Réseautage social et conduite de la transhumance au Nord Bénin
Résumé
Cet article décrit les différentes relations que éleveurs les transhumants entretiennent avec les différents acteurs durant leurs trajets. A cet effet, les données ont été collectées auprès de 52 transhumants choisis de façon aléatoire, en se positionnant à l’entrée des pistes de transhumances. Les principales données collectées sont relatives à l’organisation sociale de la mobilité, aux formes d’accès à l’espace pastoral dans les sites d’accueil, à la nature des interactions avec les acteurs locaux et aux rôles des structures d’appui dans le processus de la transhumance. Les résultats indiquent que durant leur séjour sur un territoire, les transhumants entretiennent diverses relations avec les hôtes, à savoir la recherche d’information, la monétarisation pour l’accès aux infrastructures pastorales, l’achat des fourrages, des contractualisations pour l’exploitation des résidus de récoltes ou des contrats de parcage des bœufs dans les champs après les récoltes. Ils entretiennent également des relations de clientélisme avec des structures étatiques, dont l’Agence Territoriale de Développement Agricole (ATDA) et le chef poste vétérinaire ou la Section Communale des Eaux, Forêts et Chasse.
Mots clés: Réseautage social, transhumance, réciprocité, Banikoara, Bénin
INTRODUCTION
L’élevage représente le deuxième champ d’activité du secteur agricole béninois avec en 2017, un effectif de ruminants estimé à près de 2.500.000 têtes de bovins et 3.000.000 têtes de petits ruminants (Cellule Environnementale du MAEP, 2020). Ils sont élevés dans un système extensif caractérisé par l’exploitation du parcours naturel à travers des déplacements réguliers des animaux et des éleveurs à la recherche de ressources pastorales (eau et pâturage). Malgré cette importance capitale, le pastoralisme transhumant demeure très complexe avec l’instauration de codes et lois qui préservent les sites qui sont les plus potentiellement exploitables (Lesse et al., 2015) et qui régulent la mobilité (Brottem, 2021). A ces facteurs réglementaires, s’ajoutent les facteurs climatiques et démographiques qui affectent la vie des animaux et des communautés d’éleveurs, rendant conflictuel, le climat social entre acteurs du monde agricole et pastoral. Le développement de l’élevage et de l’agriculture, surtout l’accroissement du cheptel et l’extension des domaines exploités ont également engendré une modification de la dynamique de l’occupation du sol.
Face à ces contraintes, les éleveurs développent des stratégies d’adaptation basé sur leur réseau social. Dans la conduite de la transhumance, les pasteurs s’appuient sur des réseaux de relations et d’accords avec des acteurs, à l’échelle individuelle et collective, en vue d’accéder à des ressources permettant de maintenir leur activité d’élevage pastoral (Alidou, 2016). Ces accords se construisent à travers des systèmes d’échanges, de dons et de contre-dons qui donnent accès à des droits mais impliquent également des devoirs et des obligations. Cet article vise à comprendre les mécanismes qui sous-tendent la naissance de ces relations, nécessaires à la pérennité du pastoralisme.
CADRE THÉORIQUE
Capital social et transhumance
La mobilité pastorale se joue entre plusieurs individus ou groupe de personnes ayant les mêmes objectifs (FAO, 2021). C’est ce réseau d’acteurs qui est utilisé par le transhumant pour produire puis disséminer des informations et bénéficier des appuis le long de son itinéraire de parcours (Ofoegbu et al., 2018). Pour Walther (2015), l’information diffusée par le canal des réseaux atteint facilement les endroits les plus reculés grâce à un réseau dense d’acteurs.
L’ancienneté de la transhumance fait par exemple que certains éleveurs connaissent un certain nombre de personnes sur le parcours (agriculteurs, éleveurs, élus locaux, cadres administratifs) qui pourront les informer sur les règles et habitudes de la zone et les aider en cas de problèmes (Schönegg et al., 2006). Ceux-ci seront rétribués par des paiements comme par des cadeaux ou par d’autres services (prêt d’un animal, fumage d’un champ). Dans les zones d’accueil et sur les points d’eau payant, les éleveurs payent ou font un don en nature au responsable de ce site (le chef de village par exemple).
Ces négociations pour l’accès aux ressources sont d’autant plus aisées qu’une réciprocité existe entre les groupes d’accueil et les transhumants. Cette réciprocité peut aussi être vue à travers des échanges de service entre les groupes. Des alliances sont donc tissées avec des acteurs et des institutions pour prévenir et gérer les éventuels problèmes lors de la pénétration sur un territoire étranger. L’alliance avec les services techniques devrait également permettre de faciliter les discussions avec les services administratifs du territoire. Les alliances amicales ou matrimoniales permettent donc d’offrir une sécurité et sont construites et entretenues par la pratique régulière de la transhumance (Bonnet, 2013).
Selon Plane et Torres (1998), les bénéfices issus de l’appartenance à un réseau se partagent aussi en conseils stratégiques et en prestations fonctionnelles et opérationnelles (assistances technique, commerciale, financière, sociale).
Pour cette étude, il s’agira d’analyser à travers cette théorie les mécanismes qui sous-tendent la naissance de ces relations, tels que la confiance, la solidarité, la coopération et l’altruisme tout nécessaires à la pérennité du réseau et à son développement.
Réseau social et réciprocité
La réciprocité est un moyen de sécurité sociale dans les sociétés pastorales traditionnelles. En Afrique de l’Est, les réseaux d’individus qui s’empruntent des animaux en cas de besoin, et cette pratique est parfois appelée «mendicité réciproque» (Dyson-Hudson et Dyson-Hudson, 1969) ou «économie morale» (Niamir-Fuller et Turner, 1999). Les «comptes» sont rarement réglés, mais les gens se souviennent de ceux à qui ils ont emprunté et de ceux à qui ils ont prêté (Johnson, 1999). Ce réseau complexe d’endettement permet aux individus de prendre des risques plus importants qu’ils ne le feraient autrement, sachant qu’ils peuvent «demander» des animaux aux membres de leurs associations d’éleveurs si nécessaire. A la suite de la perte d’animaux à grande échelle, les rafles ont pour conséquence que les habitants des zones les moins touchées «subventionnent de force le rétablissement des zones les plus gravement touchées» (Swift, 1998).
La réciprocité peut également prendre la forme d’une autorisation de faire paître d’autres personnes sur son territoire lorsque des conditions de sécheresse caractérisent les territoires locaux (Fernandez-Gimenez et Le Febre, 2006), d’un accueil des membres non essentiels de la famille provenant d’une zone de sécheresse (Swift, 1998) ou d’une autorisation de passage sur son territoire. Nourrir et loger les invités est une autre forme de réciprocité (Gannon, 2001). Un cheikh de village au Soudan reçoit des réfugiés érythréens, «pas par choix mais j’ai été obligé de les recevoir parce qu’ils étaient voisins et musulmans» (Bascom, 1990). Les normes sociales exigent que ces demandes soient satisfaites, et l’on pense que le fait de donner des avantages à celui qui les donne plutôt qu’à celui qui les reçoit (Mackey, 1987). Refuser une demande est une honte pour soi-même et sa famille et empêche de recevoir de l’aide à l’avenir lorsque les conditions changeront à nouveau.
MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
Milieu d’étude
Cette étude a été menée dans la commune de Banikoara. Sa position géographique est 11° 18′ 00″ Nord, 2° 26′ 00″ Est. Située dans le département de l’Alibori au Bénin, la commune de Banikoara offre un contexte propice à l’étude de la transhumance des éleveurs. Cette zone fait partie du bassin cotonnier du pays, qui est reconnu pour sa production importante de coton à l’échelle nationale(Assa et al., 2023). La Commune de Banikoara est limitée au Nord par la Commune de Karimama, au Sud par les Communes de Gogounou et de Kérou, à l’Est par la Commune de Kandi et à l’Ouest par le Burkina Faso. Toutes ses communes connaissent annuellement une forte affluence de communauté de transhumance.
Le climat de la commune est caractérisé par une forte saison sèche, typique de la région. Avec une pluviosité annuelle variant entre 800 et 1100 mm, une température moyenne de 24 à 31°C et une insolation de 2862 heures par an, le climat soudanien sec favorise les activités agropastorales (Kate et al., 2015). La végétation est principalement constituée de savanes arborées, herbacées et de forêts clairsemées. Cette diversité végétale offre aux éleveurs des possibilités de pâturage variées tout au long de l’année, ce qui est crucial pour assurer la santé et la productivité du bétail. Couvrant une superficie d’environ 4 383 km², l’élevage représente la deuxième activité après l’agriculture. Dans le domaine de l’élevage, cette commune occupe le premier rang en tête de bovins. On y rencontre également l’élevage de petits ruminants (caprins et ovins) sans oublier les volailles. La figure 1 présente la commune d’intervention de l’étude.
Échantillonnage et Collecte des données
Le choix des transhumants à enquêter s’est fait selon le mode d’échantillonnage mixte, combinant l’échantillonnage accidentel à l’échantillonnage dit boule de neige. Accidentel, pour le fait que pour appréhender les transhumants à enquêter, des agents enquêteurs ont été positionnés au niveau des points d’entrée des couloirs de passages et des itinéraires régulièrement empruntés par ces transhumants. La méthode de boule de neige a ensuite été utilisée pour appréhender le réseau social de chaque transhumant à enquêter. Cette approche a consisté à demander à chaque transhumant d’identifier des personnes dans son réseau avec lesquelles il a entretenu une relation spécifique. Une fois qu’il a répondu à nos questions, tous les individus qui ont été identifiés sont contactés pour participer à l’enquête. Ainsi, après avoir appréhendé un transhumant, le nécessaire a été fait pour identifier tout son réseau. Chaque acteur a été rencontré dans son milieu en un ou plusieurs passages afin de compléter les données déjà collectées au cours des premiers passages. Au total, 52 transhumants ont été enquêtés. Cet effectif a permis d’obtenir une bonne représentativité des informations. Outre le travail d’enquête, des suivis éventuels de troupeaux ont été faits (dans la mesure du possible) pour voir et identifier concrètement les comportements et les stratégies adoptées par les transhumants et comment ils utilisent leurs réseaux dans la conduite du troupeau. Les données primaires sont collectées grâce à un questionnaire structuré construit sur le serveur Kobotoolbox, digitalisé sur smartphone et adressé aux transhumants par interview directe. Les données secondaires ont été obtenues grâce à la revue documentaire réalisée tout au long de la recherche.
Principales données collectées
Les principales données collectées sont relatives à l’organisation sociale de la mobilité, aux formes d’accès à l’espace pastoral dans les sites d’accueil, à la nature des interactions avec les acteurs locaux, aux rôles des structures d’appui dans le processus de la transhumance, etc…
Analyse des données
Les données collectées sont transférées directement de la plateforme créée sur le serveur Kobotoolbox vers Excel. Elles ont été soumises à un apurement complet avant le processus d’analyse sur le logiciel Excel2016. La statistique descriptive et l’analyse du contenu des discours ont permis de traiter les informations collectées.
RÉSULTATS
Organisation sociale de la mobilité
Bien que variable d’un groupe à un autre, l’organisation de la mobilité fait partie intégrante du capital social des pasteurs. Elle n’est généralement pas une pratique individuelle, au vu des risques que comportent les déplacements des troupeaux sur de longues distances et vers des lieux parfois mal connus. Cette organisation sociale de la mobilité s’appuie sur des rôles précis et reconnus au sein du groupe : éclaireurs, informateurs, médiateurs et logeurs, principalement. Elle exige des temps forts de concertation entre les familles et des groupes de pasteurs. Ces échanges sont très essentiels quant aux prises de décision de mobilité qui engagent ensuite les chefs de famille individuellement. Les chemins de parcours sont donc choisis pas suivant un itinéraire fixe mais selon la possibilité de trouver des zones de disponibilité de ce capital social.
Après concertation, la première chose est d’envoyer quelqu’un suffisamment tôt dans la saison pour faire le point sur l’état des pâturages, des points d’eau le long du parcours et trouver une zone où les animaux pourront séjourner. Il se renseignera sur les animaux déjà présents, sur les maladies existantes, sur les risques d’insécurité, etc.
Sur la base des informations recueillies, des affinités et des expériences acquises au cours des années précédentes, chaque éleveur ou chaque famille décidera de son parcours et des dates de départ. Ils se rassembleront avec d’autres éleveurs pour former des petits groupes (5 à plusieurs dizaines de troupeaux). Ceci leur permet de pouvoirs s’entraider tout au long du parcours. Chacun de ces groupes désigne un responsable qui sera chargé de guider le groupe, voire de le précéder pour annoncer leur venue et négocier les droits d’accès aux pâturages et à l’eau quand cela est indispensable.
En général ce n’est pas l’ensemble du groupe familial qui part en transhumance. Une partie de la famille reste sur place (les vieux, les femmes, les enfants) avec les animaux les plus faibles et quelques vaches laitières. Ce sont essentiellement les jeunes bergers d’âge moyens compris entre 15 et 30 ans qui partent en transhumance. Ils sont généralement peu nombreux, généralement deux personnes par troupeaux. S’ils n’attachent pas les animaux, ils sont pratiquement obligés de les garder de jour comme de nuit. Ils vont donc essayer de rechercher des zones spacieuses, avec le moins de champs possibles où le gardiennage des animaux n’est pas trop exigeant. Ils sont parfois accompagnés de quelques femmes qui pourront ainsi commercialiser le lait. Tout au long du parcours les éleveurs auront des dépenses (alimentation, abreuvement des animaux, taxes, amendes, …) qu’ils régleront grâce aux animaux vendus dans les marchés le long du parcours.
Dans les zones d’accueil et sur les points d’eau payant, les éleveurs payent ou font un don en nature au responsable de ce site (le chef de village par exemple). Ces négociations pour l’accès aux ressources sont d’autant plus aisées qu’une réciprocité existe entre les groupes d’accueil et les transhumants. Cette réciprocité peut aussi être vue à travers des échanges de service entre les groupes.
Négociation pour l’accès à l’espace pastoral dans le terroir villageois
Généralement le choix du village de séjour se fait en fonction de la disponibilité fourragère et de la connaissance d’un parent proche, d’un ami ou d’un allié. En effet, avant leur arrivée dans le village, les transhumants se renseignent sur la personne mieux indiquée pour l’accès à l’espace pastoral. Ils envoient leurs représentants prendre contact avec le chef des éleveurs locaux du village pour avoir plus d’informations.
Les données collectées indiquent que l’accès à l’espace pastoral pour les transhumants est assuré généralement par le Chef village élu ou le chef traditionnel (56%). Elle se fait également par la Section Communale des Eaux, Forêts et Chasse (29%) ou par le comité de transhumance (15%). En effet, pour séjourner dans un village, les éleveurs transhumants se dirigent majoritairement vers le Chef village élu ou le roi. La prise de contact est sanctionnée par les désirs des hôtes et l’information est relayée auprès du chef de tous les peuls.
Cela s’explique par le fait que les agents des Eaux, Forêts et Chasse ne résident habituellement pas dans les villages et par l’inexistence ou le non-fonctionnement des comités de transhumance.
La figure 2 présente le processus d’accès à l’espace pastoral villageois.
Le chef village joue des rôles importants dans le contrôle des terres d’accueil des transhumants. Ces chefs villages élus sont pour la plupart à leurs postes depuis de longues années. Certains cumulent les prérogatives de la Section Villageoise de Gestion Foncière et du comité de transhumance, en assurant la présidence des deux instances connues pour être impliquées dans l’accueil des pasteurs transhumants. Le chef village élu se fait également assister au besoin par les sages et notables du village en l’occurrence le chef de terre.
La Section Villageoise de Gestion Foncière est une institution locale instituée par la loi n°-017-15 modifiant-et-complétant-la-loi-n°-2013-01 du 14 août 2013 portant code foncier et domanial en République du Bénin pour assurer la gouvernance responsable du foncier au niveau local (Article 428). Là où elles sont actives, la SVGF est présidée par le Chef Village. Les autres membres sont le chef terre, le roi, le chef Peulh, un élu local et les représentants des sages, des femmes et des jeunes. Elles interviennent le plus souvent dans les villages où il n’y a pas de rois ou encore là où il existe rarement des comités de transhumance, parfois installés, mais non opérationnels.
Lorsque le séjour est accordé, les pasteurs transhumants bénéficient du droit d’accès ou de passage et du droit de prélèvement. Aucune distinction n’est faite par les enquêtés sur le droit d’accès et le droit de prélèvement. Il s’agit ici de prélèvement lors de la traversée des animaux dans les zones de pâture et il est difficile de faire traverser sans effectuer de prélèvement si les résidus sont disponibles.
Nature des interactions avec les acteurs locaux
Recherche d’informations
Le renseignement est très capital et très déterminant dans la conduite de la transhumance. Il permet de gérer les incertitudes et de minimiser les risques. Avant toute initiative de transhumance, les transhumants prennent des renseignements concernant l’état des pâturages et des points d’eau, mais aussi les patrouilles forestières, les maladies liées au bétail, la localisation de nouvelles zones cultivées, les zones de conflit, les champs ou espaces mis en défend par les autorités coutumières locales, par suite de conflits fonciers, etc. Les agriculteurs disposant des résidus de récolte dans leur champ, de même que les vétérinaires locaux sont également les acteurs qui interagissent avec les transhumants. La collecte de ces informations permet de décider de l’itinéraire de transhumance et de mieux préparer les stratégies de gestion des risques et incertitudes. L’information collectée est ensuite diffusée aux autres membres du groupe de transhumance. Les principaux informateurs évoqués sont les éleveurs locaux du milieu d’accueil, les chefs-villages, les chefs peulhs, les marchés, les cadres de l’administration au cas où ils ont des affinités avec ces derniers. Les types de renseignements recherchés, par ordre d’importance sont présentés dans la figure 3.
Les données collectées indiquent que les renseignements les plus cités concernent l’état des points d’eau et des pâturages évoqués par tous les transhumants enquêtés. La 3ème information la plus recherchée concerne l’existence de cabinet vétérinaire (90%). Ces trois informations viennent en tête compte tenu de leur importance pour la survie du troupeau le long du parcours de transhumance.
A la suite de ces trois informations recherchées, viennent la possibilité de négocier l’exploitation des résidus de récolte (84%), les zones de conflit (72%), les nouvelles zones de cultures (50%), la localisation des zones mises en défend (48%) et l’existence des patrouilles forestières (32%). L’analyse de ces informations indique que les transhumants ont un souci d’anticiper la survenu des conflits avec les différents acteurs que sont les agriculteurs et les agents des Eaux, Forêts et Chasses. L’obtention de ces informations permettent de se préparer à des contractualisations pour accéder aux résidus de récoltes, de se préparer à contourner la patrouille forestière ou à respecter les normes existence, y compris la soumission aux rançonnements et à éviter les zones mises en défend.
Les autres informations recherchées sont indirectement liées aux premières informations collectées. Il s’agit des conditions d’accès aux infrastructures pastorales, notamment les espaces pastoraux, les marchés à bétail, les points d’eau, les aires de vaccination, etc.
Alliances avec les éleveurs locaux
Les éleveurs locaux sont ceux qui fournissent plus d’informations aux transhumants. Les informations fournies concernent l’état des pâturages et des points d’eau, les patrouilles forestières, les maladies liées au bétail, la localisation de nouvelles zones cultivées, les zones de conflit, les champs ou espaces mis en défend par les autorités coutumières locales, par suite de conflits fonciers, etc.
La transhumance, c’est aussi le lieu où les jeunes bouviers tissent des relations avec les autres éleveurs. Elle permet d’avoir des animaux d’attache auprès de ces amis. Elle est l’occasion de rencontres, de fêtes, de création de nouveaux liens sociaux, d’alliances matrimoniales pouvant aboutir au mariage et de valorisation économique ponctuelle.
C’est également un moment particulier de retrouvailles pour les jeunes hommes qui mettent à épreuve leur force et leur bravoure.
Monétarisation pour l’accès aux infrastructures pastorales
La monétarisation intervient pour l’accès aux infrastructures pastorales. En effet, de collecte de ressources sont mis en place autour des différentes infrastructures. A Banikoara, réglementairement, les redevances payées pour accéder aux marchés à bétails varient de 1000 F CFA à 2000 F CFA par tête de bovin vendu au comité de gestion. Ces recettes sont réparties suivant une clé de 50%-25%-25% entre respectivement le comité de gestion qui en assure leur fonctionnement et entretiens nécessaires ; la mairie en tant qu’autorité locale et l’Union Communale des Organisations Professionnelles des Eleveurs de Ruminants (UCOPER) en tant que représentante de la faîtière communale des éleveurs.
L’accès aux barrages et retenues d’eau aménagées est conditionné à un paiement d’une redevance allant de 1 000 par troupeau/an à 5 000 F CFA par troupeau/an, en fonction du site et selon que les pasteurs soient sédentaires, transhumants, nationaux ou étrangers, passagers ou réguliers. Par exemple, les éleveurs sédentaires paient 1000 F CFA par troupeau et par an pour accéder au barrages et retenues d’eau aménagée pendant que les transhumants paient parfois jusqu’à 10 000 F CFA par troupeau et par an, alors que le séjour de ces derniers est relativement plus court. Un transhumant, qui séjourne régulièrement sur les sites et qui a tissé de bonnes relations avec les comités de gestion peut bénéficier des mêmes tarifs qu’un sédentaire.
Mais aujourd’hui, avec la politique du gouvernement interdisant la transhumance transfrontalière, l’arrivée des transhumants étrangers est limitée, à l’exception de quelques exfiltrées.
Devant les difficultés récurrentes d’accès aux ressources naturelles, tant pour l’eau que pour la vaine pâture, les pasteurs n’hésitent pas à acheter les droits d’accès aux villageois et aux agriculteurs. Ces tarifs restent également très inégalitaires, car ils sont fonction des complicités et de l’histoire relationnelle entre les parties mais la transaction financière a bien remplacé le geste et les salutations d’antan. De plus, le réinvestissement des sommes collectées par la vente de l’eau vers un bon entretien des forages n’est pas effectif.
Relation avec le chef poste vétérinaire, les Sections Communales des Eaux, Forêts et Chasse et la Cellule Communale de l’ATDA
Avant l’initiative du gouvernement en rapport avec le projet de Sédentarisation, le séjour des transhumants sur le territoire s’accompagne de divers types de taxes à verser aux services forestiers, aux municipalités qui délivrent des laisser-passer. A cela s’ajoute le laisser-aller délivré par les vétérinaires après les vaccinations.
Ainsi, entre l’administration publique et les transhumants, on voit une relation clientéliste au coup par coup. Par exemple, les vétérinaires en charge des opérations de vaccinations des troupeaux transhumants ne respectent pas leurs cahiers de charge qui est d’aller à la rencontre des transhumants sur leur aire de couverture. Selon un transhumant:
«Les vétérinaires exigent plus de frais qu’il en faut pour la vaccination des animaux (au lieu de 130 FCFA par tête de bovin). Ils demanderaient de payer jusqu’à 1000 FCFA parfois par bétail».
A cela, s’ajoute certaines réticences dues au fait que les vaccinations affaiblissent le troupeau qui n’arrive plus à tenir sur de grandes distances. Selon un transhumant:
«Lorsque nous vaccinons nos bêtes, elles n’arrivent plus à tenir le long du parcours».
Si le laisser-passer reste aujourd’hui un papier qu’on ne peut pas délivrer et que la régulation des contrats ne se justifie pas non plus, il reste des marges de manœuvre assez étroites pour des transhumants qui n’ont certes pas disparu.
Quant aux vétérinaires, ils se plaignent de l’indélicatesse des transhumants qui parfois refusent de vacciner leurs bêtes et menacent même ces derniers avec des armes blanches ou létales. De plus certains contournent où évitent les vétérinaires pour ne pas avoir à payer les frais de vaccination.
L’intégration des pasteurs transhumants dans les instances de prise de décision et la régulation devient également un élément critique. On relève majoritairement des pratiques sur taxation des pasteurs, par les autorités communales en lien avec la décentralisation.
Recours aux marchés fourragers
Le recours aux marchés fourragers permet aux transhumants d’acheter des tourteaux de coton, le son de céréales, les graines de coton, le foin et les feuilles de certains ligneux. Cette stratégie leur permet à certains de constituer des réserves d’aliment. En effet, la rareté des ressources fourragères fait que les éleveurs tissent des alliances avec des commerçants de fourrage et des vendeurs circonstanciels. Aujourd’hui, le commerce d’aliments de bétail devient nettement plus présent que par le passé.
Les pasteurs peuvent être amenés à acheter de l’aliment de bétail afin de sécuriser les animaux en temps de pénurie. Toutefois, dans le cas des crises profondes, les aliments deviennent trop chers et ne répondent plus au problème posé. Dans ces conditions, les affinités entre vendeurs et transhumants sont des facteurs qui affectent l’accès à la ressource fourragère pour ces derniers.
Il arrive que les résidus de récolte soient vendus directement sur la parcelle, à des prix variables selon l’estimation faite sur quantité. La photo 1 montre des troupeaux de transhumant exploitant des résidus dans un champ de niébé et de maïs après récolte.
Contractualisation pour l’exploitation des résidus de récolte
Les difficultés liées à la gestion de l’espace et à la rareté des ressources pastorales et agropastorales obligent les agriculteurs et les éleveurs à développer des stratégies de cohabitation. L’une de ces stratégies est la contractualisation, généralement orale, pour l’exploitation des résidus de récolte. Les données d’enquête indiquent qu’environ 29% des transhumants ne font aucune forme contractualisation pendant la conduite du troupeau, contre 71% qui le font. Plusieurs formes de contractualisations ont été observés sur le terrain. Il s’agit de:
• L’exploitation des résidus contre fertilisation (19%). Ce type de contractualisation intervient dans un but de fertilisation, des agriculteurs sollicitent un séjour de troupeau sur leur champ devant abrité les prochaines cultures. Cela est souvent facilité par leur relation d’amitié ou à une forme de contractualisation spontanée dont les clauses sont définies à l’avance;
• Dons en nature et en espèce contre exploitation des résidus (17%). L’accès aux résidus de récolte se fait à la fois contre des dons en nature et en espèce;
• L’exploitation des résidus contre des dons en nature (15%). L’accès aux résidus de récolte se fait contre des dons en nature, à savoir les petits ruminants, le lait, etc…
• L’exploitation des résidus contre paiement en espèce (10%). Ce type de contrat, généralement oral et informel n’est pas répandu dans notre zone d’étude. Il s’agit d’une forme de collaboration où l’accès au résidus de récolte est conditionné à un paiement en espèce;
• L’exploitation des résidus de récoltes contre la main d’œuvre (10%). De la même façon, des éleveurs bénéficient de l’exploitation des résidus post-récoltes de maïs, d’arachide ou de niébé après avoir servi de main d’œuvre aux agriculteurs dans les champs de coton. Cette forme d’alliance apparait très bénéfique pour les deux parties d’autant plus que la main d’œuvre est souvent très rare et problématique en période de récolte dans la commune de Banikoara. C’est également une période où les ressources pastorales commencent à se raréfier. Cette stratégie est utilisée aussi bien pour les animaux qui partent en transhumance que pour des lots d’animaux qui ne partent pas en transhumance.
La figure 4 présente les modalités fréquemment appliquées pour l’accès aux résidus de récolte.
Contrat de parcage des bœufs dans les champs après les récoltes
C’est une forme de contrat qui lie les éleveurs aux agriculteurs; il peut se présenter sous la forme d’un troc, ou bien une vente de déjections animales sur la base de prix convenus dans le contrat. (Ex. 1500 FCFA la charrette de déjections animales).
Dans ce type de collaboration, les animaux passent les nuits sur la même aire pendant une dizaine de jours dans le champ et se déplacent ensuite sur une autre aire. En moyenne un animal peut fumer 100 m2 pendant deux mois. Pour fumer un hectare, il faut faire circuler un troupeau de bœufs de 30 à 40 têtes pendant environ quatre à cinq mois. Le grand nombre d’animaux qu’exige cette forme de fertilisation fait que seulement les éleveurs-transhumants peuvent fournir le service.
Rôles des structures d’appui dans la gestion de la transhumance
Les éleveurs transhumants bénéficient également du soutien de certains acteurs étatiques et des structures d’appui. Cette section présente ces principaux acteurs et leur rôle dans la gestion de la transhumance.
Rôle du Ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche (MAEP) et des Agences Territoriales pour le Développement Agricole (ATDA)
Le MAEP prend des arrêtés pour protéger les populations des éventuels conflits provenant de la transhumance. C’est justement ce qui a conduit à la fermeture des frontières pour les transhumants provenant des autres pays. Aussi, ils accompagnent les acteurs locaux sur les plans financiers et techniques pour une bonne organisation de leurs activités. Le MAEP à travers les ATDA a pour rôle de contrôler la vaccination des animaux et font le compte-rendu au Comité de contrôle sanitaire des troupeaux, participe au constat et à l’évaluation des dégâts sur les cultures et éventuellement sur les animaux, contrôle la possession du certificat international de transhumance (CIT). Depuis décembre 2019, le contrôle sanitaire des troupeaux transhumants ne s’observe plus. Les vétérinaires évoquent l’interdiction de la pratique de la transhumance transfrontalière dans un contexte de fermeture des frontières comme principale raison. Ceci se confirme par les propos d’un vétérinaire que voici:
«Depuis l’interdiction de la transhumance, le mouvement des transhumants a considérablement diminué; ils nous évitent».
Rôle des ONGs
Les projets et ONGs sont beaucoup plus concentrés sur la gestion des conflits entre agriculteurs et éleveurs nationaux. Elles fournissent des efforts pour faciliter une synergie d’actions entre les acteurs de la transhumance et assure une cohésion sociale entre agriculteurs et éleveurs à travers la prévention des conflits.
GERED ONG par exemple privilégie l’accès aux informations relatives aux décrets et lois pris par le gouvernement sur la date et/ou période de pratique de la transhumance. Elle intervient également dans l’organisation (mise en place de mécanismes de concertation et d’arbitrage centrés sur les organisations traditionnelles), permettant aux éleveurs transhumants d’accroître leurs performances économiques (augmentation du cheptel grâce à l’ouverture de pâturage autour des nouveaux points d’eau) tout en contribuant à améliorer l’environnement (diminution du surpâturage grâce à l’amélioration de la mobilité).
Rôle des associations pastorales
A côté des ONG, on retrouve l’Union Coopératives des Professionnels d’Éleveurs Ruminants (UCOPER). Elles s’occupent de la défense des intérêts des éleveurs, de prévenir les conflits, de renforcer les capacités des adhérents, d’informer les éleveurs, de créer une atmosphère de solidarité, de négocier et de sensibiliser les éleveurs sur le respect de la réglementation en vigueur dans le cadre de la transhumance. Dans ce contexte d’interdiction de la transhumance transfrontalière, les sensibilisations vont uniquement à l’endroit des éleveurs locaux.
Mairie, les Conseillers et le Comité Communal de transhumance
La mairie se charge de la coordination des activités de transhumance de la commune de Banikoara (planification des activités, réunions, préparation du déroulement de la transhumance, définition des différentes taxes), la recherche d’appui (programmation). Elle contribue au renforcement de capacité, à l’économie locale de même qu’à la formation sur la gestion des couloirs de passage, et elle participe aussi aux activités d’évaluations des dégâts.
Elle intervient également dans la gestion des conflits. Il faut dire que la fermeture des frontières et l’interdiction de la transhumance ont amoindri les conflits entre transhumants venant des autres pays et les agriculteurs et/ou éleveurs de la commune, ce qui réduit leurs interventions dans la gestion des conflits. Cela permet aujourd’hui de rendre accessibles les informations et les décisions prises par l’État pour punir les transhumants occasionnant les dégâts.
Hier, très sollicité du fait de la transhumance en pleine expansion, la mairie aujourd’hui dans le contexte de fermeture des frontières se retrouve dans une posture de veille, pour décourager en un premier temps les transhumants qui veulent passer au forceps très souvent en mettant en danger les biens des populations locales. En un second temps, pour les rappeler à l’ordre et éviter que des transhumants aient accès aux ressources naturelles en application des textes interdisant la transhumance transfrontalière dans un contexte de fermeture des frontières. Aussi, le personnel sollicité pour la collecte des taxes a connu un arrêt de leur activité suite à l’arrêt de la transhumance, la mairie n’a donc presque plus de taxe à percevoir.
Plus loin, cette situation impose à la mairie de se retrouver dans une perspective afin d’organiser désormais la transhumance de façon structurée dans le souci de ne pas voir le territoire ingérable dès la levée de l’interdiction, pour cela, elle envisage de créer un espace de pâturage de 300 ha d’espèces fourragères où séjourneront désormais les transhumants.
Services forestiers
Les services forestiers ont essentiellement pour rôles, la protection des aires protégées tel que la forêt classée, le Parc W et la délimitation des zones de pâturages. Aussi, ils se chargent de matérialiser les couloirs de passage des animaux dans les terroirs, où l’activité pastorale est importante. Ces forestiers ont également pour rôle d’appuyer la mise en place un comité de gestion des couloirs de passage dans chacun des villages. Ils s’actionnent pour faire respecter les lois et textes en vigueur en république du Bénin par les transhumants, aussi, ils contrôlent et perçoivent des taxes auprès des transhumants.
Autorités locales et Traditionnelles
Les autorités locales et traditionnelles représentent le comité de transhumance dans leurs localités respectives et facilitent l’arrivée et l’installation des transhumants dans leur localité dans la plus grande discrétion, et le respect des coutumes. Voici les propos d’une autorité locale dans l’arrondissement de Goumonri:
«Le comité de transhumance niveau village est essentiellement constitué des éleveurs locaux, des agriculteurs. Nous sommes chargés de faire connaître aux transhumants, les couloirs et s’occuper également de l’installation de ces pasteurs. Depuis quelques temps, nous sommes en alerte pour renvoyer ou signaler les transhumants étrangers qui tenteront de passer».
Gestion des conflits agriculteurs-éleveurs lors du séjour ou de la traversée d’un village
Il arrive que des conflits surviennent durant le séjour des transhumants dans un village. Ces conflits résultent des oppositions d’intérêt, des compétitions entre transhumants et autres usagers des ressources naturelles, parfois entre éleveurs eux-mêmes quand la ressource fourragère se raréfie.
Concernant les conflits agriculteurs-éleveurs, malgré l’implantation des balises et la présence des plaques signalisatrices, des agriculteurs installent des champs sur les couloirs de passage, rendant difficile le déplacement des troupeaux. Il arrive également que des bergers, surtout mineurs, négligent parfois délibérément le contrôle des troupeaux qui s’infiltrent dans les espaces cultivées et créent des dégâts. Ces deux situations résument la genèse des conflits quelques fois mortels entre agriculteurs et éleveurs.
Outre les conflits entre usagers des ressources naturelles, les éleveurs transhumants et les populations d’accueil affirment être confrontés à d’autres types de difficultés: il s’agit notamment de l’insécurité qui se traduit par le rançonnement des éleveurs par des bandes armées avec perte d’une partie ou bien la totalité des biens ou de leur troupeau sur les axes surtout les jours de marché à bétail.
Le mode de gestion des conflits varie en fonction de l’ampleur des dégâts. En absence de blessure des protagonistes ou de perte en vie humaine, les instances locales (SVGF, Comité de transhumance et Chef Village) apportent leur appui conseil au règlement à l’amiable des litiges avant le transfert du différend à la Police Républicaine de la localité si l’une des parties n’est pas satisfaite. Ces instances locales ont souvent bénéficié de formations dispensées par les Experts Locaux pour la Paix de la coopération allemande GIZ sur les thèmes de Gestion de conflits et surtout sur la mise en place d’un Système d’Alerte Précoce de Conflits (SAP-Conflit).
Les autres stratégies de prévention énumérées lors des focus group sont:
• Réduction de la durée des séjours des transhumants sur le terroir villageois. D’une durée moyenne de 2 à 3 mois, certains villages ont ramené la durée de séjour à 2 à 3semaines;
• Réduction, voire la disparition des espaces pastoraux dans certains villages;
• Sensibilisations, informations et communications des populations d’accueil pour règlement pacifique des conflits;
• Sensibilisations, informations et communications des agropasteurs sur le respect des couloirs de passage et des normes d’accès aux infrastructures agropastorales.
DISCUSSION
Dans plusieurs publications en rapport avec les adaptations face aux contraintes du pastoralisme, les résultats sont similaires aux nôtres. Selon Yembilah et Grant (2014), ce sont les mauvaises intégrations qui engendrent des conflits entre acteurs ruraux en concurrence pour les mêmes ressources naturelles Pour anticiper sur ces situations conflictuelles, les alliances avec les communautés d’accueil est l’une des stratégies les plus largement utilisées en Afrique (Boutrais, 2000). Comme exemple, au Kenya, de nombreux pasteurs pratiquent le troc dans la conduite de la transhumance. Le lait est souvent échangé contre des céréales en Afrique de l’Ouest (Amanor, 1995). Pour Djohy et Edja (2014), les pasteurs achètent également du fourrage vendu en lots pour nourrir leurs animaux en période de pénurie ou engagent volontairement toutes les dépenses nécessaires à la survie et à la productivité de leurs animaux. Les agriculteurs peuvent également permettre aux troupeaux de brouter les résidus de culture en échange du fumier déposé sur les champs au cours du processus de transhumance.
Les arrangements peuvent être un échange strict de marchandises ou une redevance peut changer de mains entre l’agriculteur et le pasteur si une marchandise est jugée plus précieuse que l’autre.
Pour Browman (1987), les échanges de main-d’œuvre sont également courants dans les sociétés pastorales. Des groupes peuvent mettre en commun leur travail pour devenir plus efficaces ou un éleveur ou une famille peut employer d’autres personnes en échange d’une part des bénéfices (Briede, 1991). Sur les haciendas des hautes terres des Andes, les éleveurs travaillent en échange de droits de pâturage (Kuznar, 1991).
Pour Moritz et al. (2009), le système pastoral est un moyen facile d’adaptation au changement climatique, en raison de son adaptation aux environnements arides et semi-arides grâce à des stratégies d’établissement d’un fort capital social, de coopération économique entre les membres de la communauté et des réseaux de lignage clanique, de diversification du cheptel et de méthodes de reproduction du cheptel. Autrement dit, les transhumants révisent constamment leur situation, évaluent l’efficacité et la durabilité des pratiques adoptées et adoptent, le cas échéant, de nouvelles alternatives en lien avec les nouvelles conditions socio-économiques, environnementales et politiques.
Pour les groupes pastoraux qui sont intégralement impliqués dans l’économie monétaire, la mobilité les met en contact avec les marchands et les marchés. Par exemple, la mobilité permet aux Raika du Rajasthan d’accéder non seulement au fourrage mais aussi aux marchés où ils peuvent employer des tondeurs, vendre de la laine et acheter les céréales et les articles divers nécessaires à leur survie (Agarwal, 1998).
La mobilité rend possible les rassemblements de différentes familles et tribus, au cours desquels les gens peuvent rencontrer des partenaires potentiels, se marier et, d’une manière générale, étendre et renforcer les liens sociaux qui sont essentiels à la réciprocité (Swift, 1998). Dans l’ensemble, la mobilité permet aux pasteurs de tirer parti des différences temporelles et spatiales des conditions sociales, économiques et environnementales.
CONCLUSION
La conduite de la transhumance fait intervenir plusieurs acteurs agissant en fonction de leurs intérêts, avec des stratégies particulières qui elles-mêmes sont des fonctions de ses pouvoirs d’actions et des relations d’alliance ou d’opposition qu’il développe avec d’autres acteurs. Ces acteurs sont les agriculteurs, les élus locaux, les chefs traditionnels, les cadres de l’administration, auprès de qui les transhumants s’informent et avec lesquels ils établissent des formes de contrat pour faciliter leur traversée ou pour accéder à la ressource pastorale. Les principales informations recherchées permettent à la survie du troupeau, à la prévention des conflits et à faciliter la traversée.
Il ressort de cette étude que le contexte actuel de la transhumance, associée avec des considérations culturelles impose que des relations s’établissent entre les acteurs. Malgré la fermeture des frontières, les acteurs sont pour le moment restés les mêmes, surtout avec la possibilité d’entrées clandestines. Le séjour des transhumants sur le territoire s’accompagne de divers types de taxes à verser aux services forestiers, aux municipalités qui délivrent des laisser-passer. Aussi les transhumants ont des contrats divers avec les populations d’accueil. Si le laissez-passer reste aujourd’hui un papier qu’on ne peut pas délivrer et que la régulation des contrats ne se justifie pas non plus, il reste des marges de manœuvre assez étroites pour des éleveurs qui n’ont certes pas disparu.
RÉFÉRENCES
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Le renseignement est très capital et très déterminant dans la conduite de la transhumance. Il permet de gérer les incertitudes et de minimiser les risques. Avant toute initiative de transhumance, les transhumants prennent des renseignements concernant l’état des pâturages et des points d’eau, mais aussi les patrouilles forestières, les maladies liées au bétail, la localisation de nouvelles zones cultivées, les zones de conflit, les champs ou espaces mis en défend par les autorités coutumières locales, par suite de conflits fonciers, etc. Les agriculteurs disposant des résidus de récolte dans leur champ, de même que les vétérinaires locaux sont également les acteurs qui interagissent avec les transhumants. La collecte de ces informations permet de décider de l’itinéraire de transhumance et de mieux préparer les stratégies de gestion des risques et incertitudes. L’information collectée est ensuite diffusée aux autres membres du groupe de transhumance. Les principaux informateurs évoqués sont les éleveurs locaux du milieu d’accueil, les chefs-villages, les chefs peulhs, les marchés, les cadres de l’administration au cas où ils ont des affinités avec ces derniers. Les types de renseignements recherchés, par ordre d’importance sont présentés dans la figure 3.
Les données collectées indiquent que les renseignements les plus cités concernent l’état des points d’eau et des pâturages évoqués par tous les transhumants enquêtés. La 3ème information la plus recherchée concerne l’existence de cabinet vétérinaire (90%). Ces trois informations viennent en tête compte tenu de leur importance pour la survie du troupeau le long du parcours de transhumance.
A la suite de ces trois informations recherchées, viennent la possibilité de négocier l’exploitation des résidus de récolte (84%), les zones de conflit (72%), les nouvelles zones de cultures (50%), la localisation des zones mises en défend (48%) et l’existence des patrouilles forestières (32%). L’analyse de ces informations indique que les transhumants ont un souci d’anticiper la survenu des conflits avec les différents acteurs que sont les agriculteurs et les agents des Eaux, Forêts et Chasses. L’obtention de ces informations permettent de se préparer à des contractualisations pour accéder aux résidus de récoltes, de se préparer à contourner la patrouille forestière ou à respecter les normes existence, y compris la soumission aux rançonnements et à éviter les zones mises en défend.
Les autres informations recherchées sont indirectement liées aux premières informations collectées. Il s’agit des conditions d’accès aux infrastructures pastorales, notamment les espaces pastoraux, les marchés à bétail, les points d’eau, les aires de vaccination, etc.
Alliances avec les éleveurs locaux
Les éleveurs locaux sont ceux qui fournissent plus d’informations aux transhumants. Les informations fournies concernent l’état des pâturages et des points d’eau, les patrouilles forestières, les maladies liées au bétail, la localisation de nouvelles zones cultivées, les zones de conflit, les champs ou espaces mis en défend par les autorités coutumières locales, par suite de conflits fonciers, etc.
La transhumance, c’est aussi le lieu où les jeunes bouviers tissent des relations avec les autres éleveurs. Elle permet d’avoir des animaux d’attache auprès de ces amis. Elle est l’occasion de rencontres, de fêtes, de création de nouveaux liens sociaux, d’alliances matrimoniales pouvant aboutir au mariage et de valorisation économique ponctuelle.
C’est également un moment particulier de retrouvailles pour les jeunes hommes qui mettent à épreuve leur force et leur bravoure.
Monétarisation pour l’accès aux infrastructures pastorales
La monétarisation intervient pour l’accès aux infrastructures pastorales. En effet, de collecte de ressources sont mis en place autour des différentes infrastructures. A Banikoara, réglementairement, les redevances payées pour accéder aux marchés à bétails varient de 1000 F CFA à 2000 F CFA par tête de bovin vendu au comité de gestion. Ces recettes sont réparties suivant une clé de 50%-25%-25% entre respectivement le comité de gestion qui en assure leur fonctionnement et entretiens nécessaires ; la mairie en tant qu’autorité locale et l’Union Communale des Organisations Professionnelles des Eleveurs de Ruminants (UCOPER) en tant que représentante de la faîtière communale des éleveurs.
L’accès aux barrages et retenues d’eau aménagées est conditionné à un paiement d’une redevance allant de 1 000 par troupeau/an à 5 000 F CFA par troupeau/an, en fonction du site et selon que les pasteurs soient sédentaires, transhumants, nationaux ou étrangers, passagers ou réguliers. Par exemple, les éleveurs sédentaires paient 1000 F CFA par troupeau et par an pour accéder au barrages et retenues d’eau aménagée pendant que les transhumants paient parfois jusqu’à 10 000 F CFA par troupeau et par an, alors que le séjour de ces derniers est relativement plus court. Un transhumant, qui séjourne régulièrement sur les sites et qui a tissé de bonnes relations avec les comités de gestion peut bénéficier des mêmes tarifs qu’un sédentaire.
Mais aujourd’hui, avec la politique du gouvernement interdisant la transhumance transfrontalière, l’arrivée des transhumants étrangers est limitée, à l’exception de quelques exfiltrées.
Devant les difficultés récurrentes d’accès aux ressources naturelles, tant pour l’eau que pour la vaine pâture, les pasteurs n’hésitent pas à acheter les droits d’accès aux villageois et aux agriculteurs. Ces tarifs restent également très inégalitaires, car ils sont fonction des complicités et de l’histoire relationnelle entre les parties mais la transaction financière a bien remplacé le geste et les salutations d’antan. De plus, le réinvestissement des sommes collectées par la vente de l’eau vers un bon entretien des forages n’est pas effectif.
Relation avec le chef poste vétérinaire, les Sections Communales des Eaux, Forêts et Chasse et la Cellule Communale de l’ATDA
Avant l’initiative du gouvernement en rapport avec le projet de Sédentarisation, le séjour des transhumants sur le territoire s’accompagne de divers types de taxes à verser aux services forestiers, aux municipalités qui délivrent des laisser-passer. A cela s’ajoute le laisser-aller délivré par les vétérinaires après les vaccinations.
Ainsi, entre l’administration publique et les transhumants, on voit une relation clientéliste au coup par coup. Par exemple, les vétérinaires en charge des opérations de vaccinations des troupeaux transhumants ne respectent pas leurs cahiers de charge qui est d’aller à la rencontre des transhumants sur leur aire de couverture. Selon un transhumant:
«Les vétérinaires exigent plus de frais qu’il en faut pour la vaccination des animaux (au lieu de 130 FCFA par tête de bovin). Ils demanderaient de payer jusqu’à 1000 FCFA parfois par bétail».
A cela, s’ajoute certaines réticences dues au fait que les vaccinations affaiblissent le troupeau qui n’arrive plus à tenir sur de grandes distances. Selon un transhumant:
«Lorsque nous vaccinons nos bêtes, elles n’arrivent plus à tenir le long du parcours».
Si le laisser-passer reste aujourd’hui un papier qu’on ne peut pas délivrer et que la régulation des contrats ne se justifie pas non plus, il reste des marges de manœuvre assez étroites pour des transhumants qui n’ont certes pas disparu.
Quant aux vétérinaires, ils se plaignent de l’indélicatesse des transhumants qui parfois refusent de vacciner leurs bêtes et menacent même ces derniers avec des armes blanches ou létales. De plus certains contournent où évitent les vétérinaires pour ne pas avoir à payer les frais de vaccination.
L’intégration des pasteurs transhumants dans les instances de prise de décision et la régulation devient également un élément critique. On relève majoritairement des pratiques sur taxation des pasteurs, par les autorités communales en lien avec la décentralisation.
Recours aux marchés fourragers
Le recours aux marchés fourragers permet aux transhumants d’acheter des tourteaux de coton, le son de céréales, les graines de coton, le foin et les feuilles de certains ligneux. Cette stratégie leur permet à certains de constituer des réserves d’aliment. En effet, la rareté des ressources fourragères fait que les éleveurs tissent des alliances avec des commerçants de fourrage et des vendeurs circonstanciels. Aujourd’hui, le commerce d’aliments de bétail devient nettement plus présent que par le passé.
Les pasteurs peuvent être amenés à acheter de l’aliment de bétail afin de sécuriser les animaux en temps de pénurie. Toutefois, dans le cas des crises profondes, les aliments deviennent trop chers et ne répondent plus au problème posé. Dans ces conditions, les affinités entre vendeurs et transhumants sont des facteurs qui affectent l’accès à la ressource fourragère pour ces derniers.
Il arrive que les résidus de récolte soient vendus directement sur la parcelle, à des prix variables selon l’estimation faite sur quantité. La photo 1 montre des troupeaux de transhumant exploitant des résidus dans un champ de niébé et de maïs après récolte.
Contractualisation pour l’exploitation des résidus de récolte
Les difficultés liées à la gestion de l’espace et à la rareté des ressources pastorales et agropastorales obligent les agriculteurs et les éleveurs à développer des stratégies de cohabitation. L’une de ces stratégies est la contractualisation, généralement orale, pour l’exploitation des résidus de récolte. Les données d’enquête indiquent qu’environ 29% des transhumants ne font aucune forme contractualisation pendant la conduite du troupeau, contre 71% qui le font. Plusieurs formes de contractualisations ont été observés sur le terrain. Il s’agit de:
• L’exploitation des résidus contre fertilisation (19%). Ce type de contractualisation intervient dans un but de fertilisation, des agriculteurs sollicitent un séjour de troupeau sur leur champ devant abrité les prochaines cultures. Cela est souvent facilité par leur relation d’amitié ou à une forme de contractualisation spontanée dont les clauses sont définies à l’avance;
• Dons en nature et en espèce contre exploitation des résidus (17%). L’accès aux résidus de récolte se fait à la fois contre des dons en nature et en espèce;
• L’exploitation des résidus contre des dons en nature (15%). L’accès aux résidus de récolte se fait contre des dons en nature, à savoir les petits ruminants, le lait, etc…
• L’exploitation des résidus contre paiement en espèce (10%). Ce type de contrat, généralement oral et informel n’est pas répandu dans notre zone d’étude. Il s’agit d’une forme de collaboration où l’accès au résidus de récolte est conditionné à un paiement en espèce;
• L’exploitation des résidus de récoltes contre la main d’œuvre (10%). De la même façon, des éleveurs bénéficient de l’exploitation des résidus post-récoltes de maïs, d’arachide ou de niébé après avoir servi de main d’œuvre aux agriculteurs dans les champs de coton. Cette forme d’alliance apparait très bénéfique pour les deux parties d’autant plus que la main d’œuvre est souvent très rare et problématique en période de récolte dans la commune de Banikoara. C’est également une période où les ressources pastorales commencent à se raréfier. Cette stratégie est utilisée aussi bien pour les animaux qui partent en transhumance que pour des lots d’animaux qui ne partent pas en transhumance.
La figure 4 présente les modalités fréquemment appliquées pour l’accès aux résidus de récolte.
Contrat de parcage des bœufs dans les champs après les récoltes
C’est une forme de contrat qui lie les éleveurs aux agriculteurs; il peut se présenter sous la forme d’un troc, ou bien une vente de déjections animales sur la base de prix convenus dans le contrat. (Ex. 1500 FCFA la charrette de déjections animales).
Dans ce type de collaboration, les animaux passent les nuits sur la même aire pendant une dizaine de jours dans le champ et se déplacent ensuite sur une autre aire. En moyenne un animal peut fumer 100 m2 pendant deux mois. Pour fumer un hectare, il faut faire circuler un troupeau de bœufs de 30 à 40 têtes pendant environ quatre à cinq mois. Le grand nombre d’animaux qu’exige cette forme de fertilisation fait que seulement les éleveurs-transhumants peuvent fournir le service.
Rôles des structures d’appui dans la gestion de la transhumance
Les éleveurs transhumants bénéficient également du soutien de certains acteurs étatiques et des structures d’appui. Cette section présente ces principaux acteurs et leur rôle dans la gestion de la transhumance.
Rôle du Ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche (MAEP) et des Agences Territoriales pour le Développement Agricole (ATDA)
Le MAEP prend des arrêtés pour protéger les populations des éventuels conflits provenant de la transhumance. C’est justement ce qui a conduit à la fermeture des frontières pour les transhumants provenant des autres pays. Aussi, ils accompagnent les acteurs locaux sur les plans financiers et techniques pour une bonne organisation de leurs activités. Le MAEP à travers les ATDA a pour rôle de contrôler la vaccination des animaux et font le compte-rendu au Comité de contrôle sanitaire des troupeaux, participe au constat et à l’évaluation des dégâts sur les cultures et éventuellement sur les animaux, contrôle la possession du certificat international de transhumance (CIT). Depuis décembre 2019, le contrôle sanitaire des troupeaux transhumants ne s’observe plus. Les vétérinaires évoquent l’interdiction de la pratique de la transhumance transfrontalière dans un contexte de fermeture des frontières comme principale raison. Ceci se confirme par les propos d’un vétérinaire que voici:
«Depuis l’interdiction de la transhumance, le mouvement des transhumants a considérablement diminué; ils nous évitent».
Rôle des ONGs
Les projets et ONGs sont beaucoup plus concentrés sur la gestion des conflits entre agriculteurs et éleveurs nationaux. Elles fournissent des efforts pour faciliter une synergie d’actions entre les acteurs de la transhumance et assure une cohésion sociale entre agriculteurs et éleveurs à travers la prévention des conflits.
GERED ONG par exemple privilégie l’accès aux informations relatives aux décrets et lois pris par le gouvernement sur la date et/ou période de pratique de la transhumance. Elle intervient également dans l’organisation (mise en place de mécanismes de concertation et d’arbitrage centrés sur les organisations traditionnelles), permettant aux éleveurs transhumants d’accroître leurs performances économiques (augmentation du cheptel grâce à l’ouverture de pâturage autour des nouveaux points d’eau) tout en contribuant à améliorer l’environnement (diminution du surpâturage grâce à l’amélioration de la mobilité).
Rôle des associations pastorales
A côté des ONG, on retrouve l’Union Coopératives des Professionnels d’Éleveurs Ruminants (UCOPER). Elles s’occupent de la défense des intérêts des éleveurs, de prévenir les conflits, de renforcer les capacités des adhérents, d’informer les éleveurs, de créer une atmosphère de solidarité, de négocier et de sensibiliser les éleveurs sur le respect de la réglementation en vigueur dans le cadre de la transhumance. Dans ce contexte d’interdiction de la transhumance transfrontalière, les sensibilisations vont uniquement à l’endroit des éleveurs locaux.
Mairie, les Conseillers et le Comité Communal de transhumance
La mairie se charge de la coordination des activités de transhumance de la commune de Banikoara (planification des activités, réunions, préparation du déroulement de la transhumance, définition des différentes taxes), la recherche d’appui (programmation). Elle contribue au renforcement de capacité, à l’économie locale de même qu’à la formation sur la gestion des couloirs de passage, et elle participe aussi aux activités d’évaluations des dégâts.
Elle intervient également dans la gestion des conflits. Il faut dire que la fermeture des frontières et l’interdiction de la transhumance ont amoindri les conflits entre transhumants venant des autres pays et les agriculteurs et/ou éleveurs de la commune, ce qui réduit leurs interventions dans la gestion des conflits. Cela permet aujourd’hui de rendre accessibles les informations et les décisions prises par l’État pour punir les transhumants occasionnant les dégâts.
Hier, très sollicité du fait de la transhumance en pleine expansion, la mairie aujourd’hui dans le contexte de fermeture des frontières se retrouve dans une posture de veille, pour décourager en un premier temps les transhumants qui veulent passer au forceps très souvent en mettant en danger les biens des populations locales. En un second temps, pour les rappeler à l’ordre et éviter que des transhumants aient accès aux ressources naturelles en application des textes interdisant la transhumance transfrontalière dans un contexte de fermeture des frontières. Aussi, le personnel sollicité pour la collecte des taxes a connu un arrêt de leur activité suite à l’arrêt de la transhumance, la mairie n’a donc presque plus de taxe à percevoir.
Plus loin, cette situation impose à la mairie de se retrouver dans une perspective afin d’organiser désormais la transhumance de façon structurée dans le souci de ne pas voir le territoire ingérable dès la levée de l’interdiction, pour cela, elle envisage de créer un espace de pâturage de 300 ha d’espèces fourragères où séjourneront désormais les transhumants.
Services forestiers
Les services forestiers ont essentiellement pour rôles, la protection des aires protégées tel que la forêt classée, le Parc W et la délimitation des zones de pâturages. Aussi, ils se chargent de matérialiser les couloirs de passage des animaux dans les terroirs, où l’activité pastorale est importante. Ces forestiers ont également pour rôle d’appuyer la mise en place un comité de gestion des couloirs de passage dans chacun des villages. Ils s’actionnent pour faire respecter les lois et textes en vigueur en république du Bénin par les transhumants, aussi, ils contrôlent et perçoivent des taxes auprès des transhumants.
Autorités locales et Traditionnelles
Les autorités locales et traditionnelles représentent le comité de transhumance dans leurs localités respectives et facilitent l’arrivée et l’installation des transhumants dans leur localité dans la plus grande discrétion, et le respect des coutumes. Voici les propos d’une autorité locale dans l’arrondissement de Goumonri:
«Le comité de transhumance niveau village est essentiellement constitué des éleveurs locaux, des agriculteurs. Nous sommes chargés de faire connaître aux transhumants, les couloirs et s’occuper également de l’installation de ces pasteurs. Depuis quelques temps, nous sommes en alerte pour renvoyer ou signaler les transhumants étrangers qui tenteront de passer».
Gestion des conflits agriculteurs-éleveurs lors du séjour ou de la traversée d’un village
Il arrive que des conflits surviennent durant le séjour des transhumants dans un village. Ces conflits résultent des oppositions d’intérêt, des compétitions entre transhumants et autres usagers des ressources naturelles, parfois entre éleveurs eux-mêmes quand la ressource fourragère se raréfie.
Concernant les conflits agriculteurs-éleveurs, malgré l’implantation des balises et la présence des plaques signalisatrices, des agriculteurs installent des champs sur les couloirs de passage, rendant difficile le déplacement des troupeaux. Il arrive également que des bergers, surtout mineurs, négligent parfois délibérément le contrôle des troupeaux qui s’infiltrent dans les espaces cultivées et créent des dégâts. Ces deux situations résument la genèse des conflits quelques fois mortels entre agriculteurs et éleveurs.
Outre les conflits entre usagers des ressources naturelles, les éleveurs transhumants et les populations d’accueil affirment être confrontés à d’autres types de difficultés: il s’agit notamment de l’insécurité qui se traduit par le rançonnement des éleveurs par des bandes armées avec perte d’une partie ou bien la totalité des biens ou de leur troupeau sur les axes surtout les jours de marché à bétail.
Le mode de gestion des conflits varie en fonction de l’ampleur des dégâts. En absence de blessure des protagonistes ou de perte en vie humaine, les instances locales (SVGF, Comité de transhumance et Chef Village) apportent leur appui conseil au règlement à l’amiable des litiges avant le transfert du différend à la Police Républicaine de la localité si l’une des parties n’est pas satisfaite. Ces instances locales ont souvent bénéficié de formations dispensées par les Experts Locaux pour la Paix de la coopération allemande GIZ sur les thèmes de Gestion de conflits et surtout sur la mise en place d’un Système d’Alerte Précoce de Conflits (SAP-Conflit).
Les autres stratégies de prévention énumérées lors des focus group sont:
• Réduction de la durée des séjours des transhumants sur le terroir villageois. D’une durée moyenne de 2 à 3 mois, certains villages ont ramené la durée de séjour à 2 à 3semaines;
• Réduction, voire la disparition des espaces pastoraux dans certains villages;
• Sensibilisations, informations et communications des populations d’accueil pour règlement pacifique des conflits;
• Sensibilisations, informations et communications des agropasteurs sur le respect des couloirs de passage et des normes d’accès aux infrastructures agropastorales.
DISCUSSION
Dans plusieurs publications en rapport avec les adaptations face aux contraintes du pastoralisme, les résultats sont similaires aux nôtres. Selon Yembilah et Grant (2014), ce sont les mauvaises intégrations qui engendrent des conflits entre acteurs ruraux en concurrence pour les mêmes ressources naturelles Pour anticiper sur ces situations conflictuelles, les alliances avec les communautés d’accueil est l’une des stratégies les plus largement utilisées en Afrique (Boutrais, 2000). Comme exemple, au Kenya, de nombreux pasteurs pratiquent le troc dans la conduite de la transhumance. Le lait est souvent échangé contre des céréales en Afrique de l’Ouest (Amanor, 1995). Pour Djohy et Edja (2014), les pasteurs achètent également du fourrage vendu en lots pour nourrir leurs animaux en période de pénurie ou engagent volontairement toutes les dépenses nécessaires à la survie et à la productivité de leurs animaux. Les agriculteurs peuvent également permettre aux troupeaux de brouter les résidus de culture en échange du fumier déposé sur les champs au cours du processus de transhumance.
Les arrangements peuvent être un échange strict de marchandises ou une redevance peut changer de mains entre l’agriculteur et le pasteur si une marchandise est jugée plus précieuse que l’autre.
Pour Browman (1987), les échanges de main-d’œuvre sont également courants dans les sociétés pastorales. Des groupes peuvent mettre en commun leur travail pour devenir plus efficaces ou un éleveur ou une famille peut employer d’autres personnes en échange d’une part des bénéfices (Briede, 1991). Sur les haciendas des hautes terres des Andes, les éleveurs travaillent en échange de droits de pâturage (Kuznar, 1991).
Pour Moritz et al. (2009), le système pastoral est un moyen facile d’adaptation au changement climatique, en raison de son adaptation aux environnements arides et semi-arides grâce à des stratégies d’établissement d’un fort capital social, de coopération économique entre les membres de la communauté et des réseaux de lignage clanique, de diversification du cheptel et de méthodes de reproduction du cheptel. Autrement dit, les transhumants révisent constamment leur situation, évaluent l’efficacité et la durabilité des pratiques adoptées et adoptent, le cas échéant, de nouvelles alternatives en lien avec les nouvelles conditions socio-économiques, environnementales et politiques.
Pour les groupes pastoraux qui sont intégralement impliqués dans l’économie monétaire, la mobilité les met en contact avec les marchands et les marchés. Par exemple, la mobilité permet aux Raika du Rajasthan d’accéder non seulement au fourrage mais aussi aux marchés où ils peuvent employer des tondeurs, vendre de la laine et acheter les céréales et les articles divers nécessaires à leur survie (Agarwal, 1998).
La mobilité rend possible les rassemblements de différentes familles et tribus, au cours desquels les gens peuvent rencontrer des partenaires potentiels, se marier et, d’une manière générale, étendre et renforcer les liens sociaux qui sont essentiels à la réciprocité (Swift, 1998). Dans l’ensemble, la mobilité permet aux pasteurs de tirer parti des différences temporelles et spatiales des conditions sociales, économiques et environnementales.
CONCLUSION
La conduite de la transhumance fait intervenir plusieurs acteurs agissant en fonction de leurs intérêts, avec des stratégies particulières qui elles-mêmes sont des fonctions de ses pouvoirs d’actions et des relations d’alliance ou d’opposition qu’il développe avec d’autres acteurs. Ces acteurs sont les agriculteurs, les élus locaux, les chefs traditionnels, les cadres de l’administration, auprès de qui les transhumants s’informent et avec lesquels ils établissent des formes de contrat pour faciliter leur traversée ou pour accéder à la ressource pastorale. Les principales informations recherchées permettent à la survie du troupeau, à la prévention des conflits et à faciliter la traversée.
Il ressort de cette étude que le contexte actuel de la transhumance, associée avec des considérations culturelles impose que des relations s’établissent entre les acteurs. Malgré la fermeture des frontières, les acteurs sont pour le moment restés les mêmes, surtout avec la possibilité d’entrées clandestines. Le séjour des transhumants sur le territoire s’accompagne de divers types de taxes à verser aux services forestiers, aux municipalités qui délivrent des laisser-passer. Aussi les transhumants ont des contrats divers avec les populations d’accueil. Si le laissez-passer reste aujourd’hui un papier qu’on ne peut pas délivrer et que la régulation des contrats ne se justifie pas non plus, il reste des marges de manœuvre assez étroites pour des éleveurs qui n’ont certes pas disparu.
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