Dynamique agraire et dynamique paysagères dans le bassin versant du Tleta, Rif Occidental (Maroc)

Auteurs-es

  • Mohamed SABIR Ecole Nationale Forestière des Ingénieurs, Salé, Maroc
  • C. HÉRIVAUX BRGM, Direction EEE, Unité Nouvelles Ressources et Economie,Montpellier, France
  • F. GUILLOT BRGM, Direction EEE, Unité Nouvelles Ressources et Economie, Montpellier, France
  • A. BOUAZIZ Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat

Résumé

Le Tangérois est en plein évolution socioéconomique avec le développement des zones franches et l’installation d’une nouvelle population. Les besoins en eau et en produits agricoles augmentent. L’urbanisation et l’industrialisation font que la terre change d’utilisation et de fonction.Ces changements impacteraient le comportement hydrologique du bassin du Tleta (17 700 ha) qui alimente le barrage Ibn Batouta ; source importante d’eau pour le Tangérois. L’hypothèse posée est que ces changements paysagers impactent la production en eau, l’érosion des sols et la productivité des terres. C’est la finalité principale du projet de recherche ALMIRA dans lequel s’insère cette étude. Elle vise à contribuer à la vérification de cette hypothèse en analysant la dynamique agraire et paysagère dans le Tleta. Le diagnostic du bassin Tleta a permis un zonage agroécologique des terres et une description des systèmes d’exploitation agricole (56 exploitations enquêté). Huit quadrats de 1,75 km² en moyenne ont été choisis pour analyser la dynamique des occupations des terres et des parcellaires entre 2000 et 2015 à partir de l’exploitation de cartes des occupations produites à différentes dates et d’images Google de 2003, 2009 et 2015. Pour chaque quadra, le parcellaire a été digitalisé. L’étude a confirmé l’intense évolution des espaces dans le Tleta. Les facteurs de changement importants sont le développement économique, l’implantation de la ville nouvelle de Chrafate, l’apport de capitaux extérieurs, l’exode des jeunes, le développement de l’arboriculture (Plan Maroc Vert) et la valorisation du matorral. L’analyse des quadrats a montré que la part des parcelles avec bâti varie de 0 à 30% ; celles avec haie de 0 à 90%; la taille médiane des parcelles est inférieure à 0,5 ha mais varie de quelques m² à 2 ha ; la part du matorral varie entre 2 et 57%. Le système d’exploitation dominant est la polyculture-polyélevage. La taille moyenne d’une exploitation est de 7,7ha répartie sur 6 parcelles. 50% des exploitations ont une taille de 5 à 10 ha. Elles produisent des céréales (blé, orge, avoine), du sorgho et des légumineuses (fève, lentilles, pois chiche), destinées à l’autoconsommation et à l’élevage. La rotation dominante est culture (céréales)/jachère qui sert de pâture au cheptel. La plantation de l’olivier est récemment développée. Le troupeau moyen est composé de 4 bovins, 3 ovins et 3 caprins. Cette étude a posé les bases d’une analyse prospective du bassin : comment ces évolutions vont-elles se combiner à l’horizon 2040 ? Quels seront les impacts sur l’économie agricole, l’érosion et la fourniture d’eau pour le barrage ?

Mots clés : Dynamique agraire, Dynamique paysagère, Bassin versant Tleta, Rif Occidental, Maroc

Introduction

L’agriculture est un secteur essentiel de l’économie marocaine puisqu’elle emploie 43% de la population active totale et représente 78 % de l’emploi rural (MAPM, 2010). Si une part est destinée à l’exportation, une part non négligeable de la population pratique l’agriculture de subsistance sur de petites surfaces. C’est le cas du bassin versant du Tleta étudié avec environ 90 % des exploitations de moins de 5 ha (centre de Conseil Agricole Dar Ben Saddouk). À son exécutoire se situe le barrage Ibn Batouta, élément important pour l’alimentation en eau du Tangérois en plein essor économique. Cependant, la retenue connait un envasement alarmant dû à l’érosion des sols. Sa capacité de stockage est passée de 43,6 millions m3 en 1977à 31 millions de m3 en 2010. La perte moyenne en terre est de 20 à 30 m3/ha/an (Hammouda, 2010) et elle est similaire à 40 % des terres touchées par l’érosion au Maroc (Bara, 2012).

Cette érosion impacte, en plus de l’envasement du barrage, la fertilité des sols par la perte en éléments minéraux et la qualité des eaux. La quantité de sol érodée et le ruissellement produit dépendent directement des utilisations des terres et des couvertures du sol (Sabir et al.,2004), à savoir la végétation, le bâti, les infrastructures routières, les aménagements réalisés dans les parcelles et les ravins, etc. La dynamique spatiotemporelle de ces occupations des terres engendre une mosaïque paysagère qui affecterait positivement ou négativement les flux de matière dans le bassin d’une manière quantitative et qualitative. La santé du bassin versant (services écosystémiques) serait affectée. La disponibilité de la ressource en eau dans le barrage et la productivité des terres agricoles est déterminée par cette mosaïque paysagère et sa dynamique. La compréhension de l’organisation des mosaïques paysagères du bassin, ainsi que les choix et changements qui en sont à l’origine sont les principaux objectifs de ce travail. Par mosaïque paysagère, on entend l’organisation spatiale des différentes unités du paysage à savoir les infrastructures routières, le bâti, les parcelles (taille, forme, cultures), le linéaire (haies, talus, etc.) et la végétation hors parcelle. Ces mosaïques paysagères agricoles sont façonnées par les pratiques propres aux différents systèmes de production agricole.

Le concept de système de production correspond à « un mode de combinaison entre terre, forces et moyens de travail à des fins de production végétale et/ou animale, commun à un ensemble d’exploitations. Un système de production est caractérisé ici par la nature des productions, de la force de travail (qualification) et des moyens de travail mis en œuvre et par leurs proportions » (Bonneviale et al., 1989). Dans le bassin, différents systèmes de production agricole sont présents, au sein de zones homogènes caractérisées par un type de sol, un relief, la proximité des infrastructures, etc. Au sein des exploitations, plus ou moins récentes, les pratiques ont évolué dans le temps et ont façonné le paysage tel qu’on le perçoit aujourd’hui.

L’étude de la dynamique paysagère dans le bassin versant Tleta, de ses facteurs dirigeants (driving forces), de ses impacts sur les services écosystémiques (hydrologie, érosion) et les services socioéconomiques (productivité des terres, revenus) et de ses tendances futures (2040) constituent les éléments principaux du projet de recherche ALMIRA regroupant plusieurs partenaires français, tunisiens et marocains (https://www.umr-lisah.fr/?q=fr/content/almira). Cette étude constitue une des étapes du projet ALMIRA et vise à analyser la dynamique agraire et paysagère dans le bassin du Tleta.

Ce travail vise donc à éclairer les dynamiques d’évolution des systèmes de production agricoles et des mosaïques paysagères associées au sein du bassin versant Tleta. Diverses questions sont donc soulevées : Comment ont évolué les pratiques agricoles dans le passé ? Sous quelles impulsions ? Quelles sont les modifications du paysage liées aux pratiques ?

Ce papier présente une synthèse de plusieurs travaux de recherche et de stages d’étudiantes et étudiants marocains et français. Ils ont porté sur la cartographie de l’évolution des occupations des sols et des parcellaires à différentes dates, des enquêtes auprès des paysans et personnes-ressources et d’observations de terrain. Ce document présente d’abord le bassin Tleta, ensuite la méthodologie adoptée pour l’analyse de la dynamique agraire et paysagère et finalement les résultats et conclusions.

Le bassin versant Tleta

Le bassin du Tleta couvre une superficie de 17 700 ha en amont du barrage Ibn Batouta (Figure 1). Ce dernier, utilisé pour l’alimentation en eau potable de la ville de Tanger, a actuellement une capacité de 31 millions de m3 (2010), l’eau étant fournie par l’oued Kébir formé de la confluence de trois oueds plus petits. La capacité de ce barrage était de 43,6 millions de m3 en 1977, il est donc très fortement touché par l’envasement. Situé dans la partie occidentale du Rif, le bassin culmine à une altitude de 690 m tandis que le point le plus bas se situe à 24 m d’altitude (exutoire). Toutefois, 60 % de la superficie du bassin se situe au-dessous de 100 m d’altitude.

Le climat du bassin du Tleta est de type méditerranéen subhumide avec une période sèche de mai à septembre et humide entre octobre et mars. Les précipitations annuelles moyennes sont de l’ordre de 750 mm, essentiellement réparties durant la période humide, et tombant sous la forme d’averses fortes. Ces précipitations intenses sont responsables de crues annuelles et d’importants problèmes d’érosion.

Actuellement la végétation naturelle se réduit à quelques zones de forêt (essentiellement des marabouts) et de matorral. Cette formation correspond à une végétation ligneuse arbustive composée des espèces telles que Pistacia lentiscus, Callicotome villlosa et Olea europa. La densité de ce type de végétation varie de très dense à clair, selon l’intensité de pâturage et de coupes réalisées. Le matorral très clair, aussi appelé erme, est composé essentiellement de Chamaerops humilis (Kouatli, 2015).

Le bassin est situé à l’interface de trois préfectures : Tétouan, Tanger-Assilah et Fahs Anjra. La route nationale RN2 reliant Tanger à Tétouan traverse le centre du bassin. Plusieurs chantiers de construction sont lancés sur la partie Nord Est du bassin, avec le projet de la ville nouvelle de Chrafate ainsi que les zones franches et industrielles en lien avec le complexe industriel et portuaire de Tanger-Med.

Matériel et méthodologie

La méthodologie suivie a combiné plusieurs allers-retours entre l’analyse d’images et la cartographie au bureau et des observations, enquêtes et vérifications sur le terrain.

La première étape a eu comme objectif de comprendre l’organisation générale de l’agriculture et du paysage au sein du bassin du Tleta, de délimiter les zones agroécologiques homogènes et de choisir un nombre adéquat de quadrats d’étude du paysage et des systèmes de production agricole. Ensuite, dans une deuxième phase, on a analysé les dynamiques des mosaïques paysagères et des systèmes de production. Ainsi, huit (8) quadrats ont été identifiés tenant compte des zones agroécologiques et 56 exploitations agricoles ont été enquêté couvrant une superficie de 425 ha, dont 236 ha situés dans les quadrats étudiés.

Délimitation des zones d’étude

Cette première étape a pour objectif de comprendre l’organisation générale de l’agriculture et du paysage au sein du bassin du Tleta, de manière à identifier un nombre limité de quadrats d’étude du paysage et des systèmes de production agricole. L’analyse des cartes pédologiques, géologiques et de végétation, des données bibliographiques sur l’histoire de la région et des statistiques agricoles, complétée par des observations et entretiens de terrain (lecture de paysage, observations depuis les points hauts, 22 entretiens auprès d’agriculteurs du bassin), a permis d’identifier quatre principales zones agro-écologiques :

La zone de crêtes à l’Est (400-690 m), occupée principalement par la forêt domaniale de Ouadrass et le matorral ;

Les zones de bocages avec habitations situées sur les coteaux (150-400 m) ;

Deux zones de plaine (24-150 m) qui occupent la majeure partie du bassin, principalement cultivées en céréales et légumineuses : la plaine centre et Est traversée par la route nationale, et la plaine Ouest isolée du reste du bassin par le relief de Koudiet et l’absence d’axes routiers.

Du fait de sa proximité géographique de Tanger, le bassin connaît un développement urbain important, en particulier le long de la route nationale et des autres routes goudronnées, ainsi qu’au niveau de la future ville nouvelle de Chrafate, située au nord de la plaine centre et Est.

Huit quadrats de 1,75 km² en moyenne ont été sélectionnés au sein de ces zones agro-écologiques, de manière à être représentatifs de chaque zone et du niveau de développement urbain en cours. Deux transects du bassin sont ainsi couverts, ainsi qu’un quadra situé à proximité de la ville nouvelle de Chrafate. Les quadrats 1, 3 et 8 (Figure 2) permettent d’étudier la zone de coteaux-bocages, ils recoupent tous les trois en partie un douar de coteaux (Dar Chaoui, Gharbaoua et Fachkara). Le quadra 2 permet d’analyser les mosaïques paysagères de la plaine cultivée Ouest. Les quadrats 4 à 7 sont situés dans la plaine centre et Est : le quadra 4 est en partie situé sur un douar (Jouamaa), et proche du projet d’implantation de la ville nouvelle ; les quadrats 5, 6 et 7 sont situés de part et d’autres de la route nationale. Notons que la forêt n’est pas cultivée par les agriculteurs et ses plans d’aménagements sont connus puisque gérés par les forestiers, aucun quadra n’est donc étudié dans cette zone.

Figure 2. Zones agro-écologiques et localisation des quadrats sur le Tleta

Analyse des dynamiques d’évolution des mosaïques paysagères

Une première analyse de l’évolution du couvert végétal a été menée à l’échelle des zones agro-écologiques grâce aux cartes de végétation du rapport de Hammouda (2010), de Benheddi (2011) et El Bazi (2014). Ceci a permis de prendre conscience du couvert végétal actuel et de son évolution de 1977 à 2007.

Une analyse complémentaire a été menée à l’échelle des quadrats d’étude, de manière à caractériser plus finement les mosaïques paysagères du bassin et leur évolution. Pour chaque quadra, le parcellaire a été digitalisé à partir des images Google Earth de 2015 (Figure 3). Au total, 1477 parcelles ont été digitalisées, sur les huit quadrats.

Figure 3. Exemple de digitalisation du parcellaire à l’échelle d’un quadra

Les images 2015 ont été comparées avec les images 2003 et 2009. Quatre grands types de descripteurs des mosaïques paysagères ont été retenus par l’équipe projet (Pour chaque quadra une table attributaire décrit, par parcelle et par année, les quatre descripteurs de mosaïques paysagères et leur évolution d’une date à l’autre. Ce travail a permis de préparer les guides d’entretiens auprès des agriculteurs présents sur les 8 quadrats, ces entretiens ayant pour objectif de comprendre les facteurs d’évolution des mosaïques paysagères (Tableau 1):

• La présence et le type d’habitat ;

• La taille et la forme des parcelles ;

• La présence et le type de linéaire ;

• Les types d’occupation du sol.

Pour chaque quadra une table attributaire décrit, par parcelle et par année, les quatre descripteurs de mosaïques paysagères et leur évolution d’une date à l’autre. Ce travail a permis de préparer les guides d’entretiens auprès des agriculteurs présents sur les 8 quadrats, ces entretiens ayant pour objectif de comprendre les facteurs d’évolution des mosaïques paysagères.

Analyse des dynamiques d’évolution des systèmes de production

Les évolutions de mosaïques paysagères observées à l’échelle des quadrats ont été confrontées aux connaissances des agriculteurs présents sur ces quadrats, et mises en relation avec les dynamiques de leurs systèmes de production. Au total, 56 entretiens semi-directifs ont été menés, pendant quatre semaines de terrain en août 2015. Les entretiens sont répartis sur l’ensemble des quadrats. Les agriculteurs étaient rencontrés au hasard, sur leurs parcelles ou non, et les entretiens se déroulaient en extérieur. La discussion était réalisée autour desimages Google Earth du quadra concerné afin de pouvoir relancer l’agriculteur sur les évolutions observées et de placer ses parcelles lorsque cela était possible. Le guide d’entretien était structuré autour de quatre volets :

• L’exploitation agricole aujourd’hui,

• L’exploitation agricole dans le passé,

• Lien avec l’évolution des mosaïques paysagères,

• L’évolution possible de l’exploitation agricole dans le futur.

Les 56 exploitations agricoles enquêté couvrent une superficie de 425 ha, dont 236 ha situés dans les quadrats étudiés. Deux bases de données ont été constituées à partir des données collectées : une base de données à l’échelle de l’exploitation agricole et une base de données parcellaire.

Ces entretiens ont permis de mettre en relation les principaux facteurs d’évolution passés des systèmes de production avec les évolutions des mosaïques paysagères. Ils ont également permis de mettre en évidence les projets futurs des agriculteurs.

Résultats et discussions

Description des mosaïques paysagères et des systèmes de production agricole observés en 2015

Mosaïques paysagères

L’analyse à l’échelle des quadrats a permis de renseigner les quatre types de descripteurs des mosaïques paysagères sur les parcelles digitalisées, et met en évidence une diversité de mosaïques sur le bassin (Figure 4). Selon les quadrats, la part des parcelles avec bâti varie de 0 à 30% ; la présence de haie concerne de 0 à 90% des parcelles ; la taille médiane des parcelles est inférieure à 0,5 ha mais varie principalement entre quelques m² et 2 ha ; la part du matorral varie entre 2 et 57%.

Les coteaux – bocages

Les quadrats 1, 3 et 8 illustrent la diversité des mosaïques paysagères observées sur les coteaux. Les quadrats 1 et 8 recoupent des douars de coteaux (Dar Chaoui et Fachkara) traditionnellement organisés en bocages (habitation principale située sur une parcelle cultivée entourée de haies) : environ 20% des parcelles ont un bâtiment, et 80% d’entre elles sont entourées d’une haie. Le quadra 3 recoupe également un douar (Gharbaoua), mais avec un réseau bocager moins important (14% de haies). L’organisation du paysage à l’aval des douars diffère selon les quadrats, avec principalement du matorral pour Dar Chaoui et Gharbaoua, et des parcelles cultivées pour Fachkara. On retrouve ces deux types d’organisation sur l’ensemble de la zone de coteaux.

La plaine Ouest

Le quadra 2 situé dans la plaine cultivée Ouest se distingue par l’absence totale de bâti et de haie, et la prédominance de parcelles cultivées. La taille moyenne des parcelles est de 0,5 ha.

La plaine Centre et Est

Les quadrats 4 à 7 situés dans la plaine Centre et Est sont relativement similaires en matière d’occupation du sol, avec plus de 80% des parcelles en cultures annuelles, et la présence de parcelles en olivier (entre 2 et 4% de la superficie). Ils diffèrent par contre légèrement sur les autres descripteurs. Le quadra 4 est situé en partie sur un douar de plaine (Jouamaâ) organisé en bocages (près de 60% des parcelles avec haie) : la proportion de parcelles avec bâti y est plus importante (32%), et les parcelles ont une taille moyenne légèrement inférieure au reste de la plaine (0,4 ha).Les quadrats 5, 6 et 7 ont des tailles moyennes de parcelles similaires (0,6 ha). Le quadra 6, situé sur la RN2, présente cependant un taux de parcelles avec bâti plus important (15%), avec peu de haies, représentatif des locaux de commerce ou des plateformes construites le long de la RN2.

Systèmes de production agricole

Les 56 enquêtes réalisées en août 2015 fournissent des informations sur les structures d’exploitations agricoles situées sur les quadrats d’étude. Les exploitations enquêté sont en majorité basées sur des systèmes de polyculture-polyélevage. Elles ont une taille moyenne de 7,7 ha, répartis sur 6 parcelles (Tableau 2). La moitié des exploitations a une taille située entre 5 et 10 ha, elles occupent 44% de la SAU (Tableau 3). Les très petites exploitations de moins de 5 ha – principalement présentes sur la partie Est du bassin - représentent 28% du nombre d’exploitations des quadrats, et seulement 11% de la SAU. Les grandes exploitations de plus de 10 ha (22% des exploitations) occupent 45% de la SAU. Elles sont observées sur l’ensemble des quadrats étudiés.

Les enquêtes ont permis de valider le fait qu’aujourd’hui la grande majorité des parcelles sont mécanisées. Les parcelles non mécanisées correspondent aux jardins-vergers ou à quelques parcelles situées sur des pentes trop importantes pour pouvoir y accéder avec un tracteur.

Les exploitations enquêtées (Tableau 3) produisent des céréales (blé, orge, avoine), du sorgho et des légumineuses (fève, lentilles, pois chiche), essentiellement destinées à l’autoconsommation et à l’élevage. Les cultures sont majoritairement basées sur une rotation avec jachère qui sert de pâture au cheptel. L’irrigation est quasi-absente sur le bassin, hormis quelques petites parcelles situées à proximité de sources sur les coteaux (présence de quelques nappes à faible productivité). La plantation de l’olivier est également développée sur le bassin, sous différentes formes, depuis les parcelles de grandes tailles plantées en plaine, aux jardins-vergers de petite taille sur les coteaux. Les troupeaux sont constitués de bovins et d’ovins, ainsi que de caprins sur les coteaux (en moyenne 4 bovins, 3 ovins et 3 caprins par exploitation). Les produits de l’élevage (fromage, bétail) sont vendus sur les souks locaux, en bord de route ou en ville (Tanger et Tétouan).

Les enquêtes ont permis de faire ressortir trois principaux types d’organisation spatiale des systèmes de production agricole, mettant en évidence des liens entre certains quadrats :

1- Les exploitations situées dans la partie ouest du bassin

Les 22 exploitations rencontrées sur les quadrats 1, 2 et 3 présentent une organisation spatiale similaire : les paysans habitent les douars des coteaux (Dar Chaoui et Gharbaoua), et leurs parcelles sont situées principalement en plaine (94% de la superficie). La taille moyenne des exploitations est de 8,9 ha. Les rotations culturales sont plus diversifiées que sur le reste du bassin, c’est notamment la zone où les cultures de légumineuses et de sorgho sont les plus présentes. Le matorral collectif et la forêt sont utilisés comme parcours pour les bêtes, et ainsi que la vaine pâture grâce à la mise en place d’un assolement collectif intra et inter-village. Les terres sont en Melk dans le village tandis que la majorité des parcelles en plaine sont soit en Habous, soit en location. La production est destinée à l’autoconsommation et à la vente sur le souk (produits de l’élevage essentiellement).

2- Les exploitations situées dans la plaine centre et Est

Les 21 exploitations rencontrées sur les quadrats 4, 5, 6 et 7 ont l’ensemble de leurs parcelles situées dans la plaine. Elles ont une taille moyenne de 7,6 ha. La grande majorité des troupeaux comportent seulement des bovins et des ovins. Quelques-uns sont spécialisés dans l’élevage bovin en étable ou l’élevage de poulets de chair. Les produits de l’élevage sont en majorité vendus à Tanger. Les cultures réalisées par ces exploitations sont essentiellement les céréales avec très peu de sorgho, et quelques légumineuses. On trouve également des parcelles en olivier plantées avec le Plan Maroc Vert ou avec des fonds personnels sur des terres privées. Sur cette zone la grande majorité des terres sont en Melk, avec quelques parcelles en location à proximité de certains villages. Le long des axes routiers, on note également la présence de propriétés privées avec un bâtiment central situé sur une parcelle plantée en vergers et entourée de grillage ou de haies brise-vent. Ces propriétés constituent pour la plupart les résidences secondaires de propriétaires vivant à l’extérieur du bassin.

3- Les exploitations situées sur les coteaux en partie Est du bassin

Les 11 exploitations rencontrées sur les quadrats 7 et 8 ont une taille moyenne de 5,6 ha, répartie pour moitié dans les coteaux pour moitié dans la plaine. La grande majorité des troupeaux sont constitués de caprins et de bovins, ainsi que d’ovins pour une partie. Les bêtes sont menées dans le matorral par les agriculteurs qui sont à proximité, sinon uniquement dans les jachères et complémentées avec du tourteau, du pain sec, du son de blé et de l’avoine que les agriculteurs cultivent. Les produits de l’élevage sont vendus soit à Tanger, soit au souk. Dans cette zone, les cultures réalisées sont essentiellement les céréales. On trouve aussi de grandes parcelles en oliviers, dans la zone plus basse et plate de ces coteaux. Les terres sont majoritairement en Melk.

Dynamiques d’évolution passées et facteurs de changements associés

L’évolution des quatre types de descripteurs des mosaïques paysagères sur les huit quadrats a été analysée sur la période 2003-2015. Les principaux changements observés concernent – sur certains quadrats seulement - le bâti ainsi que l’occupation du sol, avec l’implantation de l’olivier et le défrichement du matorral. Le linéaire de type haie a été dans l’ensemble peu modifié sur les quadrats étudiés. L’évolution du maillage parcellaire observé à partir des images aériennes est, à ce stade, difficile à interpréter et nécessiterait des investigations complémentaires.

Ces évolutions sont à mettre en relation avec plusieurs dynamiques à l’œuvre sur le bassin depuis ces quinze dernières années (2000-15).

Tout d’abord, on observe une forte tendance à l’urbanisation, avec les chantiers de construction de la ville nouvelle de Chrafate à proximité du quadra 4 (projet de création de logements sur 800 ha pour accueillir une population de 150 000 habitants) et des zones franches industrielles, la création de nouvelles routes goudronnées, ainsi que l’implantation d’activités commerciales et industrielles de manière diffuse le long de la RN2. Depuis les années 1980, les investissements de personnes étrangères au bassin dans des « résidences secondaires » se multiplient à proximité des axes routiers. La zone de plaine Centre et Est (quadrats 4 à 7) est la plus concernée par ces changements (Figure 6a). Les zones de coteaux (quadrats 1, 3, et 8) et la plaine Ouest (quadra 2) présentent des taux d’évolution des parcelles avec bâti très faibles.

Les agriculteurs enquêtés constatent une forte augmentation de la valeur du foncier ces quinze dernières années, en particulier à proximité de la RN2, sur les terres plates avec un sol plutôt sableux (Figure 7). À proximité de la RN2 et de la ville nouvelle, les prix sont passés de 200 000 – 300 000 DH/ha en 2005 à 500 – 600 DH/m² (équivalente à 5 et 6 MDH/ha) en 2015. En s’éloignant de la route, les prix des parcelles cultivées sont passés de 10 000 DH/ha à 400 000 DH/ha en une quinzaine d’années. À proximité de la RN2, les terres atteignent actuellement des prix correspondant à des terres urbanisables et non plus à des terres agricoles. Les parcelles ne peuvent donc être achetées que par des investisseurs étrangers et nombreux sont les agriculteurs qui constatent qu’il est impossible pour un agriculteur du bassin de s’agrandir dans ces zones.

D’autre part, bien que la population soit globalement stable à l’échelle du bassin (+0,3%/an en moyenne sur la période 1994-2004), on note une dynamique d’exode rural des jeunes des douars des coteaux vers la ville de Tanger, avec en parallèle l’augmentation de la population des douars de plaine, mieux desservis par la route :

Exode rural des douars des coteaux. On observe une diminution de la population de certains douars situés dans la zone de coteaux et éloignés de la route nationale et/ou de la ville nouvelle. C’est le cas de Dar Chaoui et de Fachkara (Figure 6b), mais également de l’ensemble des douars de coteaux du bassin. Les paysans enquêtés expliquent qu’il y a eu beaucoup de départs (principalement les jeunes) vers la ville de Tanger, certaines maisons des villages sont vides et seules les anciennes générations restent. Ils expliquent également qu’il y a eu dans le passé des départs des douars des coteaux vers les douars de la plaine, pour se rapprocher de la route (c’est par exemple le cas de Fachkara vers Khandak El Kabche). Cela semble se stabiliser avec la création de routes secondaires, accompagnées par l’eau courante et l’électricité. Les parcelles de ceux qui sont partis sont rarement vendues, mais principalement louées, voire abandonnées si les parcelles ne sont pas mécanisables. Les personnes âgées louent également une partie de leurs terres, car elles manquent de main-d’œuvre. Le cheptel ovin et caprin diminue par manque de bergers (les jeunes travaillent juste dans les champs).

Augmentation de la population des douars de plaine. A l’inverse, certains douars connaissent une augmentation de la population sur cette période, qui peut avoisiner les +2%/an. C’est le cas de Jouamaâ et de Kandak el Kabche (Figure 6b), mais également de nombreux douars de plaine. Ces migrations se font par l’achat des terres en plaine à ceux qui sont partis à Tanger : Azib Ain Laalak a par exemple été créé par les paysans descendus d’Ain Laalak pour être plus près de leurs parcelles ; de même pour Khandak El Kabche qui regroupait à l’origine les terres collectives de Fachkara qui ont depuis été « melkisées ». Cette migration des gens des coteaux vers la plaine s’est poursuivie jusqu’à récemment. Cependant, l’augmentation importante du prix du foncier fait qu’il sera de plus en plus difficile pour les habitants des coteaux de s’installer en plaine en dehors de l’héritage ou sans apport financier extérieur.

L’agriculture du bassin évolue également, surtout dans la plaine Centre et Est, avec l’implantation de parcelles en olivier, en partie encouragée par le plan Maroc Vert et leMillenium Challenge Account MCA ; un défrichement limité, l’abandon du sorgho et de certaines légumineuses, et l’apparition des « résidences secondaires » :

L’implantation de l’olivier revêt différentes formes selon les zones du bassin et les facteurs responsables de la plantation. Ainsi, les programmes nationaux ont pour le moment été réalisés dans la zone de plaine, car il faut pouvoir fournir 50 ha minimum, ce qui est impossible sur les zones de coteaux. Les investisseurs étrangers au bassin plantent de grandes parcelles entourées de grillage et/ou haies à proximité de la RN2. De nombreux oliviers ou oléastres greffés sont plantés dans les jardins vergers dans les villages. Enfin, des agriculteurs locaux décident d’investir seuls dans la plantation de parcelles en olivier, de tailles variables et souvent entourées de haies épaisses pour les protéger des animaux.

Sur les zones en cultures annuelles qui semblent stables sur les images aériennes, les enquêtes ont identifié des changements des cultures réalisées. Ainsi, il y a eu l’arrêt de plusieurs légumineuses telles que le pois chiche, les lentilles et les petits pois (Figure 9). Les agriculteurs enquêté lient ces changements à une diminution de la pluviométrie et au fait que ces cultures ne sont pas mécanisables et sont donc devenues peu rentables. De même, le sorgho semble avoir été arrêté à l’Est de la RN2 à cause d’une diminution de la pluviométrie et de vents violents qui ont fait chuter les rendements (Figure 10).

Le défrichement (transformation du matorral en terres cultivées) concerne essentiellement la partie Centre et Est du bassin, et plus particulièrement le quadra 7. Les terres du quadra 7, qui étaient auparavant des terres collectives en matorral, ont récemment été « melkisées », et de nombreuses familles sont descendues du village de Fashkara sur les coteaux pour se rapprocher de la route en s’installant sur ces terres.

Conclusion et perspectives

Cette étude a permis de caractériser les mosaïques paysagères et des systèmes de production présents en 2015 sur le bassin du Tleta, ainsi que leur évolution sur les 15 dernières années.

Elle a montré que le bassin est en pleine évolution, avec l’influence du développement économique du Tangérois et l’implantation de la ville nouvelle de Chrafate, l’apport de capitaux extérieurs au bassin et l’exode progressif des jeunes vers la ville, mais également une dynamique de développement de l’arboriculture et des savoir-faire locaux basés sur la valorisation du matorral.

Cette étude a posé les bases d’une analyse prospective du bassin : Comment ces évolutions vont-elles se combiner à l’horizon 2040 ? Quels effets peut-on attendre sur l’agriculture et les paysages ? Quels seront les impacts sur l’économie agricole, sur les phénomènes d’érosion et sur la fourniture d’eau pour le barrage ?

Références

Bara F. 2012. La contribution à l’élaboration d’un SIG pour la quantification de l’érosion à l’échelle nationale. Mémoire de fin d’études pour l’obtention du diplôme d’ingénieur des eaux et forêts, École Nationale Forestière d’Ingénieurs, Option « Géomatique des ressources naturelles », Salé, 115 pages.

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Publié-e

15-06-2019

Comment citer

SABIR, M., HÉRIVAUX, C., GUILLOT, F., & BOUAZIZ, A. (2019). Dynamique agraire et dynamique paysagères dans le bassin versant du Tleta, Rif Occidental (Maroc). Revue Marocaine Des Sciences Agronomiques Et Vétérinaires, 7(2). Consulté à l’adresse https://www.agrimaroc.org/index.php/Actes_IAVH2/article/view/698

Numéro

Rubrique

Érosion et Dégradation des Sols