Résumé

La lentille de Zaer est maintenue dans un agrosystème traditionnel qui associe le savoir local et la diversité génétique. Elle est caractérisée par une adaptation spécifique aux contraintes environnementales locales et par une notoriété en rapport avec ses qualités technologiques et organoleptiques. Cette étude vise l’identification des pratiques agricoles à l’origine du maintien de son potentiel d’adaptation et de sa typicité. Elle s’est basée sur (1) une enquête menée auprès des producteurs sur le système de production et de gestion de semences, (2) une analyse de la diversité génétique de la lentille de Zaer, et (3) la détermination de sa valeur technologique et nutritionnelle. Les résultats montrent que sa conservation in situ est liée au système de production et d’échange de semences, sa diversité génétique est structurée par typologie d’agriculteurs et par année climatique avec un polymorphisme variant de 21,7 % à 91,8 % et à ses caractéristiques organoleptiques typiques. Sa préservation in situ est renforcée par sa qualification sous un label de qualité lié à son origine géographique (IG).


Mots-clés: Lentille de Zaer, savoir-faire local, diversité génétique, conservation in situ, typicité, Maroc.

INTRODUCTION

Les produits de terroir se caractérisent par un patrimoine génétique de grande valeur agronomique et culturelle qui nécessite un regain d’intérêt à travers leur caractérisation agronomique, chimique et génétique. La valorisation des produits de terroir dans un contexte socio-économique peut engendrer une plus-value économique réelle que le consommateur paie pour son authenticité et sa proximité.

Conscient du potentiel du Maroc en produits de terroir, la politique agricole nationale « Plan Maroc Vert » a consacré le pilier II à l’accompagnement de l’agriculture solidaire via le développement de nouvelles niches de production répondant aux nouveaux contextes climatiques et socio-économiques. La promotion et la valorisation des produits de terroir peuvent à la fois contribuer à la sécurité alimentaire des populations vulnérables dans le cadre du changement climatique, et constituer un vecteur de développement rural.

L’approche adoptée dans cette orientation concerne le renforcement de la conservation in situ des produits de terroir à grande valeur génétique, économique et environnementale et leur valorisation sous un signe distinctif d’origine et de qualité dans le cadre de la loi 25-06. Les labels de qualité et d’origine sont des outils de confiance qui rassurent le consommateur sur la qualité du produit. Ils contribuent à la préservation et à la promotion des produits en constituant un vecteur de développement local à travers la création de valeur économique en rapport avec sa qualité typique. La plus-value est liée à la hausse de la demande des consommateurs et à la création de nouveaux secteurs de restauration et d’écotourisme. Ceci ne peut être valorisant sans une meilleure organisation des producteurs afin de mieux tirer profit de la chaîne de valeur de la filière via l’augmentation du niveau de production et l’accès à de nouveaux points de vente. L’objectif est d’améliorer la valeur ajoutée des chaînes de valeur de ces produits en (i) valorisant leur typicité, (ii) protégeant l’environnement contre la dégradation et la perte de la biodiversité et (iii) en préservant le patrimoine immatériel local en rapport avec les pratiques agricoles, les usages et les habitudes locales.

La richesse et la diversité des produits de terroir au Maroc se rapporte à la diversité agro-écologique de leur aire géographique de production, leur ancrage dans différentes traditions locales, et au niveau de production qui peut se limiter à une production domestique ou atteindre une production industrielle. Dans le but de préserver son patrimoine génétique et culturel, le Maroc a adopté une législation sur les signes distinctifs d’origine et de qualité (SDOQ) depuis juin 2008 (loi 25-06). Une centaine de produits potentiels ont été recensés. La première Indication Géographique a été attribuée à l’arganier en avril 2009. Trente-sept produits sont labélisés jusqu’en avril 2015, dont deux «label agricole (LA)», cinq «appellation d’origine (AOP)» et trente «indication géographique (IGP)» dont la lentille de Zaer qui fait l’objet de cette étude.

La lentille de Zaer est ancrée dans l’agrosystème traditionnel local depuis presque cinq décennies. Elle présente une grande notoriété auprès des producteurs et des consommateurs en rapport avec son potentiel d’adaptation et ses qualités technologiques et organoleptiques typiques. Sa typicité résulte de l’interaction entre une base génétique en interaction avec un environnement à contraintes spécifiques (facteur naturel) et des pratiques agricoles traditionnelles adaptées aux contextes socio-économiques (facteur anthropique). Elle a été nommée et sauvegardée à travers des générations pour répondre aux besoins des agriculteurs en semences qui prennent en considération les conditions environnementales de son aire de production et aux préférences des consommateurs en termes de qualité alimentaire et organoleptique. De plus, la lentille de Zaer, à l’image des légumineuses, joue un rôle important dans la gestion et la durabilité des systèmes de production agricole en termes d’utilisation et de conservation des ressources naturelles, contribue à la sécurité alimentaire de 22% de la population locale (Haut-Commissariat au Plan, 2004) et à la création d’emplois et au revenu. Cependant, elle est menacée par le changement climatique et par l’innovation variétale (Benbrahim et al., 2016 b).

L’objectif de cette étude est (i) d’identifier les pratiques agricoles qui ont contribué à travers le temps à la conservation in situ de la diversité génétique de la lentille de Zaer, au maintien de son potentiel d’adaptation à un écosystème extensif fragilisé par les aléas climatiques et de sa typicité technologique et organoleptique et (ii) d’analyser les processus génétiques et sociaux impliqués dans sa valeur adaptative.

L’étude a concerné (1) une enquête menée auprès des producteurs sur le système de production et de gestion de la semence à l’origine de sa conservation à la ferme, (2) l’analyse de sa diversité génétique sur la base des traits phénotypiques des graines récoltées et agro-morphologiques des lignées collectées des champs prospectés et (3) la détermination de la qualité alimentaire et technologique des graines.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Diagnostic

L’aire géographique de production de la lentille de Zaer a été délimitée par une prospection des champs dans la région de Zaer. Quatre sites ont été concernés; Ain Sbit (O 6° 48, N 33° 52), Jamaat Moulblad (O 6° 43, N 33° 58), Aghbal (O 6° 52, N 33° 60) et Brachoua (O 6° 62, N 33° 65). L’enquête a été menée auprès de 41 agriculteurs choisis au hasard à travers cette aire géographique. L’objet de l’enquête est d’identifier les pratiques agricoles à l’origine de la préservation du potentiel d’adaptation de la lentille de Zaer à un environnement à contraintes et de sa typicité technologique et organoleptique. Pour ce faire, un questionnaire a été établi en vue d’identifier l’origine de la semence, le système traditionnel de production et de gestion post-récolte, et de déterminer la dynamique de la semence dans son aire géographique de production (Tableau 1).

Caractérisation génétique

L’évaluation de la variabilité génétique de 130 lignées de la lentille de Zaer a été effectuée sur la base de 20 traits agro-morphologiques de la plante et des traits phénotypiques des graines et des cotylédons (Tableau 2). Les lignées ont été collectées dans les champs de lentille choisis au hasard à travers son aire géographique de production au stade végétatif 90% maturité des graines en appliquant les normes de collecte citées par le guide pratique de Marchenal et al., (1994).

Tableau 2: Liste des traits agro-morphologiques mesurés

N° Variables agro-morphologiques

1 Hauteur Haut

2 Ramifications primaires RAM-I

3 Ramifications secondaires RAM-II

4 Noeuds végétatifs NDV

5 Inter-noeud IN

6 Longueur feuille LF

7 Nombre folioles Fol

8 Longueur foliole LFol

9 Largeur foliole lFol

10 Noeuds fertiles NDF

11 Gousses/Pédoncule Gss/Pd

12 Longueur pédoncule LPd

13 Gousses/Plante Gss/PL

14 Gousses fertiles GssF

15 Graines/Plante Gr/PL

16 Poids mille graines/ Plante (g) PMGPL

17 Début floraison DF

18 Vigueur plante Vig

19 Cycle végétatif MAT

20 Rendement Rdt

Caractérisation chimique

La qualité alimentaire des graines et de ses composantes a été déterminée par la teneur en protéines (méthode de Kjeldhal), en fibres (méthode de Van Soest et Win), en glucides (spectrophotomètre à 620 nm), en lipides (spectrométrie de masse), en minéraux (spectrométrie de masse), en polyphénols (méthode Folin-Ciocalteu) et en tanins condensés (méthode de Julkunen-Titto).

La qualité technologique a été déterminée par le test de cuisson, la qualité de cuisson, le poids spécifique des graines (PS), le poids de mille graines (PMG) et l’aptitude au décorticage.

Analyses Statistiques

L’analyse statistique des données générées de l’enquête a été réalisée en adoptant l’analyse en composantes principales (ACP) et la classification hiérarchique afin de regrouper les agriculteurs selon leur catégorie et selon les pratiques culturales.

L’analyse de la variance (ANOVA) des variables phénotypiques et agro-morphologiques au seuil de α=0,05 a été effectuée par la procédure de GLM (General Linear Model) complétée par le test de Duncan pour la comparaison des moyennes en utilisant le logiciel SAS (version 9.1).

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Origine et ancrage dans la région de Zaer

D’après des sources orales, la lentille de Zaer pourrait être issue d’une importation ponctuelle de lentille effectuée en 1969/70 en provenance de la France suite à la mauvaise récolte des années agricoles 1967/68 et 1968/69 due aux aléas climatiques (ONICL et FAOSTAT,1961-2009). Elle s’est enracinée dans la région de Zaer pour répondre au besoin alimentaire des populations locales à ressources limitées. Son aire géographique de production s’est délimitée par ses aptitudes agronomiques. Elle représente une entité physique (écologique et pédoclimatique), humaine (savoirs et pratiques traditionnelles) et historique (conservation in situ). D’après les producteurs les plus âgés, la stabilité de la production était le facteur de son ancrage dans la région et ses valeurs intrinsèques sont à l’origine de son maintien dans son terroir jusqu’à présent.

Pratiques agricoles à l’origine de la conservation in situ

La lentille de Zaer est identifiée comme une variété bien adaptée au système de culture local et qui répond aux exigences des producteurs en termes de productivité et aux attentes des consommateurs en termes de qualité alimentaire. Sa production est conduite chaque campagne à partir de la récolte et elle est intégrée au système agricole de l’exploitation où se font aussi bien la production, le stockage et l’échange de semences. Chaque année, un lot de semences réservé pour régénérer la production de la campagne suivante est pris de la récolte. Les caractéristiques agronomiques des plantes mères ne sont pas prises en considération lors du prélèvement du lot de semences (sélection massale). Il reflète par conséquent la qualité globale de la récolte.

Cette pratique traditionnelle est à l’origine de la conservation dynamique et évolutive du potentiel d’adaptation de la lentille de Zaer et permet à l’agriculteur d’assurer une autonomie en termes de disponibilité de semences et de disposer d’une source de semences fiables, phénotypiquement reconnaissable et stables dans les contraintes environnementales spécifiques. Selon les données de l’enquête, la semence est gérée selon la typologie de l’agriculteur et le niveau de production en rapport avec l’année climatique. Les grands producteurs assurent la production de leur semence quelle que soit l’année climatique, ils conservent la base génétique de la lentille de Zaer. Les moyens agriculteurs assurent la production de leurs semences à l’exception d’au moins deux années consécutives de mauvaise récolte, ils conservent le noyau génétique de la lentille de Zaer alors que les petits agriculteurs (75 %) s’approvisionnent des grands et moyens agriculteurs à l’exception des bonnes années agricoles. Ils assurent l’échange de semences à l’échelle du site ou entre sites quand l’incidence des mauvaises années agricoles augmente. L’échange de semences permet de maintenir un niveau approprié de diversité génétique et de consolider sa conservation in situ dans le temps, comme soulevé également par Harrisson, (1997).

Facteurs évolutifs du potentiel d’adaptation

Le potentiel d’adaptation spécifique de la lentille de Zaer est lié à sa variabilité génétique qui est maintenu à travers les générations par la production informelle de semences (Altieri et al., 1987; Almekinders, 2000; Maxted et al., 2000; Pressoir et al.,2004). Le niveau de diversité est lié au nombre de lignées qui la composent et qui reste proportionnel à la surface cultivée (Falconer, 1989; Hedrick et Miller, 1992), au climat de l’année agricole et aux pratiques agricoles. La variabilité génétique est un facteur d’adaptation et une condition d’évolution à travers le temps dans un espace à contraintes. En effet, le potentiel d’adaptation dynamique et évolutive de la lentille de Zaer est conditionné par son niveau de variabilité génétique. Cette base génétique est continuellement exposée à un effet conjugué de sélection naturelle (environnement pédoclimatique) et anthropique (décisions et pratiques agricoles) qui exercent des pressions sélectives au cours du cycle végétatif en favorisant le développement des lignées les mieux adaptées et en pénalisant celles les plus sensibles. Sa diversité génétique est alors variable dans le temps et dans l’espace. Elle est exposée sans cesse à une dérive génétique chez les petits agriculteurs (aléas climatiques), recréée et réorganisée grâce à l’échange de semences. L’agriculteur, en tant qu’acteur des décisions et des pratiques agricoles, gère la variabilité génétique au niveau de son exploitation sur la base des traits phénotypiques en tenant compte de l’environnement pédoclimatique, la valeur socio-économique et la politique agricole nationale (Pilier II - 2010). L’interaction entre la variabilité génétique, les conditions environnementales et les pratiques agricoles est à l’origine de la typicité de la lentille de Zaer.

Facteurs socio-économiques

La lentille est produite dans un agrosystème traditionnel où le rendement est tributaire de l’année climatique, la production de semence est informelle, la mécanisation est faible, et l’infestation des maladies, des plantes parasites et des ravageurs sont à l’origine des pertes significatives de production.

Selon les données de l’enquête, les agriculteurs, selon leur niveau socio-économique, sont amenés à prendre des décisions concernant le désherbage et le traitement phytosanitaire en fonction des prévisions climatiques et du niveau potentiel de production dans le but d’optimiser la marge bénéficiaire de la production de lentille.

En absence d’un désherbant sélectif anti-dicotylédone, d’un traitement efficace contre l’orobanche et d’une mécanisation de la récolte, la rentabilité de la culture de lentille reste faible et instable en rapport avec le grand besoin en mains d’œuvre (60 % des charges) et les prix bas de vente au profit des intermédiaires et des spéculateurs (Tableau 3). Le prix de vente varie en fonction de l’offre et de la demande liées à l’année climatique et à la qualité sanitaire des graines. Les charges moyennes d’un hectare de lentille sont estimées en moyenne à 7900 Dh avec des variations en fonction de l’année climatique. Le rendement moyen varie de moins de 3 q/ha en mauvaise année agricole, à 10 q/ha en année agricole normale et à 20 q/ha en bonne année agricole. Un rendement inférieur à 10 q/ha ne peut couvrir les charges de la culture.

Tableau 3: Coût de production d’un hectare de lentille dans la région de Zaer

Rubriques Coût en % des charges

Location et préparation du champ 15

Semences 6

Engrais et pesticides 5

Main d’oeuvre 60

Matériel agricole 10

Sacherie 2

Transport 2

Charges totales 7900 Dh

Évaluation de la variabilité génétique de la lentille de Zaer

Traits phénotypiques des graines

Les traits phénotypiques jouent un rôle important dans la détermination de la valeur marchande présumée des graines en tenant compte des préférences des consommateurs, souligné également par Sharma (2011). Selon les données de l’enquête, les critères d’appréciation du consommateur se rapportent au poids spécifique des graines, au calibre et à la couleur du tégument et des cotylédons.

Couleur du tégument

Les couleurs de base du tégument des lentilles correspondent au vert, au brun, au gris et au noir (Sharma, 2011). La lentille de Zaer renferme au moins quatre fractions à proportion variable selon la couleur du tégument. Elle est composée en moyenne de 18,0% des graines à tégument vert-jaunâtre (Teg1), 52,2 % à tégument vert-olive (Teg2), 25,0 % à tégument brun (Teg3) et 4,8% à tégument marron, gris et marbré (Teg4) (Tableau 4). La proportion de chaque fraction varie en fonction de la typologie de l’agriculteur, du site de production et de l’année climatique. La variabilité phénotypique est maintenue par la production informelle de la semence et l’échange de semence. Il est à noter qu’une minorité des grands producteurs a tendance à sélectionner la semence selon les critères recherchés par les consommateurs. Cette sélection anthropique affecte négativement le niveau de diversité génétique qui risque de compromettre le potentiel d’adaptation de leurs populations.

Calibre des graines

Les graines de la lentille de Zaer sont généralement de petite taille (< 5 mm) de type microsperma. Le calibre des graines est sous contrôle polygénique avec une dominance partielle des allèles des graines à petit poids (Fratini et al., 2011). Le poids moyen de mille graines est de 37,7 g, il varie en moyenne de 35,7 g pour la population Aghbal à 40,8 g pour la population Brachoua. Il est sous l’influence des conditions environnementales.

La lentille de Zaer est composée des graines de taille variant de moins de 3 mm à 5 mm à proportions variable selon la typologie des agriculteurs, le site et l’année climatique. La fraction des graines à grande taille (Cal3>4 mm) représente en moyenne 43,6% alors que celle des graines de petite taille (Cal1 <3 mm) ne représente qu’une part moyenne de 10,2 % (Tableau 5). L’écart de trie des petites graines pourrait contribuer à l’augmentation de la valeur économique et à mieux satisfaire les exigences des consommateurs.

Couleur des cotylédons

Les graines décortiquées de la lentille de Zaer ont des cotylédons jaunes (89 %) et des cotylédons corail (11 %) (Tableau 6). La couleur du cotylédon est contrôlée par trois gènes à savoir le gène Y (jaune), le gène B (brun) et le gène DG (vert foncé). D’après les études de Emani et al., (1996), la couleur corail est obtenue quand les deux gènes Y (jaune) et B (brun) sont dominants.

La variabilité phénotypique des graines et des cotylédons de la lentille de Zaer témoignent de la variabilité génétique intra-métapopulation relevé également par Emani et al, (2000). Les cotylédons jaunes sont généralement issus des graines à tégument vert (Teg1(97,6%) et Teg2 (91,4%)) (Tableau 6a) ou des graines à grand calibre (Cal3) (92%) (Tableau 6b); alors que les cotylédons corail sont issus des graines à tégument brun (Tég3 (21,1%)et des graines à calibre moyen (Cal2 (14,7%) (Tableau 4). Les données de l’enquête ont relevés l’appréciation du consommateur marocain des graines de lentille ayant un tégument de couleur claire, de calibre moyen et ayant un cotylédon jaune.

Traits agro-morphologiques

La lentille de Zaer renferme une variabilité génétique structurée en lignées (morphotypes) de phénologie différente en rapport avec son mode de reproduction (autogame). Cette variabilité lui octroie une plasticité de croissance à l’origine de sa résilience au changement climatique imprévisible (Benbrahim et al, 2008). Elle est maintenue à travers des générations grâce à la production informelle de la semence. L’analyse de la variance des traits agro-morphologiques des lignées révèle une grande variabilité génétique avec un effet site et un effet agriculteur hautement significatif. Elle se rapporte principalement aux composantes de rendement (Figure 2 et 3). La plupart des caractères agronomiques sont sous contrôle génétique et leur expression est influencée par l’environnement (Génotype x Environnement). Le potentiel de production de la lentille de Zaer est le premier facteur de sa conservation in situ. Il varie en fonction de la catégorie des agriculteurs et de l’année climatique.

Traits agro-morphologiques des plantes selon les traits phénotypiques des graines

Le rendement est le facteur d’ancrage de la lentille de Zaer. Le changement climatique de la région de Zaer est caractérisé par l’augmentation de l’incidence de sécheresse de fin de saison agricole conjuguée à une élévation de température qui affecte négativement la productivité de la lentille de Zaer à cause de son cycle végétatif long. L’analyse des variables relatives aux traits agronomiques selon les caractères phénotypiques des graines montre une différence hautement significative pour la majorité des caractères mesurés (Tableau 7 et 8).

Par ailleurs, le rendement de la lentille de Zaer est déterminé selon l’étude de Benbrahim et al., (2016a) par le poids de mille graines, le nombre total de gousses par plante, la hauteur de la plante, le nombre de gousses par pédoncule et le nombre de graines par plante qui cumulent 50% de la variabilité du rendement. Le poids de mille graines et le nombre de gousses par plante ont un effet direct et significatif sur le rendement. Ils contribuent respectivement avec 24% et 13% à la variabilité de rendement. D’autres études confirme que le nombre de gousses par plante et le poids de mille graines ont un effet positif et direct sur le rendement (Barghi et al, 2012); Dixit et al. (2005).

Le regroupement des lignées à 82% de similarité des trait agro-morphologiques selon la classification de Jaccard, révèle quatre groupes de lignées (Figure 4 et 5).

Le rendement moyen maximal est obtenu par le groupe G4 (28,0 q/ha) et le groupe G2 (23,6 q/ha) représentant des lignées issues des graines à téguments variables. Le G4 représente 57 % et 43 % des lignées issues respectivement des graines à tégument Tég1 et Tég2. Elles sont caractérisées par une précocité moyenne de 95,7 jrs (94-96 jrs), une hauteur moyenne de 29,7 cm, et des graines de poids de mille graines (PMG) moyen de 36,7 g. Le G2 représente 63% et 37% des lignées issues respectivement des graines à tégument Tég1 et Tég3. Elles sont caractérisées par une précocité moyenne de 97,3 jrs (96-98 jrs), une hauteur moyenne de 32,6 cm, et des graines de poids de mille graines (PMG) moyen de 36,6 g (Figure 4).

Le rendement moyen maximal est obtenu par le groupe G1 (28,5 q/ha), le groupe G4 (27,3 q/ha) et le groupe G3 (26,0 q/ha), représentant des lignées issues des graines à calibre variables. Le G1 représente 67% et 33% des lignées issues respectivement des graines à grand (Cal3) et à moyen calibre (Cal2). Elles sont caractérisées par une précocité moyenne de 95,8 jrs, des plantes hautes(41,8 cm) et très productives en termes de nombre moyen de gousses totales par plante (184 Gss/PL), de gousses fertiles par plante(143 Gss/PL) et de graines par plante (179 Gr/PL). Le poids de mille graines (PMG) moyen est de 42,3 g. Le G3 représente 50%, 33% et 17% des lignées issues respectivement des graines à petit (Cal1), moyen (Cal2) et grand calibre (Cal3). Elles sont caractérisées par une précocité moyenne de 96 jrs, une hauteur moyenne de 38,6 cm, un potentiel moyen élevé de produire des gousses (114Gss/PL), de gousses fertiles (89 Gss/PL) et des graines (114 Gr/PL) avec un poids de mille graines (PMG) moyen de 35,1 g. Le G4 représente 33% et 67% des lignées issues respectivement des graines à calibre moyen (Cal2) et à grand calibre (Cal3) (Figure 5). Elles sont caractérisées par une précocité moyenne de 96 jrs, une hauteur moyenne de 36 cm, et un poids de mille graines (PMG) moyen de 43,3 g.

La sélection sera portée sur 50% des lignées évaluées représentant 27%, 13% et 10% des lignées issues respectivement des graines à tégument vert-jaune (Tég1), vert-olive (Tég2) et brun (Tég3); et 53% des lignées évaluées selon le calibre de la semence représentant 33% et 20% des lignées issues respectivement des graines à grand (Cal3) et à moyen calibre (Cal2). Elles répondent aux principales exigences des agriculteurs qui se rapportent principalement à la précocité, au rendement qui reste lié sa résilience face au changement climatique imprévisible, à la couleur du tégument et au calibre des graines.

Caractérisation alimentaire et technologique 

Valeur nutritive de la lentille de Zaer

L’évaluation quantitative des macro-nutriments révèle un taux élevé en protéines (32% de MS), en carbohydrates (44,8% de MS) et en fibres (55,1% de MS) et une teneur faible en lipides (1,93% de MS), composés principalement d’acides gras insaturés (85%) de type ω3 et ω6 très bénéfique à la santé humaine.

Les graines de la lentille de Zaer contiennent une valeur nutritive élevée en rapport de leur teneur en phosphore (412,1 mg/100 g), en potassium (700,3 mg/100 g), en calcium (126,3 mg/100 g), en magnésium (133,2 mg/100 g), en cuivre (1,29 mg/100 g), en fer (8,04 mg/100 g),en manganèse (1,48 mg/100 g) et en zinc (4,18 mg/100 g) avec un effet site et un effet agriculteur hautement significatif. La variabilité de la teneur des nutriments au sein de la méta-population de la lentille de Zaer est la conséquence de l’interaction entre l’unité génétique et les conditions environnementales locales, comme a été rapporté par Karadavut et al, (2010). La lentille renferme également des antioxydants tels que le sélénium (0.0043 mg/100 gMM), les polyphénols (8,19 mg/100 gMM) et les tanins condensés (5,35 mg/100 g MM) qui jouent un rôle important dans la destruction des radicaux libre et dans la réduction des dommages aux cellules. Ils sont ainsi associés à la santé humaine et à la prévention des maladies chroniques. Cependant, les tanins peuvent affecter négativement la bio-disponibilité des minéraux. Seulement, l’analyse des composantes des graines a montré que 67% des tanins sont concentrés dans les téguments, d’où l’intérêt du décorticage dans la valorisation nutritionnelle de la lentille.

La valeur nutritive de la lentille de Zaer lui permet de jouer un rôle important dans la sécurité alimentaire des personnes vulnérables. En tant que source primaire de protéines et de minéraux, elle peut contribuer à réduire la prévalence de la malnutrition et des carences minérales principalement la carence en fer qui constitue le principal problème de santé publique au Maroc, en raison de ses conséquences néfastes sur la performance intellectuelle, la croissance physique des enfants, la capacité physique et la performance professionnelle des adultes.

Valeur technologique

Les graines de la lentille de Zaer ont une bonne qualité technologique en rapport avec la durée de cuisson, la qualité de la cuisson et la saveur des graines (Tableau 9). Des études ont montré que la durée de cuisson est généralement influencée par l’état de maturité des graines, le pH du milieu de cuisson et la teneur des graines en calcium et en magnésium. La qualité de la cuisson et la qualité organoleptique est très recherchée auprès des restaurateurs et des agro-industriels. La plus-value marchande peut renforcer sa conservation in situ.

Perspectives de valorisation de la lentille de Zaer

Aptitude au décorticage

L’efficacité moyenne du décorticage des graines de la lentille de Zaer est de 85% avec un effetsite (64,3b (AGH) - 88,4a (BCH et JMB)) expliquée par un taux de graines endommagées variant de 3,34c (JMB) à 7,13a (AGH); et un effet calibre (90,4 b(Cal2) - 96,8 a(Cal3))hautement significatif. L’écart du décorticage varie de 5,2% pour les grosses graines (Cal3) à 14,1% pour les graines de calibre moyen (Cal2) (Tableau 10). L’analyse de corrélation de Pearson révèle que le taux des graines décortiquées est hautement corrélé au calibre des graines et à la proportion du cotylédon dans la graine.

L’efficacité du décorticage des graines de la lentille de Zaer est également influencée par la couleur du tégument. Elle varie de 91% pour les graines à tégument brun à 94% pour les graines à tégument vert. De plus, l’écart de décorticage varie en moyenne de 8,8% pour les graines à tégument vert (Tég1 et Tég2) à 14,7% pour les graines à tégument brun (Tég3). Par contre,la proportion des téguments est en moyenne 9,6% sans différence significative entre graines (Tableau 11).

Tableau 9: Qualité technologique de la lentille de Zaer

Critères technologies Lentille de Zaer Appréciations

Poids spécifique

Poids de mille graines

Calibre des graines

Tégument des graines

Temps de cuisson

Tenue à la cuisson

Qualité culinaire

Goût

Petit à moyen

Variable

Moyen

Bonne tenue

Moyenne à bonne

Savoureuse et sucrée

CONCLUSION 

La lentille de Zaer est une base génétique locale (patrimoine génétique) qui s’inscrit dans un espace géographique délimité par un réseau d’échange des semences, et dans le temps par la reconduction des semences à travers les générations et la transmission du savoir-faire locale (patrimoine culturel). Elle a été conservée in situ depuis cinq décennies grâce à sa résilience aux contraintes environnementales spécifiques de Zaer et sa notoriété en rapport avec ses qualités organoleptiques. Elle représente un bien communautaire, et joue un rôle important dans la gestion des systèmes de production agricole, contribue à la sécurité alimentaire et nutritionnelle de la population rurale locale à ressources limitées, et à la création d’emplois et au revenu.

La présente étude a montré que la lentille de Zaer représente une grande valeur agronomique, nutritionnelle et génétique. Cependant, elle est menacée de dérive génétique par le changement climatique et par l’innovation variétale.

Le renforcement de sa conservation in situ doit se baser sur (i) la consolidation du rôle des agriculteurs en tant qu’acteurs responsables de la gestion informelle de semences et l’optimisation des pratiques agricoles, soulevés également par Bhuwon et al., (2012), (ii) l’amélioration de sa productivité en préservant un niveau approprié de sa diversité génétique pour assurer un potentiel d’adaptation évolutif, et (iii) l’augmenter des revenus à travers sa valorisation sous un signe de qualité lié à son origine géographique (IG, 2015) et sa protection par la loi n° 25-08, relative aux signes distinctifs d’origines et de qualité des denrées alimentaires et des produits agricoles et halieutiques. La qualification de la lentille de Zaer (Figure 6), pourrait constituer un outil de mobilisation et d’ancrage local en synergie avec les orientations politiques pour le développement local (PMV-pilier II, MAPM 2010) afin de contribuer efficacement à la sécurité alimentaire et à la préservation de l’environnement dans le contexte du changement climatique.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Almekinders C. (2000).The importance of informal seed sector and its relation with the legislative framework.Technology and Agrarian Development.Wageningen.

Altieri M. A., Merrick l. C. (1987).In situ conservation of crop genetic resources through maintenance of traditional farming systems, Economic Botany, 41: 86 – 96.

Barghi S.S., Mostafaii H., Peighami F., Zakaria R.A. (2012). Path analysis of yield and its components in lentil under end season heat condition. Int. J. Agri. Res. 969-974.

Base de données statistiques de la FAO.(1961-2009). www.faostat.fao.org

Benbrahim N., Gaboun F. (2008). Amélioration et stabilisation des rendements du pois en grains et fourrage en zone semi-aride du Maroc. Fourrages 193: 65-78.

Benbrahim N., Gaboun F., Taghouti M. (2016). Heritability of yield and yield components of Zaer lentil landrace. VII International Scientific Agriculture Symposium.Agrosym 2016.1133-1141.

Benbrahim N., Taghouti M., Zouahri A., Gaboun F. (2016). On-farm Conservation of Zaer Lentil Landrace in Context of Climate Change and Improved Varieties Competition. Universal Journal of Agricultural Research 5: 27-38.

Bhuwon S., Padulosi S. (2012). On-farm conservation of neglected and underutilized crops in the face of climate change. Proceedings of the International Conference. Padulosi, S., Bergamini N. et Lawrence T. editors. Frankfurt. 14–16 June, 2011.31-44.

Dixit R.K., Singh H.L., Singh S.K. (2005).Selection criterion in lentil (Lens culinaris Medic.). Fourth International Food Legumes Research Conference.New Delhi-India. 18-22 October.

Emami M.K. et Sharma B. (2000). Inheritance of black seed coat color in lentil (Lens culinaris Medik.). Euphytica 115: 43-47.

Falconer D. S. (1989).Introduction to Quantitative Genetics. Longmans Sci and Techn. London.3.

Fratini R., Pérez de la Vega M. (2011).Genetics of economic traits in lentil; seed traits and adaptation to climatic variation. Grains legumes 57: 18-20.

Harrison S., Taylor AD.(1997). Empirical evidence for meta-population dynamics. Hanski I., Gilpin ME. (eds). Meta-population dynamics. Academic Press. 27-42.

Hedrick P.W., Miller P.S. (1992). Conservation genetics: techniques and fundamentals. Ecological Applications 2: 30-46.

Karadavut U. (2009). Path analysis for yield and yield components in lentil (Lens culinaris Medik.).Turk. J. Field Crops 14: 97-104.

Marchenal P., Lagarde M.F. (1994). Conservatoire Botanique de Porquerolles des variétés locales de plantes cultivées. Guide pratique.

Maxted N., Guarino L., Myer L., Chiwona E.A. (2000). Towards a methodology for on-farm conservation of plant genetic resources. Genetic resources and crop evolution 49: 31 – 46.

Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime (2010). La valorisation des produits de terroir. Lignes d’action du pilier II du Plan Maroc Vert. SAM. 8: 72 pages.

Pressoir G., Berthaud J. (2004). Patterns of population structure in maize landraces from the Central Valleys of Oaxada in Mexico. Heredity 92:88-94.

Sharma B. (2011).Genes for traits of economic importance in lentil. Grain legumes 57: 15-17.