Valeur ethnobotanique de l’espèce, Khaya senegalensis (Desr.) A. Juss (meliaceae) auprès des populations riveraines de la chaîne de l'Atacora au Togo

Auteurs-es

  • Issifou ISSA Département de Botanique, Université de Lomé, Togo
  • Kpérkouma WALA Laboratoire de Botanique et écologie Végétale, Faculté des Sciences, Université de Lomé, Togo
  • Marra DOURMA Laboratoire de Botanique et écologie Végétale, Faculté des Sciences, Université de Lomé, Togo
  • Wouyo ATAKPAMA Laboratoire de Botanique et écologie Végétale, Faculté des Sciences, Université de Lomé, Togo
  • Madjouma KANDA Laboratoire de Botanique et écologie Végétale, Faculté des Sciences, Université de Lomé, Togo
  • Koffi AKPAGANA Laboratoire de Botanique et écologie Végétale, Faculté des Sciences, Université de Lomé, Togo

Résumé

Une étude ethno-botanique de l’espèce Khaya senegalensis a été réalisée en 2015 sur la chaîne de l’Atacora de la zone écologique II au Togo. Elle a pour objectif général de contribuer à la valorisation de l’espèce K. senegalensis et vise spécifiquement à (i) évaluer les connaissances des usages de l’espèce et (ii) déterminer la convergence d’usage inter-ethnique des différentes parties de l’espèce. La collecte des données est basée sur des enquêtes ethno-botaniques semi-structurées par focus groupes auprès de 200 personnes appartenant à 5 ethnies. Les parties de K. senegalensis utilisées sont l’écorce, le bois, les feuilles et les racines avec les écorces comme l’usage le plus cité (99,0 %). Ses organes sont utilisés surtout en médecine traditionnelle dans le traitement de 34 maladies et symptômes. La différence en nombre moyen d’usage des organes de l’espèce est significative au niveau des ethnies (P= 0,000), des classes d’âge (P= 0,003) et du genre (P= 0,040). Le niveau de connaissance des usages de l’espèce est plus élevé chez les ethnies Tem, Lamba, Kabyè et Tamberma. L’étude met l’accent sur l’importance de la valeur d’usage ethno-botanique pour améliorer le statut de gestion durable de cette espèce économiquement importante pour sa production en bois d’œuvre.

Mots-clés: Khaya senegalensis, ethno-botanique, chaîne de l’Atacora, Togo.

 

INTRODUCTION

Dans le monde, l’homme entretient divers rapports avec les plantes en fonction de leurs usages (Kamari et al., 2009; Kumar et Lalramnghinglova, 2011). Ces rapports peuvent concerner des plantes médicinales, comestibles, à signification culturelle ou à usage artisanal, à usage domestique (bois de chauffe, de charbon et de construction), etc. (Mutamba, 2007; Aké-Assi et al., 2010; Perumal, 2010). Ce constat est aussi très prononcé en Afrique, où diverses études ethno-botaniques ont révélé que plusieurs groupes socio-linguistiques, possèdent une grande connaissance d’usage endogène des plantes (Pathak et al., 2011; Atakpama et al., 2012; Singh et Singh, 2012; Kébenzikato et al., 2015). Malgré leur importance, les plantes sont mises en danger par une combinaison de facteurs dont la collecte excessive des organes, des pratiques agricoles et forestières inappropriées, l’urbanisation, la pollution, les modifications d’exploitation des terres et les changements climatiques qui contribuent à la perte des ressources indigènes (Dadjo, 2011). De cette situation qui hypothèque l’avenir des ressources naturelles en général et celui des ressources forestières en particulier, il urge d’en faire une préoccupation permanente car à terme elle constituera une menace pour l’existence des espèces et par ricochet pour le développement durable (Dah-Dovonon, 2002; Lougbegnon et al., 2015). Il est ainsi nécessaire de quantifier le niveau d’importance et d’utilisation des espèces locales par les populations. L’évaluation localisée à l’échelle de la chaîne de l’Atacora au Togo s’intéresse principalement à l’espèce K. senegalensis qui fait partie des espèces ligneuses médicinales et à bois d’œuvre sur lesquelles une attention soutenue et des actions prioritaires doivent être menées sur la base de leur importance socio-économique (Kantende et al., 1995). En effet, K. senegalensis est un arbre tropical à feuillage persistant dont les organes sont très utilisés dans le traitement de plusieurs maladies (Sokpon & Ouinsavi, 2004; Nikiema & Pasternak, 2008; Adomou et al., 2012). Son bois est aussi très exploité comme bois d’œuvre et de service, ce qui constitue des menaces sur la survie de cette espèce. Au Togo, l’espèce K. senegalensis est très présente dans les zones montagneuses (Wala et al., 2012; Woégan et al., 2014) de la zone soudanienne. Il est donc nécessaire de mener des études pour évaluer le degré d’exploitation de l’espèce sur la chaîne de l’Atacora en vue de proposer des mesures de son exploitation durable. D’où cette étude qui a pour objectif général de contribuer à la valorisation de l’espèce K. senegalensis. Elle vise spécifiquement à:

• Évaluer les connaissances des usages de l’espèce K. senegalensis selon les ethnies, le sexe, l’âge, la profession et le niveau scolaire,

• Déterminer la convergence d’usage inter-ethnique de différentes parties de l’espèce.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Milieu d’étude

Cette étude a été menée sur la chaîne de l’Atacora dans la zone écologique II (Ern, 1979) située entre 0°20’ et 1°30’ Longitude Est et entre 8°20’ et 10°23’ Latitude Nord (Figure 1). Cette chaîne qui s’étend du Bénin jusqu’au Ghana et prend le Togo en écharpe. La zone écologique II est une zone d’altitude (400 à 500 m) du centre d’endémisme soudanien (White, 1986) à relief irrégulier qui surplombe les couvertures épimétamorphique et sédimentaire d’orientation sud-ouest/nord-est. Les sols ferrugineux et ferralitiques tropicaux sont dominants. Les cours d’eau s’écoulent d’est en ouest pour se jeter dans la Volta au Ghana. Le climat est tropical unimodal à une saison pluvieuse d’avril à octobre et à une saison sèche, de novembre à mars, avec des précipitations de 900 à 1400 mm/an. Les températures moyennes mensuelles varient de 24,7 à 28,6 °C (Dourma et al., 2012).

On y note principalement des savanes arbustives et arborées, des îlots de forêts denses sèches, des forêts galeries, des formations rudérales, des forêts claires et des réserves de faune (Alédjo, Malfakassa, Fazao, Manda et du mont Amalo). Ces dernières caractérisent la végétation du secteur soudano-guinéen. Les forêts denses sèches à Anogeissus leiocarpus et à Bequartiodendron oblanceolatum plus nombreuses (Kokou et al., 2006), se développent sur des sols pierreux du côté Est de la chaîne de l’Atakora. Sur les sols pierreux et rocheux des montagnes, croissent des forêts claires constituées presque exclusivement d’Isoberlinia doka, Isoberlinia tomentosa, Monotes kerstingii et Uapaca togoensis (Dourma et al., 2012).

La zone d’étude est constituée d’une hétérogénéité de groupes ethniques : Tem, Bassar, Kabyè, Nawdba, Lamba, Tamberma et Agnanga. Ces différents groupes ethniques sont composés en majorité d’analphabètes aux croyances religieuses diverses et vivent de l’agriculture, de l’élevage, du commerce et de l’artisanat. La population vivant dans cette zone écologique II est de 1.031.353 habitants (DGSCN. 2011).

Caractéristiques botaniques de K. senegalensis

Le genre Khaya appartient à la famille des Méliacées. Khaya senegalensis a pour synonymie Swietenia senegalensis (Desr.) et pour noms français, acajou de Sénégal, acajou caïlcédrat.

K. senegalensis est l’un des plus grands et des plus majestueux arbres soudaniens. Il peut atteindre 35 m de haut avec un fût sans branche souvent jusqu’à plus de 10 m. Son diamètre peut dépasser 1,5 m. Les feuilles sont paripennées ou parfois imparipennées atteignant 20 cm au plus, ayant 6 à 12 folioles opposées ou alternes, elliptiques-oblongues ou oblongues à sommet obtus. Ces feuilles sont glabres et groupées aux extrémités des rameaux (Nikiema et Pasternak, 2008). K. senegalensis montre une feuillaison quasi permanente. Les feuilles tombent au cours de la saison sèche (novembre à avril) mais elles sont renouvelées au fur et à mesure. La floraison principale s’étend d’août à décembre et la fructification correspondante de janvier à avril. Avant la maturité, les fruits forment des boules blanches portées au-dessus de la cime des arbres, caractéristiques, très visibles au soleil. La déhiscence se fait ordinairement sur l‘arbre et les graines ailées sont dispersées par le vent.

Collecte des données

Les données ont été collectées d’août à novembre de l’année 2015 à travers des enquêtes ethno-botaniques semi-structurées par focus groupes (groupe de deux ou plusieurs personnes) dans les localités choisies sur la base d’un échantillonnage stratifié. Trois niveaux de stratification ont été retenus (Atato et al., 2012; Pérékiet al., 2012; Atakpama et al., 2015): les zones écologiques (premier niveau), les ethnies (deuxième niveau) et les villages (troisième niveau). Les enquêtés ont été choisis de façon aléatoire (Uprety et al., 2012; Atakpama et al., 2015). Un consentement libre et éclairé des groupes cibles était obligatoire avant la séance. Pour les individus non alphabétisés et non scolarisés, les questions et leurs réponses ont été traduites dans les langues locales et en français avec le concours des interprètes natifs des localités. Ces guides sont des personnes autochtones résidents ou non dans le milieu d’étude. Le questionnaire inclut des questions relatives aux:

• Caractéristiques socio-démographiques (âge, sexe, niveau d’instruction, lieu de résidence, groupe ethnique) ;

• Connaissances sur les catégories d’utilisation (alimentation, religion, culture, pharmacopée, bois d’œuvre, cosmétique et commerce) de l’espèce K. senegalensis par la population locale;

• Organes utilisés, les maladies traitées, les modes de préparations et la disponibilité de l’espèce K. senegalensis dans le milieu d’étude.

Traitement des données

Le tableur Microsoft Excel a été utilisé pour la saisie et la codification des données. L’évaluation des connaissances s’est réalisée à partir des calculs des indices des valeurs d’usage de la plante tels que définis par Gomez-Beloz (2002) lors d’une étude sur plusieurs espèces, ensuite adaptées aux études spécifiques à une espèce (Avocèvou-Ayisso et al., 2009; Atakpama et al., 2012; Kébenzikato et al., 2015).

Au total, quatre valeurs d’usage ont été calculées: le nombre d’usages rapportés par partie de la plante définie (Reported Use for plant part, RUplant part), la valeur d’usage de la partie (Plant Part Value, PPV), la valeur d’usage spécifique (Specific reported Use, SU) et la valeur d’usage interspécifique (Interspecific Use Value, IUV). Le nombre total des usages rapportés pour la plante (Reported Use, RU) est égal à la somme des usages rapportés par partie de la plante: RU = ∑ RU plant part. La valeur d’usage de la partie de la plante (PPV) est égale au ratio entre la somme des usages pour une partie par rapport au nombre total d’usages pour la plante (PPV = RUplant part/RU). La partie dont le PPV est plus élevé au sein d’une ethnie est la plus utilisée par cette dernière. L’usage spécifique est l’usage tel que rapporté par enquêté. La valeur d’usage spécifique (SU) correspond au nombre de citations rapportées pour cet usage. L’usage interspécifique (IUV) est le ratio de l’usage spécifique rapporté par le nombre d’usages rapporté pour une partie de la plante (IUV = SUplant part / RUplant part). Il permet de déterminer l’usage spécifique le plus important pour chaque partie de la plante pour chaque ethnie. Lorsque IUV est élevé pour un organe, cela signifie que l’utilisation de cette partie pour un usage spécifique en question est connue par la majorité des enquêtés pour la partie de la plante. Les tests statistiques (test de Fisher) de différentes valeurs ont été réalisés à l’aide du logiciel Minitab 16. Ces tests permettent de déterminer si les différences au niveau des valeurs sont significatives.

RÉSULTATS 

Profil des enquêtés

Au total 200 personnes ont été enquêtées appartenant à 5 ethnies (Tableau 1). Les ethnies aux effectifs les plus élevés sont les Lamba (34,5 %), les Tem (25,5 %) et les Kabyè (20,0 %). La majorité des répondants ont un âge compris entre 25 et 50 ans (66,0 %) et ceux du sexe masculin sont plus représentés (70,5 %). Les agriculteurs sont les mieux représentés (60,5 %) de même que les illettrés (47,0 %).

Parties de K. senegalensis utilisées

Les parties de K. senegalensis utilisées sont: les écorces, le bois, les feuilles et les racines. 99,0 % des enquêtés ont rapportés l’utilisation des écorces, 94,5 % pour le bois, 47,0 % pour les feuilles et 30,5 % pour les racines (Figure 2).

Types d’usage

Cette étude montre que la population enquêtées en fait sept types d’usage de K. senegalensis: pharmacopée (99,0 %), bois d’œuvre (92,5 %), énergétique (71,5 %), agropastoral (34,0 %), construction (28,0 %), artisanal (22,5 %) et alimentaire (2,5 %) (Figure 3). Les types d’usage les plus rapportés sont les usages dans la pharmacopée traditionnelle, à bois d’œuvre et énergétiques qui sont supérieurs à 70 %.

La comparaison des moyennes des usages spécifiques des organes de K. senegalensis montre une différence significative au niveau des groupes ethniques (P= 0,000), des classes d’âge (P= 0,003), du genre (P= 0,040) et non significative au niveau des types de fonction (P= 0,519) et selon le niveau d’instruction (P= 0,794) (Tableau 2).

Tableau 2: Moyennes des usages spécifiques de K. senegalensis suivant les groupes ethniques de la zone d’étude

Les populations enquêtées ont rapporté 44 usages spécifiques de K. senegalensis et ses organes sont cités dans le traitement de 34 maladies et symptômes.

Convergence d’usage interethnique des différentes parties de l’espèce K. senegalensis

Les valeurs d’usage des 4 parties rapportées (bois, écorces, feuilles, et racines) varient suivant les groupes ethniques. Les écorces ont plus d’usages spécifiques que les autres organes. Certains organes ont les mêmes usages spécifiques chez les groupes ethniques. Les tableaux 3, 4, 5, 6 et 7 présentent les indices d’usage (RU, PPV, IUV) au sein des cinq ethnies utilisatrices de l’espèce K. senegalensis.

Le bois de K. senegalensis est utilisé par les cinq groupes ethniques comme bois de chauffe (IUV respectivement égal à 0,30; 0,19; 0,11; 0,29; 0,28), comme bois d’œuvre (IUV respectivement égal à 0,36 ; 0,35; 0,50 ; 0,29 ; 0,28) et pour fabriquer le charbon de bois (IUV respectivement égal à 0,30; 0,16; 0,11. 0,29; 0,28). Il est utilisé dans la confection de la charpente des maisons par les Lamba, les Nawdba, les Tamberma et les Tem (IUV respectivement égal à 0,16; 0,28; 0,14; 0,05), dans la fabrication des mortiers par les Kabyè, les Lamba et les Tem (IUV respectivement égal à 0,05; 0,11; 0,09), des pirogues par les Lamba (IUV = 0,03) et comme brosse à dents végétale par les Tem (IUV = 0,02).

Les usages spécifiques des écorces sont très diversifiés par rapport aux autres organes de K. senegalensis utilisés. La population enquêtée a rapporté 32 usages spécifiques des écorces dont 30 maladies et symptômes. Les neuf groupes ethniques utilisent les écorces et ceux qui ont rapporté plus d’usages spécifiques des écorces sont les Lamba (16 usages spécifiques), les Tem (15 usages spécifiques) et les Kabyè (14 usages spécifiques). Les cinq groupes ethniques, Kabyè, Lamba, Nawdba, Tamberma et Tem ont rapporté l’usage des écorces dans le traitement des maux de ventre (IUV respectivement égal à 0,38; 0,34; 0,41; 0,38; 0,25), les kabyè, les Nawdba et les Tem, les utilisent dans le traitement du paludisme (IUV respectivement égal à 0,13; 0,02; 0,09), les Kabyè, les Lamba et les Tem pour traiter les plaies externes (IUV respectivement égal à 0,01; 0,03;0,05), les Lamba et les Tem pour traiter les hémorroïdes (IUV respectivement égal à 0,02; 0,09), les Lamba, les Nawdba et les Tamberma dans la conservation des céréales (IUV respectivement égal à 0,23; 0,09; 0,13), les Kabyè, les Lamba, les Nawdba, les Tamberma et les Tem utilisent aussi les écorces pour traiter la peste des volailles (IUV respectivement égal à 0,23; 0,26; 0,39; 0,31; 0,07).

Les feuilles sont moins utilisées par la population enquêtée mais elles sont un peu diversement utilisées chez les Lamba, les Kabyè et les Tem. Elles sont rapportées à servir de fertilisant des sols selon les Kabyè, les Lamba et les Tem (IUV respectivement égal à 0,03; 0,17; 0,24). Les Kabyè, les Lamba, les Nawdba et les Tem utilisent les feuilles pour traiter le paludisme (IUV respectivement égal à 0,39; 0,10; 0,07; 0,33). Les Lamba et les Nawdba en utilisent comme fourrages pour les bétails en saison sèche (IUV respectivement égal à 0,14; 0,27). Les Kabyè en utilisent pour traiter les sinusites (IUV = 0,11), les Kabyè et les Lamba pour traiter les maux de genou (IUV respectivement égal à 0,26; 0,07), les Lamba pour traiter les maux de ventre (IUV= 0,14), les Tem pour traiter les maux de hanche (IUV= 0,09). Seuls les Kabyè utilisent les feuilles de K. senegalensis pour traiter la fièvre, les plaies incurables, la sinusite (IUV = 0,11), les Lamba seuls en utilisent contre l’envoûtement, les douleurs musculaires et la fatigue générale (IUV= 0,10 et 0,17), les Tem en font usage contre les hémorroïdes et les œdèmes (IUV = 0,27; 0,06) et les Nawdba en font seuls usage pour traiter les entorses (IUV = 0,20).

Les racines de K. senegalensis sont utilisées par quatre groupes ethniques, Kabyè, Lamba, Tamberma et Tem. Ces racines sont utilisées dans le traitement des maux de ventre par les Lamba et les Tamberma (IUV respectivement égal à 0,19; 0,17), dans le traitement de la hernie par les Kabyè, les Lamba et les Tamberma (IUV respectivement égal à 1,00; 0,19; 0,17) et dans le traitement du paludisme par les Tamberma et les Tem (IUV = 0,08 et 0,14). Seuls les Tem utilisent les racines dans le traitement des abcès, des envoûtements, la gonococcie, les hémorroïdes, les maux de dents et les panaris (IUV respectivement égal à 0,19; 0,12; 0,17; 0,07; 0,12; 0,07). Les Tamberma seuls en utilisent pour traiter l’anémie, la fièvre et le sursaut des enfants (IUV respectivement égal à 0,17; 0,17; 0,25) et les Lamba seuls en utilisent dans le traitement de l’épilepsie et la morsure des serpents (IUV = 0,19 et 0,31).

DISCUSSION

La présente étude a permis de montrer que K. senegalensis est une espèce à usage multiple au Togo. Sept types d’usage ont été rapportés pour l’espèce (médicinal, bois d’œuvre, énergétique, agropastoral, artisanal et alimentaire). Cette espèce a le même nombre d’usages spécifiques que l’espèce Adansonia digitata étudiée au Togo (Kébenzikato et al., 2015) et plus d’usages spécifiques que l’espèce Sterculia setigera citée dans quatre types d’usage au Togo (Atakpama et al., 2012). Trois types d’usage de K. senegalensis (médicinal, bois d’œuvre et énergétique) ont été citées par plus de 70 % des enquêtés. Les résultats obtenus rejoignent ceux des études antérieures qui ont rapporté diverses usages de K. senegalensis (Nikiema et Pasternak, 2008; Guigmaet al., 2012). L’espèce est citée par la population enquêtée dans 44 usages spécifiques dont 34 maladies et symptômes. L’espèce est connue et adoptée par la population depuis fort longtemps car chaque enquêté a reconnu et donné son nom dans sa langue maternelle. La forte utilisation de l’espèce dans la médecine traditionnelle a été évoquée au Bénin où elle est citée dans le traitement de 55 maladies et symptômes (Sokpon et Ouinsavi, 2004). D’autres travaux citent K. senegalensis dans le traitement des contusions musculaires au Togo (Hélé et al., 2014), elle est aussi citée dans le traitement des dermatoses au Sénégal (Diatta et al., 2013).

Cette étude s’est basée aussi sur le calcul de quatre indices pour déterminer le niveau de connaissance des usages de l’espèce K. senegalensis suivant les groupes ethniques et la convergence d’usage inter-ethnique des différentes parties de l’espèce. Ces indices ont déjà fait l’objet de plusieurs études dans la sous-région et au Togo (Avocèvou-Ayisso et al., 2011; Atakpama et al., 2012; Kébenzikato et al., 2015). Les résultats montrent que le niveau de connaissance de l’espèce n’est pas le même au niveau des ethnies. La différence en nombre moyen d’usage des organes de K. senegalensis est significative au niveau des groupes ethniques (P= 0,000), des classes d’âge (P= 0,003), du genre (P= 0,040) et non significative au niveau des types de fonction (P= 0,519) et du niveau d’instruction (P= 0,794).

La différence de connaissance de l’espèce par les ethnies serait due à l’héritage culturel, les connaissances étant transmises de génération en génération au sein d’une même ethnie. Cette différence de l’usage de K. senegalensis par groupes socio-linguistiques est similaire aux études réalisées sur d’autres espèces à usages multiples dans la sous-région (Fandohan et al., 2010; Assogbadjo et al., 2011; Koura et al., 2011; Atakpama et al., 2012; Kébenzikato et al., 2015).

Le niveau de connaissance de l’usage de l’espèce est plus élevé et similaire chez les Tem, les Lamba et les Kabyè. Cela s’explique par le fait que ces trois ethnies se comprennent dans leurs dialectes ce qui facilite la transmission des connaissances des usages spécifiques de l’espèce. La preuve est que l’espèce K. senegalensis est appelée «Frimou» chez les Tem, «Hemou» chez les Kabyè et «Hermou» chez les Lamba qui signifie pour les trois ethnies l’espèce à goût amer. Le niveau élevé de connaissances de cette plante dans la zone d’étude est lié non seulement à la culture, mais aussi au taux de pauvreté élevé des populations et à la faible urbanisation de cette zone. En effet, les populations de cette zone sont plus tributaires des ressources naturelles (Atakpama et al., 2012). Elles utilisent ces ressources à des fins économiques, médicinales et alimentaires. L’urbanisation, quant à elle, entraîne souvent la perte des connaissances endogènes (Péréki et al., 2012). Une différenciation de la connaissance suivant la zone géographique a été rapportée au Bénin par Avocèvou-Ayisso et al. (2011) et Gouwakinnou et al., (2011) qui ont travaillé respectivement sur Pentadesma butyracea et Sclerocarya birrea. La similarité de connaissances entre les groupes ethniques voisins serait liée aux échanges de connaissances entre les ethnies à travers les mariages inter-ethniques et les liens d’amitié (Atakpama et al., 2012 ; Kébenzikato et al., 2015). Par ailleurs, l’occurrence de la ressource est aussi décrite comme l’un des facteurs susceptibles d’influencer son usage (Gouwakinnou et al., 2011; Atakpama et al., 2012).

Les personnes d’âge supérieur ou égal à 50 ans ont une connaissance plus grande des usages de K. senegalensis. L’âge a un impact sur la connaissance des plantes dans toutes les ethnies (Ayantunde et al.,2008; Kébenzikato et al., 2015). Le niveau de connaissance des usages de K. senegalensis est plus élevé chez les hommes que chez les femmes, cela est dû du fait que chez les populations enquêtées, la récolte des organes des plantes dans le traitement des maladies incombe plus aux hommes. Les résultats similaires ont été cités sur d’autres espèces au Togo et dans la sous-région (Avocèvou-Ayissoet al., 2011; Atakpamaet al., 2012; Lougbegnon et al., 2015). Il n’existe pas de différence significative sur le niveau de connaissance des usages selon la fonction sociale et le niveau d’instruction des enquêtés. Cela signifie que K. senegalensis est une espèce largement connue de toutes les classes sociales, d’où une pression anthropique élevée sur cette espèce. Les mesures de gestion durable s’avèrent indispensables afin d’éviter ou de limiter son érosion liée à la pression anthropique (Gaoue et Ticktin, 2009).

CONCLUSION

Cette étude confirme que K. senegalensis est une espèce à usage multiple. C’est une espèce bien connue par les populations et très exploitée. Les parties de K. senegalensis utilisées sont les écorces, le bois, les feuilles et les racines. Ses organes sont largement utilisés surtout en médecine traditionnelle dans le traitement de 34 maladies et symptômes. Les écorces sont plus citées dans le traitement des maladies et symptômes. En plus du prélèvement des organes de l’espèce dans le traitement des maladies et symptômes, elle est très exploitée pour le bois d’œuvre; ce qui constitue une grande menace pour la survie de l’espèce d’où son classement parmi les espèces vulnérables par UICN. En outre, K. senegalensis est menacée par la perte de son habitat compte tenue de la fragmentation et de la disparition accélérée des zones de forêts. Par conséquent, il est important de développer des stratégies durables pour la conservation de l’espèce. Les bonnes méthodes de récoltes des organes sont à encourager et à enseigner à la population locale. Une option déjà utilisée est d’encourager et d’intensifier la plantation de cette espèce dans des zones urbaines en vue de réduire les pressions exercées sur les rares pieds de K. senegalensis existants.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Téléchargements

Publié-e

17-06-2017

Comment citer

ISSA, I., WALA, K., DOURMA, M., ATAKPAMA, W., KANDA, M., & AKPAGANA, K. (2017). Valeur ethnobotanique de l’espèce, Khaya senegalensis (Desr.) A. Juss (meliaceae) auprès des populations riveraines de la chaîne de l’Atacora au Togo. Revue Marocaine Des Sciences Agronomiques Et Vétérinaires, 6(1), 64–72. Consulté à l’adresse https://www.agrimaroc.org/index.php/Actes_IAVH2/article/view/512

Numéro

Rubrique

Ressources Naturelles et Foresterie

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