Diarrhées néonatales chez le veau au Maroc: prévalence des causes infectieuses majeures (Escherichia coli F5, Coronavirus, Rotavirus et Cryptosporidium parvum)
Résumé
Les diarrhées néonatales du veau, mondialement répandues, sont responsables de pertes économiques considérables. La présente étude a pour objectif d’actualiser les données épidémiologiques relatives à l’implication des agents pathogènes majeurs, à savoir Escherichia coli F5, Coronavirus, Rotavirus et Cryptosporidium parvum, dans ce syndrome chez le veau au Maroc. Le test rapide de diagnostic immuno-chromatographique «Tetra-Kit BioX K156» a été utilisé afin de chercher les agents suscités dans les fèces de 1932 veaux, issus de 78 élevages de quatre zones d’élevage du Royaume. Au total, 196 veaux, âgés de 1 à 60 jours, soit 10 %, présentent une diarrhée. La prévalence globale des diarrhées dans les élevages qui pratiquent la vaccination et ceux ne la pratiquant pas contre Escherichia coli, Coronavirus et Rotavirus est pratiquement similaire. Toutefois, des différences significatives sont relevées entre ces élevages en rapport avec les agents étiologiques recherchés. En effet, on constate une recrudescence de la cryptosporidiose au niveau des troupeaux qui pratiquent la vaccination. Les diarrhées néonatales demeurent un problème important à l’échelle nationale et l’instauration d’un programme de lutte intégrée est une nécessité impérieuse.
Mots clés: Diarrhées néonatales, veau, Escherichia coli, Coronavirus, Rotavirus, Cryptosporidium parvum, Maroc
INTRODUCTION
Les diarrhées néonatales représentent la première cause de morbidité et de mortalité chez le veau nouveau-né dans la plupart des pays du monde (Radostits et al., 2001). Au Maroc, elles représentent la première cause de mortalité chez les veaux avant le sevrage, estimée entre 10 % et 14 % lors d’études effectuées entre 1988 et 2008 (Benani, 1988; Chhaibi, 2008; Ebode, 1989; El-Haous, 1990; Fassi-Fehri et al., 1989, 1988).
Les causes de ce syndrome complexe font intervenir des facteurs abiotiques, comme la conduite de l’élevage et le transfert de l’immunité passive via le colostrum, et d’autres, biotiques, représentés par les agents classiques majeurs des diarrhées néonatales chez le veau qui peuvent être de nature bactérienne (Escherichia coli), virale (Coronavirus et Rotavirus) ou parasitaire (Crypstosporidium parvum). Les études menées dans notre pays ont révélé des prévalences de 49%, 16 % et 33 % respectivement pour Rotavirus, E. coli et Cryptosporidium (Benani, 1988; Ebode, 1989; El-Haous, 1990). Cependant, ces études, remontant à plus de 20 ans, nécessitent une actualisation notamment à la lumière de l’introduction, depuis quelques années, de vaccins contre certains agents impliqués dans ces maladies et la mise sur le marché de tests de dépistage simples et rapides de ces infections.
Le présent travail a consisté à rechercher, à l’aide d’un test d’immuno-chromatographie, la présence des quatre agents étiologiques majeurs des entérites néonatales chez le veau à savoir E. coli F5, Rotavirus, Coronavirus et Cryptosporidium parvum.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Le travail de recherche a concerné 78 élevages issus de quatre zones d’élevage du pays (Rabat-Salé-Khémisset, Chaouia-Casablanca, Gharb et Doukkala) et 1932 veaux au total. Au cours des visites d’élevage, et après avoir recueilli les informations nécessaires (anamnèse, conduite d’élevage…), tous les veaux, âgés de moins de deux mois et présentant des diarrhées en début d’évolution sont examinés et leurs matières fécales prélevées. Les veaux traités, ou en cours de traitement avec des anti-infectieux, ne sont pas pris en considération. Un test rapide de diagnostic, l’immuno-chromatographie latérale, basé sur l’utilisation des tetra-kits Bio K 156 (laboratoires BioX-Diagnostics, Rochefort, Belgique) pour la détection de E. coli F5, Rotavirus, Coronavirus et Cryptosporidium parvum, est réalisé sur chaque échantillon de fèces diarrhéiques prélevées.
L’analyse statistique des résultats a été effectuée moyennant le tableur Excel et le logiciel Minitab v16.2.4.0.
RÉSULTATS
Caractéristiques des élevages enquêtés
L’examen des données recueillies au niveau des élevages concernés par l’étude fait ressortir les points clés suivants (Tableau 1):
• La prévalence moyenne des diarrhées est de l’ordre de 10 % (196/1932), avec un maximum de 11,3 % et un minimum de 3,7 % enregistrés respectivement dans les régions de Doukkala et de Casablanca-Chaouia.
• Sur un total de 78 élevages enquêtés, 29, soit 37 %, ont procédé à la vaccination durant les 3 dernières années contre les principaux agents des entérites néonatales (E.coli F5, Rotavirus et Coronavirus) à l’aide d’un vaccin trivalent inactivé.
• L’évaluation du niveau d’hygiène générale des élevages, sur la base de la ”check-list” d’évaluation sanitaire des élevages laitiers de l’ONSSA, permet de conclure que seul 5% des élevages ont un niveau d’hygiène qu’on peut qualifier de «bon» alors que 75% ont été jugés comme ayant un mauvais score hygiénique. Le reste des élevages sont d’un niveau d’hygiène moyen.
• Les races exploitées sont diverses et vont de races à viande pures, jusqu’aux laitières pures, en passant par divers croisements. Cependant, la race Prim’Holstein reste prédominante, avec 62 % des animaux des troupeaux examinés.
Principaux résultats de l’enquête épidémiologique sur les diarrhées néonatales
Globalement, la prévalence des diarrhées est de 10%. Cependant, des variations importantes entre les élevages sont notées. D’un autre côté, lorsqu’on compare les élevages vaccinés et non vaccinés, on constate que leurs niveaux de prévalence sont très proches et qu’aucune différence significative entre ces deux catégories n’est relevée (χ2 de Pearson =1,909 et P-value = 0,167) (Tableau 2).
De façon général, en tenant compte des infections simples et des coinfections, les prévalences globales par étiologie sont dominées par Rotavirus dans 37,2 % (73/196) des cas. Cryptosporidium parvum est retrouvé dans 33,1% (65/196) des cas suivis par Coronavirus et E. coli détectés respectivement chez 25% (49/196) et 21,9% (43/196) des veaux diarrhéiques.
Infections simples
L’étude permet de ressortir ce qui suit:
• Aucun des 4 agents pathogènes étudiés n’est détectable dans 19% (37/196) des échantillons;
• Cryptosporidium parvum est retrouvé seul dans 18% (36/196) des cas;
• Rotavirus et Coronavirus sont décelés seuls respectivement dans 15% (30/196) et 9 % (17/196) des cas;
• E. coli F5 est impliqué dans 9% (18/196) des cas d’infection simple.
Associations des pathogènes
Cette étude a montré que diverses associations entre les quatre agents pathogènes sont possibles. Cependant, les associations les plus fréquentes sont celles à deux pathogènes et particulièrement entre Rotavirus et Cryptosporidium parvum (Tableau 3).
Répartition des agents étiologiques majeurs selon l’âge
L’âge des veaux est l’un des facteurs primordiaux influençant l’atteinte par les diarrhées néonatales. Les résultats obtenus ont montré que l’âge le plus critique se situe entre le 1er et le 14ème jour. Cependant, selon l’agent étiologique considéré, des variations existent et on peut noter que (Figure 1):
• L’infection par E. coli F5 est surtout un problème des premiers jours post-natum;
• L’infestation par Cryptosporidium parvum culmine vers la fin de la 2ème semaine d’âge bien que les veaux restent positifs durant tout le 1er mois;
• Les infections virales (Rotavirus et Coronavirus) sont plus fréquentes pendant les 2 premières semaines.
Répartition des agents étiologiques majeurs selon le statut vaccinal des élevages
Sur un nombre total de 78 élevages, 29 pratiquent la vaccination depuis au moins 3 ans. La comparaison entre les élevages qui vaccinent et ceux qui ne vaccinent pas, en rapport avec le type d’agent pathogène décelé chez les veaux diarrhéiques, permet les constatations suivantes (tableau 4, Figure 2):
• Aucun cas d’E. coli F5 n’a été décelé dans les élevages vaccinés;
• Les infections à Rotavirus sont moins fréquentes chez les veaux issus de mères vaccinées;
• La majorité des cas diagnostiqués infestés par Cryptosporidium parvum appartiennent aux élevages qui vaccinent contre les agents Rotavirus-Coronavirus-E.coli F5 (87 %).
DISCUSSION
La prévalence générale des diarrhées néonatales chez le veau dans les régions étudiées est inférieure à ce qui a été rapporté dans les années 80-90 (El-Haous, 1990; Fassi-Fehri et al., 1989, 1988). Concernant la prévalence selon les agents étiologiques cherchés, les résultats obtenus ont montré une prédominance des agents Rotavirus et Cryptosporidium parvum, avec respectivement 37,2 % et 33,1 %. En comparant ces résultats aux travaux antérieurs, on constate que la prévalence de la cryptosporidiose a augmenté de plus de 10% alors que les infections à Rotavirus et Cornavirus ont diminué d’un taux identique, notamment des les élevages pratiquant la vaccination. Cette situation ressemble à celle décrite dans d’autres pays où la cryptosporidiose est devenue la première cause des diarrhées néonatales chez le veau (Graczyk et al., 2000). L’encadrement sanitaire, la vaccination, l’amélioration du niveau de technicité et la prise de conscience par les éleveurs de l’importance de l’hygiène, de la prise précoce du colostrum par le veau, dans l’apparition de ces maladies sont autant de facteurs pouvant expliquer cette évolution. Il est cependant important de signaler que les disparités entre les élevages restent importantes. Il convient également de signaler qu’aucun agent pathogène n’a été mis en évidence dans 19% des prélèvements. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce résultat, comparable à celui rapporté par d’autres auteurs (Reynolds et al., 1986). En particulier, un échantillon peut-être faussement négatif à cause du manque de sensibilité de la technique utilisée. De même, cette étude s’est uniquement limitée à quelques agents étiologiques pouvant causer des diarrhées. D’autres agents pathogènes peuvent être à l’origine de ce syndrome comme les E. coli portant d’autres facteurs d’attachement comme le CS31A, très répandu dans les élevages depuis quelques années en France (Quillet et al., 2006). En outre, l’émergence d’autres agents pathogènes, tel que E.coli F41, E.coli FY et Giardia sp., a été rapportée (Nydam et al., 2001). Par ailleurs, il est à relever que les associations des différents pathogènes n’est pas rare; la plus fréquente étant celle associant Cryptoporidium parvum et Rotavirus. Une large distribution des agents pathogènes, notamment les cryptosporidies, dans la plupart des élevages étudiés où le niveau d’hygiène est dans la majorité des cas (95 %), soit moyen soit médiocre, couplée au fait que les infections virales favorisent la colonisation bactérienne et parasitaire expliquent largement cette situation (García et al., 2000; Naciri et al., 1993).
La vaccination a permis de protéger efficacement contre les infections à E.coli F5, pour peu qu’un bon transfert de l’immunité passive via le colostrum ait lieu. Ce qui prouve aussi que, probablement, dans ces élevages qui vaccinent, les pratiques liées à la distribution du colostrum sont maîtrisées. En effet, il a été rapporté que la vaccination protège efficacement contre les diarrhées à colibacilles (Schelcher, 1999). Le fait que la vaccination n’a eu qu’un effet réducteur sur l’infection par le Rotavirus pourrait s’expliquer par la fréquence des mutations qui caractérisent ce virus. Des réassortiments peuvent se produire, qui, associés à sa multiplication rapide, le rendent capable d’acquérir une nouvelle virulence contre laquelle les sujets vaccinés ne sont pas prémunis (Thiry, 2007). D’autre part, plusieurs autres facteurs peuvent interférer dans la réussite de la protection des veaux contre les agents des entérites néonatales malgré la vaccination. Ainsi, un mauvais colostrum ou de mauvaises pratiques de distribution nuisent à la qualité de l’immunité passive. De même, on ne peut pas écarter un échec de la réponse immunitaire post-vaccinale de la mère dans nos élevages, dû à plusieurs raisons, notamment l’alimentation, le parasitisme et certaines affections immuno-dépressives tel que le diarrhée virale bovine (BVD) et les mycotoxicoses.
CONCLUSION
Devant un syndrome si complexe que les diarrhées néonatales, la vaccination à elle seule ne suffit pas. L’administration d’un bon colostrum en quantité suffisante et au bon moment, ainsi que l’amélioration des conditions d’habitat des animaux sont quelques éléments supplémentaires primordiaux à maîtriser.
RÉFÉRENCES
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