Analyse économique de la compétitivité de la filière tomate dans la région du Souss-Massa (Maroc)
Résumé
L’objectif de cette étude est l’évaluation des politiques d’intervention de l’État pour la production de la tomate sous serre. L’étude a été basée sur les données collectées auprès d’un échantillon d’agriculteurs de la zone de Souss-Massa. Le choix de la région de Souss-Massa a été fait pour plusieurs raisons, notamment, le potentiel de production des cultures sous serre, l’importance de la part de la production de la tomate sous serre par rapport à la production nationale et l’existence des différents segments et opérateurs qui interviennent dans la filière tomate. Pour cette étude, nous avons utilisé la méthode de la matrice d’analyse des politiques (MAP). L’analyse des données a montré que la production de la filière tomate dans les exploitations de la région de Souss-Massa est rentable. Elle a un avantage comparatif aux prix de référence et peut générer de la devise étrangère. Ceci s’explique par la diminution des coûts sociaux des intrants échangeables et par le fait que les acteurs utilisent beaucoup de ressources domestiques dans leurs systèmes de production. Par conséquent, avec un CRD (Coefficient de coût en Ressources Domestiques) inférieur à l’unité, l’activité est compétitive et elle sera plus compétitive en cas de régression des coûts sociaux (économiques) des ressources domestiques.
Mots clés: Tomate, Souss-Massa, matrice d’analyse des politiques, prix de référence, avantage comparatif
INTRODUCTION
L’agriculture au Maroc a été toujours un secteur stratégique pour le développement socio-économique du pays. Depuis l’indépendance du pays, le secteur agricole a connu de nombreux programmes de développement agricole et rural et de réformes structurelles pour permettre au pays d’assurer sa sécurité alimentaire et de contribuer à la croissance économique du pays.
Le secteur de la tomate au Maroc joue un rôle socio-économique important. En effet, sur le plan économique, les exportations de tomates occupent une place importante puisqu’elles rapportent près de 1,1 milliard de DH en devises. Sur le plan social, le secteur est générateur d’emplois puisqu’il crée en moyenne 9 millions de journées de travail par an, au niveau de la production mais aussi du conditionnement et de la transformation (DEPF, 2014). En outre, il joue un rôle important dans l’introduction des nouvelles technologies pour le secteur agricole et agro-industriel. La tomate est l’une des cultures les plus importantes parmi les primeurs. Elle représente 27 % de la superficie et assure 63 % de la production globale et 70 % des exportations de primeurs. En effet, avec une superficie moyenne de 5000 ha, le secteur de la tomate sous serre assure une production totale de 565.000 tonnes dont 420.300 tonnes sont destinées à l’exportation (APEFEL, 2013; MAPM, 2015).
La quasi-totalité des exportations marocaines de primeurs est destinée aux marchés de l’UE. Cela constitue un grand handicap pour les producteurs marocains d’autant plus que la réglementation de l’UE reste dans son ensemble très contraignante. Comme dans le cas des agrumes, les exportations de primeurs sont soumises à des contingents à prix d’entrée et à des calendriers. Il faut noter que 90% de la tomate marocaine a été exportée vers l’Union européenne (UE), 8% vers la Russie et 2% vers le reste du monde. La tomate ronde représente environ 68% des exportations, la tomate en grappe 6% et la tomate cerise 26% (EACCE, 2015).
Cette étude se donne comme objectif principal d’établir une analyse de la filière tomate au prix de référence. Pour cela, nous avons procédé par une analyse SWOT (Strengths, weaknesses, oppotunities, threaths) ainsi que l’étude la compétitivité de la filière en question et ce à travers des enquêtes auprès des principaux acteurs de la filière tomate (exploitation, groupes exportateurs, institutions étatiques (ORMVASM, APEFEL, ONSSA, EACCE…).
MÉTHODOLOGIE
Analyse au prix de référence
L’analyse par les prix de référence se base sur le fait que les prix réellement constatés sur les marchés ne reflètent pas la vraie valeur économique des biens et services auxquels ils se rapportent. Ceci est dû à l’existence de distorsions créées par la défaillance du marché lui-même (existence de monopole ou d’oligopole), l’intervention de l’État à travers les taxes, les subventions et la politique du taux de change. Le principe de cette méthode est de corriger ces distorsions, à l’aide des prix comptables appliqués dans le cadre d’un calcul théorique et de faire apparaître les écarts entre les comptes ainsi reconstitués et les comptes financiers réels des agents (comptes individuels ou comptes consolidés globaux). La mise en application de la méthode nécessite que les prix intérieurs pour différents produits soient comparés à leurs équivalents sur le marché mondial, les prix sur le marché international étant considérés comme coûts d’opportunité (Fabre, 1994).
Cette méthode se base sur le calcul d’indicateurs de rentabilité économique et d’avantage comparatif, calculés à partir des formules de la matrice d’analyse des politiques (Tsakok, 1990), ce qui permettra d’évaluer le lien entre la taxation et la compétitivité de ladite filière.
Définition et Rôle de la MAP
La Matrice d’Analyse des Politiques (MAP) est une méthode d’analyse relativement récente. Elle représente un outil qui «fournit un cadre organisationnel qui permet de présenter les effets des politiques et de leurs changements sur les incitations à la production ou à la commercialisation. Elle distingue les effets individuels des politiques délibérées à l’échelle micro et macro, ainsi que les dysfonctionnements et autres distorsions du marché» (Monke et al.,1989). La MAP fournit un outil performant pour les responsables politiques car elle utilise des données budgétaires simples recueillies auprès des producteurs et des entreprises et représente un instrument que l’analyste peut utiliser pour répondre à plusieurs questions concernant tous les maillons d’une filière donnée.
Selon Tsakok (1990), la MAP fournit un cadre comptable ordonné pour repérer les effets d’intervention spécifique au fur et à mesure qu’elles s’accumulent aux différents stades de la filière. Les données chiffrées d’une MAP peuvent être aisément maniées pour fournir des mesures adéquates de l’impact des politiques sur l’efficience économique et d’autres objectifs.
La MAP permet de mesurer la divergence entre les prix réels et les prix d’efficience (FAO, 1992). Elle permet aussi de calculer un certain nombre d’indicateurs mesurant l’ampleur de la distorsion et d’évaluer les effets sur l’efficience économique des moyens d’action de l’état pour atteindre un objectif déterminé. Elle permet aussi de mesurer les effets secondaires d’une politique afin de maximiser la cohérence entre objectifs et instruments. Mais aussi, comparer l’efficience et l’avantage comparatif de plusieurs filières ou de différents groupes de producteurs ou de différentes régions (Fredirik, 2005).
Structure de la MAP
La matrice est construite sur le même principe que la formation d’un budget (Tallec and Bokcel, 2005). Elle est basée sur la notion de profit économique défini comme la différence entre revenus et coûts. Ces coûts sont décomposés en coûts d’intrants échangeables et coûts en ressources internes (travail, terre et capital). Les revenus, coûts et profit sont mesurés aussi bien en termes de prix courant de marché ou en termes de prix de référence. De ce fait, la MAP se compose d’une ligne aux prix de marché, une autre aux prix économiques et d’une troisième ligne de calcul des écarts existants entre les deux premières (Tableau 1).
À partir des composants de la MAP, plusieurs coefficients très utiles peuvent être calculés (Abdel-Aziz, 1996) pour mesurer l’impact des politiques sur les prix et sur l’efficience de l’utilisation des ressources, comme elles peuvent être utilisées pour comparer l’impact des politiques sur différentes filières. Parmi ces indicateurs, le Coefficient de Protection Nominale des Outputs (CPNO), le Coefficient de Protection des Intrants échangeables (CPNI), le Coefficient de Protection Effectif (CPE) et le Coefficient de coût en Ressources Domestiques (CRD), dont les formules, la description et leurs interprétations sont illustrées dans le tableau 2.
Collecte des données et évaluation économique des Inputs et des Outputs
À partir des données de notre enquête nous avons ressorti le budget au niveau des exploitations relatif à la production de la tomate sous serre dans la région du Souss-Massa. Ce budget comprend les coûts et les recettes sur la base des prix du marché pour un échantillon d’une vingtaine d’exploitations et sur la base du prix social nous avons calculé aussi la valeur sociale des intrants et les extrants dans le budget global. Concernant l’évaluation sociale des produits échangeables, il est nécessaire de classer les produits d’importation sur la base du prix CIF (Cost, Insurance and Freight) et de produits destinés à être exportés sur la base du prix FOB (Free On Board) (Tallec and Bokcel, 2005).
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Analyse SWOT
L’analyse du secteur de la tomate a permis d’établir une analyse SWOT. Le tableau 3 synthétise les résultats d’un diagnostic de la filière tomate dans la zone d’étude. Malgré les différentes contraintes qu’elle rencontre, la filière présente des forces et des opportunités qu’on peut saisir. En effet, il existe un manque à gagner au niveau de la rentabilité de la filière et ce en maîtrisant le coût des inputs. De même, on peut agir sur l’augmentation de la compétitivité de la filière par l’ouverture sur d’autres marchés internationaux.
Résultat de la MAP: Coefficient de protection
À partir des composants de la matrice d’analyse des politiques, plusieurs coefficients très utiles ont été calculés afin de mesurer l’impact des politiques sur les prix et sur l’efficience dans l’utilisation des ressources, comme elles peuvent être utilisées pour comparer l’impact des politiques sur différentes filière.
Les coefficients de protection permettent de comparer les prix intérieurs des inputs et outputs d’une filière à leur équivalent aux frontières. Ils permettent de déterminer la structure implicite de taxation ou de subvention dans la constitution des prix au niveau national ainsi que la divergence entre les prix intérieurs et ceux du marché international (Tableau 3).
Coefficient de protection nominale (CPN)
Le CPN traduit le rapport du prix intérieur d’un produit et son prix frontière équivalent. Comme les produits en question sont directement échangeables, leurs prix frontières correspondent donc à leur prix FOB. Ce dernier prix représente une valeur alternative qui reflète l’utilisation efficiente des ressources.
• Coefficient de protection nominale des outputs (CPNO=0.97): Reflète les distorsions et l’écart entre les prix du marché et les prix sociaux ou économiques. Le NPCO est inférieur à 1 ce qui veut dire que le prix intérieur est libre et n’est pas encouragé par l’intervention de l’État.
• Coefficient de protection des intrants échangeables (CPNI=1.077): Mesure l’écart réel ou les distorsions entre les prix locaux des intrants échangeables et leurs prix mondiaux. PNIC>1: existence d’une légère taxation sur les producteurs ce qui signifie que les producteurs supportent les coûts d’achat des intrants échangeables à des prix qui dépassent les prix mondiaux.
Coefficient de protection effective (CPE)
• Coefficient de protection effective (CPE= 0.94): Le coefficient de protection effective permet d’évaluer les taxations et subventions implicites en tenant compte aussi des distorsions dans les prix des intrants. Il compare les valeurs ajoutées mesurées aux prix de référence et aux prix du marché. Lorsque ce coefficient est inférieur à 1, l’effet combiné des transferts sur les revenus et les intrants échangeables réduit les bénéfices du marché. Ceci indique l’absence ou l’insuffisance d’une protection positive pour la production de la tomate. En d’autres termes, l’effet combiné des transferts sur les recettes et sur le coût des intrants échangeables diminuerait le bénéfice du marché au-dessous du niveau social. L’essentiel de cette distorsion provient du système de taxation appliqué aux intrants (engrais, produits phytosanitaires, semences, gasoil) et à la surévaluation du taux de change.
Les coefficients d’avantage comparatif CRI
Les coefficients d’avantage comparatif permettent de comparer les coûts des ressources intérieures par rapport aux prix prévalents sur le marché international.
• Coefficient de coût en ressources domestique ou intérieur (CRD= 0,325): Compare le coût de référence des ressources domestiques utilisées avec la valeur nette des devises étrangères obtenues. Il mesure si une filière peut générer plus de devises et illustre si les coûts et les revenus sociaux du produit sont meilleur que son importation. D’après nos calculs, ce coût est inférieur à 1. Ce qui confirme que la production de la tomate a un avantage comparatif. De ce fait, la production de la filière tomate dans les exploitations de la région d’étude s’avère très rentable.
Analyse SWOT
Forces
• Haute technicité: le développement technologique a modernisé le matériel et l’équipement utilisés (serre, goutte à goutte…) et a amélioré les rendements.
• Un cycle de production long: le cycle de production peut aller jusqu’à 7 mois (Novembre-Mai).
• Variétés résistantes: l’amélioration génétique a permis de développer des variétés très résistantes.
• Disponibilité de M.O: la main d’œuvre est disponible avec une rémunération qui n’est pas assez élevé.
• Main d’œuvre qualifiée: le Maroc dispose de plusieurs établissements qui assurent des formations de différents niveaux dans le domaine agricole.
• Proximité des marchés de l’Union européenne, Infrastructures de conditionnement modernes.
Faiblesses
• Absence de programme national de développement de la semence.
• Réglementation contraignante de l’union européenne.
• Petits producteurs non organisés;
• Difficulté liée aux hautes températures (vague de chaleur).
• Utilisation excessive des produits chimiques: ces produits ont un impact négatif sur la santé des utilisateurs, sur le consommateur et l’environnement.
• Développement de la résistance: certains produits de traitement phytosanitaire ne sont plus efficaces.
• Importation des intrants: une grande partie des intrants utilisés dans la production de la tomate sont importés (taxes, impôts, frais douanières élevés…) dont les prix deviennent de plus en plus élevés.
Opportunités
• Conditions climatiques favorable: taux d’ensoleillement très favorable pour la culture de la tomate.
• Diversification des marchés.
• Possibilité de valorisation du produit par la transformation.
• L’encouragement de l’État: via l’exonération de secteur agricole des taxes et impôts.
Menaces
• Les changements climatiques: la région est menacée par les vagues de sécheresse qui influencent la production.
• La concurrence de plus en plus agressive de pays émergents (Turquie, Égypte, Espagne).
• L’apparition de nouveau parasites et maladies (Tuta absoluta en 2008).
• Risques liés aux ressources naturelles: pénurie d’eau, épuisement des nappes phréatiques et appauvrissement des sols.
• Marché très concentré: (+ 90%) de la production est destiné à l’UE.
• Les risques liés au non-respect des normes maximales en matière de résidus exigées par l’Union européenne.
CONCLUSION
La tomate occupe la première place dans les exportations marocaines de primeurs, elle représente à elle seule plus que la moitié des exportations. Malgré l’amélioration de la compétitivité de la tomate, les exportations demeurent relativement faibles, à peine 50% de la production. Cela est dû à la dépendance à l’égard du marché européen et la réglementation contraignante de l’union européenne (contingent, calendrier, prix d’entrée). Les exportateurs marocains devraient donc profiter des accords de libre échange pour diversifier les marchés et tirer ainsi plus d’avantages de leur compétitivité.
La production de la filière tomate dans les exploitations de la région de Souss-Massa est rentable, elle a un avantage comparatif aux prix de référence et peut générer de la devise étrangère. Ceci s’explique par la diminution des coûts sociaux des intrants échangeables et par le fait que les acteurs utilisent beaucoup de ressources domestiques dans leurs systèmes de production. Donc, avec un CRD inférieur à 1, l’activité est compétitive et elle sera plus compétitive en cas de régression des coûts sociaux (économiques) des ressources domestiques.
Il ressort de cette analyse que la compétitivité et la rentabilité financière pour les agriculteurs de la région de Souss-Massa sont des indicateurs de performance qui ont été réalisés par la culture de la tomate malgré les contraintes qui s’imposent.
RÉFÉRENCES
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Tsakok I., (1990). Agricultural price policy. Cornell University press, Ithaca, New York.
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