Aviculture traditionnelle dans la ville de Kisangani, Province de la Tshopo en République Démocratique du Congo
Résumé
Cette étude a été menée dans la ville de Kisangani en RD Congo entre Janvier et Mars 2018, avec l’objectif d’appréhender la situation actuelle de l’aviculture familiale pour apporter notre contribution au développement de cette exploitation.150 aviculteurs détenant un effectif de 2271 volailles ont été enquêtés. Cette spéculation est pratiquée à 56 % par les femmes. Les poules locales représentent 86% de l’effectif total de volailles suivis des canards (7%). L’élevage se fait en divagation, 27% de nos enquêtés ont prévis des abris semi-adaptés pour leurs animaux. L’alimentation des animaux ne se fait pas pour 86,6% des éleveurs. Les mesures prophylactiques ne sont pas observées, ce qui entraine un taux élevé de mortalité. Les maladies restent la principale cause de ces mortalités pour 66,6% des exploitants. Le prix d’un coq revient à 13000FC (8$ US) ; tandis que celui d’une poule à 9000FC (5.6$ US). Cette spéculation ne couvre pas la charge familiale pour 72% des enquêtés. Les maladies, le vol, le manque d’encadrement et la prédation sont les principaux problèmes de cette activité. Pour un développement durable de cette filière, les éleveurs demandent une formation, un moyen de lutte contre les maladies et un financement.
Mots clés: aviculture familiale, traditionnelle, maladies, Kisangani, R.D. Congo
INTRODUCTION
L’aviculture familiale, dans la plupart des pays en développement, est rencontrée en milieu rural mais également dans les zones périurbaines et urbaines. L’aviculture industrielle quant à elle se pratique dans et aux alentours des centres urbains (Fotsa, 2008).
L’aviculture familiale requiert de faibles niveaux d’intrants, contribue significativement à la sécurité alimentaire, la lutte contre la pauvreté, la gestion écologique saine des ressources naturelles et représente une source d’emplois pour les groupes défavorisés (Gueye, 1998; 2003; Khan, 2004).
En Afrique les poules traditionnelles représentent environ 80 % du cheptel avicole total et contribuent à une proportion non négligeable de la production de viande (25 à 70 %) et d’œufs (12 à 36 %) Gueye (op.cit). Ces produits avicoles locaux contribuent de manière indispensable à la sécurité alimentaire en fournissant directement les protéines de grande valeur biologique aux familles. Ils se retrouvent également au centre de nombreuses circonstances de la vie socio-économique et culturelle.
Dans le monde envoie de développement, l’élevage des volailles s’intègre dans ce qui est appelé l’aviculture familiale et est pratiqué par les communautés locales depuis des générations. Ces communautés sont formées de tous les groupes ethniques et semblent être impliquées dans de petites fermes ou ménages ruraux, périurbains et de quelques ménages urbains, et il est probable que ce système continue ainsi dans les années à venir si une race plus productive n’est pas à la disposition des éleveurs (Guèye, 2005).
L’aviculture familiale reste une activité complémentaire du système fermier qui contribue à son bien être général dans les pays en voie de développement (Sonaiya et Swan, 2004). Ainsi, au Nigeria (pays où l’effectif de volailles est le plus élevé en Afrique avec 104 millions de sujets), 90 % de l’élevage est constitué de races locales (Baba, 2006). Au Mali, l’aviculture familiale représente 95 % de l’effectif total (Bengaly, 1997). En Gambie l’effectif de poules de race locale est de 550000 têtes (Benfoh et al., 1997).
Au Kenya, on compte plus de 21,8 millions de poules locales dans les ménages ruraux (Njue, 2005). Au Maroc, l’aviculture traditionnelle représente 25 à 40 % des productions de viandes blanches et d’œufs (Benabdeljelil et al., 2005).
Malgré la forte exposition aux maladies (Sonaiya et Swan 2004; Bett et al., 2012) et l’environnement difficile dans lequel elles évoluent, les poules de races locales jouent un rôle socio-économique majeur, occupant une part importante dans l’élevage avicole de nombreux pays en voie de développement. De plus, l’aviculture traditionnelle est une source importante de protéines animales et de revenus (Zaman et al., 2004).
Vu son importance, ce secteur doit être bien suivi en vue de promouvoir sa meilleure rentabilité. L’identification des différents problèmes que rencontrent cette activité devrait permettre de proposer des solutions aux éleveurs en fonction des difficultés rencontrées, et de présenter à l’Etat et aux chercheurs les axes d’interventions pour un réel essor de l’aviculture familiale dans la ville Kisangani.
Ainsi, ce travail a été effectué dans la ville de Kisangani, province de la Tshopo, RD Congo afin de connaitre la situation présente de l’aviculture familiale, des systèmes et techniques d’élevage, de la contribution de l’activité aux charges familiales ainsi que des problèmes rencontrés dans cette activité.
Hypothèses
• Le non encadrement par l’état des aviculteurs serait à la base d’une faible production de ce secteur dans la ville de Kisangani;
• Les maladies auraient toujours une incidence négative sur la filière avicole locale;
• Ce secteur serait plus occupé par les femmes que les hommes.
Matériel et méthodes
Notre investigation a été menée entre Janvier et Mars 2018 dans les six communes (Kabondo, Kisangani, Lubunga, Makiso, Mangobo et Tshopo) de la ville de Kisangani. Kisangani Chef-lieu de la province de la Tshopo, situé dans la partie orientale de la cuvette centrale congolaise. Sa superficie est de 1910Km2 (www.stanleyville.be; consulté le 09/04/2018). Le climat est du type Af dans la classification de Koppen. Ce climat se caractérise par une faible variation annuelle de température, une pluviosité abondante et une humidité relative persistante et élevée toute l’année (Litucha, 2011). Selon Van Wambeke et Libens (1957), la température moyenne oscille entre 24 et 25°C tandis que la pluviosité annuelle moyenne est de l’ordre de 1674 à 1800 mm.
Nous avons fais recours aux deux types de matériels, à savoir:
• Matériel biologique: ce dernier est constitué de volaille et principalement de la poule locale;
• Matériel technique: ici nous avons un questionnaire d’enquête, un stylo, un cahier pour la prise de données, une moto de marque TVS, une pirogue motorisée pour la traversée.
Méthodes
Notre choix a été porté sur un minimum de 25 éleveurs par commune ayant chacun au moins 8 volailles, soit 150 éleveurs pour l’ensemble de notre zone d’étude. Au moyen d’un questionnaire pré établi chaque enquêté a été soumis à une interview de manière semi-dirigée. Dans chaque ménage que nous avons visité, les informations que nous avons eu, concernent l’exploitant, la description des animaux et du système d’élevage, les données zootechniques, la commercialisation des produits d’élevage, les problèmes rencontrés, les perspectives et doléances à l’égard du pouvoir public.
Analyses statistiques des données
Nous avons utilisé le logiciel Graph Pad prism 5 (Graph Pad Software, San Diego California, USA) pour les analyses des données de notre recherche.
RÉSULTATS
Caractéristiques socio-économique des exploitants avicoles
Il ressort dans le tableau 1 que 56 % de femmes pratiquent l’aviculture familiale suivis de 44% d’hommes. 70% des exploitants sont des chrétiens et 30% sont d’autres religions. 51% des éleveurs ont un diplôme d’État, suivis de 24% qui n’ont que le certificat d’étude primaire, ensuite 19 % d’universitaires et 6% des aviculteurs n’ont jamais été à l’école. 63 % des exploitants ont plus de 30 ans. 43 % de nos enquêtés n’ont aucune autre activité à part l’aviculture, suivis de 27% de fonctionnaires de l’État, ensuite 18% de commerçants et 12% d’agriculteurs. Plus de 65 % des exploitants ont une expérience de plus de 5 ans. Les produits d’élevage (poulets, œufs) servent d’autoconsommation pour 77% des enquêtés, 12% des exploitants commercialisent ces produits et 1% des exploitants fait un élevage de prestige. 88% des enquêtés s’autofinancent afin de maintenir leur exploitation.
Espèces de volailles rencontrées
À la lumière du tableau 2, nous avons observés une prédominance de poules de race locale qui représentent 86% de l’effectif total de volailles suivis de canards qui représente 7%, de pigeons et de pintades qui représentent respectivement 5,6 % et 1,4% chacun. Les autres espèces en l’occurrence les dindons, les oies et les autruches ne sont pas rencontrées dans notre zone d’étude. Quand aux types génétiques des poules rencontrés, il existe une grande variabilité phénotypique montrant des volailles de type cou nu, frisé, huppé, nain, et tarse emplumé.
Conduite de l’élevage
La quasi-totalité de poules dans notre zone d’étude sont en divagation, 73% de nos enquêtés ont construit des abris semis ouverts pour leurs oiseaux contre 27% ayant construit des abris semis adaptés. 86,6% des exploitants ne donnent pas à manger à leur poule contre 13,4% des exploitants qui n’alimentent pas leur poule. Les ingrédients qui sont le plus utilisés restent le mais, le son de riz, la cossette de manioc et le reste de cuisine. L’abreuvement de poules ne se fait que par 24% des exploitants et les autres ne se soucient pas de l’abreuvement de ces dernières. Les matériels d’élevage (abreuvoirs, mangeoires) qui sont utilisés par les aviculteurs restent les couvercles de casserole, les bouchons de bidon, des assiettes abandonnées.
La pseudo-peste aviaire, les maladies respiratoires et la variole aviaire restent une menace permanente pour les élevages. Les mesures prophylactiques sont peu respectées par nos enquêtés et aucun service vétérinaire de l’État rend visite aux éleveurs.
Commercialisation des produits d’élevage
Nous observons dans le tableau 3 que les produits (poulets et œufs) issus de l’exploitation sont vendus à la maison pour 34% des enquêtés, 24 % des éleveurs écoulent leurs produits au marché et 38% des éleveurs ne vendent pas leurs produits. Le prix d’un coq revient à 13000 FC (8 $ US) tandis que celui d’une poule coûte 9000 FC (5.6 $ US). Le prix des œufs à l’unité revient à 500 FC (0.3 $ US). Cette exploitation ne supporte pas les charges familiales pour 72% des enquêtés. Le fait que les éleveurs ne tiennent pas compte du coût d’exploitation, il nous a été difficile de calculer les bénéfices que rapportent ces élevages.
Problèmes rencontrés
Les maladies aviaires restent un réel problème pour 66,6% des exploitants, 30% des éleveurs sont victimes de vol, 2,6% des enquêtés ne sont pas encadrés et 0,8% des exploitants sont victimes de la prédation par les animaux sauvages.
Doléances des exploitants
Pour y faire face, la figure 2 nous montre que 51% des éleveurs sollicitent une formation au près de l’état, 30% des exploitants demandent de lutter contre les maladies aviaires qui sévit dans la région et 19% des éleveurs sollicitent un financement.
DISCUSSION
La prédominance des femmes (56%) dans l’aviculture familiale dans notre zone d’étude est en adéquation avec les résultats trouvés par Fotsa et al. (2007) qui concluaient que cette activité était tenue à 56,6 % par les femmes. Ceci est également le cas pour Moula et al., (2012) dont les travaux menés au Bas-Congo en RDC révélait que dans 42,9 % des familles visitées, l’élevage des poules concerne exclusivement les femmes contre 15,6 % seulement des hommes. Selon Fotsa (2008), ceci est due au fait que l’élevage des poules locales est une activité traditionnellement féminine dans la plupart de pays africains. Pour lutter contre la pauvreté qui affecte généralement les femmes et les enfants un appui institutionnel à l’élevage de la poule locale serait indispensable. Malgré cette prédominance de femme l’intrusion des hommes dans la décision de vente reste considérable et selon Gueye (1988), elle est due à des considérations socioculturelles qui donnent aux hommes ce droit de responsable et de gestionnaire de la famille au détriment des femmes.
Malgré son importance, l’aviculture traditionnelle est associée avec d’autres activités comme l’ont révélé Moula et al. (2012) et Djitie et al. (2015). Il est ainsi associé avec le travail de l’État pour 27% des éleveurs, avec l’agriculture pour 12%, avec le commerce pour 18% mais aussi 43% des éleveurs n’ont aucune activité connexe à part l’aviculture et ceci pourrait être du au manque d’opportunité d’emploie dans notre pays.
Le taux élevé de poules (86%) comparativement à d’autres espèces de volailles selon notre étude est en adéquation avec les résultats des travaux réalisés par Raach- Moujahed (2011); Moula et al., (2012) et Djitie et al., (2015). Les types génétiques de poules trouvées restent comparables à ceux trouvés par Fotsa et al., (2010) au Cameroun. Dans cette zone les types trouvés étaient la poule au cou nu, la poule au plumage frisé, coq ou poule naine, poules aux tarses emplumées. La forte variabilité de la couleur du plumage observée dépend selon Coquerelle (2000) des gènes à effets visibles dont les interactions diverses donnent une coloration très variable.
Le choix de la poule à élever pour la plus part des éleveurs est motivé par son état de la santé, par sa fécondité, par sa résistance aux maladies et ceci corrobore avec les observations faites par Bell et al., (2000) puis Fotsa et al., (2007) qui ont ainsi conclu que ceci dénote de leur importance dans les économies familiales et rurales.
Du fait que la quasi-totalité des poules sont en divagation, la construction de bâtiments d’élevage et de clôtures d’exploitation restent un casse-tête. Nonobstant cette divagation, certains aviculteurs construisent des abris à l’aide des matériaux localement disponibles pour protéger leurs animaux contre le vol et la prédation. Et ce type de construction a été rapporté par Fotsa et al., (2007), Moula et al., (2012) et Djitie et al., (2015).
En ce qui concerne l’alimentation des poules, 86,6 % des exploitants sur l’ensemble de notre zone d’étude ne s’occupe pas de l’alimentation de ces dernières et ceci étant, l’élevage des poules de race locale dans cette contrée ne se fait pas de façon sérieuse d’autant plus que l’alimentation constitue la clé de la réussite d’un élevage. La mauvaise qualité d’eau y compris des abreuvoirs défectueux confirme ce manque du sérieux. L’apparition de façon répétée des maladies dans leur exploitation peut s’expliquer selon Raach-Moujahed et al., (2011) par le fait que les animaux de différents âges et de différentes espèces vivent ensemble et ceci favorise une grande contamination.
Cette activité ne permet pas de répondre à la charge familiale pour un nombre élevé des enquêtés (96%) et ceci serait due au fait que l’aviculture reste une activité qui est faite sans y mettre du sérieux. Nous n’avons pas pu calculer les bénéfices que réalisent nos enquêtés dans leur élevage puisque ces derniers ne tiennent pas comptent du coût d’exploitation. Le circuit de commercialisation de la filière poule locale est loin d’être formel. La vente de produits zootechniques (œufs, poule, coq) se fait sur base de besoin financier, de la demande du marché et aussi du poids des animaux.
Les maladies, le vol et la prédation sont les principales contraintes aux quelles les aviculteurs sont confrontés durant leur exploitation et ces résultats sont en adéquation avec ceux trouvés par Raach-Moujahed et al., (2011) en Tunisie, Bett et al., (2012) au Kenya et Moula et al., (2012) en RD Congo. Les éleveurs ont formulé des recommandations auprès de l’État congolais pour une plus grande rentabilité dans la filière et parmi ces doléances, ils exigent une formation en aviculture, une mise en place des stratégies de lutte contre les maladies aviaires et aussi un financement.
CONCLUSION
L’aviculture traditionnelle joue un rôle socio-économique et culturel sans précédent en République Démocratique du Congo en général et dans la ville de Kisangani en particulier. L’objectif général de cette étude consistait à faire l’état de lieux de la situation actuelle de l’aviculture familiale dans la ville de Kisangani.
De notre étude, il ressort que l’élevage des poules de race locale constitue une activité féminine et ceci confirme notre troisième hypothèse. L’élevage est pratiqué dans un système en divagation dont les produits résultant sont destinés en une grande partie à la consommation mais aussi à la vente. Nous avons observé une forte prédominance des poules dans les effectifs de volailles locales et une diversification génétique des poules locales. Cette exploitation ne semble pas être maîtrisée par nos enquêtés ne rationnant pas leurs poules et n’observant pas la prophylaxie, ce qui témoigne la présence permanente des maladies dans leur exploitation causant des pertes énormes.
Les maladies aviaires constituent les principales contraintes aux quelles les aviculteurs font face et aussi le manque d’assistance de ces derniers par le service de l’État. Ce résultat valide respectivement notre deuxième et première hypothèse. D’ou il faut un minimum de connaissance dans la gestion de l’élevage, l’encadrement des éleveurs par un suivi régulier associé à des mesures prophylactiques (diagnostic, prévention, traitement et éradication des maladies) assuré par le pouvoir public va permettre certainement d’améliorer la productivité de l’aviculture familiale et ainsi de contribuer à l’amélioration des conditions de vie de ces populations souvent très pauvres.
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