Résumé

Cette étude est basée sur l’hypothèse selon laquelle que malgré plusieurs interventions de projets agricoles cofinancés par le Gouvernement de la RDC et ses partenaires d’aide au développement réalisées en milieu rural du Territoire d’Isangi, l’extrême pauvreté de ménages persisterait à causes de facteurs de diverses natures dont certains sont endogènes et d’autres exogènes aux bénéficiaires. L’analyse participative avec les bénéficiaires, des ex gestionnaires des projets agricoles, les ONG, les opérateurs économiques, les OPA et les services publics opérant dans le Territoire d’Isangi a permis d’identifier quatre causes-racines de l’inefficacité des projets agricoles. Les quatre causes-racines sont les suivantes: (i) l’insuffisance de moyens financiers, techniques et humains pour rendre les services publics plus efficaces et efficients; (ii) la dépréciation de la monnaie nationale qui rend le revenu agricole vulnérable et instable, (iii) le leadership organisationnel est autocratique, sans vision de professionnalisation ni du développement; et (iv) l’insuffisance de formations adéquates et l’approche pédagogique inadaptée de renforcement des capacités des bénéficiaires. L’amélioration significative de ces quatre facteurs déterminants améliorerait l’efficacité des interventions des projets agricoles en milieu rural.


Mots clés: Efficacité, projet agricole, impact, durabilité, extrême pauvreté, rural

INTRODUCTION

La grande majorité de la population congolaise vit dans la pauvreté. Le Rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) de 2016 avait classé la République Démocratique du Congo parmi les derniers pays avec un IDH égal à 0,435 (PNUD, 2016).

Dans le souci de lutter contre la pauvreté, le Gouvernement de la RD Congo en collaboration avec ses partenaires bilatéraux et multilatéraux d’aide au développement financent et appuient de projets de développement agricole et rural de réduction de la pauvreté. La plupart des projets se sont opéré dans des régions qui ont déjà subi de nombreuses interventions des projets.

Avant leurs interventions, la quasi-totalité des projets de développement agricole et rural réalisés avaient semblé identifier la problématique de leurs zones d’interventions et proposé des pistes de solution avec des hypothèses des risques. Malheureusement, les interventions de ces projets en milieu rural ont apporté très peu du changement positif dans le quotidien des populations bénéficiaires et la pérennité de leurs actions au-delà de la période d’intervention est restée, dans bien des cas, fort douteuse dans le Territoire d’Isangi (Mokili, Bolakonga, Benabdellah, 2019). La problématique du territoire ne s’est pas améliorée. Quels sont les facteurs déterminants de l’efficacité des interventions des projets agricoles exécutés en milieu rural d’Isangi ?

Au regard de la problématique de l’inefficacité des interventions, nous pensons que les facteurs déterminants qui affectent négativement l’efficacité des interventions des projets agricoles sur la réduction de la pauvreté de ménages en milieu rural du Territoire d’Isangi sont de deux ordres: certains sont liés aux bénéficiaires des projets et d’autres, sont exogènes liés au Gouvernement. Le fait de ne pas identifier et s’attaquer à ces facteurs justifierait grandement l’inefficacité des interventions et la durabilité des projets agricoles est improbable.

MILIEU ET MÉTHODES

Brève présentation du territoire d’Isangi

Notre milieu d’étude est le Territoire d’Isangi, situé sur la partie Ouest de la ville à environ 125 km de Kisangani avec une superficie de 15.770 km². Ce territoire est administrativement subdivisé à 13 Secteurs/Chefferies ruraux, trois cités, trois postes d’encadrement administratif, 54 groupements et 430 villages. Son Chef-lieu est la cité d’Isangi (Administration du territoire d’Isangi, 2015). Le territoire d’Isangi comptait 703 550 habitants en 2015 avec 140 531 ménages agricoles et 340 274 actifs agricoles (Inspection Territoriale de l’Agriculture, Pêche et Élevage -Isangi, 2016).

La population est composée de tribus suivante: le Lokélé, le Turumbu, le Foma et le Soo/Topoké (Université de Kisangani et Coopération Technique Belge, 2009).

Méthodologie

L’enquête a été réalisée auprès de 99 organisations des producteurs agricoles recensées sur les listes des organisations créées ou restructurées par les projets/programmes agricoles implantées dans le territoire d’Isangi (PRAPO, 2014; Université de Kisangani, 2015), 470 ménages dont 235 bénéficiaires et 235 non bénéficiaires des projets agricoles avec 572 enfants de 6 à 59 mois dont 293 enfants de ménages bénéficiaires et 279 de non bénéficiaires.

Les données ont été recueillies auprès des 470 ménages (bénéficiaires et non bénéficiaires) et des différentes couches socio-professionnelles (99 organisations paysannes, ex gestionnaires des projets, acteurs économiques et services publics) du territoire d’Isangi.

La technique documentaire, l’observation, le sondage par enquête au questionnaire, les mesurages, le recensement, l’entretien semi-structuré et le focus group ont été utilisées pour collecter les données.

Les analyses technico-économiques, contrefactuelles et statistiques ont permis d’analyser quantitativement les données en rapport avec l’impact et la durabilité des projets agricoles. Tandis qu’évaluer l’efficacité des interventions sur l’extrême pauvreté, on s’est référé l’analyse participative par le modèle du diagramme de causes à effets (arbre à problème). Cette analyse a permis d’identifier les causes-racines de l’inefficacité des projets agricoles en milieu rural du Territoire d’Isangi et de produire un modèle structurel de causes à effets.

Résultats et discussions

Résultats des projets agricoles sur la pauvreté de ménages

Le tableau 1 présente les résultats des interventions des projets agricoles sur les ménages en milieu rural du territoire d’Isangi.

Il ressort du tableau 1 que l’impact des projets agricoles réalisés dans le Territoire d’Isangi est significativement trop faible, à l’exception des variables telles que la sécurité alimentaire et l’insuffisance pondérale des enfants de 6 à 59 mois qui se sont améliorés significativement.

En analysant statistiquement les deux catégories des ménages, on constate qu’il n’y a aucune différence significative entre les ménages bénéficiaires et non bénéficiaires en ce qui concerne le niveau des pauvretés sanitaire, scolaire, pauvreté alimentaire et d’IDH. En revanche, l’on observe des différences significatives pour la pauvreté monétaire, l’accès à l’eau potable, le patrimoine et la pauvreté nutritionnelle, notamment en termes d’insuffisance pondérale des enfants de 6 à 59 mois.

Au regard des résultats du tableau 1, nous constatons que 100% des ménages bénéficiaires vivent en dessous des seuils de pauvreté monétaire, 34,9% de pauvreté sanitaire, 22,9% de pauvreté scolaire (éducationnelle) et 92,7% de pauvreté en termes de patrimoine (habitat) tandis que pour les ménages non bénéficiaires, on a 35,7% de pauvreté sanitaire, de 25,9% de pauvreté scolaire et 97,4% de patrimoine.

Les ménages affectent 37,3% de leurs productions agricoles à l’autoconsommation alimentaire et 27,5% des revenus provenant de la vente des produits à l’alimentation de ménage. En d’autres termes, les ménages consacrent au moins 64,8% de leurs productions agricoles à la consommation alimentaire car, selon eux, le but premier de leurs activités agricoles est de satisfaire les besoins alimentaires de ménages. Ces résultats ont été aussi observés en Côte d’Ivoire (Koné, 2007), en Afrique de l’Ouest par la Fondation pour une agriculture durable, en 2011 et par la FAO dans beaucoup de pays, en 2015. L’affectation de 64,8% (production agricole et revenu) a impacté positivement la sécurité alimentaire des ménages bénéficiaires de projets agricoles de 3,3%.

Durabilité des acquis ciblés par les projets agricoles

Les projets de développement agricole et rural réalisés dans le Territoire d’Isangi avaient ciblé certaines actions de pérennisation. Il s’agissait de la durabilité des organisations, de quelques aspects technico-agricoles et environnementaux, et aspects socio-économiques. Le tableau 2 présente les résultats obtenus.

Il ressort des résultats du tableau 2 que 47,5% des organisations, soit 47 sur 99 existent plus ou moins encore six ans après leur création ou restructuration. Néanmoins, nous avons constaté une diminution de l’effectif de membres de 19,7%. Toutefois, il importe de signaler que certaines organisations, quoiqu’existantes, sont devenues presque inactives au point que leur durabilité s’avère très hypothétique pour les cinq années à venir, si elles ne sont pas accompagnées ni appuyées.

La majorité des activités ciblées par les projets se sont moins pérennisées. En effet, seuls 10,6% d’organisations possèdent au moins un champ communautaire d’un hectare et un bon nombre de ses membres utilisent les semences améliorées dans leurs champs respectifs. Par ailleurs, l’on dénombre 12,8% d’entre elles qui continuent à prôner la gestion durable des ressources naturelles (Forêt, terre et eau) tout en y invitant leurs membres.

Sur l’ensemble des organisations, 10,6% ont des activités génératrices de revenus pour leur autofinancement et 8,5% s’organisent pour ventes groupées des produits agricoles de leurs membres. S’agissant de partenariat, 17,0% ont de partenaires nationaux de développement et 10,6% font de plaidoyer pour leurs communautés respectives.

Quant à la participation au maintien des infrastructures dont elles étaient bénéficiaires, 12,8% d’organisations participent au maintien des ouvrages hydrauliques (points d’eau potable) et 8,5% au maintien de l’axe routier réhabilité.

De tout ce qui précède, nous constatons que la majorité de bénéficiaires n’ont pas pérennisé les acquis ciblés par des projets.

Efficacité des interventions des projets agricoles sur l’extrême pauvreté en milieu rural

Le souci qui a motivé cette étude était d’identifier les facteurs (causes-racines) qui affectent négativement l’efficacité des interventions des projets agricoles en milieu rural du Territoire d’Isangi.

Les investigations réalisées auprès des 470 ménages (bénéficiaires et non bénéficiaires), 99 organisations paysannes, ex gestionnaires et ex animateurs des projets agricoles, acteurs économiques et Services publics ont abouti à l’identification quatre grandes causes-racines sont à la base de faible efficacité des interventions de projets agricoles sur l’extrême pauvreté en milieu rural du Territoire d’Isangi. Il s’agit de:

• L’insuffisance de moyens financiers, techniques et humains pour rendre les services publics plus efficaces et efficients;

• La dépréciation de la monnaie nationale qui rend le revenu de ménage vulnérable et instable;

• Le leadership organisationnel paysan est autocratique, sans vision de professionnalisation ni du développement;

• L’insuffisance de formations adéquates et l’approche pédagogique de renforcements des capacités des bénéficiaires inadaptée.

Cause-racine 1: Insuffisance de moyens financiers, techniques et humains de Services publics

Pour que les services publics soient efficaces et efficients, ils ont besoins de moyens. Le moyen financier est la plus grande contrainte observée au niveau des services public du Territoire d’Isangi. De cette contrainte s’ajoute l’insuffisance de moyens techniques et humains (FIDA, 2014).

Dans leurs rôles régaliens, les services publics doivent suivre, accompagner, renforcer, encadrer les organisations paysannes pour combler les insuffisances observées au niveau organisationnel et technique (Tollens, 2005). Malheureusement, ces services n’ont pas de moyens financiers, matériels et humains suffisants pour jouer effectivement leurs rôles et contribuer efficacement au développement du pays. La majorité de l’appui institutionnel apporté par les projets ne concernait que quelques motos et parfois la réhabilitation ou petits travaux de construction des bureaux administratifs. Avec de maigres salaires des agents de ces services, l’entretien et le carburant posent de sérieux problèmes de fonctionnement et d’itinérance avec comme conséquence la faible implication de ces services.

L’enclavement du milieu rural affecte grandement la production agricole (Bolakonga, 2013). Pour améliorer la production agricole, certains projets avaient axé leurs activités sur la réhabilitation et l’entretien de routes de desserte agricole par la méthode moins efficace, HIMO (Haute Intensité de Main d’Oeuvre). Mais, à l’achèvement de ces projets, les stratégies de pérennité d’infrastructures mises en place ne sont pas efficaces suite au manque de moyens financiers, techniques et humains. La Direction des Voies de Desserte Agricoles (DVDA) du Ministère du Développement Rural qui s’occupe de routes de desserte agricole, existe mais sans agents ni activités en milieu rural d’Isangi. Ce Service ne compte que sur des partenaires techniques et financiers bilatéraux et multilatéraux pour leurs fonctionnements en milieu rural.

L’inefficacité des Services étatiques se justifie par la faible allocation budgétaire de l’État congolais au secteur agricole et rural qui ne représente que moins de 3% du budget national.

Cause-racine 2: Dépréciation de la monnaie nationale (inflation) qui rend le revenu de ménage vulnérable et instable

Depuis longtemps, la notion d’aversion pour le risque est au cœur de l’analyse de l’offre agricole. Il est communément admis que les producteurs agricoles dont l’unique source de revenu est la production agricole préfèrent un revenu certain à un revenu incertain dont la valeur espérée est la même (Newbery et Stiglitz, 1981). La réponse de l’offre agricole à l’instabilité des prix dépend précisément de cette aversion pour le risque. Dans une situation d’instabilité croissante des prix, l’offre diminue si le producteur éprouve une aversion pour le risque mais de façon modérée, tandis que l’offre est susceptible d’augmenter si l’aversion est élevée, les producteurs choisissant de travailler davantage pour éviter les situations critiques. Toutefois, dans le cadre plus dynamique auquel les travaux empiriques font habituellement référence, la réponse attendue de l’offre est négative, l’instabilité des prix étant supposée décourager l’investissement et l’innovation dont le rendement est incertain (Subervie, 2007).

L’inflation influence la productivité, de manière directe en tant qu’incitation et de manière indirecte via l’investissement. Cependant, il est possible que l’inflation influence la capacité des producteurs à gérer le risque de prix, en réduisant les prix réels payés aux producteurs ainsi que la valeur réelle de leur épargne (Mundlak et Larson, 1992). Mais, à la suite d’un choc financier, les producteurs qui n’ont pas constitué une épargne de précaution, peuvent être contraints de réduire leur offre, soit parce que leur capacité de travail est affectée, soit parce qu’ils ont la possibilité de se tourner vers une activité moins risquée. Mais il est également possible que les producteurs sans épargne choisissent de liquider leurs actifs productifs, leurs terres, leur cheptel, leur bétail, leurs outils alors même que l’inflation rend toute liquidation peu profitable.

En plus, la majorité de paysans vendent leurs produits agricoles dans leurs villages et fixent au hasard les prix des produits en subissant en même temps la loi de l’offre et de la demande. Les prix sur le marché ne correspondent pas aux efforts fournis par l’agriculteur. En plus, les quantités de produits vendus ne sont standardisées et les intermédiaires profitent plus au détriment des producteurs.

Le prix des produits agricoles est l’élément déterminant pour la stabilisation de revenu de ménages agricoles en milieu rural étant donné que les paysans vendent leurs produits agricoles en monnaie nationale et épargnent en thésaurisant en monnaie nationale. Avec la dépréciation de la monnaie nationale face aux devises étrangères, après un temps donné, le revenu épargné ne représente plus grand-chose.

Les cultures de riz et de maïs sont les deux principales céréales qui procurent plus de revenu aux ménages agricoles en milieu rural d’Isangi. Si les revenus provenant de ces spéculations s’améliorent de façon stable, il peut contribuer à améliorer le niveau de vie de ménages agricoles, car selon Disonama, une augmentation de 50,0% des prix des céréales diminuerait légèrement les inégalités des ménages et réduirait la pauvreté (Disonama, 2008).

L’instabilité de la monnaie nationale (inflation) affecte le prix sur les marchés, par ricochet affecte négativement la rentabilité des activités agricoles. Cette instabilité rend vulnérable le revenu qui est thésaurisé en monnaie nationale, le Franc congolais. La thésaurisation affecte aussi le coût de vie, les conditions socio-économiques et détériore gravement les termes de l’échange (rapport produits manufacturiers - produits agricoles).

Pour remédier aux effets négatifs de l’instabilité des prix et de la vulnérabilité de revenu de ménages agricoles, deux possibilités sont indispensables et impératifs pour améliorer cette situation, à savoir:

• L’organisation des producteurs agricoles en une structure capable de défendre les intérêts de ses membres, procéder à la négociation commerciale correcte des marchés et parfois s’imposer aux aléas du marché par la vente groupée de leurs produits agricoles (Lothoré et Demas, 2009) et;

• La maîtrise du cadre macro-économique par le Gouvernement congolais pour la stabilité de prix des produits sur le marché (Banque Centrale du Congo, 2015).

Cause-racine 3: Leadership autocratique, sans vision de professionnalisation ni du développement

Le leadership démocratique est fondamental dans la réussite d’une organisation. L’équipe dirigeante doit instaurer un climat qui suscite la motivation et incite chaque membre à fournir un effort volontaire pour atteindre les objectifs de l’organisation. Pour ce faire, les dirigeants doivent encourager, stimuler et au besoin, former adéquatement ses membres. Ils doivent percevoir chaque individu comme étant un être unique et tenir compte d’aspects psychologiques, physiques, sociaux, voire même spirituels, afin de créer un environnement qui favorise la motivation (Gagnon et al., 1996).

Le leadership organisationnel observé au sein des organisations des producteurs agricoles du Territoire d’Isangi est dominé par un leadership autocratique incarné souvent par une ou deux personnes de l’équipe dirigeante qui, selon Kurt Lewin et ses collaborateurs, centralisent l’autorité, imposent leur méthode du travail, prennent de décisions unilatérales et limitent la participation des autres membres aux activités de l’organisation (Robbins et al., 2011). Ce comportement démotive les membres et affecte négativement leurs implications aux activités de l’organisation. Si ce comportement persiste au sein du groupe, il entraîne le départ de certains membres, la dislocation ou la disparition de l’organisation.

Comme nous l’avons souligné ci-haut que le leadership autocratique se manifeste souvent dans des organisations qui ont été mal structurées avec des membres mal sensibilisés et mal conscientisés. Les résultats ont montré que 52,5% d’organisations ont disparu suite au leadership autocratique des dirigeants (Mokili, 2018).

L’approche participative prônée par les décideurs des projets pour initier les bénéficiaires à la vision de développement et de professionnalisation est souvent théorique et n’est pas concrétisée, si pas intégralement mais très faiblement dans la pratique. Les populations cibles sont souvent écartées dans la prise de décision du projet, ce qui dénote un paradoxe et un manque de cohérence. Cette situation a été observée aussi au Rwanda en 2012 (Turmel, 2012).

Cause-racine 4: Insuffisance de formations adéquates et l’approche pédagogique de renforcements des capacités des bénéficiaires inadaptée

Lors de la structuration ou de la redynamisation des organisations paysannes, la formation des dirigeants s’avère vitale pour que les agriculteurs tirent le meilleur parti dans l’organisation pour leur développement.

L’objectif fondamental du renforcement des capacités est de faire en sorte que les organisations paysannes soient en mesure d’analyser leurs propres besoins, de formuler leurs demandes en proposant des modalités réalistes et opérationnelles, et de négocier avec les intervenants de leur propre secteur d’activité. Une fois ce stade atteint, les organisations sont capables d’adapter leurs actions aux circonstances qui se présentent. Il faut donc les aider à renforcer leurs capacités stratégiques, techniques et financières. Les capacités stratégiques leur permettront de définir comment atteindre leurs objectifs et exister en tant qu’institution (Rondot et Colion, 2001). Cela présuppose qu’elles soient à même d’évaluer leurs forces et leurs faiblesses et d’apprécier les opportunités et les risques. Les capacités techniques correspondent aux compétences nécessaires pour exécuter les activités pour lesquelles elles ont été créées.

Les différents rapports finaux des projets agricoles réalisés dans le Territoire d’Isangi ne présentent que des taux de réalisation physique très élevés, allant de plus 80 à 100% et de décaissement financier allant de 95 à 100%. Cette situation se justifie par le fait, pour être apprécié par leurs bailleurs de fonds, les gestionnaires de projets ne tenaient compte que de la performance managériale. Ceci dénote que pendant leurs exécutions, beaucoup des projets ont mis beaucoup l’accent sur l’efficacité (l’atteinte des résultats physiques et des décaissements financiers prévus). L’efficience du capital humain par le développement cognitif des membres et d’équipes dirigeantes des organisations ne semblait pas être une priorité.

Pour lutter contre la pauvreté en milieu rural, on doit d’abord passer par l’information et la formation adaptées pour les bénéficiaires (Paluku, 2005). La quasi-totalité d’activités de renforcement de capacités initiées par les projets agricoles n’étaient pas adaptées et ne tenaient pas compte du niveau d’instruction et du savoir rural de bénéficiaires de groupe social ciblé. En plus, les connaissances formelles transmises par les animateurs ou les consultants formateurs ne tiennent pas compte de l’ethnologie de cette communauté (Chambers, 1990).

Plusieurs formations ont été assurées par les projets agricoles dans les divers domaines dont notamment en comptabilité et gestion financière, techniques de production agricole, en transformation des produits agricoles, en gestion des conflits internes, en conception, exécution et évaluation du travail effectué en interne, en technique de lobbying et plaidoyer…malheureusement toutes ces formations n’ont pas améliorés les capacités productives des bénéficiaires et le niveau des organisations reste toujours faible.

Étant donné que l’approche pédagogique pratiquée pour renforcer les capacités des bénéficiaires (transfert des compétences) était trop académique et inadaptée au cognitif des groupes cibles et rendait l’assimilation des matières enseignées ou données, si pas sans effet mais trop faible avec comme conséquence la faible compétence d’équipes dirigeantes d’organisation à gérer les acquis de projets agricoles au-delà de la période de clôture.

Les résultats ont confirmé que 85,1% d’organisations des producteurs agricoles sont faibles sur le plan organisationnel et institutionnel.

En résumé, les quatre causes-racines identifiées sont réellement, à notre avis, les principaux facteurs déterminants de l’efficacité des interventions des projets en milieu rural. Si on veut réellement améliorer les conditions de vie des ruraux, on doit, si pas les éradiquer, mais les réduire fortement (Figure 1).

CONCLUSION

La problématique de la pauvreté est l’une des plus grandes préoccupations de ce 21e siècle que toutes les nations du monde sont contraintes de relever. La RDC avait bénéficié du financement de bailleurs de fonds pour ses projets et programmes à travers la république. Le Territoire d’Isangi n’étant pas resté en marge de ce financement, avait bénéficié d’une partie de ces aides au travers plusieurs projets agricoles.

Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes focalisés sur les projets agricoles qui ont été réalisés dans le Territoire d’Isangi pendant la période allant de 2008 à 2013. Notre recherche avait mis en évidence les facteurs déterminants de l’efficacité des projets agricoles en milieu rural.

Les résultats de cette étude montrent que l’efficacité d’interventions des projets agricoles est trop faible et est affectée par quatre causes-racines, à savoir : (i) l’insuffisance de moyens financiers, techniques et humains pour rendre les services publics plus efficaces et efficients ; (ii) la dépréciation de la monnaie nationale qui rend le revenu agricole de ménages vulnérable et instable, (iii) le leadership organisationnel paysan est autocratique, sans vision de professionnalisation ni du développement ; et (iv) l’insuffisance de formations adéquates et l’approche pédagogique inadaptée de renforcement des capacités des bénéficiaires.

Lors des différentes phases (de la formulation à l’évaluation) du projet agricole de réduction de la pauvreté en milieu rural, il était indispensable voire même impérieux de mettre plus l’accent sur les quatre causes-racines identifiées qui affectent l’efficacité, l’efficience, la pertinence, l’impact et la pérennité de projets agricoles, malheureusement, la quasi-totalité des projets n’ont mis que l’accent sur la réalisation des activités prévues et moins sur l’impact et la durabilité de leurs actions.

L’État congolais doit élaborer une politique économique et monétaire cohérent capable de stabiliser les prix des produits agricoles sur le marché car le revenu qui est le soubassement de l’amélioration socio-économique de la population en dépend, sinon, le flux d’exode rural continuera à augmenter et la pauvreté demeurera en milieu rural.

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