Résumé

Face à l’emprise humaine sur les surfaces forestières, les forêts classées et autres réserves et parcs nationaux constituent les derniers vestiges de la forêt ivoirienne. Cette étude vise à faire un état des lieux sur la diversité végétale de la forêt classée de Pouniakélé dans le Nord de la Côte d'Ivoire. Une analyse diachronique des images satellitaires Landsat ETM et ETM + a permis d’apprécier les changements de l’occupation des terres au cours de la période 2002 – 2016. Les méthodes d’inventaires de surface et itinérants ont permis d’apprécier les paramètres floristiques. Les résultats montrent une tendance à l’augmentation des formations anthropiques au détriment de celles des formations naturelles. Ainsi, l’ensemble des formations boisées ont régressés de 72,4% en 2002 à 56,3% en 2016. Par contre, les zones de culture ont connu une augmentation de leur superficie (13,6% en 2002 à 25,1% en 2016). Concernant l’étude floristique, au total 316 espèces végétales, réparties entre 211 genres et 62 familles, ont été inventoriées dans la forêt classée. Par cette flore, 30 espèces ont présenté un statut particulier, preuve de la valeur de conservation de cette formation végétale. Toutefois, de nombreuses activités anthropiques pratiquées menacent l’intégrité de cette forêt classée.


Mots clés: Occupation des terres, images satellitaires, paramètres floristiques, valeur de conservation, Côte d’Ivoire

INTRODUCTION

En Côte d’Ivoire, la biodiversité végétale est menacée par des activités qui accentuent les pressions subies par les forêts, au point où celles-ci connaissent des taux de déforestation annuels de 1,86 % par an pendant la décennie 2000-2010 (Adingra, 2017). Selon BNTED (2015) les causes de la diminution drastique du couvert forestier sont entre autres l’agriculture, l’exploitation forestière incontrôlée des ressources vivantes, les exploitations minières ainsi que la croissance démographique.

Dans l’objectif de préserver son couvert forestier, l'État ivoirien a adopté, entre 1968 et 1974, une série de lois visant à instaurer des Parcs Nationaux, des Réserves Naturelles et des Forêts Classées (Monza, 1996). Ces aires protégées sont censées représenter des zones de conservation privilégiées de la flore et de la faune (Tankoano, 2012). Malheureusement, force est de constater que ces différentes dispositions gouvernementales n’ont pas pu empêcher la destruction massive des surfaces forestières qui menacent dangereusement les ressources phytogénétiques du pays (Silué, 2018).

Cette situation est plus accentuée en zone soudanienne, surtout avec la crise socio-politique de 2002 à 2011, qui a soustrait du contrôle de l’autorité gouvernementale plusieurs forêts classées. La forêt classée de Pouniakélé, situé dans la région de la Bagoué, plus particulièrement dans le département de Kouto, n’échappe pas à cette situation. Elle pourrait avoir été fortement dégradée du fait de l’infiltration massive de populations en quête de terres propices à l’agriculture, d’espace pastoral, des feux de brousse et sous les effets des variabilités climatiques (sécheresses récurrentes, déficits pluviométriques, réchauffement).

Malheureusement, depuis l’érection de cette zone en forêt classée, aucune étude sur la végétation n’y a été conduite et les données relatives à sa diversité biologique et à sa phyto-sociologie manquent ou sont insuffisantes. Pour pallier cette insuffisance, une étude sur la caractérisation de la végétation et la flore a été conduite dans cette forêt. L’hypothèse de cette étude est que les infiltrations humaines liées à l’absence de l’autorité de l'État, combinées aux variabilités climatiques, ont produits des changements sur le couvert végétal et menace la flore dans la forêt classée de Pouniakélé.

L’objectif de cette étude est de faire un état des lieux de la végétation de la forêt classée de Pouniakélé et de déterminer sa contribution pour la conservation de la biodiversité en Côte d’Ivoire. De façon spécifique, il s’agit de (i) cartographier et d’analyser la dynamique d’occupation de sol de la forêt classée de Pouniakélé, (ii) d’inventorier la flore actuelle et (iii) d'évaluer la valeur de la conservation de la biodiversité de cette forêt.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Description de la zone d’étude

La zone d’étude est située à l’extrême Nord de la Côte d’Ivoire, dans la région de la Bagoué, entre 6° 35’ et 6° 25’ de latitude Nord et entre 10° 5’ et 10° 20’ de longitude Ouest (Figure 1). Elle couvre une superficie de 9 233 hectares et est située dans le secteur soudanais à deux saisons contrastées. La pluviométrie annuelle oscille entre 1000 et 1400 mm en moyenne. La température moyenne annuelle est de 27°C. Le relief est caractérisé par son plan horizontal fait de plaines et de plateaux dont la monotonie est rompue, par endroits, par l’apparition de chaînes de collines ou de dômes rocheux qui varient entre 400 et 600 m d’altitude. Au niveau pédologique, les sols comprennent, les lithosols (4 p.c.), les vertisols (39 p.c.) et les sols ferrugineux (57 p.c.), selon Beaudou et Sayol (1980). Sur le plan hydrographique, la forêt classée de Pouniakélé appartient au bassin versant du fleuve Bagoué, un affluant du fleuve Niger. La végétation est composée de galeries forestières, de forêts claires et de savanes arborées, arbustives et herbeuses (Guillaumet et Adjanohoun, 1971). L’agriculture itinérante sur brûlis est l’activité prépondérante pratiquée dans ce milieu.

Matériel

Le matériel d’étude est composé du matériel biologique et du matériel technique. Le matériel biologique est constitué des espèces végétales de la réserve forestière. Le matériel technique est constitué du matériel utilisé usuellement par le botaniste (GPS, décamètre de 50 m, fiches de collectes de données, sécateur, papier journal, etc.) et d’images satellitaires Landsat ETM et ETM+.

Collecte des données cartographiques

Les images satellitaires optiques utilisées proviennent des capteurs ETM (Enhanced Thematic Mapper) et ETM+ (Enhanced Thematic Mapper Plus) de Landsat. Elles se répartissent en deux scènes (198-53 et 198-53) centrées sur la ville de Boundiali. Elles ont été acquises le 27 janvier 2002 pour le capteur ETM et le 30 mars 2016 pour le capteur ETM+. Ces dates ont été choisies afin de déterminer la situation de l’occupation du sol peu avant le déclenchement de la crise politico-militaire en 2002 et la reprise en main de la forêt classée de la Palé par l’administration forestière en 2016. Un GPS (Global Positioning System) a été utilisé pour localiser les points d’échantillonnage pour la reconnaissance et le contrôle de terrain.

Collecte des données floristiques

Les données floristiques ont été recueillies à travers des relevés de surface et itinérants dans la forêt classée afin d’apprécier ses diversités qualitative et quantitative. La méthode de surface consiste à délimiter 10 parcelles de surface fixe de 1 ha (100 m x 100 m). Chaque parcelle a été subdivisée en 100 placettes de 100 m² (10 m x 10 m) et 10 placettes ont été choisies au hasard pour la collecte des données floristiques. Dans chacune des placettes, les espèces végétales vasculaires ont été recensées, sans tenir compte de leur abondance, ni de leur taille. Le positionnement des parcelles d’inventaires s’est fait à partir des points choisis, arbitrairement, sur la carte de la forêt classée et reparties de façon homogène sur la superficie de ladite forêt. Pour les espèces non encore identifiées et hors des placettes, elles ont été prises en compte par la méthode itinérante qui consiste à recenser les espèces en parcourant le site le long des pistes et des cours d’eaux. Des échantillons des espèces non identifiées sur le terrain ont été récoltés et comparés à ceux de l’Herbier du Centre National de Floristique (CNF) de l’Université Félix Houphouët-Boigny, en vue de leur identification.

Analyse des données cartographiques

La méthode de comparaison diachronique de classification a été utilisée comme dans les travaux de Hoang et al. (2008) pour détecter les changements d’occupation des sols. Cette méthode, qui est basé sur la classification de deux scènes acquises à des dates différentes s’est effectuée en trois principales étapes: le prétraitement des images après leur acquisition, l’amélioration de leur qualité et la classification proprement dite.

En ce qui concerne la première étape, elle a débuté par la correction radiométrique puisque la correction géométrique n’a pas été nécessaire, les images étant déjà géoréférencées. La correction radiométrique a consisté à normaliser l’image selon les propriétés du capteur Landsat 7 ETM+, de convertir les valeurs numériques des images en valeurs de réflectance selon les paramètres du capteur Landsat 7 ETM+ et de minimiser l’impact de conditions no-surfaciques sur les valeurs de l’image de 2002.

Pour la deuxième étape, plusieurs compositions colorées ont été réalisées dans le but d’associer les canaux qui véhiculent le maximum d’informations. Les images obtenues étant en niveau gris, il a fallu utiliser la composition colorée pour produire des images couleur à partir de la combinaison de trois bandes spectrales, relatives aux trois couleurs primaires, rouge, vert et bleu (Enonzan, 2010). Des unités homogènes d’occupation du sol ont ensuite été délimitées sur la base des signatures spectrales observées sur l’image la plus récente (2016). Les coordonnées géographiques des différentes unités de végétation délimitées ont été générées et transférées dans un GPS.

La classification proprement dite comprend le choix des parcelles d’entraînement et la classification supervisée a priori. Les parcelles d’entraînement constituent la base des traitements pour la classification. Le choix de ces parcelles se fait grâce au travail de terrain, aux documents cartographiques et à l’interprétation visuelle des images en composition colorée. Ces parcelles sont issues des unités homogènes d’occupation du sol ont ensuite été délimitées sur la base des signatures spectrales observées sur l’image de 2016. Les coordonnées géographiques ont été générées et transférées dans un GPS.

La classification supervisée a été effectuée par la méthode des K-Means (classification par les Nuées Dynamiques) pour regrouper les classes d’occupation du sol présentant les mêmes valeurs radiométriques (Bonn et Rochon, 1993). Elle aboutit à la discrimination d’un nombre de classes élevées qui offre la possibilité de fusionner ultérieurement suivant différents thèmes (forêts, savanes, cultures etc.). La validation des classifications a été réalisée à l’aide d’outils statistiques que sont la matrice de confusion et l’indice Kappa.

Analyses des données floristiques

Pour l’analyse floristique, la richesse et la composition floristiques ont été déterminées. La richesse floristique a été évaluée au niveau spécifique, générique et de la famille. L’analyse de la composition floristique a consisté à relever pour chaque espèce identifiée, le type biologique (Aké-Assi, 2001; 2002) et l’affinité chorologique (Chatelain et al., 2011). Ces paramètres donnent des renseignements sur la stabilité et la dynamique de la forêt et peuvent servir d’indicateurs de l’intensité des perturbations passées de l’écosystème (Bakayoko, 2005). La valeur pour la conservation de la biodiversité de la forêt a été évaluée à travers la détermination des espèces à statut particulier. Ce sont les espèces rares, menacées de disparition (ou d’extinction) ou encore endémiques. Dans cette étude, le statut des espèces inventoriées a été déterminé selon la liste rouge de L’UICN (2018) et celle des espèces menacées de Aké-Assi (1998). Les espèces à valeur commerciale ont été recensées et reparties selon les catégories établies par la SODEFOR (1993).

RÉSULTATS

Dynamique d’occupation du sol

Analyse de la précision thématique

Les tableaux 1 et 2 montrent pour chacune des classes, le niveau de fiabilité moyen et les principales confusions observées entre les types d’occupations du sol. La discrimination entre les classes thématiques donne pour chacune des classifications des précisions globales de 83,0% et 89,2% respectivement pour l’image de 2002 et 2016. Les indices Kappa sont presque parfaits allant de 0,77 (2002) à 0,86 (2016). Les classes d’occupations du sol identifiées sont les forêts denses sèches/forêts galeries, des forêts claires, des savanes arborées, des savanes arbustives et des zones de cultures.

Analyse des confusions thématiques

Les valeurs en gras dans la diagonale des tableaux 1 et 2 correspondent pour chaque type d’occupation, aux taux de pixels bien classés, c’est-à-dire les taux de pixels d’une classe effectivement affectée à celle-ci par la méthode de classification utilisée. D’une manière générale, les précisions cartographiques obtenues pour les classes d’occupation identifiées, pour les deux images sont bonnes car supérieures à 80 %. Tous les types d’occupations du sol au niveau de la forêt sont bien classés. Toutefois, des confusions ont été notées entre certaines classes d’occupations du sol. An niveau de l’image de 2002, la plus forte confusion (18,2%) se situe entre le complexe forêt dense sèche/forêt galerie et la forêt claire. À côté de cette valeur de 18,2 %, on note une confusion de 12,2 % entre la classe savane arborée et la forêt claire. Pour l’image de 2016, la plus forte confusion se situe entre les classes des zones de cultures et des savanes arbustives (12,3 %).

Évolution de l’occupation du sol de 2002 à 2016

L’analyse qualitative de la dynamique de l’occupation du sol passe par la présentation de la carte de 2002 et celle de 2016 (Figure 2). Les modifications spatio-temporelles qui ont lieu au cours de ces dix années s’observent clairement. L’observation faite est la disparition de la savane arborée au profit des zones de cultures. Ces modifications s’apprécient quantitativement par les superficies (Tableau 3).

L’analyse du tableau 3 montre que le taux de la savane arborée est passé de 36,9 % en 2002 à 14,2 % en 2016 soit une réduction de 22,6%. Par contre, on observe une augmentation de 3,62% du complexe forêt dense sèche/forêt galerie qui est passée de 19,6% en 2002 à 23,2% en 2016. Le taux de la forêt claire varie de 15,9% en 2002 à 18,9% en 2016, soit une hausse de 2,94%. La savane arbustive passe de 13,95%, en 2002, à 25,1%, en 2016. Quant aux zones de culture, leur taux d’occupation est passé de 13,6% en 2002 à 25,1% en 2016, ce qui correspond à une augmentation de 11,5%.

Les espaces qui ont connu une évolution positive sont estimées à 11,8% et sont réparties sur l’ensemble de la forêt (Figure 3). Par contre, les zones qui ont subies une régression, sont concentrées en majorité dans la partie sud de la forêt et se rencontrent de façon éparse dans la partie Nord. Ces zones représentent 12,3% de la superficie totale; par ailleurs, 75,9% de la forêt n’a pas connu d’évolution.

Analyse de la diversité floristique

Richesse et composition floristiques

L’inventaire de la flore a permis de recenser 316 espèces, réparties en 211 genres et 62 familles. Parmi ces dernières, les plus importantes en nombres d’espèces (Figure 4) sont les Fabaceae (18,0%), les Poaceae (11,7%), les Rubiaceae (6,65%), les Asteraceae (5,38%), les Cyperaceae (5,06%), et les Malvaceae (4,75%). L’analyse de la richesse floristique des Angiospermes met en évidence la prépondérance des Dicotylédones qui sont représentés par 230 espèces (72,8%) qui se répartissent entre 159 genres et 47 familles. Les Monocotylédones suivent, avec 85 espèces (26,9%), 51 genres et 14 familles. Une espèce (0,32%) de Ptéridophytes a été recensée dans cette forêt (Tableau 4).

Types biologiques et chorologiques

L’analyse du spectre biologique des espèces (Figure 5) montre une forte représentativité des phanérophytes (63,5%), des thérophytes (14,6%), des hémicryptophytes (9,20%). Les chaméphytes (2,54%) et les épiphytes (1,59%) sont relativement peu représentés. Parmi les phanérophytes, les microphanérophytes sont dominants (30,8%), et sont suivis des nanophanérophytes (24,1%). Les mégaphanérophytes (2,22%) sont moins représentés. L’examen du spectre chorologique (Figure 6), montre dans l’ensemble que la flore recensée dans la forêt classée de Pouniakélé est à 49,0% d’espèces endémiques et à 48,4% d’espèces à large distribution. En considérant les espèces d’endémisme phytogéographique, elle est très représentée par des espèces soudano-zambéziennes (SZ), à 20,9%, suivies des espèces de liaisons (GC-SZ), à 18,0% et guinéo-congolaises (GC), à 10,5%. Les espèces endémiques ouest-africaines (0,63 %) sont faiblement représentées

Valeur pour la conservation de la biodiversité

La flore de la forêt classée de Pouniakélé comprend trente-deux (32) espèces à statut particulier (Tableau 5). Deux (02) espèces sont signalées comme endémique Ouest africaine (GCW) et haute guinée (HG). Il s’agit de Diospyros mespiIiformis et Tricalysia faranahensis. Vingt-cinq (25) de ces espèces sont sur la liste rouge de l’UICN. Il s’agit en majorité d’espèces à préoccupation mineure (LC), entre autres, Acroceras zizanioides, Ceiba pentandra, Isoberlinia doka, Parkia biglobosa, d’espèces vulnérables (VU), entre autres, Afzelia africana, Detarium senegalense, Vitellaria paradoxa, d’espèces à risque mineure (LR) et d’espèces en danger (EN), à savoir Pterocarpus erinaceus. Cette liste d’espèces particulières comporte également trois (03) espèces sur la liste des espèces menacées de Aké-Assi (1998): Aubrevillea platycarpa, Detarium microcarpum et Lannea nigritana. Par ailleurs, la forêt classée de la Pouniakélé compte sept (07) espèces de grande valeur commerciale. Il s’agit des espèces de catégories 1 (P1), tels que Afzelia africana, Ceiba pentandra et Pouteria altissima et des espèces de catégorie 3 (P3), tels que Detarium senegalense, Holoptelea grandis et Parinari excelsa.

DISCUSSION

Occupation du sol

Les valeurs de précision globale (83,0% et 89,2%) de même que celles des coefficients de Kappa (0,77 et 0,86) obtenus respectivement pour l’image de 2002 et 2016 témoignent de la validité des cartes d’occupation générées. En effet, selon Pontius (2000), une étude d’occupation du sol peut être validée si le taux de classification global est compris entre 50% et 75%. Des résultats similaires ont été obtenus par Soro et al. (2013), dans une étude menée sur le bassin versant du Bandama Tortiya, en Côte d’Ivoire. Toutefois, des confusions, bien que mineurs, ont été enregistrées entre certaines classes d’occupation du sol. Ces confusions sont dues à des réponses spectrales similaires pour certaines formations végétales (Tankoano et al., 2015).

Les images ont permis de dégager la tendance générale de la dynamique de l’occupation des sols. Cette tendance révèle l’augmentation des zones de cultures aux dépens de la savane arborée. Cette régression de la savane au profit des zones anthropisées a été observée également par Kone et al. (2007) dans la forêt classée du Mont Korhogo en Côte d’Ivoire et par Mama et al. (2013) dans la zone soudanienne au Nord du Bénin. Ces auteurs observent une régression continue des forêts-savanes au profit des champs-jachères, sols nus et agglomérations. L’évaluation de la dynamique spatio-temporelle de l’occupation du sol dans la forêt classée montre une régression des formations boisées qui sont passées de 72,4 p.c. en 2002 à 56,3 p.c. en 2016. Ce qui équivaut à une perte de 98,98 ha/an. Les causes de la régression des formations boisées, en Afrique de l’Ouest, sont connues. Kokou et al. (2006) ont montré qu’elles sont d’origine anthropique (feux de brousse, agriculture, surpâturage, exploitation forestière). Les modifications climatiques enregistrées ces dernières années peuvent avoir également une influencé sur la dynamique d’occupation du sol de la forêt (Adjonou et al., 2010; Tankoano, 2012).

Une partie des savanes arborées a évolué en forêt claire et forêt dense sèche/forêt galerie boisées et une autre partie a régressé en savane arbustive, au cours des dix (10) années. Plusieurs auteurs ont souligné que la flore et la végétation d´une région est le résultat d´un long processus de sélection naturelle sous l´action du climat, des conditions édaphiques et topographiques, sans oublier les activités anthropiques (Toko, 2013; Sandjong et al., 2013).

Diversité floristique

Au total 316 espèces, réparties en 211 genres et 62 familles ont été inventoriées dans la forêt classée de Pouniakélé. Cette richesse floristique, bien qu’inférieure à celles de certaines forêts classées ivoiriennes (N’guessan et Kassi, 2018; Kouassi, 2007), illustre le rôle de cette forêt classée pour la conservation de la biodiversité au Nord de la Côte d’Ivoire. Elle est supérieure à celle obtenue par Gbozé et al. (2020) dans la forêt classée de Badenou (241 espèces) située en zone soudanienne. L’effort de protection et la taille dont ont bénéficié certaines forêts classées, les conditions climatiques plus favorables sont d’autant de facteurs qui influencent leurs richesses floristiques.

Les familles botaniques les plus dominantes sur le site sont les Fabaceae et les Poaceae. La prédominance des Poaceae et des Fabaceae sur les Rubiaceae est une caractéristique des savanes soudaniennes (Thiombiano, 1996; Hahn-Hadjali, 1998). Les Ptéridophytes (Fougères) ne sont représentées que par une seule espèce: Nephrolepis biserrata. Cette rareté des Ptéridophytes pourrait s’expliquer par la faiblesse de l’humidité du milieu (Aké-Assi, 2001).

Le spectre biologique se caractérise par la dominance des phanérophytes (64,6%) au sein desquels les microphanérophytes sont majoritaires. Cela met en évidence le caractère forestier de la végétation de la forêt classée de Pouniakélé dans cette zone soudanaise de la Côte d’Ivoire (Gbozé et al., 2020). La présence des thérophytes est sans doute favorisée par l’activité de pâturage exercée dans la forêt, qui enrichit le sol en nitrates et permet le développement des rudérales, notamment annuelles (Barbero et al., 1990).

La répartition des types phytogéographiques montre la dominance des espèces à large distribution. L’abondance relative de ces espèces traduit une perte d’identité de la végétation par la pénétration d’espèces à large distribution (Masharabu et al., 2010). Il s’agit d’espèces herbacées rudérales appartenant aux familles des Poaceae et Fabaceae (Sinsin, 2001). Toutefois la représentativité des espèces à distribution régionale montre bien que la forêt classée de Pouniakélé garde encore sa flore originelle.

Valeur pour la conservation de la biodiversité

Signalons que la forêt classée de Pouniakélé compte 32 espèces à statut particulier. Parmi ces espèces, 29 ont un statut écologique particulier. Les espèces endémiques rares et menacées d’extinction sont celles pour lesquelles les efforts de conservation doivent être prioritaires. La faible représentativité de ces espèces dans cette partie de la Côte d’Ivoire peut être attribuée en grande partie à la faible pluviométrie enregistrée dans cette zone (Kouassi, 2007) mais aussi aux perturbations anthropiques (Ouattara et al., 2016). En effet, de nombreuses études menées dans la zone ombrophile, à forte pluviométrie, ont révélé leur abondance (Nguessan et Kassi N’dja, 2018; Goné Bi et al., 2013).

CONCLUSION

L’étude diachronique de la dynamique de l’occupation du sol, sur la forêt classée de Pouniakélé, a permis de cerner sa dynamique spatio-temporelle de 2002 à 2016, caractérisée par une augmentation de la classe «zones de cultures» au détriment de la classe «savane arborée». Les formations boisées ont cédé progressivement place en partie aux formations anthropisées. Les défrichements agricoles, les feux de brousse et les activités pastorales constituent les principales causes de cette perte de la couverture végétale de la forêt classée de Pouniakélé.

Sur le plan floristique, cette forêt abrite un important nombre d’espèces végétales qui appartiennent à plusieurs familles botaniques dont les plus importantes sont au nombre de six. Parmi cette florule, l’on note une grande diversité d’espèces à statut particulier dont la présence illustre bien le rôle joué par cette forêt classée dans la conservation de ces espèces menacées. Cependant, la présence d’activités agricoles en bordure, de même que les différentes activités de chasses à l’intérieur de la forêt pourraient nuire gravement à son intégrité si certaines précautions ne sont pas prises. Cette étude montre bien l’impact négatif de l’absence de l’administration forestière sur la conservation de la phytodiversité des forêts classées du Nord de la Côte d’Ivoire.

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