Résumé

Le présent travail a pour objectifs d’évaluer l’apport de l’arganier dans le revenu du ménage rural et comparer la rentabilité de deux modèles d’exploitation des produits de l’arganier en environnement déterministe et probabiliste. La quantification de l’apport des différentes activités de production, afin de souligner la contribution de l’arganier au niveau micro-économique, a affiché des résultats variables de la part de l’arganier allant de 45 % à 94 %, soit une moyenne de 66 % pour l’année 2016, alors que l’arganier pourrait réaliser une marge brute moyenne de l’ordre de 2807 dhs à l’hectare. Quant à l’évaluation de la rentabilité des modes d’exploitation de l’arganier, les résultats en environnement déterministe ont montré que l’arganier pourrait être rentable même en commercialisant ses produits sans aucune valorisation. Avec deux indicateurs différents, les performances économiques des modèles d’exploitation avec valorisation dépassent de loin celles de vente des produits de l’arganier sans valorisation. En faisant subir aux variables à risque une grande fluctuation, la simulation Monte Carlo a montré que la probabilité d’enregistrer une VAN négative est de 0 %.


Mots clés : Analyse de revenu, Analyse de risque, Analyse coût-bénéfice, Arganier

INTRODUCTION

Seul représentant de la famille des Sapotacées en Afrique du Nord, l’Arganier est une espèce arborescente endémique du Sud-Ouest Marocain (Bellefontaine, et al., 2010). C’est la deuxième essence forestière en termes de superficie, après le chêne vert (Quercus rotundifolio L.) Pendant que certains auteurs signalent une superficie de 550 000 hectares, d’autres avancent que l’arganier couvre pratiquement 828 000 hectares.

En tant que ressource locale et naturelle, l’arganeraie assure aux populations du sud-ouest du Maroc une base d’activité économique et sociale intense. Elle constitue un réservoir foncier, et un lieu de collecte et de récolte de divers produits à savoir le bois, les feuilles et fruits de l’arbre. Elle était, et elle est encore, un élément important du système agraire local basé essentiellement sur la céréaliculture (particulièrement l’orge), l’élevage (surtout les caprins) et l’arganier (Aziz, 2012).

En fait, avec l’augmentation rapide du prix de l’huile d’argane à la fin des années 90, nous assistons, au niveau de la zone d’arganeraie, à de nouvelles dynamiques socio-économiques. La marchandisation des produits de l’arganier a alors eu des conséquences sur les représentations et la vie quotidienne des populations locales : le fruit d’argane est devenu un investissement spéculatif populaire, augmentation des stocks moyens des ménages en ce produits, émergence des marchés des amendons d’argane et la naissance des coopératives assurant aux femmes qui y travaillent dans la production et la commercialisation des produits d’argane un revenu significatif.

Le présent travail a pour objectif de quantifier l’apport de l’arganier dans le revenu du ménage rural et comparer la rentabilité de deux modèles d’exploitation des produits de l’arganier en environnement déterministe et probabiliste.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Une étude empirique a été réalisé dans la province de Tiznit où la forêt d’arganier s’étale sur une superficie de 140 000 ha, et plus précisément au niveau des communes rurales de Reggada, Bounaamane, Arbaa Sahel, Amelne, Anezi et Tirhmi caractérisées par une densité d’arganiers et un tissu coopératif (féminin surtout) si importants. L’étude a été menée via des entretiens semi-directif auprès de 95 personnes, dont 67 hommes et 28 femmes relevant des communes sus-citées.

L’évaluation de la contribution de l’arganier dans le revenu du ménage et sa rentabilité financière a été effectuée moyennant le recours à l’analyse coût-bénéfice appliquée à quatre modèles d’exploitation représentées par 4 classes, plus ou moins homogènes, issues d’une analyse multivariées (Figure 1).

Ainsi, les quatre modèles d’exploitation représentent respectivement, un modèle où les arganiculteurs sont plus orientés vers la production céréalière, un deuxième modèle comprenant les arganiculteurs spécialisés davantage dans l’élevage et deux modèles d’exploitation où l’arganier représente la seule et unique source agricole de revenu pour les ménages. La différence entre les deux modèles d’arganier est liée à la valorisation de la matière première «Affiache». Une première sous-classe constituée, d’une part, des agriculteurs qui se contentent par la vente de la matière première aux intermédiaires des douars à un prix dérisoire, soit 2 dhs le kilo. D’autre part, une deuxième sous-classe des arganiculteurs qui tirent davantage de profit de l’arganier en vendant des amendons concassés à un prix moyen unitaire plus élevé.

Ainsi, nous obtenons les modèles d’exploitation présentés dans le tableau 1.

Tableau 1: Répartition en sous-classes de l’effectif enquêté

Classes Description Effectif Part en %

C1 Ayants droit exploitant la forêt d’arganier et pratiquant la céréaliculture 28 29

C2 Ayants droit exploitant la forêt d’arganier et pratiquant l’élevage des petits ruminants 12 13

C3

Sous-classe 1 L’arganier est la seule source agricole de revenu. Aucune valorisation des produits de l’arganier 47 49

C3

Sous-classe 2 L’arganier est la seule source agricole de revenu. Aucune valorisation des produits de l’arganier 8 8

Total 95 100

Les prix de vente des amendons de l’arganier sont compris entre 30 et 40 dhs/kg. Nous prenons comme moyenne annuelle 35 Dhs/kg que nous considérons comme prix du marché pour l’année 2016. Ce montant représente également un « Shadow-price » pour les amendons autoconsommés par les ménages ruraux, car c’est le prix du consentement à recevoir qui permet d’égaliser les satisfactions des différents usages. L’évolution du prix a été estimée par une série chronologique de 10 ans et suppose une augmentation moyenne de 2 % par an.

Les prix des autres produits de l’exploitation figurent dans la base de données et évoluent suivant des hypothèses différentes:

• Ceux des produits céréaliers augmentent dans le modèle suivant la tendance d’une série chronologique de prix nationaux sur 20 ans;

• Les prix des produits animaux augmentent suivant le taux d’inflation moyen de 2 % à défaut de données chronologiques sur les prix;

• La rémunération du travail augmente également suivant le taux d’inflation moyen.

Pour estimer l’évolution de la production d’argane, certains auteurs comme Le P. de Waroux (2011) et le Haut-commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification (HCEFLCD) ont estimé que la densité de l’arganeraie a diminué de 44,5 % entre 1970 et 2007. Nous considérons comme hypothèse que la diminution de la densité de l’arganeraie est linéaire et nous extrapolons cette tendance sur 15 ans (entre 2016 et 2030).

Pour les cultures, étant donné que la SAU n’est pas extensible, le premier scénario apparent est la stabilité des superficies qui se traduit par une stabilité de la production. Nous pouvons également envisager des substitutions à l’intérieur de la sole céréalière.

L’analyse de sensibilité a montré que pour des parcelles de si petites tailles et pour des productions et des prix de céréales aussi rapprochés, la substitution entre l’orge, le blé tendre et le blé dur n’est pas aussi influente sur le revenu.

Concernant les coûts de productions annuelles, nous remarquons dans les données qu’il s’agit exclusivement de coûts variables. Il est possible de définir pour chaque culture (ou cheptel) une régression entre les coûts variables de 2016 et la production de la même année. Ainsi, les coûts variables vont suivre l’évolution des quantités produites.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

L’évaluation de la contribution de l’arganier au niveau micro-économique, a affiché des résultats variables allant de 45 % à 94 %, soit une moyenne de 66 % pour l’année 2016 (Tableau 2).

Tableau 2: résultats de la contribution de l’arganier dans le revenu du ménage rural

Modèles d’exploitation Contribution de l’arganier en 2016 (%) Marge nette/ha (dhs)

2016 2030

C1 59 2480 3157

C2 45 2048 2631

C3

Sous-classe 1 64 2405 3181

C3

Sous-classe 2 94 4297 5167

On note aussi que 29 % des ménages ruraux tirent 49 % de leur revenu de l’argane, ce qui illustre l’intérêt de cette filière. Aussi, l’argane représente au moins 43 % du revenu pour 70 % des ménages.

Quant aux perspectives d’évolution, nous constatons une augmentation moyenne de la marge nette de l’arganier de l’ordre de 27 % à l’horizon 2030, due essentiellement à une hausse remarquable des prix de l’arganier entre 2016 et 2030.

L’analyse de rentabilité a montré que le système d’exploitation de l’arganier affiche des situations de rentabilité satisfaisante pour les deux modes d’exploitation des produits (avec valorisation et sans valorisation).

Les résultats en univers déterministe montrent des situations satisfaisantes quelques soient l’indicateur de rentabilité choisis (Tableau 3). À rappeler que dans la présente étude, nous avons mené l’analyse en considérant deux critères de décision (VAN, RBC).

Pour les deux modes d’exploitation l’arganier affiche des VAN supérieures à zéro (0). La VAN minimale enregistrée est de l’ordre de 66 099 Dhs pour un coût d’opportunité de 7 %. Cette VAN minimale a été enregistré pour le modèle d’exploitation de l’arganier sans valorisation de leurs produits. De l’autre côté, une VAN de 313 179 dhs est affichée par le modèle d’exploitation qui intègre la valorisation des produits d’argane et en tire davantage de profit.

Nous avons constaté qu’en considérant le ratio bénéfice-coût (RBC) comme critère de décision, nous pouvons conclure que les deux modèles d’exploitation sont hyper-rentables. Nous avons des valeurs de l’indicateur qui dépassent de loin sa valeur critique qui est de 1.

Tableau 3: résultats des indicateurs de rentabilité en environnement déterministe

Modèles d’exploitation de l’arganier Description Indicateurs de rentabilité

VAN RBC

M1 Aucune valorisation des produits de l’arganier 66 099 3,59

M2 Aucune valorisation des produits de l’arganier (Dépulpage et concassage) 313 179 10,8

L’analyse en environnement probabiliste nous a permis de comprendre, comment ces résultats peuvent changer en cas de changement des variables d’entrées dans l’analyse.

Dans ce sens, une analyse de sensibilité nous a permis de détecter les variables qui ont le plus de poids sur les indicateurs de rentabilité calculés. Ces variables sont principalement, les prix des produits, les quantités vendues, les coûts de production et le taux d’inflation.

La simulation Monte Carlo nous a permis d’appréhender l’incidence d’une éventuelle fluctuation des variables déclarées redoutables par l’analyse de sensibilité.

La probabilité d’enregistrer une VAN négative est nulle pour les deux modèles d’exploitation.

Le modèle M1 affiche une plage oscillant entre 57 610 Dhs et 64 88 Dhs pour 90 % des valeurs de la VAN (Figure 2), contre une plage allant de 31 000 Dhs et 226 000 Dhs affichée par le modèle M2 qui intègre la valorisation des produits (Figure 3).

CONCLUSION

Les résultats de la quantification de l’apport de l’arganier en environnement déterministe ont montré que ce dernier représente une part très variable allant de 45 % à 94 %, chose qui ne permet donc pas de se prononcer de façon précise sur sa contribution. Néanmoins, cet apport demeure important et pourrait augmenter dans une perspective de domestication de l’arganier dans des vergers modernes « arganiculture ».

Il est à noter que 29 % des ménages de notre échantillon tirent 50 % de leur revenu de l’argane, tandis que ce système de production représente au moins 43 % du revenu pour 70 % des enquêtés, illustrant ainsi, l’intérêt de ce système qui a constitué pendant des décennies la base de survie de la population de l’arganeraie.

Quant à l’évaluation de rentabilité de l’arganiculture, les résultats en environnement déterministe ont montré que l’arganier pourrait être rentable en mode d’exploitation avec valorisation ou sans valorisation des produits avec des Valeurs Actuelles Nettes, respectivement, de 313 179 dhs et 766 099 dhs.

En comparant les indicateurs de rentabilité des modèles d’exploitation des produits de l’arganier (Avec et sans valorisation), on se rend compte les performances économiques des modèles d’exploitation avec valorisation dépassent de loin celles de vente des produits de l’arganier sans valorisation.

Il a été rapidement constaté à travers une analyse de sensibilité que les prix des produits, les quantités vendues, les coûts de production sont les variables qui pèsent le plus sur les indicateurs de rentabilité.

En faisant subir aux variables à risque une grande fluctuation, la simulation Monte Carlo à montrer que l’idéal serait le recours à la valorisation des produits de l’arganier. Le niveau de risque y est pratiquement négligeable. La probabilité d’enregistrer une VAN négative est nulle.

Pour les futures producteurs « Arganiculteurs », la production doit être étroitement liée à la valorisation. La vente directe de la matière première n’est pas conseillée, elle est source d’une énorme perte.

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