Utilisation des Systèmes d’Informations Géographiques pour l’analyse spatio-temporelle des effets des changements climatiques sur la disponibilité des ressources halieutiques au Maroc

Auteurs-es

  • Fiston NININAHAZWE CRASTE-LF, Centre régional africain des sciences et technologies de l’espace, en langue française, affilié à l’ONU, Rabat, Maroc
  • Imane SEBARI Département de Cartographie et Photogrammétrie, IAV Hassan II, Rabat, Maroc

Résumé

Les changements des variables climatiques telles que la température affectent directement les conditions de vie des espèces marines y compris les espèces de poissons. Dans ce travail, nous avons examiné le niveau d’exposition de la distribution de trois espèces de Sardina pilchardus, Merluccius merluccius et Thunnus thynnus dans les quatre zones de pêche du Maroc. Le niveau d’exposition a été évalué par l’analyse des variations des probabilités d’occurrence des espèces sur une période de référence (2000-2014) et celle projetée (2040-2050) suivant les scénarios d’émissions des gaz à effet de serre (RCP6.0 et RCP 8.5). Le modèle de distribution utilisé dans ce travail est le modèle AquaMaps. Les facteurs écologiques considérés sont la température, la salinité et la profondeur. Les résultats ont montré que les variables environnementales (température et salinité) vont subir une augmentation au cours des trois prochaines décennies et selon les deux scénarios utilisés. La température et la salinité connaîtront une augmentation sur la majorité des zones, à l’exception de l’Atlantique Nord qui connaîtra une diminution de salinité. Par conséquent, la probabilité d’occurrence et la distribution des espèces de sardines et des merlus connaîtront une réduction tandis que celle du Thon rouge restera stable.

Mots clés : Changements climatiques, ressources halieutiques, SIG, AquaMaps, Maroc

Téléchargements

Les données relatives au téléchargement ne sont pas encore disponibles.

INTRODUCTION

Après quelques décennies de recherches et la sortie de six rapports du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il est actuellement évident que les changements climatiques sont une menace pour la vie des organismes répartis dans différents compartiments du globe, tant terrestres qu’océaniques. La température moyenne de surface a augmenté de 0,6 ± 0,2°C (IPCC, 2001; Arrouays et al., 2002) et les modèles actuels prévoient une hausse de température avoisinant 4,9°c à l’horizon 2100, comparativement aux années 1990 (IPCC, 2007), si les mesures d’atténuation des émissions des gaz à effet de serre ne sont pas mises en place et exécutées. Les océans se sont réchauffés, la couverture de neige et de glace a diminué, et le niveau des mers s’est élevé.

Les océans ont absorbé environ 93 % de la chaleur additionnée au système climatique pour une période couvrant les cinq dernières décennies (IPCC, 2013). On constate donc que l’augmentation des températures a principalement concerné les océans, d’où leur importance dans les changements climatiques. Sa capacité de chaleur est 1000 fois plus grande que celle de l’atmosphère (Beaugrand et Goberville, 2010). Ainsi, l’énergie retenue par les couches supérieures de l’océan joue un rôle crucial dans les variations climatiques, saisonnières et interannuelles.

Selon le rapport d’IPCC (2013), les eaux de surface océaniques sont beaucoup plus chaudes qu’il y a 100 ans. Le réchauffement est plus intense dans la partie supérieure des océans dont la température augmente d’à peu près 0,1°C par décennie.

Ainsi, les différentes formes de vie océaniques, se répartissant en fonction de leur tolérance vis-à-vis des facteurs abiotiques, subissent un grand nombre de pressions auxquelles s’ajoutent celles du réchauffement global. Les conséquences sont nombreuses y compris la dégradation des habitats de ces ressources marines qui devient de plus en plus perceptible. Des modifications rapides de la répartition des poissons et du plancton ont été observées dans certaines zones, surtout dans les régions de l’Atlantique du Nord-Est, où les changements de température ont été rapides (Brander, 2007).

Il est clair que cette modification de la répartition des poissons et du plancton affecte bien évidemment les activités de pêche dans le monde. Or, selon la FAO (2007), la pêche fournit une alimentation à plus de 2,6 milliards de personnes avec un apport d’environ 20 % de leur consommation en protéines. Ces statistiques montrent que la perturbation des activités de pêche affecterait un nombre important de personnes. La sécurité alimentaire serait compromise ainsi que la perte d’emplois liés aux activités de pêche.

Au Maroc, le secteur de la pêche contribue à hauteur de 2,3% du PIB et emploie environ 660.000 personnes, de façon directe ou indirecte et le nombre de personnes vivant de la pêche est estimé à 3 millions (FAO, 2013). Le Maroc est classé parmi les pays les plus vulnérables en termes d’impacts et de vulnérabilité du secteur de la pêche. Une étude réalisée en 2009 par Worldfish Center le place au 11e rang de vulnérabilité parmi 132 pays (Allison et al., 2009). A cet effet, étant donné l’importance qu’occupent les activités de pêche, il serait plus important de comprendre l’impact du changement climatique sur les ressources halieutiques afin de prendre des mesures de gestion et de conservation adéquates.

Parmi les outils disponibles pour la modélisation de ces changements, les systèmes d’informations géographiques (SIG) occupent un rôle capital de par sa capacité à collecter, gérer et analyser les différentes données à références spatiales et ressortir différentes analyses, permettant d’aide à la prise de décisions. Cette étude vise à évaluer le niveau d’exposition des ressources halieutiques aux changements climatiques au niveau des zones de pêche maritimes du Maroc en utilisant les outils SIG. Il s’agit spécifiquement d’analyser la variation des paramètres climatiques qui régissent la distribution des espèces marines (température et salinité) suivant les scénarios proposés par le GIEC (RCP 6.0 et RCP 8.5), d’analyser la variation de la probabilité de présence de trois espèces de poissons (Sardina pilchardus, Thunnus thynnus, merluccius merluccius).

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Zone d’étude

La présente étude concerne les zones de pêche marocaines réparties en 4 régions, selon la répartition du ministère de l’agriculture de la pêche maritime du développement rural et des eaux et forêts,département de la pêche maritime (MAPMDREF). La figure 1 illustre les différentes régions de pêche.

Le modèle AquaMaps

Le modèle utilisé dans cette étude est la version modifiée du modèle RES (Relative Environmental Suitability) développé par Kaschner et al. (2006) permettant de générer les prévisions mondiales de l’occurrence des mammifères marins. Le choix du modèle a été principalement choisi pour sa précision comparable à celle des autres modèles (GAM, GLM, MAXENT, GARP) utilisés dans la prévision de la distribution spatiale des espèces (Ready et al., 2010) et pour sa facilité d’implémentation dans un SIG. Le modèle tient compte des limites de préférence d’une espèce donnée par rapport à une variable environnementale (Kaskchner et al., 2006 ; Ready et al., 2010). Il s’agit du MinA, MinP, MaxP, MaxA désignant respectivement le minimum absolu, minimum préféré, maximum préféré et le maximum absolu. A partir de l’ensemble des observations pour une variable environnementale et pour une espèce quelconque, ces limites sont calculées comme suit:

MinA = 25è percentile -1.5 × écart interquartile

MinP = 10è percentile

MaxP = 90è percentile

MaxA = 75è percentile + 1.5 × écart interquartile

La représentation schématique du modèle est présentée dans la figure 2.

La probabilité d’occurrence par rapport à une variable est nulle lorsque la valeur de cette variable est située au-delà du MinA (minimum absolu) et du MaxA (maximum absolu) tandisqu’elle est maximale (égale à 1) lorque sa valeur est comprise entre les deux limites de préference (MinP et MaxP). L’interpolation linéaire est utilisée afin de trouver la probabilité d’occurrence pour les valeurs comprises entre les limites absolues et les limites de préférence L’occurrence sera donc comprise entre 0 et 1. L’occurrence finale est obtenue par moyenne géométrique à partir des valeurs d’occurrence obtenue pour chacune des variables. La moyenne géométrique est calculée selon l’équation suivante:

(1)

Avec,Températureoc: occurrence de l’espèce par rapport à la température

Salinitéoc : occurrence de l’espèce par rapport à la salinité

Profondeuroc: occurrence de l’espèce par rapport à la profondeur

Espèces et leurs préférences écologiques (température, salinité et profondeur)

Les espèces de poissons considérées dans cette étude appartiennent à deux catégories vis-à-vis de leur milieu de vie. Il s’agit de Sardina pilchardus (pélagique), Thunnus thynnus (pélagique) et Merluccius merluccius (démersal). Le choix s’est basé sur les statistiques de pêche publiées par le département de la pêche et INRH (2016), afin de choisir les espèces les plus pêchées et ayant un apport socio-économique élevé (création d’emploi).

Le tableau 1 illustre les différentes caractéristiques écologiques des espèces considérées. Les données sur les préférences écologiques de chaque espèce ont été collectées à partir de la base de données OBIS (Ocean Biogeographic Information System). Les variables environnementales utilisées sont la moyenne des températures de surface (SST), la moyenne de la salinité de surface et la profondeur. La moyenne sur une période de 2000 à 2014 ainsi que la moyenne de la période 2040-2050 pour les projections RCP6.0 et RCP8.5 ont été utilisées pour la température de surface et la salinité de surface. Ces données ont été téléchargées sur la plateforme BIO-ORACLE en format raster Tif avec une résolution spatiale de 9.2 km à l’équateur (Assis et al., 2017). Certaines études ont mis en évidence la fiabilité de ces données et ont été utilisées par d’autres auteurs pour la modélisation de la distribution des espèces marines (Tyberghein et al., 2012; Assis et al., 2017). Les données de la profondeur (ETOPO-1, 1,5 km de résolution spatiale) qui a été considérée comme constante entre la période actuelle et la période projetée ont été téléchargées sur le site de NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration).

RÉSULTATS

Moyennes actuelles et projetées de la température

La moyenne annuelle des températures de surface est comprise entre 17,8°C et 21,0°C pour la période 2000-2014 (Figure 3). Cependant, la moyenne annuelle pour la période projetée augmente quel que soit le scénario utilisé. Elle est de 18,4°C à 23,0 °C pour RCP 6.0 tandis qu’elle est comprise entre 19°C et 24°C pour RCP 8.5. Les températures de la méditerranée et de l’Atlantique Nord sont relativement plus basses que celles de l’Atlantique Sud et Centre.

Variation de la température entre la période de référence et la période projetée

A l’horizon 2050, la température pourra s’élever de 0,4 à 1,4°C selon le scénario avec un rythme de 0,2°C par décennie pour RCP8.5 contre 0,14°C pour RCP 6.0.

Moyennes actuelles et projetées de la salinité

La salinité moyenne de surface varie de 36 pss à 37 pss (Figure 5). La salinité augmente dans certaines régions et diminue dans d’autres. En effet, la diminution concerne la partie de l’atlantique Nord au moment où le reste des zones est caractérisé par une augmentation pouvant atteindre 0,2 pss (Figure 6). Le maximum de l’élévation est observé dans la région de l’atlantique Sud.

Variation de la salinité entre la période de référence et la période projetée

La salinité est caractérisée par une élévation de presque 0,2 pss dans certaines zones (Méditerranée, atlantique Centre et Sud). Une diminution du même ordre de grandeur dans l’Atlantique Nord est observée. L’Atlantique Sud est la zone la plus affectée par l’augmentation de la salinité avec le scénario RCP8.5.

Distributions actuelle et projetée de la sardine (Sardina pilchardus)

La sardine a une distribution continue le long de l’atlantique à partir du Sud au Nord (Figure 7). La distribution est relativement faible au niveau de la méditerranée par rapport aux autres zones. L’atlantique Sud et Centre affichent de grandes zones de distribution de cette espèce. La distribution prédite par le modèle AquaMaps pour cette espèce est comparable à celle publiée par l’Institut National de Recherche Halieutique (2013). Quant à la distribution de cette espèce par rapport à la période projetée, il est évident que la probabilité d’occurrence diminue pour la RCP 6.0 et continue à régresser pour le scénario RCP 8.5. Pour tous les deux scénarios, le constant est que la probabilité diminue partout avec un pic de 0,07 pour RCP 8.5 contre 0,04 pour RCP 6.0.

Distribution actuelle et projetée du merlu commun (Merluccius merluccius)

Le merlu commun est distribué sur toute la côte atlantique ainsi que sur la côte méditerranéenne (Figure 8). L’abondance est plus importante dans la partie de l’atlantique Nord et la méditerranée. La distribution réalisée par l’INRH (2013) pour cette espèce montre que les résultats obtenus dans ce travail sont comparables. La probabilité d’occurrence diminue dans toutes les zones sur la période projetée et pour tous les deux scénarios. La diminution de la probabilité d’occurrence s’accentue en passant du scénario RCP 6.0 au scénario RCP 8.5. Le pic est de 0,19 pour RCP 8.5 et 0,08 pour RCP 6.0.

Distribution actuelle et projetée du Thon rouge (Thunnus thynnus)

La distribution du thon rouge est large comparativement aux espèces précédentes. L'espèce est distribuée en abondance tant sur l’atlantique que sur la méditerranée. Le thon rouge colonise également les grandes profondeurs océaniques (Figure 9).

La variation de la probabilité d’occurrence pour cette espèce n’est pas décelable par le modèle utilisé dans ce travail. Bien que les températures et la salinité aient changé, la grandeur des variables environnementales utilisées reste favorable aux intervalles de tolérance pour cette espèce.

DISCUSSION

Les résultats obtenus dans ce travail montrent que la variation temporelle des variables environnementales (température et salinité) entre la période de référence et la période projetée est généralement caractérisée par une augmentation. La température pourra s’élever de 0,4 à 1,4°C selon le scénario. Le scénario RCP 8.5 montre que la température pourra s’élever à un rythme de 0,2°C par décennie contre 0,14°C pour RCP 6.0.

Le rapport du GIEC (2014) stipule que l’élévation globale moyenne de la température de l’eau est de 0,1°C par décennie. Quant à la salinité, elle est caractérisée par une élévation de presque 0,2 pss dans certaines zones (Méditerranée, atlantique Centre et Sud) contre une diminution du même ordre de grandeur dans d’autres zones (Atlantique Nord). L’augmentation de la salinité est en partie liée à l’augmentation de température de l’eau qui accentue l’évaporation et la concentration des sels minéraux dans l’eau (Yu, 2010).

Ainsi, les oscillations climatiques ne sont pas sans effets négatifs sur les espèces marines. Certaines espèces pourront migrer vers les zones encore favorables surtout en été (vers les zones moins chaudes), d’autres pourront changer de distribution verticale en migrant vers la profondeur. La distribution et l’abondance des espèces seront affectées ainsi que d’autres paramètres physiologiques tels que la croissance et la reproduction (Perry et al., 2005).

Les espèces considérées dans ce travail affichent un comportement différent vis-à-vis du changement de la température et de la salinité. En effet, les espèces de sardine (Sardina pilchardus) et les merlus communs (Merluccius merluccius) seront plus affectées par rapport aux thons rouges (Thunnus thynnus). Ces deux espèces possèdent une valence écologique moins large que les thons rouges. Il s’agit donc des espèces les plus exposées aux changement climatiques. En comparant le niveau de réduction de la probabilité d’occurrence, on constate que les sardines sont moins exposées que les merlus communs. La diminution pour les sardines ne dépasse pas 0,07 (RCP 8.5) tandis que le maximum de 0,19 (RCP 8.5) est observé pour les merlus communs. Les thons rouges ont la capacité de résister à la variation de la température grâce à leur tolérance vis-à-vis des températures plus élevées (Tableau 1). L’impact est donc plus faible pour cette espèce comparativement aux autres espèces étudiées.

CONCLUSION

Les résultats obtenus dans cette étude montrent que les espèces à faible valence écologique, à savoir les sardines et les merlus communs, seront plus affectées par la variation climatique. Le niveau d’abondance de ces espèces pourra chuter suite à la dégradation de l’habitat. Par contre, les espèces qui pourront résister à la pression du changement climatique sont celles qui pourront s’adapter facilement et celles qui possèdent une large amplitude de conditions environnementales. Les thons rouges sont parmi les espèces dont la répartition et l’abondance ne seront pas très affectées par le dérèglement climatique selon les différents scénarios d’émission des Gaz à effet de serre.

Cette étude montre l’importance des mesures d’atténuation et d’adaptation visant à conserver cette biodiversité marine sous la menace des variations climatiques. Le modèle AquaMaps utilisé dans cette étude pour la caractérisation de la distribution des espèces montre qu’il peut être utilisé. La comparaison de la distribution actuelle obtenue avec celle publiée par INRH montre que les résultats sont encourageants. Cependant, des analyses statistiques approfondies permettant d’établir le niveau de précision de ce modèle au Maroc sont nécessaires. L’augmentation du nombre de variables expliquant la distribution des espèces serait aussi un atout pour maximiser le niveau de précision de ce modèle.

RÉFÉRENCES

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Publié-e

16-06-2020

Numéro

Rubrique

Ingénierie Topographique et Paysage