Résumé

Les nouvelles stratégies de développement agricoles et forestières accordent de plus en plus d’attention aux produits naturels et de terroir. Les truffes sont un exemple pertinent de ces produits. Elles sont très diversifiées et offrent un potentiel de développement important. L’objectif de cette étude est de mettre l’accent sur l’importance de la filière de la truffe à travers une analyse SWOT (Forces, Faiblesses, Opportunités et Menaces) permettant d’identifier les points positifs à exploiter et les points négatifs à lutter contre afin d’assurer une valorisation adéquate. L’étude s’est appuyée sur une recherche documentaire, des entretiens avec les gestionnaires de la ressource, des prospections de terrains dans les zones productrices et des enquêtes avec les différents acteurs de la filière. Les résultats ont montré que la filière jouit d’un nombre important de points de force dont les plus importants sont la diversité des espèces et les grandes étendues de production; la contribution aux revenus des populations collectrices et le savoir-faire ancestral lié à l’activité de collecte. Les faiblesses concernent surtout la non-organisation et la non-réglementation de la filière qui font que le secteur soit anarchique. Quant aux opportunités, on note la forte demande pour les truffes par les marchés extérieurs et la forte volonté de développement de cette filière traduite par des stratégies qui s’intéressent aux produits de terroir. Et enfin pour les menaces, il s’agit surtout de la diminution des précipitations et la succession des années de sécheresse liées au changement climatique. A la lumière de cette analyse SWOT, des propositions de valorisation de la filière sont proposées dont la promulgation d’une loi spécifique à la truffe, la création d’un marché typique, l’orientation vers la trufficulture pour soulager la production naturelle et le développement de la recherche scientifique relative aux truffes.


Mots clés: Filière truffes, Maroc, Analyse SWOT, Perspectives de développement, Diagnostic interne, Diagnostic externe

Introduction

Faisant partie des ressources naturelles les plus exploitées au Maroc, les truffes qui appartiennent aux champignons supérieurs constituent un produit à importance environnementale, socio-économique, alimentaire et thérapeutique. Ainsi, sur le plan environnemental, elles assurent la vie et la croissance des jeunes plantes hôtes auxquelles elles sont associées, surtout dans les conditions naturelles du désert, et ce à travers l’amélioration de la nutrition minérale surtout pour les éléments les moins mobiles comme le phosphore, le zinc et le cuivre. En effet, les plantes mycorhizées se caractérisent par un taux d’absorption élevé des éléments nutritifs, présentent une tolérance accrue à la sécheresse et survivent mieux au stress hydrique que celles non mycorhizés (Trappe, 1979; Awameh, 1981; Morte et al., 1994; Abourouh et al., 1995; Selosse, 2008; Redon, 2009). Sur le plan socio-économique, la truffe fait l’objet d’un important commerce, déjà depuis l’antiquité. Elle a été importée d’Afrique par les Grecs et les Romains (Feeney, 2002). Actuellement, elle constitue une branche de commerce qui a de grands et de petits commerçants comme toute autre filière de valeur. Ainsi, on trouve les grossistes et les petits détaillants. Elle fait l’objet d’un commerce local et international important et très actif. Le prix est influencé par l’offre et la demande, la variété et la zone de provenance (Moynier, 1835; Alsheikh et Trappe, 1983; Mandeel et Al-Laith, 2007; Hakkou et al., 2022a).

La filière de la truffe crée une dynamique économique importante permettant à toutes les couches sociales d’en tirer profit. Elle sert à compléter les revenus des familles en vendant les truffes aux marchés et constitue une source de vie pour les villageois qui les expédient vers les villes où elles sont vendues à des prix élevés (Serrhini et al.,1995; Shavit, 2008; Zitouni, 2010; Hakkou et al., 2022a).

En se référant à l’Office des changes et à la Douane marocaine, on note que plusieurs types de truffes sont exportées chaque année, allant d’une centaine à des milliers de tonnes rapportant ainsi une quantité assez importante de devises pour le Maroc (communication des services de la douane et de l’office des changes en 2022). Sur le plan alimentaire et thérapeutique, les truffes contiennent des quantités importantes de protéines et des quantités très élevées d’antioxydants. Elles constituent donc une source riche de différents types de nutriments essentiels (Wang et Marcone, 2011; El Enshay et al., 2013). Ainsi, elles sont consommées et utilisées dans la pharmacopée depuis les temps les plus anciens (Feeney, 2002; Loizides et al., 2011). La mention des truffes en tant qu’aliment médicinal remonte aux civilisations chinoise, grecque et égyptienne, et ont été appelées «le miracle de la nature» en Mésopotamie (Dahham et al., 2018).

Actuellement, les plus importants consommateurs de ces truffes sont les pays du Maghreb, le Moyen-Orient (Arabie saoudite, Koweït, Iraq) et certains pays du sud de l’Europe (Espagne, Italie) (Morte et al., 1994). Au Maroc, la population collectrice de truffes se permet sa consommation quand la production est abondante ou se contente des truffes brisées, déformées ou refusées à la vente. La truffe entre dans la préparation des plats traditionnels (Tajine, Rfissa et bouillie à l’eau salé).Quant à son utilisation médicinale, les collecteurs la croient capable de guérir les maladies des yeux et les refroidissements du corps (Hakkou et al., 2022a).

La production des truffes concerne de grandes étendues du territoire marocain, du Nord au Sud. En fait, elles sont présentes dans quatre grandes régions géographiques à savoir: l’Oriental (Nord-est), la forêt de la Maâmora, le Sahel de Doukkala-Abda et le Sahara marocain (Malençon, 1973; Abourouh, 2011 et 2020; Khabar, 2016; Hakkou et al., 2021; Hakkou et al., 2022b). Le Maroc connaît aussi la première expérience réussie de culture de la truffe noire Tuber melanosporum dans l’Afrique du Nord par le médecin Abdelaziz Laqbaqbi (Hakkou, 2022).

Les truffes bénéficient actuellement d’une attention distinguée, mais encore timide dans l’action. Ainsi, la truffe marocaine a été nommée en tant que produit de terroir par le ministère de l’agriculture (MAPM, 2011). Une consultation a été réalisée par la FAO en 2020 sous le thème «Restauration des Forêts de Chêne liège pour le Développement et la Valorisation des Truffes dans la Forêt de Maâmora». Elle s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la composante marocaine du Projet «L’accord de Paris en action: intensifier la restauration des forêts et des paysages pour mettre en œuvre les contributions déterminées au niveau national», financée par l’Initiative pour le climat (IKI), du Ministère Fédéral Allemand de l’Environnement, de la Protection de la Nature et de la Sûreté Nucléaire (BMU) (Programme GCP/GLO/296/GER) (Abourouh, 2020).

Cette importance accordée à ce produit semble être assez prometteuse. Ainsi, l’objectif de cet article est de contribuer au développement de la filière «truffe». Et ce, à travers la réalisation d’une analyse SWOT permettant de mettre l’accent sur les points positifs à exploiter et les points négatifs à lutter contre afin d’assurer une valorisation adéquate permettant une meilleure performance de la filière.

Matériels et méthodes

Pour aboutir à l’objectif de cette étude, on a opté pour une méthodologie basée sur quatre principales étapes:

• Une recherche documentaire portant sur la connaissance des truffes marocaines et les principes de l’analyse SWOT;

• Des prospections de terrains dans les quatre régions trufficoles afin d’analyser de près les caractéristiques de la filière;

• Des entretiens avec les gestionnaires de cette ressource: les cadres de la Direction du développement forestier, les cadres de la Direction du développement des filières de production du MADREF et les cadres de l’Agence du développement agricole (ADA);

• Des enquêtes, entretiens et ateliers avec les différents intervenants dans la filière: collecteurs, intermédiaires, grossistes, exportateurs et coopératives.

Résultats et discussion 

En appliquant la matrice SWOT (Strength, Weakness, Opportunity, Threats = Forces, Faiblesses, Opportunité, Menaces) à la filière des truffes marocaines, on a pu déterminer les caractéristiques positives et négatives internes et externes de la ressource elle-même et de la filière. Cette étape a permis de préciser les points sur lesquels toute intervention et toute action de valorisation pourra être basée afin d’être efficace. Une valorisation bien pensée et bien appliquée pourrait conduire à la protection de la truffe, à l’amélioration des conditions de vie de la population locale et à la préservation de l’environnement naturel producteur pour une durabilité de la ressource.

Diagnostic interne

Forces

Les truffes sont dotées d’un nombre très important d’atouts sur lesquels le développement de la filière peut être basé (Tableau 1). Leur nomination en tant que produit de terroir peut augmenter la compétitivité des territoires producteurs en offrant à ces derniers une identité territoriale spécifique. Le lien tissé entre le produit et son terroir permettra de lutter contre la marginalisation spatiale et économique des espaces ruraux réputés désormais par l’originalité de l’un de leurs produits. Contrairement à d’autres produits dont le processus de production passe par plusieurs étapes et demande un traitement spécifique, la truffe constitue un produit offert par la nature sans aucune intervention humaine. Elle est adaptée aux conditions climatiques difficiles et constitue une composante importante de la flore mycologique des forêts et des parcours arides et semi-arides (Alsheikh, 1994; Bradai, 2014).

La diversité des espèces qui sont de l’ordre de 12 espèces de celles dites «truffes de désert» et de 5 espèces des vraies truffes, et les grandes étendues de production entre forêts, steppes et terrains de parcours garantissent une production élevée ce qui permet de répondre à la demande des exportateurs en quantités et en espèces. Cette demande extérieure est déjà très élevée. Ainsi, les truffes participent aux entrées en devises étrangères à travers l’exportation de presque toute la production selon différentes catégories, dont les truffes séchées qui ne risquent pas d’être endommagées ou pourries. Quant aux pays de destination, il s’agit surtout des pays du Moyen Orient (Arabie Saoudite, Koweït), Syrie et de l’Europe (France et Espagne). Cette importance des exportations est traduite par une dynamique économique dans les régions trufficoles permettant aux différents intervenants de la chaîne de commercialisation d’en tirer profit avec une différence de la marge bénéficiaire. Dans certaines zones, la collecte et la vente des truffes constituent pour certains la seule source de revenus, surtout pour les femmes qui s’en servent pour répondre aux besoins quotidiens de leurs ménages. Dans ce cas, l’argent gagné est dépensé le jour même du souk hebdomadaire où s’est passé la vente. Pour d’autres, cette activité constitue un complément de revenu. Dans certains endroits, où les quantités collectées sont assez élevées ainsi que le prix de vente, cette activité a permis à certaines familles d’en tirer une richesse.

La truffe constitue un symbole des relations entre l’homme, la nature et la tradition. Le savoir-faire lié à la connaissance et la différenciation entre les espèces en se référant à la couleur, la plante hôte et le lieu de provenance, à la collecte, au stockage et aux préparations culinaires et médicinales constitue un patrimoine culturel et présente une possibilité d’attraction sur laquelle la promotion de plusieurs types de tourismes peut être basée. Ainsi, on peut évoquer le tourisme rural, l’écotourisme, le tourisme culturel, le tourisme culinaire et de l’agritourisme. Ce dernier, peut être développé dans les zones qui connaissent actuellement la culture de la truffe noire Tuber melanosporum, à savoir, Debdou et Imouzzer Kandar. Cette expérience réussie, conjuguée à la forte demande sur les vraies truffes et leurs prix élevés encouragent l’extension des truffières cultivées et d’essayer la culture d'autres espèces existantes à l’état naturel dans les forêts du chêne vert du Moyen Atlas (Tuber aestivum, T. brumale et T. rufum). Le souci n’est pas purement matériel, mais surtout environnemental. Et ce, afin de faire face à la régression des espaces et des peuplements forestiers à travers le reboisement par une espèce locale adaptée aux conditions climatiques et édaphiques du pays et surtout résistante aux effets du changement climatique (chêne vert).

En effet, la truffe représente un organisme mystique portant à la fois des aspects culturels, commerciaux et sociaux. Sa capacité à faire partie des aliments des aristocrates et à assurer au même temps la nourriture des classes sociales les plus défavorisées en temps normal et durant les guerres est vraiment surprenante. Elle a été servie sur les tables les plus luxuriantes des pharaons, rois, présidents, empereurs et tsars (Olivier et al., 2018). Elle a été utilisée par les nomades et les Sahraouis comme substituant de la viande (Omer, 1994; Volpato et al., 2013). Et elle a assuré les besoins en alimentation de la population en Irak durant la guerre en 1970 (Khalastchy, 2003). Au Maroc, la truffe a été servie sur la table du grand vizir Sid Ahmed ben Mousa ben Ahmed au temps du Sultan Moulay-Ab-el-Aziz ben Hassen ben Mahomed (Tavel, 1901). Al-Koni (1992) a dit: « Une fois qu’un homme a essayé de tels terfez, il passe le reste de sa vie à vouloir les goûter à nouveau…». La médecine Prophétique témoigne de l’efficacité antimicrobienne des extraits des truffes contre les maladies oculaires. D’après Saïd Ibn Zayd (qu’Allah l’agrée), le Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui) a dit: « la truffe fait partie de la manne et son jus est une guérison pour l’œil» (Rapporté par Boukhari dans son Sahih n°4478 et Mouslim dans son Sahih n°2049).

Faiblesses

Les faiblesses peuvent être divisées en deux grands axes. Le premier concerne le champignon-même et le deuxième concerne l’organisation de la filière. En effet, la truffe constitue un produit sensible au contact à la main et aux odeurs et peut facilement pourrir. Certaines méthodes de collecte conduisent à briser la truffe, à déraciner la plante hôte et à perturber l’espace naturel de production. Au niveau de la Maâmora, et afin de collecter le maximum des quantités possibles, les gens ont commencé à utiliser des sapes pour chercher les truffes en relation avec des arbres, ces espèces sont difficiles à détecter en absence d’une plante hôte herbacée. Cette pratique affecte négativement la durabilité du produit en ruinant son habitat naturel et par destruction des spores en remuant la terre. Les connaissances individuelles disparates et contradictoires, surtout en ce qui concerne le cycle de vie et le processus de reproduction de la truffe représentent un mystère non déchiffré par la population collectrice et ne font qu’aggraver la situation. Certains collecteurs ne sont pas conscients des conséquences de leur façon de faire. La pourriture facile du produit constitue une contrainte majeure pour les collecteurs qui doivent garder les truffes en bon état durant 6 jours puisque la vente se fait aux souks hebdomadaires le 7ème jour. Pour ce faire, ils les mettent dans le sol et les couvrent avec de la terre (sable) comme dans leurs habitats naturels. Dans ce cas, la situation se complique aussi pour les grossistes qui doivent exporter les quantités achetées le jour même à leur destination finale. Dans certaines régions, telles que la région de l’Oriental et le Sahara marocain, les grossistes procèdent par l’achat auprès des collecteurs chaque jour dans les lieux de collectes afin d’exporter les truffes toutes fraîches. L’exportation des truffes séchées ou en conserve ne pose pas de problème.

En ce qui concerne la filière truffe, il est à noter qu’elle ne jouit d’aucune organisation ou réglementation. Le marché est contrôlé par les grossistes qui font baisser et augmenter les prix de vente selon la demande extérieure et la marge bénéficiaire qu’ils cherchent à gagner. Ceci rend les collecteurs le maillon le plus faible de la chaîne de commercialisation, alors qu’ils sont ceux qui sont le plus dans le besoin. L’espoir de grands rendements financiers ainsi que la concurrence entre les collecteurs d’un côté et des grossistes de l’autre ont favorisé un air de tromperie et de tricherie dans certains niveaux de la gestion de la filière, surtout qu’il n’y a pas de loi spécifique à la filière des truffes. En effet, toutes les étapes allant de la collecte à la commercialisation au niveau local ne suivent aucune réglementation. En fait, Les champignons dont fait partie la truffe sont gérés comme les autres produits forestiers non ligneux par le Dahir du 20 hija 1335 (10 Octobre 1917) sur la conservation et l’exploitation des forêts. Des amendes sont fixées contre l’extraction ou l’enlèvement non autorisé de matériaux, broussailles et des produits quelconques des forêts. Dans d’autres pays, conscients de l’importance de ce produit dans le développement socio-économique, les truffes bénéficient de textes législatifs spécifiques relatifs à la récolte, la commercialisation et l’exportation. En France par exemple, ces textes précisent même le matériel autorisé pour l’extraction de la truffe du sol et l’ouverture et la fermeture de la saison de récolte. Un code pénal a été mis en place en 2012 pour le vol des truffes dans les truffières des autres; le voleur est pénalisé de trois ans de prison et de 45 000 € d’amende (Meyer, 2002; Olivier et al., 2018).

Plusieurs tentatives d’organisation et de valorisation de la filière dans les quatre régions du Maroc ont été mise en œuvre, mais elles ont échoué. Ces tentatives ont consisté à la mise en place de dépôts de stockage et de conditionnement des truffes ainsi que la création de coopératives. Les raisons des échecs sont à la fois naturelles et humaines. L’irrégularité de la production, la divergence des opinions et les conflits d’intérêts entre les différents intervenants ont conduit au dysfonctionnement de toutes les actions mises en œuvre. Seules deux coopératives, de nature familiale, sont actives actuellement et dont les expériences peuvent être jugées de réussies, l’une est située dans la commune d’Oulad Ghanem, province d’El Jadida, et l’autre dans la ville de Laâyoune. La prise de conscience de l’importance économique des truffes a conduit à une augmentation remarquable du nombre d’intervenants (collecteurs, intermédiaires, grossistes), ce qui a engendré une forte pression sur la ressource.

Il est à noter aussi que les études qui ont abordé les truffes marocaines sont peu nombreuses et sont généralement d’ordre taxinomique, floristique et cytologique. Les truffes sont relativement bien connues sur leurs aspects botaniques et écologiques, mais elles sont très peu connues du point de vue répartition géographique aux échelles régionale et nationale, productions, commercialisation, rôles socioéconomiques et possibilités de valorisation. Les études ayant porté sur ces aspects sont très rares et ne peuvent pas donner une vision globale et intégrée sur tous les aspects concernant les truffes à l’échelle nationale et encore moins à l’échelle régionale.

Tous ces points faibles rendent difficile de définir une stratégie commerciale et se projeter à l’avenir à propos de la filière des truffes.

Diagnostic externe

Opportunités

Les opportunités qui se présentent devant les truffes sont assez importantes. L’intérêt accordé dernièrement aux produits de terroir dont font partie les truffes est encourageant. Ainsi, plusieurs stratégies et plans de développement agricole ont été initiés par le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime, dont le Plan Maroc Vert. Une division des produits de terroir et une division de la labellisation ont été créées au niveau de la Direction de Développement des Filières de Production. Leur importance dans le développement a été encore soulignée par les nouvelles stratégies lancées par le Royaume du Maroc «Generation Green» et «Forêts du Maroc 2020-30» et mises en œuvre par le Ministère de l’Agriculture, du développement rural et des eaux et forêts. Plusieurs textes juridiques ont été promulgués, parmi lesquels la loi n° 25-06 relative aux signes distinctifs d’origine et de qualité (SDOQ), la loi n° 28-07 relative à la sécurité sanitaire des produits alimentaires et la loi n° 39-12 relative à la production biologique. Toutes ces actions témoignent de la volonté des institutions de développement pour la mise en valeur de ces produits de terroir.

La demande sur les truffes dans les marchés extérieurs est en croissance continue. Le fait que la truffe marocaine a conquis les marchés du Moyen Orient et d’Europe a conduit à une augmentation remarquable des prix de vente. Certains de ces pays importateurs sont aussi producteurs des mêmes espèces que le Maroc mais leurs productions ont diminué, pour les uns à cause de la sécheresse et pour d’autres à cause de la guerre qui a détruit les champs de production (Irak, Koweït). C’est dans ce sens qu’ils compensent leur production par l’importation. Une forte demande provient également de la communauté juive au Maroc et ailleurs.

Ces derniers temps et avec toutes les transformations que le monde a connu, on note une orientation mondiale vers les produits cosmétiques naturels ou biologique et un recours de plus en plus frappant vers la médecine traditionnelle afin d’éviter les méfaits des substances chimiques synthétiques. Ce passage vers des produits sains constitue une opportunité majeure offerte à la truffe pour jouer un rôle dans la pharmacopée traditionnelle en faisant surgir les recettes des ancêtres. En effet, les recherches scientifiques se focalisant sur la valeur nutritive et les vertus médicinales de la truffe deviennent de plus en plus nombreuses.

Des études réalisées sur les truffes ont démontré que la plupart représentent des traitements nouveaux et efficaces contre différents types de cellules tumorales grâce aux effets anticancéreux de leurs composante (Beara et al., 2014; Dahham et al., 2018). La capacité de la truffe à lutter contre les bactéries et à traiter les maladies des yeux tel que le trachome a aussi été confirmée (Al-Marzouki, 1981; Khalifa et al, 2019). En médecine vétérinaire, la truffe a confirmé sa capacité à guérir centaines maladies chez le bétail. Ainsi, elle est utilisée pour traiter la métrite (inflammation de la paroi de l’utérus) et la mammite (inflammation des mamelles) ou autres inflammations extérieures (Volpato et al., 2013). Des nomades rencontrés dans le Sahara marocain nous ont confirmé que la poudre de la truffe séchée est efficace pour guérir les tumeurs des mamelles de la chamelle, la vache et la chèvre et même de la femme.

Quant à la valeur nutritive, plus de 75% de la masse de la truffe est constituée d’eau et peut même atteindre 81%, tandis que le reste constitue la matière sèche composée de jusqu’à 60 % de glucides, 20 à 27 % de protéines, 3 à 7,5 % de matières grasses, 7 à 13 % de fibres et 2 à 5 % d’acide ascorbique. Cette composition moyenne peut varier selon l’espèce, l’âge, la région, le type de sol et les facteurs climatiques (Rodriguez, 2008; Wang et Marcone, 2011; El Enshay et al, 2013; Benmouloud, 2017).

Consciente de ce changement dans les habitudes et leur vision vers l’utilisation des produits qualifiés de Bio, une coopérative nommée «Ahl Baganna» à Laâyoune a procédé à la fabrication de crèmes à base des truffes du désert et de la graisse de chèvre et de chameau et de la cire d’abeille pour soigner l’arthrose.

Menaces

Les menaces qui peuvent avoir un impact négatif sur la durabilité de la truffe sont à la fois naturelles et anthropiques. Pour ce qui est des naturelles, on note les effets des changements climatiques à travers des sécheresses fréquentes, de plus en plus intenses et longues engendrant une rareté de la pluie dont dépendent la production et la productivité des truffes. On note donc une diminution des quantités et de la durée de la période de production. En 2022, jusqu’à mars on a noté une absence totale de la truffe dans les souks hebdomadaires et chez des collecteurs dans la forêt de la Maâmora.

Pour ce qui est des menaces anthropiques, la croissance démographique traduite par l’augmentation de la population, surtout dans les zones rurales, la difficulté des conditions de vie dans ces régions et la rareté des offres d’emploi poussent de plus en plus les populations à s’orienter vers la collecte des truffes, ce qui engendre une forte pression surtout dans les zones où l’espace de production n’est pas assez grand et les quantités produites ne sont pas assez élevées. L’augmentation de la population est toujours accompagnée de pratiques dégradantes de l’environnement. Ainsi, on note la transformation des terres forestières et des terres de parcours en terres agricole. La déforestation et le déracinement des plantes hôtes perturbent l’habitat naturel de la truffe. En outre, elle ne produit pas dans les terres labourées. La sédentarisation des nomades engendre aussi la disparition du libre accès aux parcours par l’appropriation de ces terres converties par la suite en des zones de culture (Mahyou et al., 2010). A ceci s’ajoute l’urbanisation qui engendre la fragmentation des écosystèmes forestiers et pastoraux qui sont exploités dans la réalisation de projets urbanistiques, industriels ou touristiques. Ainsi, les espaces forestiers et pastoraux sont en train de perdre leur valeurs biologiques (MEMEE, 2009).

L’augmentation de la taille du cheptel représente aussi l’une des conséquences de la croissance démographique. Le risque de la présence du bétail dans les zones productrices réside dans le broutage de la plante hôte de la truffe, généralement de l’Helianthemum. Au niveau du Sahel Doukkala-Abda par exemple, depuis quelques années les collecteurs se plaignent du surpâturage causé par les troupeaux des nomades venant de Tan-Tan, Smara, Tiznit, Guelmim et Taroudant. Traditionnellement, les nomades avaient l’habitude de camper seulement dans les forêts où ils ébranchent les arbres pour nourrir le bétail durant l’été et les périodes de sécheresse. Actuellement, ils dressent leurs tentes partout dans la région (dans et hors forêts) et durant toute l’année. Les animaux broutent les plantes associées aux truffes ce qui réduit la régénération de la truffe dans la zone. La forêt de la Maâmora connaît aussi une forte pression du bétail appartenant à la population usagère, les troupeaux broutent la plante hôte de la truffe, surtout durant les années de sécheresse. Quand la pluviométrie est bonne, la strate herbacée devient très développée et donc les troupeaux trouvent d’autres espèces à brouter loin de l’hélianthème qui est peu palatable. Mais quand il ne pleut pas suffisamment, même l’Helianthemum est brouté.

Le croisement de certains éléments présents dans le tableau 1, permet de sortir avec des propositions pour maximiser les points forts et minimiser les points faibles.

Conclusion 

L’analyse SWOT effectuée sur la filière des truffes au Maroc a permis de constater que la truffe est caractérisée par de nombreuses qualités et points forts qui peuvent être exploités pour sa valorisation. Les opportunités viennent appuyer les atouts et ouvrent plusieurs horizons à suivre pour augmenter les chances et pour diversifier les chemins à prendre vers cette valorisation. Quant aux faiblesses, elles ne présentent pas de vrais dangers, une bonne gestion basée sur une bonne connaissance et qui impliquent les différents acteurs pourra diminuer, voire éliminer ces points négatifs et les transformer en points positifs. Et en fin, pour les menaces, elles peuvent être contrôlées et limitées sauf pour les menaces naturelles. Cependant, pour la raréfaction des précipitations liée au changement climatique, des mesures d’adaptation peuvent être identifiées dans le cadre du développement rationnel de la trufficulture.

A la lumière des résultats de cette étude on propose:

Projet de loi spécifique à la truffe: l’adoption d’une loi spécifique à la truffe en tant qu’un produit forestier non ligneux indispensable à la durabilité de la biodiversité et en tant qu’un produit de terroir indispensable au développement local et régional du pays aura la capacité de faire face aux abus commis par les différents intervenants dans ce domaine et sur tous les niveaux d’intervention de la collecte à l’exportation;

Un marché typique de la truffe: la mise en place d’un marché typique propre à la truffe au niveau des zones les plus productives contribuera à l’organisation de la filière au niveau de la commercialisation et à la connaissance de la truffe au public et aux touristes. La vente des truffes au niveau des marchés typiques qu’on propose peut-être garantie par des coopératives et associations qui existent déjà ou à créer. Les unités agro-alimentaires peuvent approvisionner le marché en truffes de conserve. Le marché peut être organisé selon trois principaux pavillons: pavillon de la truffe à l’état frais, pavillon des produits dérivés de la truffe et pavillon de l’art culinaire;

Orientation vers la trufficulture: Une orientation vers la culture des truffes des deux catégories, les vraies truffes et les truffes de désert, pourra contribuer au développement durable du pays, en conciliant l’amélioration du niveau social de la population, le développement socio-économique et la protection de l’environnement en faisant partie de l’agro-écologie. Le développement du secteur touristique est aussi souhaité, et ce par la promotion de l’agritourisme, qui permettra aux visiteurs des exploitations de découvrir un savoir-faire particulier et de vivre l’expérience de cavage lors de la saison de production;

Développement de la recherche scientifique relative aux truffes: le développement de projets de recherche intégrée sur les truffes aux niveaux régional et national fédérant les universités et les instituts spécialisés permettrait d’identifier d’autres composantes et vertus des truffes diversifiées conduisant à une meilleur utilisation et valorisation de la ressource.

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