagneuses et plus de 90 unités dans les zones d’El Meffrouche et Hafir (Zékri, 2003 et Zékri, 2017a).

- Les méthodes quantitatives nécessitent des mesures sur site, avec des moyens importants (installation de parcelles expérimentales, pluviomètre et pluviographe, réservoirs artificiels, gardiennage, etc.)et des personnes spécialisées dans le domaine de l’érosion.

- La cartographie qualitative du risque érosif donne des résultats satisfaisants dans un temps court et elle est applicable pour de vastes territoires vue la simplicité et la rapidité de son exécution.

- Les auteurs de la démarche cartographique utilisée confirment son adaptation pour toutes les régions méditerranéennes.

- La disponibilité des outils et des documents cartographiques nécessaires.

Outils de travail

La réalisation de la présente étude a été basée sur l’utilisation des outils suivants: les SIG (Arc GIS 10 et Mapinfo11), l’image LANDSAT 8 (30 m x 30 m) du 20 Novembre (mois de forte activité érosive) 2014 et le MNT de la zone étudiée.

Elaboration des cartes

La carte de sensibilité à l’érosion hydrique a été établie à partir de la superposition de la carte d’érodibilité et la carte de protection du sol. La carte d’érodibilité a été issue de la superposition de la carte des pentes (dérivée du MNT) et de la carte du lithofaciès (préparée à partir des données géologiques, lithologiques et pédologiques). La carte de protection du sol a été élaborée à partir de la superposition de la carte d’occupation du sol (tirée de la classification supervisée de l’image satellitaire de Landsat 8, revérifiée et enrichie par les données recueillies auprès de la conservation des forêts de la Wilaya de Tlemcen et des observations sur terrain) et la carte du couvert végétal (établie par l’indice de végétation normalisé NDVI, le plus utilisé pour détecter les phases de développement de la végétation verte à partir des données multispectrales de télédétection et dans l’étude et la cartographie de la végétation). Les étapes suivies pour l’élaboration de l’ensemble des cartes sont résumées dans la figure 3.

Figure 3: Séquence opérationnelle des travaux de cartographie de l’érosion

RÉSULTATS

Carte d’érodibilité

La carte d’érodibilité (Figure 4) a été élaborée par la superposition de la carte des pentes et la carte lithologique selon la matrice (Figure 3). Cette superposition a fait ressortir cinq classes d’érodibilité (érosion potentielle) selon le tableau 2.

Tableau 2: Degrés d’érodibilité dans le bassin versant de Tafna

Figure 4: Carte d’érodibilité du bassin versant de Tafna

La partie aval du bassin présente une érodibilité plus forte par rapport à sa partie amont. Cela est plutôt dû à la nature du lithofaciès plus sensible à l’érosion dans la partie aval et plus résistant dans la partie amont.

Carte de protection du sol

La carte de protection des sols (Figure 5) a été élaborée par la superposition de la carte de l’occupation du sol et la carte du degré du couvert végétal (Figure 3). Cette superposition a fait ressortir cinq classes de protection du sol selon le tableau 3.

Tableau 3: Degrés de protection du sol dans le bassin versant de Tafna

La majorité des terrains du bassin d’étude (plus de 95%) montre une protection très faible à moyenne. Cela est dû à la dominance d’une occupation du sol à vulnérabilité élevée à très élevée à l’érosion hydrique. En plus, le couvert végétal est dégradé puisque plus de 90% des terrains ont un recouvrement inférieur à 50%.

Figure 5: Carte de protection du sol du bassin versant de Tafna

Carte de sensibilité à l’érosion hydrique

Le produit final de cette étude est la carte de sensibilité à l’érosion hydrique du bassin versant de la Tafna (Figure 6). Elle a été issue de la superposition de la carte d’érodibilité et la carte de protection des sols, selon la matrice donnée dans la figure 2. Cette superposition a fait ressortir cinq classes de sensibilité (Tableau 4). Les zones à sensibilité très faible à moyenne représentent 59,19 % de la surface totale du bassin et les zones à sensibilité forte et très forte représentent 40,80 % de la surface. Ces résultats ont été validés suite à des prospections du terrain, dans des sites représentatifs des différentes situations.

Tableau 4: Classes de sensibilité à l’érosion hydrique dans le bassin versant de Tafna

Figure 6: Carte de sensibilité à l’érosion hydrique du bassin versant de Tafna

DISCUSSION

La cartographie de la vulnérabilité potentielle des sols à l’érosion hydrique dans le bassin versant de Tafna a permis de distinguer cinq classes de vulnérabilité multifactorielle: une sensibilité très faible, faible, moyenne, élevée et très élevée. Les zones à sensibilité très faibles couvrent seulement 7,32%, les zones à sensibilité faible à moyenne couvrent plus de la moitié de la surface totale du bassin (51,87%) et les zones à sensibilité élevée et très élevée constituent 40,80% de la dite surface.

La partie aval est la plus touchée par l’érosion hydrique, notamment linéaire, où on a observé des badlands (Figure 7) particulièrement au niveau des monts des Traras, du sous bassin versant de Hammam Boughrara et du sous bassin versant de Sidi Abedelli. Ces deux derniers alimentent les plus grands barrages de la Wilaya (Hammam Boughrara et El Izdihar), mais le phénomène d’érosion, très actif à leur niveau, ramène annuellement, suite aux transports solides importants, une grande quantité de sédiments (Tableau 1). L’ampleur de l’érosion a induit aussi une perte considérable de terres agricoles.

Figure 7: Terrains agricoles ravinés (versant sud des monts des Traras, Avril 2017)

La partie amont grâce à sa composition lithologique résistante est moins sensible à l’érosion hydrique, notamment l’érosion Splash, mais la présence de pentes abruptes menace les villes en aval comme Tlemcen par des inondations catastrophiques, si une pluie abondante sature les sols et déclenche de forts ruissellements. Ce risque devient de plus en plus important suite à la dégradation du couvert végétal constatée au niveau de cette région. Les feux de forêts consomment chaque année des milliers d’hectares, le surpâturage et le défrichement empêchent la régénération du couvert végétal et l’extension de l’urbanisation diminue l’infiltration des eaux de pluies et augmente les écoulements à la surface.

La forêt domaniale de Tlemcen à titre d’exemple protège actuellement la ville de Tlemcen contre les inondations, mais son état vieillissant, en plus d’une régénération faible ou inexistante ne permettra pas à cette forêt de jouer son rôle protecteur dans le futur. Des arbres de Pin d’Alep âgés et inclinés s’observent le long de la route amenant au plateau de Lala Setti. Ces sujets menacent les utilisateurs de la route, car ils risquent d’être déchaussés avec le temps suite au phénomène d’érosion si des pluies abondantes et intenses de fréquence rare se manifestent.

Selon Roose et al. (2010), la plupart des averses en zone de montagne méditerranéenne ont une faible intensité et une faible énergie: les risques majeurs sont liés à des averses de fréquence rare, soit des orages très violents lors des changements de saison, soit des pluies longues et saturantes, provoquant des inondations considérables, des mouvements de masse, un ravinement torrentiel et un sapement des berges des oueds.

En effet, l’érosivité des pluies n’est pas déterminante du risque érosif en région méditerranéenne, mais c’est plutôt la susceptibilité des terrains (pentes fortes, substrats tendres et couvert végétal dégradé) et les pratiques humaines inappropriées qui sont les causes majeures. Les mauvaises techniques culturales favorisent le phénomène de l’érosion. La plantation selon la pente, l’extension de la céréaliculture sur des terres en pente et des cultures sous serre, la mécanisation, etc. sont fréquemment observées, notamment dans les zones montagneuses comme les Traras et Sebaâ Chioukh.

Plusieurs projets d’aménagements antiérosifs (reboisements, plantations fruitières, banquettes, correction torrentielle, fixation des berges, etc.) ont été réalisés pour lutter contre le phénomène de l’érosion hydrique dans tous les sous bassins versants de la zone d’étude, notamment dans les zones dites prioritaires d’intervention (à l’amont des barrages et des agglomérations). Néanmoins, ces projets manquaient souvent de pertinence, de suivi et d’entretien. Les actions antiérosives établies ne permettent pas parfois de freiner le processus d’érosion, mais plutôt de l’accélérer.

Le recours aux méthodes traditionnelles de conservation de l’eau et du sol, comme la confection de terrasses, la plantation selon les courbes de niveau, l’installation des haies vives ou mortes, la mise en place des cordons biologiques ou en pierres sèches pour briser la vitesse du ruissellement est conseillé actuellement. La gestion durable des terres par les agriculteurs, avant que l’érosion n’atteigne des stades avancés, permettra une bonne maitrise des transports solides et liquides et un gain d’efforts et d’argent.

CONCLUSION

Le bassin versant de Tafna montre une sensibilité élevée à l’érosion hydrique, particulièrement dans sa partie aval. Cette dernière est composée de substrats tendres (marnes, les calcaires friables, les schistes, les alluvions et sable) sensibles à l’érosion. Cette sensibilité est favorisée en plus par un couvert végétal dégradé ou totalement absent. Toutes les formes de l’érosion hydrique ont été observées sur terrain, mais les plus catastrophiques sont les badlands et les glissements de terrain, qui occasionnent des pertes considérables de terre agricole et mobilisent des transports solides importants menaçant les structures en aval (agglomérations, routes, barrages, etc.).

La partie amont présente une sensibilité moindre à l’érosion à cause de la prédominance de substrats résistants à l’impact des gouttes de pluies et aux cisaillements, mais la prévalence de terrains accidentés favorise le déclanchement de ruissellements de pointe, qui peuvent induire des inondations désastreuses si des pluies abondantes se déclenchent.

Pour diminuer le processus de l’érosion hydrique au niveau du bassin de Tafna, il faut d’abord réduire le processus de la dégradation du couvert végétal, le moyen le plus efficace et le plus durable dans la lutte contre la dégradation des sols. Il faut également s’investir plus dans :

- le reverdissement des bassins versants par la plantation d’arbres et d’arbustes;

- la régénération des vieilles forêts;

- la défense contre les incendies;

- le contrôle et la réglementation du pâturage;

- l’interdiction des mauvaises pratiques des agriculteurs et des agropasteurs;

- le recours aux techniques traditionnelles de conservation de l’eau et du sol ;

- la sensibilisation des populations des dangers qui menacent les générations futurs suite à la dégradation du support de vie «le sol».

C’est suite à toutes ces actions qu’on peut garantir un développement durable des sociétés, de l’environnement et de l’économie nationale.

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