Résumé

Le présent travail avait pour but d’évaluer la productivité de cinq espèces du genre Brachiaria (B. brizantha, B. decumbens, B. humidicola, B. mutica et B. ruziziensis) sous le régime de fauche à intervalle de 30 jours. Après expérimentation en champ dans un dispositif de quatre blocs aléatoires complets, les résultats obtenus montrent que les espèces étudiées diffèrent significativement dans la production de la matière sèche. Elles se classent dans l’ordre croissant de la manière suivante: B. mutica (372,7 Kg MS/ha) < B. decumbens (1077,1 Kg MS/ha) < B. ruziziensis (1483,2 Kg MS/ha) < B. humidicola (1744,5 Kg MS/ha) < B. brizantha (2292,7 Kg MS/ha). En conséquence, B. brizantha est l’espèce locale la mieux indiquée pour la production de fourrage en régime de coupe de 30 jours dans les conditions naturelles de Kisangani.


Mots-Clefs: Pâturage naturel, Biomasse, Graminées tropicales, Brachiaria sp., République démocratique du Congo

INTRODUCTION

La République démocratique du Congo est une région bio-géographique exceptionnelle en Afrique et constitue l’un des réservoirs mondiaux de la biodiversité dont notamment les écosystèmes pâturés (Asimonyio et al., 2015; Badjedjea et al.,2015; Baelo et al.,2016; Ngbolua et al.,2014; Kambale et al., 2016) . Les pâturages naturels jouent un rôle important dans l’alimentation du bétail en régions tropicales (Yameogo et al., 2013). A cet effet, la détermination de la productivité des espèces fourragères est une nécessité dans la région de Kisangani en vue de fixer la capacité de charge des surfaces fourragères et d’améliorer la productivité des élevages des ruminants.

Les ressources fourragères de la région de Kisangani sont dominées par quelques graminées dont la productivité, en dépit de leur rusticité et de leur adaptabilité, n’a pas encore été évaluée. En effet, il est bien établi que sous les tropiques à des altitudes moyennes et basses, les graminées du genre Brachiaria sont reconnues pour leur capacité fourragère (Suttie, 2004). Cependant, l’ignorance du potentiel fourrager de ces plantes serait à la base de la crise fourragère dans les élevages de Kisangani. D’où la nécessité d’évaluer leur productivité en cultures fourragères. La connaissance de la productivité de ces espèces fourragères est indispensable pour la détermination de taux de charge maximale d’un pâturage en vue d’une exploitation durable des surfaces fourragères.

C’est dans ce cadre que le présent travail a été initié en vue d’évaluer la productivité de cinq espèces du genre Brachiaria (B. brizantha;B. decumbens; B. humidicola; B. mutica et B. ruziziensis) sous le régime de fauche de 30 jours d’intervalle dans les conditions écologiques de Kisangani.

Cette étude veut vérifier l’hypothèse selon laquelle les différentes espèces sélectionnées produiraient différemment la phyto-masse lorsque leurs repousses sont fauchées à l’intervalle de 30 jours de repos. L’intérêt du présent travail est évident car il permettra de sélectionner la meilleure espèce de Brachiaria (celle qui produit une grande biomasse) en vue d’une vulgarisation à grande échelle à Kisangani.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Milieu

L’essai été réalisée à Kisangani dans la ferme Mugbamboli (Figure 1) située à 20 km du centre-ville sur l’ancienne route de Buta. Les coordonnées géographiques de la ferme Mugbamboli sont: altitude: 403 m au dessus de la mer; latitude: 00° 37’ 54,1» Nord; longitude: 25°17’50,5» Est.

La région de Kisangani appartient au type climatique Af selon la classification de Köppen. Il s’agit d’un climat tropical humide dont la température moyenne du mois le plus froid est supérieure à 18 °C et la hauteur mensuelle des pluies du mois le plus sec est supérieure à 60 mm (Goffaux, 1990). Le régime pluviométrique annuel accuse une double périodicité. Les maxima principal et secondaire se situent respectivement en octobre et en mai, tandis que les minima principal et secondaire sont respectivement en janvier et en juillet. L’humidité de l’air est assez élevée. La moyenne mensuelle se situe autour de 77 à 82 %.

La ville de Kisangani est arrosée par deux réseaux hydrographiques : le fleuve Congo et la rivière Tshopo. La ferme Mugbamboli quant à elle est drainée par la rivière Tshopo et par deux ruisseaux qui s’y déversent: Ngenengene et Mugbamboli.

Les sols de la ferme Mugbamboli possèdent les caractéristiques générales des sols de la région de Kisangani. Le soubassement est constitué par les systèmes gréseux (grés rouges, schistes et quartzite) et les terrains de couverture sont formés des couches argilo-gréseuses (argiles rouges, grès collatéraux). Ces sols se classent dans le système Lindien (Précambrien supérieur) et présentent les caractéristiques générales des sols de la cuvette centrale. Ils sont généralement acides (pH environ 4,5) et pauvres en minéraux primaires (Van Wambeke et Evrard, 1954). En outre, il faut noter que la classification phytogéographique du Congo proposée par Ndjele (1988), place l’ensemble de la région de Kisangani dont fait partie notre site expérimental, dans le district Centro-oriental de la Maïko du secteur forestier central de Wildeman, domaine congolais, région Guinéo-congolaise (White, 1979). Lejoly et al. (1988) classent les forêts de la région de Kisangani dans la catégorie des forêts ombrophiles sempervirentes équatoriales.

Matériel Végétal

Le matériel végétal utilisé dans cette étude est constitué de cinq espèces de Brachiaria (B. brizantha, B. decumbens, B. humidicola, B. mutica et B. ruziziensis).

Méthodes

Travaux préliminaires

Acquisition des espèces de Brachiaria

Les souches de B. brizantha ; B. ruziziensis, B. decumbens et B. mutica ont été récoltées au Jardin agrostologique de l’INERA Yangambi tandis que les souches de B. humidicola ont été trouvées et récoltées dans un site où un colon belge avait tenté l’élevage des bovins à l’époque coloniale à 22 Km de Kisangani sur l’ancienne route Buta.

Installation des Brachiaria au jardin agrostologique de l’IFA à Kisangani

Les différentes espèces de Brachiaria ont été plantées par éclat de souche. La préparation du matériel a consisté à l’éclatement des souches suivi de l’habillage et du pralinage des éclats de souche obtenu.

Expérimentation proprement dite

Dispositif expérimental

La productivité de différentes espèces de Brachiaria a été étudiée dans un dispositif de quatre blocs aléatoires complets. Le facteur intergroupe du dispositif a été l’espèce de Brachiaria avec cinq modalités: Brachiaria brizantha (Bb), Brachiaria decumbens (Bd), Brachiaria humidicola (Bh), Brachiaria mutica (Bm) et Brachiaria ruziziensis (Br) ; tandis que le facteur intra-groupe a été le bloc (4 répétitions). Les observations sont faites sur des superficies de 25 m2.

Figure 2: Dispositif expérimental de quatre blocs aléatoires complets

(Bb: B. brizantha; Bd: B. decumbens; Bh: B. humidicola; Bm: B. mutica; Br: B. ruziziensis)

Installation de l’essai

• Choix du terrain: L’essai a été installé dans une petite plaine situé au bas du plateau sur lequel sont installés les bâtiments d’élevage et les habitations des bouviers de la ferme Mugbamboli. Le choix de ce terrain a été motivé par son aspect homogène (terrain plat sans variation sensible de relief et couvert d’une forêt secondaire dominée par les parassoliers).

• Préparation du terrain: La préparation de terrain a consisté à la coupe de sous-bois suivi d’abattage d’arbres puis l’incinération. Ensuite nous avons procédé au dessouchage suivi de la délimitation de différentes parcelles destinées à recevoir les cinq espèces de Brachiaria retenues pour l’expérimentation.

• Préparation de matériel de propagation: Les souches de Brachiaria ont été dessouchées à la houe, chargées et transportées jusqu’au site expérimental. La préparation de matériel de propagation a consisté à l’éclatement des souches suivi de l’habillage. Seules les souches au stade végétatif (c’est à dire celles de même âge et n’ayant pas encore fleuri) ont été retenues pour l’éclatement.

• Plantation: Les éclats de souche ont été plantés dans des trous d’environ 15 cm de profondeur suivant l’inclinaison d’environ 600 par rapport au plan du sol, à raison de deux éclats par emplacement aux écartements de 0,5 m en tous sens. Aucun amendement n’a été appliqué.

• Les soins culturaux: Les premiers soins culturaux ont consisté aux sarclages jusqu’à la reprise totale, suivi du regarnissage de vide et de démariage pour les emplacements où les deux éclats de souches avaient repris. Ainsi un seul éclat de souches a été laissé par emplacement pour les observations ultérieures. Les autres soins culturaux sont constitués de différents sarclages effectués après chaque opération de différentes coupes répétées.

Détermination de la productivité

Pour estimer la productivité, les repousses ont été fauchées à la machette parcelle par parcelle et espèce par espèce à environ 5 cm du sol. Nous avons d’abord fait la coupe d’uniformisation 61 jours après plantation pour remettre les plantes dans les mêmes conditions de végétation. Ensuite chaque espèce a été fauchée 10 fois à intervalle de 30 jours pour étudier l’évolution de la productivité. L’évolution de la productivité a été étudiée en examinant les poids de l’herbe prélevée à chaque coupe sur chaque parcelle. La production parcellaire est pesée pour chaque espèce puis des échantillons aliquotes sont prélevés pour séchage à l’étuve et la détermination du pourcentage d’humidité. A cet effet, les poids secs de tous les échantillons récoltés, pour l’estimation de la biomasse, ont été notés après séchage à l’étuve à 105 °C pendant 48 h jusqu’à poids contant. La productivité est exprimée en kg de matière sèche/ha et la teneur en matière sèche de chaque coupe de chacune des catégories a été calculée.

Expression des résultats

Les données ont été soumises à l’analyse de la variance (ANOVA) grâce au logiciel Statistica version 8.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Productivité des repousses des espèces de Brachiaria à l’âge de 30 jours

Le tableau 1 donne les résultats du test statistique la productivité des repousses de 30 jours.

Tableau 1: Test statistique (ANOVA) sur la productivité des repousses de 30 jours

Effet SC DL CM F p

Origine 388676725 1 388676725 3070,1 0,000

Espèce 83279011 4 20819753 164,4 0,000

Bloc 83 3 28 0,0 0,999

Espèce*Bloc 184 12 15 0,0 1,000

Erreur 22788328 180 126602

Il ressort du tableau 1 qu’il existe de différence significative entre les différentes espèces de Brachiaria du point de vue production de matière sèche chez les repousses âgées de 30 jours. Ces différences sont élucidées par les résultats du test LSD de Fisher (plus petite différence significative ppds) consigné dans le tableau 2.

Tableau 2: Test de Fisher pour la productivité des repousses des espèces de Brachiaria âgées de 30 jours

No Espèce {1}

2292,7 {2}

1077,1 {3}

1744,5 {4}

372,7 {5}

1483,2

1 Bb 0,000000 0,000000 0,000 0,000000

2 Bd 0,0000 0,000000 0,000 0,000001

3 Bh 0,0000 0,000000 0,000 0,001231

4 Bm 0,0000 0,000000 0,000000 0,000000

5 Br 0,0000 0,000001 0,001231 0,000

(LSD test; variable P. Bloc (productivité des repousses de 30 jours); Probabilities for Post Hoc Tests Error: Between MS = 1266E2, df = 180,00)

Il ressort du tableau 2 qu’à l’âge de 30 jours, les repousses présentent de différence significative du point de vue production de matière sèche (phytomasse). Ce tableau permet de classer ainsi les différentes espèces selon l’ordre croissant suivant : B. mutica

La figure 3 donne la productivité (biomasse) de différentes espèces du genre Brachiaria.

Figure 3 : Productivité comparée des repousses de différentes espèces de Brachiaria à l’âge de 30 jours

(Bb: Brachiaria brizantha; Bd: Brachiaria decumbens; Bh: Brachiaria humidicola; Bm: Brachiaria mutica; Br: Brachiaria ruziziensis)

Il ressort de cette figure que B. brizantha et B. humidicola sont économiquement plus intéressantes (Production > 1600 Kg de MS/ha) que les autres espèces en ce qui concerne la production de la matière sèche. Cependant, l’accent devra être mis sur l’analyse bromatologique de la matière sèche de ces deux espèces à haut potentiel agropastoral afin de garantir une utilisation durable dans les conditions écologiques de Kisangani. Vue la très faible productivité de B. mutica (372,7 Kg de MS/ha) sous fauche de 30 jours contre 2292,7; 1744,5; 1483,3 et 1077,124 Kg MS/ha respectivement pour B. brizantha, B. humidicola, B. ruziziensis et B. decumbens, cette espèce devrait être exclue du régime d’exploitation à intervalle de 30 jours dans les conditions agro-écologiques de Kisangani. La faible productivité de B. mutica serait due à sa faible capacité de tallage à l’âge de trente jours.

CONCLUSION ET SUGGESTIONS

La présente étude a porté sur la détermination de la productivité des repousses de cinq espèes du genre Brachiaria (B. Brizantha, B. Decumbens, B. Humidicola, B. mutica et B. ruziziensis sous le régime de fauche à intervalle de 30 jours. Il ressort de cette étude que lorsque la coupe s’effectue à 30 jours d’intervalle, les espèces étudiées diffèrent significativement dans la production de matière sèche et se classent dans l’ordre croissant suivant: B. mutica (372,7 Kg MS/ha)

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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