Résumé

 Les montagnes du Pré rif oriental, sont fréquemment exposées à des évènements pluviométriques exceptionnels dont l’apparition est liée à des perturbations du secteur Nord-Nord-Ouest ou seulement à des orages d’origine thermo-convective. Leurs incidences sur ces milieux fragiles sont parfois catastrophiques : accélération de la dynamique érosive, glissements de terrain, inondations, dommages au niveau des routes et des infrastructures. Cependant, ces montagnes ont été soumises à de grandes mutations socio-économiques lors du XIXème siècle qui étaient à l’origine d’une réelle perturbation de la stabilité de l’écosystème Rifain. Cette situation est en train de s’aggraver par le développement progressif de nouvelles tendances au niveau du climat local. Toutes ces évolutions combinées renforcent la dynamique de dégradation des ressources naturelles.  Le présent papier propose d’étudier ces phénomènes et de mettre en relief les risques qu’ils peuvent engendrer dans un milieu où les sols sont déjà faibles.


Mots-clés: Rif, Maroc, pluies exceptionnelles, glissements, inondations, l’érosion des sols

INTRODUCTION

Les milieux de montagne sont particulièrement sensibles aux changements climatiques (Beniston, 2003). Ils figurent parmi les écosystèmes les plus sérieusement et rapidement touchés : ils peuvent être affectés par des changements de température et du régime des précipitations à toutes les échelles (Zemp et al., 2009). Neige et glace sont les principaux paramètres de contrôle du cycle hydrologique, en particulier des écoulements saisonniers, et peuvent influer sur la globalité du géosystème (roches, sols, végétation, débits de rivières...). Avec le changement climatique, la disponibilité en eau risque d’être réduite, avec des conséquences qui se feront sentir bien au-delà des régions de montagne (Lutz et Immerzeel 2013). De même, le changement climatique est susceptible de provoquer davantage de catastrophes naturelles ou économiques, d’autant plus que dans de nombreuses zones de montagne, les niveaux de pauvreté sont plus élevés et l’insuffisance alimentaire plus répandue que dans les basses terres (Kohler et al., 2014).

Dans le Rif, le climat est caractérisé par une grande variabilité temporelle et spatiale de ses éléments et a depuis toujours constitué un facteur de risque de dégradation. Il est du type méditerranéen et est composé de deux périodes distinctes, l’une estivale chaude et sèche et l’autre hivernale relativement froide et pluvieuse. Les précipitations en tant que facteur de production, d’une part, et en tant que force motrice de l’érosion, d’autre part, sont au centre de la problématique. Bien que le Rif reçoive les pluies les plus abondantes au niveau national, force est de constater qu’elles sont très irrégulières à toutes les échelles temporelles (annuelle, saisonnière, mensuelle). Le début de la période pluvieuse est loin d’être régulier, ainsi que sa fin. Les pluies surviennent généralement à la fin de l’été, sur des terres fragilisées, desséchées, fendillées, dénudées de toute végétation puisque même les chaumes sont broutés par le bétail. Elles arrivent donc directement au sol et l’érodent facilement. Dans ces conditions, le ruissellement est intense et les crues sont brutales et imprévisibles. De surcroît, les pluies sont brutales et se concentrent dans le temps. Le nombre annuel de jours de pluie varie de 80 à 90 à l’ouest et au centre; il est inférieur à 50 dans la partie Nord-est de la région. Parfois ces pluies se prolongent dans le temps, se produit alors une sursaturation des sols qui mène à une dynamique érosive presque généralisée sur les versants (Al karkouri, 2017).

Les montagnes du Pré rif oriental au nord de Taza, taillées essentiellement dans des séries marneuses tertiaires, ont été le siège de tels phénomènes pluviométriques au cours des dernières décennies. Leurs dégâts corollaires constituent, dans certains cas, une contrainte réelle pour le développement local de ces zones de montagnes enclavées. Les objectifs de cette étude sont principalement les suivants :

- Analyser la variabilité des précipitations maximales journalières à la station de Taza en vue de mettre le point sur leurs intensité ;

- Calculer leurs fréquence d’occurrences aux différentes périodes de retour afin de montrer leur impact éventuel sur le milieu étudié ;

- Analyser et étudier les situations météorologiques à l’origine de ces pluies exceptionnelles.

CONTEXTE ET MÉTHODES 

le Prérif est un milieu fragile

La région concernée fait partie du Pré rif oriental au Nord de Taza. Elle intéresse une bonne partie des deux bassins des oueds Lahdar et Larbâa. Le contexte structural est marqué par la prédominance de matériaux tendres, essentiellement marneux dans une structure tourmentée affectée de charriages. La quasi-totalité des terrains est occupée par des séries marneuses ou marno-calcaires datées du Crétacé ou du Néogène; exception faite des affleurements gréseux qui arment les sommets des unités allochtones.

Figure 1

L’approche méthodologique

L’approche adoptée dans cette étude repose sur l’utilisation des données de précipitations journalières et mensuelles à la station de Taza ; obtenues principalement à partir des archives des centres de travaux agricoles pour Taza, et des cartes de temps, relevées depuis le site wetter3.com. Ces données ont été utilisées pour caractériser des situations météorologiques.

Une première étude des averses exceptionnelles a été menée à l’aide des données quotidiennes des pluies disponibles, dans le but de définir la fréquence des différentes classes de hauteurs journalières et d’identifier les périodes de l’année correspondant aux pluies les plus intenses susceptibles de produire de l’érosion et générer des inondations. Pour prendre en compte ces évènements, nous avons procédé à une analyse fréquentielle portant sur les pluies journalières maximales.

Cette analyse permet de calculer la fréquence probable d’occurrence de telle ou telle valeur journalière pour la période de fréquence indiquée, ainsi pour la station de Taza , une série de 28 valeurs a été ajustées à une loi de Gumbel, par ailleurs les études antérieures intéressant les phénomènes d’érosion et d’inondation dans la région , nous ont permis d’avoir suffisamment de données pour souligner l’impact de ces évènements extrêmes sur le milieux pré rifains (Tribak,2000,2002 ; Akdim et al 2003)

LES INTENSITÉS PLUVIOMÉTRIQUES EXCEPTIONNELLES 

Durant les cinq dernières années les intensités pluviométriques journalières semblent croitre. Six mois de l’année ont connu leurs records journaliers depuis 1978-79. Il semble que l’élévation de la température de l’océan atlantique proche, à cause du réchauffement climatique, alimente l’évaporation ce qui permet aux systèmes pluviométriques d’avoir plus de potentiel hygrométrique (Janati et al., 2010).

Augmentation des maximas journaliers et leurs fréquences de retour

D’après le graphique (Figure 2), les maximas pluviométrques journaliers enregistrés à Taza n’ont pas dépassé les 100 mm depuis 1979-80. Le record de cette période est tombé le 9 mars 2010 avec 79 mm. Malgré la régression pluviométrique des années 80 on a pu enregistrer des maximas journlier dépassant 50 mm.Tandis que durant une vingtaines d’années les averses journalieres étaient moins intenses à Taza, moins de 42 mm à l’exception en 2002-03 où la station taza a reçu 58 mm le 14 novembre 2002 . En ce qui concerne la moynne des maximas journaliers, rares sont les années qui ont affiché une valeur moyenne dépassant 20 mm entre 1979-80/2007-2008 ; néanmois, dès 2008-09 on a pu enregistrer une moyenne des maximas journalier atteignant les 30 mm comme en 2009-10 et cette année 2012-13. En appliquant une courbe de tendance sur la série étudiée on peut relever une hausse notable des intensités pluviométriques journalières durant ces dernières années à la station de Taza.

Figure 2: Moyenne des maximas et maximas pluviométriques journaliers entre 1978-79 / 2012-13

L’application de la loi de Gumbel sur la fréquence de retour des phénomènes exceptionnels, montre au niveau des maximas pluviométriques journaliers à Taza, les résultats affichés dans le tableau 1. Ainsi il est possible d’enregistrer des valeurs excédants 100 mm tous les 15 ans et 150 mm tous les 75 ans.

Tableau 1: Pluies journalières de retour selon des durées données

Les situations pluvieuses à l’origine de ces pluies exceptionnelles

Les perturbations atlantiques frontales

Les perturbations atlantiques frontales, sont les systèmes les plus fréquents et celles qui approvisionnent le Maroc en ressources hydriques. Néanmoins, leurs capacités hygrométriques et leurs récurrences varient selon les années ou durant des phases humides et sèches. Leur activité accrue pendant les années d’efficience pluviométrique associée à une forte intensité pluviométrique est à l’origine des crues importantes des oueds qui menacent les plaines inondables et les centres urbains.

Pour le Prérif, le potentiel hygrométrique élevé de ces systèmes est responsable de risques d’inondations notables. Ainsi, pendant l’année 2008-2009 l’installation d’une activité cyclonique importante depuis septembre est à l’origine d’un apport exceptionnel de 591,6 mm en automne et 421,9 mm en hiver. De septembre à mars les situations WNW et WSW et N ont été efficaces pour 84,8%. Ci-dessous nous citons un des exemples de perturbations atlantiques les plus pluvieuses.

Du 29 novembre au 2 décembre 2008 l’ouest de l’Europe et le nord-ouest de l’Afrique était sous l’influence d’une vallée planétaire froide (Carte n° 1) au sein de laquelle les masses d’air polaires maritimes ce sont déplacées vers le Sud suivant une circulation méridienne. Au sol, une dépression à 985 Hpa centrée sur le golfe de Gascogne (Carte.2) était derrière la formation d’un front froid glissant en direction du Sud est vers les côtes marocaines. Le cumul de la séquence pluviométrique du 25 novembre au 1er décembre est de 128mm.

Carte 1 et 2

Intensités pluviométriques journalières issues des cyclogenèses locales et des orages

Les temps perturbés liés aux cyclogenèses locales automnales formées par les gouttes froides d’altitude sont les situations pluvieuses à craindre au niveau de Taza. Les oueds issus du versant Prérif riverain traversant la ville, se gonflent rapidement est charrient une quantité importante des eaux qui inondent leurs versants. Ainsi, la ville a été confrontée maintes fois aux risques des crues engendrées par ces types de temps dont nous allons analyser les genèses à travers deux exemples :

A- Situation du 13 octobre 1989

Cet événement pluviométrique s’est produit grâce à la présence d’une circulation de l’air polaire maritime vers le large du Portugal et du Maroc sous forme de goutte froide -20° en altitude (Carte. 3), ce qui a engendré une dépression de faible importance au sol. L’injection de cette goutte dans l’air tropical chaud est à l’origine d’une forte instabilité orageuse. S’approchant plus des côtes marocaines, la goutte a soulevé de l’air chaud saharien issue du centre algérien dont l’ascendance a été forcée par l’effet orographique du Haut et du Moyen Atlas. Le système nuageux se déplaçant du Sud est vers le NE (Carte. 4), a provoqué de fortes averses pluvieuses sur le Prérif. Les quantités tombées le 13 octobre ont été de l’ordre de 37,6 mm dans la vallée du haut Inaouène à Had Mssila, de 40,6 mm à Taza.

Carte 3 et 4

B- Situation du 25 septembre1950

Le 21 septembre 1950 une circulation de l’air polaire à -10° au niveau 500 Hpa issue de l’Europe était présente au-dessus du Maroc. Cette présence s’est renforcée par la descente d’une ondulation froide du courant jet au-dessus des côtes atlantiques européennes (Carte.5). Au sol, la cellule anticyclonique des Açores s’est étalée sur la Méditerranée occidentale, ce qui a permis d’acheminer de l’air humide sur le Maroc depuis le nord de l’Algérie. L’humidité relative au niveau 700hp est supérieur à 85% le 25-9 à 18 h (Carte.6). Des fortes averses tombées violement la soirée du 25, ont gonflé les cours d’eau qui, déferlant vers l’aval ont provoqué des dégâts matériels et humains considérables.

Carte 5 et 6

Alors Le climat de la région est marqué par de forts contrastes saisonniers et des irrégularités très nettes des précipitations, avec un total annuel entre 390 et 740 mm, selon les stations (Tribak, 2000). Néanmoins, ce total ne reflète ni la variabilité interannuelle et saisonnière des pluies ni leur agressivité. Les hauteurs d’eau sont généralement brutales et les importantes pluies se concentrent en quelques jours sur la saison humide. La région constitue un vieux foyer démographique où la sédentarisation est très ancienne. Les densités humaines restent toujours impressionnantes, malgré l’allègement dû aux mouvements migratoires. Elles atteignent un record de 100 h/km² avec une densité moyenne de 76 h/km² pour l’ensemble de la région.

L’IMPACT DES PLUIES INTENSES SUR LE MILIEU 

L’occurrence de tels évènements pluvieux exceptionnels tant par les quantités de pluies que par leurs intensités alimente les processus de la dynamique érosive qui se manifeste par différentes modalités. Des glissements de terrain de taille variée, remis en mouvement lors de ces épisodes, perturbent de nombreux versants menaçant infrastructures et installations humaines (Photo 2-3). L’érosion ravinante (Photo 1) est à l’origine d’une production excessive de sédiments dans cette zone marneuse, dont l’exportation vers les cours principaux menace sérieusement les installations hydrauliques à l’aval. Les pertes moyennes en terres dans la région, évaluées à l’aide d’un Système d’Information Géographique, sont estimées à 61 t/ha/an (Tribak et al., 2006). Le barrage Idriss1er, situé sur l’Oued Inaouène, reçoit annuellement d’énormes quantités de matériaux provenant essentiellement de la partie pré rifaine du bassin.

Photo 1 et 2

Photo 3

CONCLUSION

Il s’agit d’évènements qui donnent des quantités très importantes d’eau en quelques jours, voire en quelques heures seulement avec des intensités instantanées très élevées. Leur occurrence est liée à des perturbations du secteur N-NW ou seulement à des orages d’origine thermo-convective. La succession rapprochée de ces évènements pluviométriques exceptionnels, pendant les dernières décennies constitue des sources de risques menaçant les montagnes du Prérif oriental ainsi que d’autres zones des provinces septentrionales du Maroc. Ces pluies, violentes et concentrées dans le temps, interviennent directement dans les mécanismes d’érosion et d’inondations. Leurs incidences sur les milieux rifains s’avèrent parfois catastrophiques (drames humains et préjudices économiques). Néanmoins, l’ampleur croissante de ces risques et de leurs corollaires met également l’accent sur le rôle d’autres facteurs physiques et anthropiques. La nature marneuse des formations lithologiques ainsi que les pratiques agricoles et la nudité quasi-totale des terrains sont ainsi mises en accusation.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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