Les changements climatiques à la croisée des discours: Repenser le concept d’adaptation

Auteurs-es

  • Aïcha ABBAD Laboratoire de Didactique, Langage, Littérature, Arts et TICE, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Ibn Tofail, Kénitra, Maroc
  • Hanane JARMOUNI IDRISSI Laboratoire de Didactique, Langage, Littérature, Arts et TICE, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Ibn Tofail, Kénitra, Maroc

Résumé

Les concepts migrent, le concept d’adaptation aussi. Entre biologie, discipline d’origine et adaptation aux changements climatiques, nous nous plaçons dans la deuxième notamment dans l’usage du concept ainsi que sa perception. Nous cherchons en fait à apporter de nouveaux éléments de désambiguïsation en repérant des sèmes pragmatiques et énonciatifs relevant de la situation dans laquelle vient de naître ce concept. Nous désignons par situation, un discours qui n’est autre que « l’énoncé considéré dans sa dimension interactive, son pouvoir d’action sur autrui, son inscription dans une situation d’énonciation (un sujet énonciateur, un allocutaire, un moment, un lieu déterminé) » (Maingueneau, 1991 :15), un discours issu de la dynamique régissant le discours international sur les changements climatiques pris en charge par le GIEC. Le sens établi est d’ordre situationnel, contextuel et interdiscursif.

Mots-Clés: Adaptation, changement climatique, sémantique discursive

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INTRODUCTION

Qu’est-ce que l’adaptation aux changements climatiques ? Construire des éléments définitoires ne se limite pas au niveau de la phrase mais interpelle d’autres éléments relevant de la situation et du contexte dans lequel naît un concept. Nous voulons rendre compte du concept d’adaptation aux changements climatiques par un appui linguistique relevant de la sémantique discursive. Nous partons du constat selon lequel «Le sens […] s’obtient par calcul d’inférence selon trois types: inférences contextuelles, inférences situationnelles, inférences interdiscursives» (P. Charaudeau, 2005). Notre corpus discursif est celui d’un discours où se manifestent les voix des communautés politique et scientifique; 1992 est la date de la mise en place de la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements Climatiques (CCNUCC). le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution Climatique (GIEC) est un groupe onusien créé et appuyé par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et ce depuis 1988, son objectif primordial est de servir pour adopter des politiques climatiques, sachant qu’avec sa qualité d’expert, ce groupe fournit des résumés à l’intention des décideurs sous forme de rapports de mise à jour continuelle des données scientifiques, techniques et économiques des changements climatiques. L’objectif suprême est de réduire les émissions anthropiques des gaz à effet de serre vers une neutralisation à la fin du siècle et ainsi limiter le réchauffement à moins de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Notre propos est un extrait d’une suite de constats succédés dans le cadre d’un chapitre intitulé les changements climatiques à la croisée des discours traitant la thématique dans le cadre de l’analyse du discours spécialisé désignant la langue de spécialité propre aux changements climatiques. Les publications du GIEC et les événements nous seront un point de départ pour répondre à la problématique s’interrogeant sur l’apport de la sémantique discursive à la désambiguïsation du concept d’adaptation. Méthodologiquement, il s’agit de restituer le sens d’un discours spécialisé notamment le concept d’adaptation, à partir de son énonciation. Ainsi, la problématique se décline-t-elle sous forme des questions de recherche suivantes: Entre sens et signification, et à l’échelle discursive, que signifie ce concept dans le contexte actuel des changements climatiques ? Quels outils linguistiques permettant de se placer à la situation d’énonciation pour repenser un concept ? Dans ce contexte peut-on qualifier d’ambigu ce concept ? Notre propos est à traiter dans deux paragraphes, le premier est une mise en scène énonciative qui propose la dissociation de l’énonciation propre à son espace discursif précité, l’objectif est de la discuter à la lumière du constat de Ducrot (1984) contestant l’idée admise sur l’unicité du sujet parlant en l’intégrant aux caractéristiques énonciatives et à la notion d’hétérogénéité dans un discours implicitement ou explicitement polyphonique. Le second est un essai de sémantique énonciative cherchant à apporter de nouveaux traits significatifs liant conjointement l’analyse de discours à l’analyse sémantique.

MISE EN SCÈNE ÉNONCIATIVE

Repenser le concept de l’adaptation aux changements climatiques part, dans cette réflexion, de l’espace discursif onusien constitué de l’institution du GIEC et les Parties à la CCNUCC. Notre objectif est d’aborder la signification d’un point de vue discursif, notamment de la sémantique discursive. Théorico-méthodologiquement, nous allons placer ce concept au centre de la situation de l’énonciation, au centre de «l’événement historique constitué par le fait qu’un énoncé a été reproduit, c’est-à-dire une phrase a été réalisée» (O. Ducrot et al. 1995:728). De par l’hétérogénéité de ce discours, notre démarche nous parait d’une grande utilité pour pouvoir dissocier les agencements contenus dans un discours hétérogène, prenant en considération que le sens de tout discours résulte de la description de son énonciation et subséquemment «tout énoncé apporte avec lui une qualification […] qui constitue le sens de l’énoncé» (O. Ducrot, 1984:174). En d’autres termes, nous nous plaçons dans la sémantique discursive dans l’intention de rassembler des sèmes pragmatiques énonciatifs au service de l’interprétation du concept de l’adaptation.

Caractéristiques énonciatives

L’organisation générale du discours est à élucider en commençant par la signature des rapports du GIEC. Les rapports signés par le président du GIEC désigné par le Je, indique certes le locuteur, responsable de l’énonciation, toutefois ce rôle est seulement accessoire et circonstanciel (O. Ducrot, 1984:194). Par conséquent, on peut parler de la signature comme manifestations de la pluralité du locuteur. Dès lors, O. Ducrot (1984:193) conteste l’idée de l’unicité du sujet parlant et installe la distinction énonciateur/locuteur; dans notre espace discursif, une pluralité est condensée dans l’institution du GIEC qui rassemble trois groupes dont les fonctions se complètent et dont l’interdépendance constitue les rapports publiés par GIEC. Les trois groupes, énonciateurs, s’adressent aux décideurs du monde, allocutaires, en vue d’élaborer des stratégies luttant contre le réchauffement climatique. Où se situe le concept de l’adaptation dans notre espace discursif ? L’article 4 de la CCNUCC, engage les Parties à entreprendre des mesures d’atténuation des émissions anthropiques des gaz à effet de serre ainsi que des mesures visant l’adaptation aux changements climatiques. Toutefois l’article exige que:

«Toutes les parties […] préparent en coopération, l’adaptation à l’impact des changements climatiques et conçoivent et mettent au point des plans appropriés et intégrés pour la gestion des zones côtières, pour les ressources en eau et l’agriculture, et pour la protection et la mise en état des zones frappées par la sécheresse et la désertification, notamment en Afrique, et par les inondations» (CCNUCC, article 4, 1.e)

Les parties devraient ainsi communiquer l’information et coopérer pour mettre en œuvre les stratégies de l’atténuation et de l’adaptation. L’article 12, paragraphe 7, de la CCNUCC expose une conception des communications et explique les dispositions à entreprendre au profit des pays en développement en matière d’un concours technique et financier dont l’objectif est de réunir, de recenser les moyens techniques et financiers, communiquer l’information nécessaire, des Communications Nationales à la CCNUCC (CN), pour la réalisation et l’exécution des projets d’adaptation. Cette mise en scène se veut interactionnelle et peut être schématisée comme suivant:

Hétérogénéité

La notion d’hétérogénéité décrite par D. Maingueneau (1991:127) et dont découle la théorie de la polyphonie, désigne «la rencontre dans la même unité discursive d’éléments rapportables à des sources différentes». L’intérêt porté aux changements climatiques se manifeste concrètement depuis 1992 comme suite cohérente d’événements et de documentations. Le discours onusien se veut hétérogène de par ces éléments connexes dont les premières traces se constatent manifestement du premier rapport du GIEC constituant le fondement scientifique et technique de la CCNUCC adoptée au sommet de la terre tenu à Rio en 1992 et dont l’article 2 précise que:

«L’objectif ultime de la présente Convention et de tous instruments juridiques connexes que la conférence des Parties pourrait adopter est de stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Il conviendra d’atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s’adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d’une manière durable».

L’objectif est donc de stabiliser les concentrations d’origine anthropique de gaz à effet de serre. L’occurrence «s’adapter» dans l’article ci-dessus réfère à une adaptation naturelle des écosystèmes aux changements climatiques, à même niveau que celui de la sécurité alimentaire et le développement économique. Revenons à notre point de départ: le concept d’adaptation, c’est à ce stade de développement que nous pouvons justifier notre choix de traiter, dans le cadre de l’analyse de discours, ce concept situé dans une stratégie climatique gouvernée par une hétérogénéité de discours de nature dénombrant au moins le juridique, l’institutionnel, le politique et le scientifique. Qu’en est-il de la signification ainsi que l’interprétation d’un concept scientifique au-delà de la phrase et notamment dans une interprétation interpellant une pluralité discursive ? L’interaction dont les représentations seront traitées ci-après, a pour occupation majeure la mise en œuvre de l’article 2 de la CCNUCC, ainsi prend-elle la forme d’un interdiscours (Maingueneau, 1996:50-51) rassemblant de multiples unités et des discours antérieurs faisant référence aux événements d’échanges et d’actions.

ADAPTATION AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES: ESSAI DE SÉMANTIQUE DISCURSIVE

Un concept est né à la croisée des discours; cette réflexion ne s’inscrit pas dans le volet scientifique, mais se propose de prêter un appui linguistique à un concept scientifique, cela veut dire également que seront dépassés les études étymologiques, les définitions lexicographiques du concept ainsi que l’ambiguïté d’ordre polysémique interpellant et impliquant diverses disciplines. Notre objectif est celui d’apporter en premier lieu des éléments de désambiguïsation du concept qui est d’abord un signe linguistique de discours à dimension situationnelle et interdiscursive à la fois (P. Charaudeau, 2005); de ce fait notre raisonnement doit se référer aux dimensions d’un discours pluriel avant de traiter le sémantisme du concept de l’adaptation.

Dimensions discursives

A l’échelle internationale, l’adaptation et l’atténuation des émissions des gaz à effet de serre sont des politiques à entreprendre et qui se méfient des puissances économiques énergivores pouvant être affectées par ces stratégies le signale le cinquième rapport du GIEC:

«L’adaptation et l’atténuation se heurtent à l’inertie des tendances mondiales et régionales caractéristiques du développement économique, des émissions de gaz à effet de serre, de la consommation des ressources, des modèles d’infrastructure et d’établissements humains, du comportement institutionnel et de la technologie» (GIEC, 2014:104)

Du point de vue politique, l’exigence d’entreprendre sérieusement des mesures d’atténuation dans le cadre d’une politique internationale devient une thèse à défendre et à nourrir de l’argumentation scientifique. La nécessité de la certification scientifique comme appui pour toute politique à prévoir s’impose. Le discours politique tend plus à «imposer l’obéissance» (Taifi, 2000: 201, 202) et acquérir un pouvoir et une autorité argumentative. Dans ce même ordre d’idées suivons une analyse du discours de Maingueneau et Cossutta (1995) qui assigne un statut spécifique à certains types de discours qu’ils appellent discours constituants et qui sont dotés d’un pouvoir et d’une autorité. Ils désignent par cette réflexion les discours religieux, scientifique, philosophique, littéraire, juridique. Le discours politique du GIEC destiné aux décideurs qui prend comme appui le pouvoir de la science, signifie en fait s’appuyer sur «le siège de l’autorité» (Maingueneau et al., 1995:112), la politique qui garantit son discours et lui donne sens et crédibilité. L’idée que nous voulons élucider par cette référence notamment sur le choix de l’argument et de sa fonction plutôt que sa nature ou ses mécanismes linguistiques, est que la politique climatique légitime son discours par l’usage de la science en l’intégrant dans un discours dont la forme est cohérente et qui n’est autre que le discours actuel sur les changements climatiques, discours constituant un tout politique et scientifique; ce qui légitime l’autorité autre que la science est la composante institutionnelle condensée dans la CCNUCC ainsi que les textes des accords signés et ratifiés par les Parties à la CCNUCC. L’analyse avancée sur la mise en scène énonciative a clairement l’objectif de voir le sens comme entité de l’énonciation, voire un sens qui «consiste à attacher à l’énonciation certains pouvoirs ou certaines conséquences» (Ducrot, 1984 :185). A proximité du langage, nous tenterons, dans ce qui suit, de mettre sous la lumière les conséquences de ce pouvoir attaché à l’énonciation, autrement dit, nous allons interroger les protagonistes de l’énonciation sur la perception du concept d’adaptation.

Du sémantisme du concept de l’adaptation

Lier le concept d’adaptation aux diverses dimensions de discursivité signifie le revoir dans son propre champ discursif qui n’est ni constant ni durable mais plutôt «un jeu d’équilibre instable entre diverses forces qui à certains moments bascule pour prendre une nouvelle configuration» (D. Maingueneau, 1996:14), ce concept peut avoir de nouvelles configurations car l’enjeu discursif en sa globalité implique la présence d’un dominant et d’un dominé sachant qu’un champ discursif ne peut être étudié en sa totalité; nous allons en extraire par conséquent, deux positionnements discursifs: d’une part le discours politique appuyé par le discours scientifique et d’autre part, les Parties à la CCNUCC, constituant ainsi un espace discursif à deux positionnements. Les Parties de la CCNUCC s’engagent pour s’adapter; du côté de la sémantique du verbe «s’engager» classé comme performatif réflexif, sa valeur illocutoire «exige que le contenu propositionnel soit une action future de l’énonciateur lui-même et qu’une telle action soit désirée par l’énonciateur» (Taifi, 2000, p. 196). «S’engager» relève du futur, et est une action désirée par l’énonciateur qui est pluriel. Dans ce cas, l’adaptation aux changements climatiques est-elle conçue de la même manière par les différents énonciateurs, les Parties à la CCNUCC ? De par la force du langage aussi, nous nous installons du côté des énonciateurs et à proximité du langage pour saisir l’usage du concept d’adaptation. Nous désignons par force du langage la force illocutoire d’un énoncé qualifiant «l’intention que manifeste le locuteur d’accomplir par son énonciation» (Récanati, 1981:20). Toutefois, les négociations climatiques en matière d’atténuation et d’adaptation se veulent compliquées. L’Accord de Paris, un accord tant attendu et qualifié d’historique sous- entend la complexité des débats et les décisions à approuver par toutes les parties, sachant que la CCNUCC responsabilise distinctement les pays développés, les pays les plus énergivores dont le nom figure dans l’annexe I de la CCNUCC:

«Notant que la majeure partie des gaz à effet de serre émis dans le monde par le passé et à l’heure actuelle ont leur origine dans les pays développés, que les émissions par habitant dans les pays en développement sont encore relativement faibles et que la part des émissions totales imputable aux pays en développement ira en augmentant pour leur permettre de satisfaire leurs besoins sociaux et leurs besoins de développement» (CCNUCC, 1992:2)

Revenons à la question d’intention des énonciateurs qui ne peut pas se manifester de même chez les différents énonciateurs pour signaler que le terme décideurs doit tenir en compte les pays développés, premier responsable des émissions des gaz à effet de serre, conjointement à ceux en voie de développement et fatalement parmi les plus exposés aux vulnérabilités outre les pays émergents à l’exemple de la Chine le premier pollueur au monde et dont le nom ne figure pas dans l’annexe 1 de la CCNUCC. Sachant que l’annexe 1 écarte, à titre d’exemple, la Chine premier pollueur mais pays émergent et implique les États-Unis, pays développé dans le mécanisme des financements destinés aux pays vulnérables. Le mot décideurs sous- entend en outre les pays producteurs d’énergie. Pour plus de précision, nous sommes, à l’intérieur de ces interdiscours, obligés d’approcher ce concept dans ce contexte traitant de l’adaptation planifiée qui interpelle les stratégies et les mécanismes de finances et d’énergie sachant que ces stratégies peuvent être mises à l’index dans le cas où le produit s’oppose à l’élan du développement des pays comme déjà élucidé.

En dépit de la migration du concept d’adaptation, un trait sémantique commun: ajustement, intégration, équilibration, acclimatation ou interaction (G. Somonet, 2009:398) issu de différentes disciplines, subsiste autant dans l’implication de ce concept aux changements climatiques. En effet, le concept d’adaptation est défini dans le quatrième rapport du GIEC, publié en 2007 comme «Initiatives et mesures prises pour réduire la vulnérabilité des systèmes naturels et humains aux effets des changements climatiques réels ou prévus» (GIEC, 2007:77) Tandis que dans le cinquième rapport publié en 2014, il désigne une «Démarche d’ajustement au climat actuel ou attendu, ainsi qu’à ses conséquences.» (GIEC, 2014:132); entre 2007 et 2014 le concept demeure intégré à une politique «démarche», «initiatives», «mesure», etc. Toutefois, planifier une Adaptation, conjointement avec l’atténuation, est occupation des Conférence des Parties (CP). Les pays en développement doivent présenter comme le note l’article 12 de la CCNUCC, des Communications Nationales dont l’objectif est «La mobilisation de ressources financières est essentielle pour aider les pays en développement à s’acquitter de leurs obligations […] La CP veille donc sur la mise à leur disposition de ressources nouvelles et additionnelles par les pays développés» (PNUE, UNFCCC, 2001:19). A ce stade d’analyse, nous allons nous mettre dans le volet perceptif de ce concept du côté des pays en développement. Le Maroc dans sa seconde communication Nationale (SCN), affirme d’emblée les différentes interprétations possibles du concept d’adaptation et insère l’adaptation conjointement avec la vulnérabilité dans un processus de développement durable (SCN, p 81) plus loin, il implique tous les secteurs réceptifs de vulnérabilité «L’adaptation est un processus permettant d’améliorer, d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies visant à modérer les conséquences des événements climatiques» (SCN, 2010:103). Comme pour le GIEC, s’adapter aux changements climatiques est liée à sa mise en œuvre dans le cadre d’une politique de développement durable. Entre appareil énonciatif scientifique et ou appareil énonciatif politique, le paragraphe suivant s’interroge sur l’identité du concept d’adaptation aux changements climatique.

Identité du concept d’adaptation

D’emblée, coexistent, entre autres, les voix scientifiques et politiques dans les CN. Entendre le scientifique dans le discours politique nous met dans une représentation polyphonique validant ainsi la théorie d’O. Ducrot (1984) qui conteste l’unicité du sujet parlant. Le Maroc étant Partie à la CCNUCC, a élaboré jusqu’aux nos jours trois CN. L’hétérogénéité en est caractère aussi; l’organisation générale est celle d’un locuteur, responsable du contenu, le parlement marocain dont le sujet parlant est le ministre délégué chargée de l’environnement ce qui nous pose devant une énonciation collective à en extraire un appareil énonciatif sous la forme E1/L1, sachant que le locuteur L1 est le parlement marocain et E1 est le discours scientifique contenu dans les CN. Le rôle du locuteur étant «responsable de l’énoncé, donne existence, au moyen de celui-ci; à des énonciateurs dont-il organise les points de vue et les attitudes» Ducrot (1984: 205), cette qualité du locuteur metteur en scène peut être schématisée de la manière suivante:

Bien que les représentations polyphoniques se multiplient, nous tenterons dans ce paragraphe d’ «envisager le procès d’énonciation du point de vue de l’attitude du locuteur face à son énoncé» (Maingueneau, 1976:119). D’emblée se classent ces CN dans le cadre du discours institutionnel sachant qu’elles sont soumises au nom du parlement marocain occupant «une position juridiquement inscrite dans l’appareil d’État» (Oger et Ollivier-Yaniv, 2003: 127). L’analyse en cours doit localiser le concept d’adaptation dans les CN afin de lui donner une identité discursive. Dans la Seconde CN, le concept de l’adaptation est traité dans le cadre d’un chapitre intitulé Programmes comportant des mesures visant à faciliter une adaptation appropriée aux changements climatiques. La localisation du concept d’adaptation et de sa mise en œuvre le classe dans un discours institutionnel à dimension politique:

«L’adaptation est susceptible de concerner tous les secteurs réceptifs aux conséquences possibles du réchauffement climatique. Elle doit associer des politiques nationales, une approche au niveau local et une implication des acteurs socio-économiques» (SCN, 2010: 103)

Dans d’autres occurrences du concept, Le L1/E1 (L1: parlement marocain /E1: discours scientifique) ne semble pas dans ce cas distant de son énoncé c’est à dire qu’il prend en charge totalement son énoncé, en outre L1 et E1 s’identifient complètement ce qui veut dire que L1, responsable de l’énonciation prend en charge son énoncé du fait que L1 et E1 se confondent.

«De par leur extrême vulnérabilité au climat et à sa variabilité dans notre région, les ressources en eau sont parmi les secteurs prioritaires et qui ont besoin de véritables politiques d’adaptation aux effets attendus du changement climatique au Maroc» (SCN, 2010:104)

Le concept d’adaptation est pris en charge par le locuteur des CN et prend ainsi une dimension politique, celle de la mise en œuvre des stratégies et subséquemment entre dans un interdiscours interpellant la CCNUCC, où le discours marque des traces de subjectivité:

«L’immense richesse en énergie renouvelables de notre pays constitue un atout pour développer les technologies de dessalement en utilisant ces formes non polluantes d’énergie tout en œuvrant pour rendre celles-ci compétitives» (SCN, 2010:166)

Les énoncés traitant le concept d’adaptation sont d’identité institutionnelle dont le prolongement constitue la politique climatique nationale, entre appareil énonciatif scientifique et/ou appareil politique, ce concept est pris en charge par le deuxième. Le scientifique quant à lui reste joint au politique dans la mesure où il sert d’argument d’autorité justifiant les politiques d’adaptation.

CONCLUSION

Dans cette réflexion, nous avons pris distance des définitions lexicographiques et les implications interdisciplinaires du concept d’adaptation. Dans une vision plus générale, nous avons repéré le sens dans les unités discursives et leur interaction au lieu de se limiter à la phrase ou les différentes occurrences à l’échelle de la phrase. Entre sens et signification nous nous sommes placés à l’échelle du discours «Car le sens de la phrase est de l’ordre de la prédication, alors que le sens du discours est de l’ordre de la problématisation» (P. Charaudeau 2005). Une problématisation naissante avec l’interdiscours sur les changements climatiques que nous avons dans l’espace onusien.

Nous avons avancé qu’il s’agit d’apporter des éléments définitoires servant pour la désambiguïsation du concept. Dans cet espace discursif et en fin de ce propos, nous préférons discuter l’adaptation comme concept complexe au lieu de concept ambigu dans la mesure où les frontières entre le scientifique le politique sont brouillées. Nous voulons voir la complexité de sens avec les mots d’Edgar Morin (2005:139) chez qui la notion de complexité scientifique est «la présence du non-scientifique dans le scientifique qui n’annule pas le scientifique mais au contraire lui permet de s’exprimer»; le non scientifique à notre sens est de soumettre un concept scientifique aux négociations, oserons-nous parler d’adaptation du concept d’adaptation aux négociations et aux intentions des décideurs puisque la politique climatique internationale pour lutter contre le réchauffement climatique négocie l’atténuation et l’adaptation, d’autant plus que le concept touche différent éléments du développement durable et devient, comme précité, un processus de développement à court et à long terme ? Depuis 1992, arrive-t-on à s’adapter aux changements climatiques ? Quelle que soit la réponse, est-ce dû à la perception du concept d’adaptation, aux protagonistes énonciatifs de la thématique du changement climatique dans l’espace discursif onusien ou à la mise en œuvre de l’adaptation ?

RÉFÉRENCES

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Publié-e

15-09-2019

Numéro

Rubrique

Opinions et débats