Résumé

La corégulation en sécurité sanitaire des produits alimentaires implique une responsabilité partagée entre les opérateurs économiques du secteur alimentaire et l’autorité compétente en vue de maîtriser la sécurité sanitaire et être conforme aux exigences sanitaires des pays importateurs. L’évolution de la réglementation alimentaire d’une part et la mise sous assurance qualité des services vétérinaires de l’ONSSA selon la norme ISO 17020 d’autre part, nécessite d’étudier le modèle de régulation adopté au niveau national. L’objectif de ce travail est d’analyser les principaux risques sanitaires liés aux produits de la pêche dans le cadre de l’approche de corégulation. Les dangers ciblés par cette étude sont l’histamine, les parasites et les sulfites. L’approche se base sur la réalisation d’entretiens structurés auprès des professionnels des produits de la pêche et des vétérinaires inspecteurs chargés du contrôle et de la certification. Les principaux dangers sont maîtrisés par l’adoption de plans de maîtrise sanitaire (PMS) par les professionnels au sein des établissements ainsi que le contrôle officiel effectué par les vétérinaires inspecteurs. La mise en place du PMS dans les établissements peut produire des injonctions contradictoires pour les vétérinaires inspecteurs de l’autorité compétente.


Mots clés: Corégulation, produits de la pêche, sécurité sanitaire, risque, PMS, ONSSA, Maroc.


 

INTRODUCTION 

La sécurité sanitaire des produits alimentaires (SSA) est aujourd’hui un des grands enjeux des politiques de régulation des marchés. La nouvelle approche de la SSA se base sur le principe du contrôle de toute la chaîne alimentaire depuis la production jusqu’à la consommation pour aboutir à un produit sain, marchand et loyal. La SSA est une responsabilité partagée entre les autorités compétentes (AC) et les professionnels du secteur alimentaire (ESA). Les opérateurs sont impliqués en corégulation par la mise en place de programmes d’autocontrôles pour la maîtrise des différents dangers liés aux produits qu’ils produisent et mettent sur le marché.

La corégulation en sécurité sanitaire des produits alimentaires est un système partagé de règles et de procédures qui définissent l’identité et le rôle des acteurs et stabilisent leurs interactions. Cette stratégie s’inscrit généralement dans le cadre du conflit qui existe entre les preneurs de normes (opérateurs) et les décideurs de normes (AC). En effet, si les AC, considérées comme décideurs de normes, estiment que la conformité à leurs normes et exigences est nécessaire pour protéger la santé et la sécurité des consommateurs, les professionnels comme preneurs de normes, considèrent que les AC ne prennent pas suffisamment en compte la faisabilité des normes qu’ils adoptent et de l’impact que celles-ci peuvent avoir sur leurs revenus (Morten, 2009; Otsuki et al., 2001).

La corégulation est envisagée comme un outil de politique publique se situant entre la réglementation et l’autorégulation. Ce mécanisme suppose l’adoption d’un acte législatif complété par des mesures prises par les acteurs concernés (Berns et al., 2007). Elle constitue davantage une démarche complémentaire qu’une démarche concurrente aux actes imposés par le législateur permettant tant aux acteurs publics qu’aux privés de se répartir les rôles réglementaires.

Les principaux motifs des notifications relatives à la catégorie des poissons et produits dérivés sont la présence de taux élevés d’histamine, l’infestation parasitaire, la présence de métaux lourds et le contrôle insuffisant. Les motifs associés avec les céphalopodes et produits dérivés sont le contrôle insuffisant ainsi que la présence de germes de contamination et de bactéries pathogènes. Les motifs des principales espèces de crustacés (Crevettes, langoustine et homard) et produits dérivés sont les additifs alimentaires et le contrôle insuffisant. Pour la catégorie des mollusques et produits dérivés, les motifs des notifications sont les biotoxines marines et les germes pathogènes (Dahani et al., 2017; Kandil, 2016; Bouchriti et al., 2015).

La problématique de l’histamine et des parasites constitue un sujet d’actualité au sein des différents comités du Codex Alimentarius, en particulier le comité des poissons et les produits de la pêche et le comité sur l’hygiène.

Ce travail a pour objectif d’analyser le modèle de corégulation de la sécurité sanitaire des produits de la pêche au niveau national, tel que décliné dans la filière d’exportation, et ce à travers les principaux dangers associés à cette filière. Il a également pour ambition de contribuer à définir les bases de la position de l’opérateur de régulation national concernant les problématiques de la sécurité sanitaire des produits de la pêche.

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Afin d’étudier le modèle de corégulation de la sécurité sanitaire des produits de la pêche, nous avons opté pour l’organisation d’entretiens structurés avec les opérateurs de la filière des produits de la pêche (30 opérateurs au total),ainsi qu’avec des vétérinaires inspecteurs (au total 10) de l’office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) chargés du contrôle et de la certification des produits de la pêche.

RÉSULTATS ET DISCUSSION 

Constat général

Ce travail a montré que la nouvelle approche de la sécurité sanitaire des produits de la pêche est fondée sur la mise en place, par les opérateurs de la filière, de plans de maîtrise sanitaire (PMS) incluant les bonnes pratiques d’hygiène, la traçabilité, et les procédures basées sur le concept HACCP. Ce système est considéré un moyen fondamental de la sécurité sanitaire des produits de la pêche (Demortain, 2005). L’approche implique que ce sont les opérateurs de la filière des produits de la pêche qui sont tenus de mettre en place au sein de leurs établissements les moyens pour la maîtrise des dangers spécifiques à leur activité. Les points critiques de maîtrise (CCP) retenus par l’étude HACCP au niveau du PMS sont déterminés sur la base d’une discussion importante entre les professionnels et les vétérinaires inspecteurs des services vétérinaires de l’ONSSA. Les PMS diffèrent entre les établissements selon l’activité exercée ainsi que la qualification du personnel chargé de l’élaboration et du maintien du dit plan. La discussion entre inspecteurs (vétérinaires inspecteurs de l’AC) et inspectés (opérateurs économiques) permet un échange des connaissances scientifiques et techniques. Cette nouvelle approche constitue pour les inspecteurs et les professionnels une évolution très intéressante. Bonnaud et Coppalle (2010) ont constaté que l’élaboration du PMS par les professionnels a permis une amélioration des compétences et des connaissances en matière de sécurité sanitaire pour les opérateurs alors que les vétérinaires inspecteurs de l’AC restaient des « généralistes ». Ainsi, l’ONSSA organise chaque année des formations continues au profit des inspecteurs pour la qualification en matière des nouveaux concepts de la sécurité sanitaire.

Le consommateur est également un acteur de la corégulation de la SSA. Il exerce des pressions et effectue des réclamations à l’AC afin d’inciter les professionnels à produire des produits sûrs. Certains clients exigent aux opérateurs des produits de la pêche, d’élaborer des produits sous des conditions spécifiques ou répondant à des normes particulières. Dans ce cas, l’AC procède à la certification de ces produits selon les exigences sanitaires des pays destinataires en prenant en considération l’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (Sanitary and Phytosanitary agreement ou accord SPS) qui régit le commerce international.

Coopération internationale en matière de la sécurité sanitaire des produits de pêche

Le Maroc a profité de l’expérience et de l’appui technique d’autres pays pour l’instauration de cette nouvelle approche.

Projet de jumelage SPS (contrôle sanitaire et phytosanitaire): C’est un projet de coopération institutionnelle financé par l’Union Européenne. Il a porté sur le renforcement des structures de contrôle sanitaire et phytosanitaire. Il s’est déroulé entre le Ministère de l’Agriculture marocain et un consortium France/Italie/Pologne de 2007 à 2009. Il a conduit notamment à la création de l’ONSSA. Parmi les objectifs principaux de ce projet, il y a lieu de citer l’actualisation des compétences des inspecteurs chargés du contrôle concernant les aspects réglementaires, ainsi que l’évaluation et la gestion du risque dans le cadre du commerce international.

Jumelage Union Européenne - Institut National de la Recherche Halieutique: L’Institut National de la Recherche Halieutique (INRH) s’est engagé, depuis la mise en place du réseau de salubrité, dans un processus de mise en conformité avec les normes et les standards internationaux.

Programme de gestion de la qualité (PGQ): C’est une expérience pilote pour la mise en place d’un programme de gestion de la qualité au niveau d’une vingtaine d’unités de transformation de produits de la pêche dans la région d’Agadir. Ce programme a été calqué sur une expérience canadienne similaire. Le PGQ oblige toutes les unités concernées à mettre en œuvre une procédure de gestion de la qualité. Ce programme met l’accent sur le contrôle la prévention au lieu de la sanction et la répression. L’objectif final est de passer du contrôle à l’autocontrôle basé sur le système HACCP; le PGQ a apporté une coopération entre l’autorité compétente et les opérateurs économiques.

Audit du système de contrôle national: L’office alimentaire et vétérinaire (OAV) et les autorités sanitaires du service fédéral de surveillance vétérinaire et phytosanitaire de la Fédération de Russie effectuent des audits réguliers pour vérifier la conformité ou l’équivalence de la législation et des systèmes de contrôle préconisés par l’AC au Maroc.

Adaptation de l’AC à la co-régulation

Les services vétérinaires de l’ONSSA ont engagé une démarche de mise sous assurance qualité selon la norme ISO 17020 (Critères généraux pour le fonctionnement de différents types d’organismes procédant à l’inspection)afin de prouver que l’organisation de l’inspection est compétente, fiable et impartiale ainsi que l’harmonisation des méthodes d’inspection pour tout le personnel chargé du contrôle et de la certification des produits de la pêche à l’échelle nationale. Selon Boussard (2005), la norme ISO 17020 permet de formaliser les méthodes d’inspection en rédigeant des procédures de travail, de décliner des modes opératoires, et de mettre en œuvre des techniques de traçabilité des actes, ce qui contribue à bureaucratiser des systèmes très discrétionnaires.

La démarche d’assurance qualité est devenue une norme pour les inspecteurs; elle favorise la coordination et facilite le fonctionnement du travail en respectant la réglementation: Gestion du courrier, partage de l’information réglementaire, réservation des véhicules de service, etc. L’assurance qualité se traduit par la production de supports pour l’action. Or, l’utilisation des documents qualité en relation avec les taches de l’inspection des professionnels du secteur de la pêche est difficile pour les inspecteurs à cause de la diversité des activités des établissements.

Le PMS et la démarche de l’assurance qualité impliquent l’élaboration de procédures internes à des fins de maîtrise des dangers, et pour préparer aux audits externes. En conséquence, ils sont orientés vers la production des argumentations. Le PMS résulte de l’analyse des dangers. La mise en place du PMS dans les établissements du secteur des produits de la pêche peut produire des injonctions contradictoires pour les inspecteurs de l’autorité compétente, du fait que l’assurance qualité vise à harmoniser le contrôle entre les inspecteurs au niveau national. Par contre, le contrôle du PMS repose sur l’appréciation qui peut être parfois subjective pour la maîtrise des dangers. Dans ce sens, l’ONSSA a amélioré l’efficience des contrôles à travers la mise en place d’une démarche d’inspection basée sur le risque.

Les professionnels du secteur de la pêche sont organisés sous formes d’associations, de fédérations et des chambres de la pêche. Les représentants de ces organisations sont les interlocuteurs des administrations impliquées dans le secteur lors de la discussion de certains problèmes ou bien lors de l’application de nouvelles normes, etc. Ces organisations jouent également un rôle très important dans la sensibilisation.

Analyse du modèle national de co-régulation

Ce modèle sera analysé à travers la maîtrise des dangers « Histamine », « Parasites » et « Sulfites » dans les produits de la pêche.

La co-régulation du danger «histamine»

L’histamine est une amine biogène qui se forme par décarboxylation de la L-histidine libre par une enzyme d’origine principalement bactérienne mais aussi tissulaire : L’histidine décarboxylase (Taylor, 1986). Après la mort du poisson et dans certaines conditions de stockage, notamment à partir de 2 à 5 °C, les bactéries produisant l’histidine décarboxylase peuvent se multiplier conduisant à la formation d’histamine. Cette production peut être parfois très rapide à partir de 10 °C (Dalgaard, 2007).

Les espèces des poissons associées à une grande quantité de la production d’histidine sont en particulier les espèces appartenant aux familles Scombridae, Clupeidae, Engraulidae, Coryphaenidae, PomatomidaeetScombresocidae (Règlement (CE) n°2073/2005 relatif aux critères microbiologiques applicables aux denrées alimentaires).

La limite de sécurité de l’histamine pour les produits de la pêche commercialisés au niveau national est régie par des normes marocaines qui fixent les caractéristiques auxquelles doivent satisfaire les produits destinés à la consommation humaine en l’état ou à la transformation, notamment celles relatives aux conserves de sardine (NM 08.7.001), maquereaux et chinchards (NM 08.7.003), le thon et la bonite (NM 08.7.004) et les semi-conserves d’anchois (NM 08.7.002). La norme de l’histamine pour les produits exportés est fixée par la réglementation du pays destinataire (pour les pays de l’Union Européenne, la norme de l’histamine est régie par le règlement (CE) n° 2073/2005 relatif aux critères microbiologiques applicables aux denrées alimentaires.

La loi 28-07 relative à la sécurité sanitaire des produits alimentaires ainsi que son décret d’applicationn°2-10-473 du 6 septembre 2011 exige aux professionnels de mettre en place un autocontrôle basé sur le système HACCP ou tout système équivalent qui peut atteindre les mêmes objectifs. Ainsi, la maîtrise du danger histamine répond à exigences sanitaires réglementaires. Cette maîtrise dans le cadre du PMS mis en place par les opérateurs implique:

1- La mise en place d’un contrôle à la réception qui se base sur la mesure de la température, l’appréciation de l’état de fraîcheur, et la détermination de la teneur de l’histamine.

Contrôle de la température: Les professionnels procèdent à la mesure de la température à la réception par des thermomètres étalonnés de manière régulière et par conséquent, ils acceptent seulement le lot de poissons frais dont la température est inférieure à 5°C et le lot de poissons congelés d’une température inférieure à -15°C. L’objectif de la mesure de la température effectuée est de s’assurer en premier lieu de la fraîcheur du poisson mais également des conditions de transport. Il est à signaler que la réglementation nationale (arrêté conjoint du ministre de l’agriculture, du développement rural et des eaux et forêts, du ministre de la pêche maritime et du ministre de la santé n°440-01 du 26 février 2001 relatif à la durée de validité et aux conditions de conservation de certains produits)stipule que les poissons frais qu’ils soient maigres ou gras doivent être entreposés entre 0 et 2°C pendant une durée de 8 jours. La valeur de 5°C prise comme une limite critique dans le PMS est une mesure de souplesse étant donné qu’on ne maîtrise pas encore la chaîne de froid à l’échelle nationale. Cette même valeur de température est préconisée par les guides des bonnes pratiques hygiéniques(GBPH) des produits de la pêche.

Les établissements qui exportent vers les USA sont soumis aux exigences de la FDA (Food and Drug Administration) en matière de respect de la température pour la maîtrise de l’histamine. A la réception, il faut analyser un pool de 18 poissons pour l’histamine, si la température est inférieure à 4,4°C. Mais si cette température dépasse cette valeur, il faut effectuer 18 analyses d’histamine (FDA, 2011).

Les GBPH constituent une référence quant à l’efficacité des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs établis par la réglementation ; ils présentent l’intérêt d’être des référentiels pris en compte lors des contrôles officiels. L’application des GBPH n’est pas imposée mais recommandée. Ces guides n’ont pas de caractère obligatoire, car les professionnels sont responsables des mesures de maîtrise qu’ils appliquent. La filière des produits de la pêche compte 10 GBPH: Les bateaux de pêche, la production de glace, les halles à marée et marchés de gros, le mareyage, le transport et l’entreposage des poissons, la production des poissons frais, surgelés ou congelés, la production de poissons en conserves appertisées, la production de poissons en semi-conserves et autres transformations, la purification et l’expédition des coquillages vivants et la production de farines et huiles de poissons.

Rien que pour la température, les exploitants du secteur alimentaire sont confrontés à un foisonnement de valeurs qui peuvent avoir un impact direct sur les PMS et les mesures de maîtrise. C’est un parfait exemple de co-régulation entre les décideurs et les preneurs de normes.

Contrôle de l’état de fraîcheur: Les poissons à la réception doivent être de type Extra ou A (surtout les petits pélagiques). Ce contrôle est effectué selon le règlement (CE) n°2406/96 du 26 novembre 1996 fixant des normes communes de commercialisation pour certains produits de la pêche. Certains établissements procèdent au dosage de la teneur en azote basique volatil total (ABVT) et/ou en triméthylamine (TMA).Le règlement en question est une cotation chiffrée qui permet de rendre l’examen sensoriel plus objectif et se base sur l’appréciation de plusieurs critères et attributs de fraîcheur: Peau, mucus cutané, œil, branchies, péritoine (dans le poisson éviscéré), odeur des branchies et de la cavité abdominale, chair, etc. Pour juger avec objectivité l’état de fraîcheur/altération, l’ABVT et la TMA sont de bons indices. Cependant, ils ont des limitations et il existe plusieurs méthodes pour leur dosage.

Détermination de la teneur de l’histamine: La limite critique de l’histamine, à la réception du poisson,établie par la plupart des établissements est de 50 ppm. Les professionnels ont recours à une mesure corrective pour les lots de poissons dont la teneur en histamine dépasse cette limite critique. Dans le cas d’un lot non homogène et pour assurer la représentativité du prélèvement effectué, il est important de prendre les pièces les plus altérées. Le nombre des prélèvements est en fonction de la température du poisson à la réception.

Il est à signaler que l’histamine est l’un des principaux risques sanitaires et motifs de refoulements des produits de la pêche destinés à l’exportation (Dahani et al., 2017).

Certaines unités ont mis en place des limites critiques plus drastiques que les 50 ppm, en général 17-20 ppm, ce sont des limites opérationnelles. Le respect de telles limites nécessite une maîtrise parfaite de la chaîne du froid dès la capture du poisson.

Généralement, les produits finis fabriqués à partir de tels lots de poissons sont destinés à des marchés plus porteurs. On peut avancer, sans équivoque, que la teneur en histamine à la réception du poisson conditionne la destination du produit fini.

Actuellement, une grande réflexion est menée au sein du Codex Alimentarius qui vise la réduction de la limite de sécurité de l’histamine. Si ce projet aboutit, il aura certainement des répercussions manifestes sur les exportations des produits la pêche ainsi que sur les mécanismes de co-régulation.

2- L’histamine est un danger qui peut s’accumuler au cours de la fabrication. A cet effet, les professionnels maîtrisent la prolifération des bactéries histamino-productrices en prenant en considération le temps d’attente (cadence de travail rapide) et la température de la salle du travail, maintenue entre 14 et 15°C. Ce couple temps-température permet de déterminer le temps de sécurité qui permet de travailler sans atteindre des seuils critiques en histamine ou en microorganismes producteurs d’histamine. La détermination de ces temps de sécurité nécessite de mener des études pour les valider (Ingham et al., 2004).La détermination de ces temps de sécurité et leur validation pourrait constituer un terrain d’entente entre l’AC et les ESA dans le cadre de la co-régulation. En effet, le modèle de co-régulation national implique que les opérateurs aient le libre choix des moyens permettant d’atteindre les objectifs de sécurité sanitaire retenus dans la réglementation ou imposés par les pays destinataires.

3- Refroidissement: Le maintien de la chaîne du froid est considéré le moyen le plus efficace pour la maîtrise du taux d’histamine et par conséquence, il y a une maîtrise de l’histamine en amont de la chaîne.

4- Qualification du personnel en matière de la sécurité sanitaire des produits de la pêche.

5- Autres techniques qui peuvent être adoptées pour réduire le risque de l’histamine:

L’éviscération: C’est un moyen pour diminuer la concentration de l’histamine dans certains poissons. Selon Pan(1985), il existe une relation entre la production de l’histamine et l’éviscération des poissons. L’histamine contenue dans un maquereau non éviscéré est dix fois plus importante que dans un maquereau éviscéré après entre posage de 140 h à température ambiante. Malheureusement, l’éviscération convenable ne peut être appliquée que pour les espèces de grande taille. Par contre, les petits pélagiques (sardines, anchois) ne subissent qu’une éviscération sommaire qu’ils soient destinés à la conserve ou à la semi-conserve.

La décongélation: Le niveau d’histamine augmente en fonction des méthodes de décongélation, de la durée de décongélation, de la température et de la vitesse de l’eau. Le fait d’augmenter la durée de la décongélation augmente le taux d’histamine (Pan, 1985).

Pré-cuisson: Le taux de l’histamine diminue légèrement après la pré-cuisson (Pan, 1985).

Le parage: Plus la technique du parage est rapide plus la concentration de l’histamine diminue(Pan, 1985).

Le rôle de l’AC dans le cadre de la co-régulation consiste à faire un audit du PMS, un contrôle physique des installations et du matériel et une vérification du fonctionnement envisagé pour donner un «avis sanitaire» dans le cadre de l’agrément/autorisation des établissements, et un suivi sanitaire régulier après l’obtention de l’agrément/autorisation, réalisation des prélèvements pour la certification selon les normes sanitaires du pays destinataire, etc.

En dépit de l’effort mutuel (opérateurs/AC) déployé pour la maîtrise du danger histamine, on constate qu’il y a encore des refoulements pour ce motif. L’analyse des données disponibles sur le système RASFF, montre que l’histamine demeure une cause majeure de notifications. Les teneurs trouvées dans certains lots sont très élevées. Ces refoulements indiquent qu’il y a des défaillances dans le processus de co-régulation. Ce constat peut être nuancé si les notifications sont reportées en fonction du nombre d’exportations. D’autre part,l’histamine est avant tout intimement liée à la qualité de la matière première et elle n’est pas répartie de manière homogène au sein des lots. Les affres de l’échantillonnage peuvent conduire à sélectionner des boîtes défectueuses au sein d’un très bon lot (risque producteur).

La co-régulation du danger «parasites»

Les anisakidés sont les parasites les plus fréquemment impliqués dans les infestations des produits de la pêche, en particulier les poissons marins. Le pouvoir pathogène varie selon le genre et l’espèce de ces parasites. La famille des anisakidés comprend actuellement environ 25 genres (Mattiucci et Nascetti, 2006). Deux espèces majeures sont reconnues importantes sur le plan de la santé publique et sont responsables de zoonoses: Anisakis simplex et Pseudoterranovadecipiens, les deux espèces ont une distribution cosmopolite (Smith et Wootten, 1978; Oshima, 1987).

Une étude effectuée par l’ONSSA pour l’évaluation de l’importance du parasitisme des poissons marins le long des côtes marocaines en 2011d’une part, et les résultats des notifications du système RASSF d’autre part, ont montré que le nématode le plus incriminé dans le parasitisme des produits de la pêche au Maroc est du genre Anisakis (Bouchriti et al., 2015).

La problématique des parasites pour les produits exportés vers les pays de l’Union Européenne est régie par les règlements 853/2004, 854/2004, 2074/2005 et 1276/2011. Les vétérinaires inspecteurs utilisent dans le cadre du contrôle officiel un guide d’inspection relatif à la recherche des parasites dans les produits de la pêche, élaboré par la direction centrale de l’ONSSA dans le cadre de la mise en place de la norme ISO 17020. La prévention de l’infestation consiste, entre autres, à l’application des mesures suivantes: (i) la sélection des zones de pêche à partir des données épidémiologiques indiquant que les lieux de pêche d’origine ne présentent pas de danger sanitaire en ce qui concerne la présence de parasites, (ii) l’élimination des poissons infestés ou des nématodes du poisson parasité, (iii) l’application de traitements permettant de détruire les nématodes dans la chair et (iv) la réalisation de l’éviscération et du raclage ainsi qu’un lavage abondant par l’eau, des poissons qui peuvent être éviscérés. Les professionnels procèdent à la recherche des parasites, qui entre dans le cadre de leur autocontrôle et le personnel chargé de ce contrôle est qualifié dans ce domaine. Les vétérinaires inspecteurs de l’ONSSA effectuent un contrôle systématique de la recherche des parasites durant toute la chaîne pour les espèces qui sont manifestement parasitées en prenant en considération les avancées scientifiques: Le nombre ne doit pas dépasser un parasite par kg en général. Parmi les problématiques de la co-régulation, c’est que, durant l’année 2011, il y avait un nombre élevé de refoulements pour motif de présence de parasites. L’autorité compétente a procédé à un contrôle renforcé pour les parasites des poissons lors de l’exportation et a même envisagé d’arrêter l’exportation de certaines espèces qui sont manifestement parasitées alors que les opérateurs revendiquaient le droit d’exporter des poissons frais.

La co-régulation du danger «sulfites»

Les sulfites sont des additifs utilisés pour les crustacés afin d’éviter le noircissement. L’application des sulfites se fait par immersion ou saupoudrage. La mélanose ou bien le noircissement est un phénomène commun chez les crustacés pendant l’entreposage, ceci est causé par une enzyme endogène la polyphénole oxydase (AbuBakar, 1996). Ce noircissement débute à la jonction céphalothorax-abdomen puis atteint progressivement, les membranes inter-segmentaires, le reste de la carapace et enfin, apparaît sur les appendices antérieurs et le céphalothorax (Benyoussef, 1982).

La norme des sulfites est fixée pour les produits exportés vers les pays de l’Union Européenne par la directive 95/2/CE du 20 février 1995 concernant les additifs alimentaires autres que les colorants et les édulcorants. Les produits commercialisés à l’échelle nationale doivent satisfaire la norme des sulfites fixée au niveau de l’arrêté n°1795-14 du 14 mai 2014 fixant la liste et les limites des additifs alimentaires autorisés à être utilisés dans les produits primaires et les produits alimentaires, ainsi qu’aux indications que doivent porter leurs emballages.

La sulfitation est une pratique courante dans la filière des crustacés. Elle est utilisée par les professionnels du secteur des produits de la pêche, en particulier, les crustacés pour améliorer la qualité commerciale des produis en retardant le phénomène de mélanose qui est défavorable à la qualité organoleptique. Les sulfites sont appliqués par les opérateurs d’une manière très appropriée en utilisant une concentration sulfites/crustacés (certains producteurs des sulfites recommandent le taux de 2%) pour satisfaire les normes sanitaires fixées par les textes réglementaires à l’échelle nationale ou ceux des pays destinataires. Le risque sanitaire des sulfites peut être réduit par le fait de penser à l’introduction des produits alternatifs aux sulfites qui permettent de prévenir le noircissement des crustacés, de prévoir des sessions de formation et de sensibilisation du personnel chargé de la sulfitation aux bonnes pratiques d’utilisation des bisulfites et d’interdire l’accès libre aux produits de sulfites.

Il est également important d’utiliser des méthodes rapides de dosage des bisulfites comme la méthode des bandelettes (Kandil, 2016). Cette dernière méthode peut être utilisée par les professionnels ainsi que les vétérinaires inspecteurs pour avoir une idée très rapide sur le taux des sulfites et si nécessaire s’assurer par la méthode optimisée de Monier-Williams pour le dosage des bisulfites.

CONCLUSION 

Notre travail démontre le rôle majeur des procédures de maîtrise basées sur les principes HACCP mises en place par les professionnels au niveau des établissements des produits de la pêche dans le modèle de corégulation de la sécurité sanitaire des produits de la filière. A travers l’exemple des dangers «histamine», «parasites» et « sulfites », notre travail a montré les choix de maîtrise dans le cadre de cette corégulation ainsi que les limites du modèle comme c’est le cas des refoulements pour motif «histamine».

Si la corégulation assume que les opérateurs ont le libre choix des moyens à mettre en œuvre pour répondre aux objectifs de sécurité sanitaire imposés par voie réglementaire, cela suppose aussi que les autorités compétentes, aussi bien nationale que celles des pays destinataires, doivent aussi tenir compte des choix et des propositions des opérateurs si ces derniers vont dans le sens de l’objectif ultime qu’est l’innocuité des produits. L’exemple de la validation des temps d’attente pour la maîtrise de l’accumulation d’histamine est édifiant.

L’approche de la corégulation a été consacrée par le paquet hygiène et au niveau national par la loi 28-07. Dans le cas de la filière produits de la pêche destinés à l’exportation, le modèle peut être assimilé à une autorégulation contrôlée. Cependant, les exigences normatives des pays destinataires peuvent constituer un handicap pour la filière en dépit de l’effort de maîtrise consenti. Si la sécurité sanitaire est une responsabilité partagée entre opérateurs et autorités compétentes, ces dernières doivent collaborer mutuellement à rechercher des solutions aux problèmes sanitaires à l’origine de refoulements.

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