Déterminants de la transformation structurelle en Afrique
Résumé
Cet article examine la contribution de la transformation structurelle à l’accroissement de la productivité du travail en Afrique ainsi que ses déterminants. L’analyse porte sur les données de la période 1991-2017 couvrant 37 pays du continent. La croissance de la productivité du travail a été globalement faible (+1,0% par an) au cours de la période d’analyse. La contribution de la transformation structurelle a représenté environ 1/3 des gains de productivité. Elle s’est nettement améliorée depuis le début des années 2000, même si la part intra sectorielle reste prépondérante. Dans les pays sans littoral, la contribution de la transformation structurelle à l’accroissement de la productivité est restée positive et supérieure à son niveau dans les pays côtiers. La réallocation de la main-d’œuvre vers le secteur des services a été le principal moteur de la transformation structurelle sur le continent au cours de la période 1991-2017. En Afrique de l’Est, une phase intermédiaire est observée durant la période 1991-2001. Cette dernière est marquée notamment par une transformation structurelle portée par le secteur industriel. Enfin, l’analyse économétrique sur les potentiels déterminants révèle que le rythme de la transformation structurelle est fortement influencé par le capital humain et physique, la croissance démographique et le niveau initial de l’emploi agricole. La combinaison d’effets push et pull est ainsi nécessaire pour une accélération de la transformation structurelle sur le continent et l’accroissement du revenu par habitant. D’une part les investissements dans les infrastructures économiques seront cruciaux pour accélérer la croissance dans les secteurs non agricoles, créatrice d’emploi. D’autre part l’accélération de la transition démographique et l’investissement dans le capital humain contribueraient à réduire la pression sur l’offre de travail tout en garantissant une main d’œuvre qualifiée. Compte tenu de sa part initiale dans l’économie globale, une croissance rapide du secteur agricole sera également nécessaire pour une accélération du processus de transformation structurelle.
Mots-Clés: croissance et développement, transformation structurelle, productivité du travail, ouverture commerciale, Afrique
INTRODUCTION
Les théories traditionnelles d’économie duale sur lesquelles repose l’économie du développement suggèrent l’existence d’un secteur traditionnel à faible productivité qui disposerait d’un excédent de main-d’œuvre, avec des travailleurs percevant une rémunération supérieure à la productivité marginale et un secteur moderne, caractérisé par des rendements d’échelle, l’innovation technique et technologique et des gains de productivité accrus. Au fil du temps, les gains de productivité dans le secteur moderne se traduisent par une réallocation de la main d’œuvre du secteur traditionnel à faible productivité (secteur agricole) au secteur moderne, notamment l’industrie manufacturière (Lewis, 1954). Ce processus, appelé transformation structurelle, est un facteur essentiel à une croissance économique de long terme et un facteur de réallocation de la demande sectorielle vers des utilisations moins consommatrices de ressources naturelles. Selon Kuznets (1979), il est impossible pour un pays de réaliser une croissance soutenue du PIB réel par habitant sur une longue durée sans une transformation structurelle profonde.
L’ouverture commerciale serait un accélérateur de ce processus de transformation de l’économie et de rattrapage du reste du monde par les pays en développement. En effet, les distorsions sur le marché domestique étant levées, l’ouverture se traduirait par une transmission des prix mondiaux sur le marché local, améliorant l’emploi des facteurs de production en fonction de l’avantage comparatif du pays. Grâce à la libéralisation des marchés des capitaux, les pays en développement peuvent combler l’insuffisance de l’épargne domestique par un accès aux capitaux mondiaux et ainsi améliorer le ratio capital-emploi, relativement faible. Cependant, si l’ouverture à l’économie mondiale est une condition nécessaire, elle ne suffit pas. L’ouverture au reste du monde peut favoriser la croissance et réduire la pauvreté, en fonction de la structure de l’économie, du séquencement approprié, des mesures de libéralisation et des politiques complémentaires. C’est ce qui serait à la base du ‘’miracle’’ économique dans les pays d’Asie.
Cependant dans la majorité des pays en Afrique, l’ouverture à l’économie mondiale n’a pas eu les effets escomptés ou observés dans les pays d’Asie de l’Est à la suite de leur ouverture à l’économie mondiale. Le PIB par habitant en Afrique, en terme réel a suivi une tendance à la baisse, et a été plus faible au cours des années 1980 et 1990 (début de l’ouverture des économies africaines sous l’impulsion des programmes d’ajustements structurels), que pendant la période de planification. Si cette dynamique est en partie attribuable à l’instabilité politique, la crise économique et les périodes de sécheresses que le continent a connu au cours de ces années, la période récente caractérisée par une croissance économique soutenue, n’est pas non plus marquée par une accélération de la transformation structurelle des économies africaines. L’emploi agricole représentait en 2018, environ 55% de l’emploi total en Afrique Subsaharienne contre 59% en 1991 ; soit une régression de quatre points de pourcentage sur une période de 27 ans. Au cours de la dernière décennie, la part de l’industrie dans le PIB s’est inscrite à la baisse, traduisant une progression de la désindustrialisation sur le continent.
Compte tenu du gap de productivité persistant entre l’agriculture et les autres secteurs de l’économie (respectivement 7 et 5 fois la productivité de l’agriculture, dans le secteur des services et l’industrie en 2018), une accélération de la transformation structurelle en faveur des secteurs non agricoles serait désirable, tant pour l’efficience d’utilisation des ressources que pour la réduction de la pauvreté.
Cet article examine la contribution de la transformation structurelle à la croissance de la productivité du travail en Afrique. La présentation est structurée en deux sections. La première, à travers une mise en perspective historique, présente la dynamique de la transformation structurelle en Afrique. La deuxième section, dans un premier temps, à travers une décomposition de la productivité du travail, analyse la contribution de la transformation structurelle aux gains de productivité, et dans un second temps, au travers d’une analyse économétrique, traite des déterminants de la dynamique observée.
DYNAMIQUES DE TRANSFORMATION EN AFRIQUE
L’AMORCE D’UNE TRANSFORMATION STRUCTURELLE
Au lendemain des indépendances, les pays africains ont adopté diverses politiques de développement, avec des Etats ‘’providences’’ au cours des années 1960-1979, caractérisées par des plans de développements triennaux, quinquennaux, renouvelables à l’échéance. L’industrialisation par substitution aux importations était la norme dans plusieurs pays (notamment ceux ayant l’agriculture comme secteur dominant) à l’exception de quelques rares pays dont le Maroc. Le taux de croissance économique enregistré en Afrique subsaharienne, était en moyenne de +4,2% par an.
Au cours de cette période, le PIB par habitant a augmenté de façon régulière parallèlement à la baisse de la part de la valeur ajoutée agricole. Sur la période 1960-1979, il a connu une progression positive de +1,6% par an, en Afrique subsaharienne, pour atteindre près de 1450 $ ($ constant de 2010). La productivité du travail a également connu une hausse avec la migration des travailleurs de l’agriculture vers le secteur manufacturier. La part de l’industrie manufacturière dans l’emploi total a enregistré une hausse de 3,1 points de pourcentage pour se hisser à 7,8% sur la période 1960-1975, avec une productivité supérieure à la moyenne (De Vries, Timmer et de Vries, 2013). Dans le secteur des services, la valeur ajoutée a suivi une courbe en U inversé, indiquant une augmentation de celle-ci et de l’emploi lorsque les niveaux de croissance étaient moins élevés, et une diminution de ces caractéristiques lorsque les niveaux de croissance étaient plus élevés (CEA, 2014).
DEUX DÉCENNIES PERDUES
La transformation structurelle amorcée au cours de la période précédente, sera malheureusement hypothéquée par la crise économique qui touchera la plupart des pays du continent au cours des années 1980. Effets conjugués de la crise pétrolière des années 1970, du ralentissement économique dans les pays du Nord, de la faible diversité au niveau des exportations , d’une dette extérieure insoutenable, de la sécheresse des années 1984-1985 , des nombreux conflits militaires, etc. L’économie africaine connaitra une longue période de ralentissement. Le taux de croissance du PIB restera sous la barre des 4% durant toute la décennie 1980 en Afrique Subsaharienne.
Face à la crise, les politiques d’ajustements structurels seront mises en œuvre sous la houlette des organismes internationaux de financements (FMI, Banque Mondiale), avec des mécanismes pas forcément adaptés aux contextes locaux, entrainant une détérioration du tissu social, une hausse du chômage, la fragilisation des systèmes de production autrefois ‘’sous perfusion’’ des différentes interventions des Etats, etc. Les politiques de libéralisation seront vulgarisées et imposées par les bailleurs de fonds, en contrepartie d’un financement de l’économie. A ce moment, l’Etat est appelé à se retirer et laisser place à l’ajustement par les marchés. Plusieurs entreprises publiques seront privatisées et les subventions considérablement réduites pour assainir le cadre macroéconomique.
La perte d’emploi dans le secteur des services (en particulier dans les entreprises publiques à cause des privatisations) et de l’industrie, s’est traduite par une redistribution de la main d’œuvre vers le secteur agricole et le secteur des services informels en milieu urbain. Néanmoins, la baisse de l’emploi dans les services, s’est accompagnée par une hausse de la valeur ajoutée dans ce secteur. La part de l’agriculture dans le PIB a également suivi une légère tendance à la hausse avant de s’inverser au cours des années 1990. Le déclin de la valeur ajoutée dans le PIB a toutefois été plus lent en comparaison à la période 1960-1979. Cependant en Afrique Centrale, la dynamique de la transformation structurelle s’est inversée avec l’agriculture qui représentait environ 29% du PIB en 1992 contre 23% en 1980.
Parallèlement au ralentissement du processus de transformation structurelle, le PIB par habitant s’est inscrit dans une tendance baissière. En Afrique Subsaharienne, le PIB par tête ($ constant de 2010) a enregistré une contraction de -1,2% par an, contre un accroissement de +1,6% au cours de la période de planification.
UNE CROISSANCE SOUTENUE…MAIS UNE TRANSFORMATION LENTE
La première décennie des années 2000 sera marquée par une relance de l’activité sur le continent. La plupart des pays de l’Afrique ont enregistré une croissance économique annuelle dépassant parfois les 5%. En Afrique subsaharienne, le PIB par habitant ($ constant de 2010) a connu une progression soutenue de 3,2% par an entre 2000 et 2008, pour dépasser la barre des 1500 USD, pour la première fois depuis 1980. Ceci a fait souffler un vent d’optimisme, à l’antipode de l’afro pessimisme qui alimentait les débats au cours des décennies 80 et 90.
Contrairement à la période de transformation structurelle dans les pays de l’Asie de l’Est, où l’industrie manufacturière a enregistré des gains importants de productivité et contribué à la création d’emploi à la base de la migration de la main-d’œuvre du secteur agricole, en Afrique, la trajectoire est différente. La main-d’œuvre qui quitte l’agriculture et les zones rurales, ne va pas vers l’industrie (en l’occurrence l’industrie manufacturière). Les migrants sont en grande partie absorbés par les services (notamment la branche ‘’commerce et réparation’’) qui ne sont pas particulièrement productifs, et par l’économie informelle urbaine. La part de l’agriculture dans l’emploi a ainsi baissé avec la croissance, alors que celle des services a progressé. Celle de la valeur ajoutée agricole dans le PIB, a suivi la même tendance. Toutefois cette régression de l’emploi agricole est très lente (seulement 1 point de pourcentage de baisse sur 10 ans en Afrique Subsaharienne) ; reflétant la faiblesse des opportunités d’emploi dans les autres secteurs de l’économie et les difficultés liées à la migration intersectorielle de la main-d’œuvre.
Le contexte économique caractérisant la deuxième décennie des années 2000 connaît un tournant moins favorable, avec une croissance à la baisse, conséquence directe de la baisse des prix des matières premières (pétrole, minerais, produits agricoles, etc.). Ainsi, l'activité économique a fortement ralenti en Afrique subsaharienne pour atteindre une croissance de l’ordre de 1,3% en 2016 en glissement annuel ; son niveau le plus bas depuis plus de deux décennies (world Bank, 2017). La part de la valeur ajoutée agricole et de l’emploi dans le secteur, a globalement stagné sur toute la dernière décennie.
CONTRIBUTION DE LA TRANSFORMATION STRUCTURELLE ET SES DÉTERMINANTS
MÉTHODOLOGIE D’ANALYSE
Décomposition de la productivité du travail
La méthodologie utilisée ici pour la décomposition de la valeur ajoutée par travailleur est empruntée à McMillian et Rodrik (2011). La productivité du travail est notamment décomposée en deux composantes : intra-sectorielle et intersectorielle (réallocation de la main d’œuvre). La composante intersectorielle est en effet considérée comme proxy du "changement structurel".
Nous analysons à travers cette décomposition, la contribution de la transformation structurelle aux gains de productivité et le principal secteur porteur de cette dynamique à l’échelle du continent.
Source: McMillian & Rodrik (2011)
Les données utilisées sont notamment la valeur ajoutée par branches d’activité en dollar constant de 2010, provenant de la base de données de la banque mondiale (indicateurs de développement dans le monde) et les données sur l’emploi de l’organisation internationale du travail (ILOSTAT). Ces données sont collectées pour 37 pays du continent. L’annexe 1, détails la liste des pays couvert par l’analyse.
Estimation économétrique des déterminants de la transformation structurelle
La contribution de la transformation structurelle à la croissance de la productivité étant estimée, il est désormais possible d’analyser les déterminants de ce processus observé en Afrique. Dans la littérature sur le sujet : McMillan et al. (2014), Marouani et al. (2015), Martins (2019), les déterminants potentiels de la transformation structurelle sont notamment la stabilité macroéconomique, le degré d’intégration au commerce mondial, le taux de change, le capital humain, le capital physique, la gouvernance et le niveau initial de la part de l’emploi sectoriel. A ces variables, nous ajoutons la croissance démographique. L’offre de main d’œuvre étant directement liée à l’évolution de la population, une croissance démographique forte comme c’est le cas sur le continent, pourrait limiter le rythme de la transformation structurelle. La forme fonctionnelle simple du modèle s’écrit :
Transformation structurelle = f (condition initiale, stabilité macroéconomique, commerce, taux de change, capital financier, capital humain, capital physique, gouvernance, croissance démographique)
Les données sur la transformation structurelle, proviennent de nos estimations. Le tableau ci-après, présente les sources des données sur les variables indépendantes. Il faut noter que les variables indépendantes, à l’exception des conditions initiales de l’emploi agricole, sont des moyennes sur différentes périodes, correspondant à celle retenue pour l’estimation de la contribution de la transformation structurelle. La république démocratique du Congo a été exclue compte tenu du manque de données sur plusieurs années. Ainsi, l’analyse économétrique porte sur les données de 36 pays sur cinq périodes (1991-1996, 1996-2001, 2001-2006,2006-2011,2011-2017) .
Etant donné un panel de pays, le modèle est estimé à travers une régression à effets fixes. La spécification du modèle est la suivante :
Où est la variable dépendante, β0 une constante, β1 est un vecteur K × 1 de paramètres estimés, i représente le pays, t la période et Xit est la (i, t)ème observation sur K variables explicatives.
αi représente l'effet non observé spécifique au pays et µit est le terme d’erreur. Ce modèle à effets fixes permet ainsi à l’ordonnée à l’origine de varier suivant chaque pays (β0+ αi), rendant ainsi compte des caractéristiques invariantes du pays dans le temps telles que la géographie, la culture etc.
RÉSULTATS EMPIRIQUES ET DISCUSSION
Une transformation structurelle limitée
La croissance annuelle moyenne de la productivité du travail s’élève à environ 1,0% entre 1991 et 2017 à l’échelle des pays considérés dans cette analyse (+0,66% pour la composante intra-sectorielle et +0,34 pour la composante intersectorielle). En dehors de la période 1991-1996, caractérisée par une contribution négative de la composante intra-sectorielle, cette dernière aura été le principal moteur des gains de productivité enregistré. La contribution de la réallocation de la main d’œuvre à l’accroissement de la productivité a été en moyenne globalement positive.
Au cours de la décennie 90, plusieurs pays du continent ont enregistré une transformation structurelle défavorable à la croissance. En Afrique Centrale, la contribution de la transformation structurelle à l’accroissement de la productivité a été négative. Dans la majorité des pays du continent, la contribution annuelle de la réallocation de la main d’œuvre à la croissance de la productivité aura été inférieure à 0,4%.
La contribution du changement structurel à la croissance de la productivité s’est nettement améliorée au cours des années 2000. Comme on pouvait s’y attendre, les contributions les plus élevées de la réallocation de la main d’œuvre à la croissance de la productivité sont enregistrées dans les pays de l’Afrique de l’Est, avec en tête le Rwanda (+3,4%) et la Tanzanie (+2,3%).
Il est intéressant de constater qu’au Burkina-Faso, la contribution de la composante intersectorielle est globalement restée soutenue sur toute la période 1991-2017. Près de 3/4 des gains de productivité enregistrés par l’économie sont dus au processus de réallocation de la main d’œuvre. Toutefois, les dernières années sont caractérisées par un changement structurel réducteur de la croissance ; marqué par une contribution négative à la croissance de la productivité (-0,15% par an sur la période 2011-2017).
Dans les pays sans littoral , la contribution de la transformation structurelle à l’accroissement de la productivité est restée positive et supérieure à son niveau dans les pays côtiers. Les gains de productivités associés à la réallocation de la main d’œuvre, représentaient environ 50% contre 36% dans les pays côtiers, au cours de la période 2001-2017. La transformation structurelle dans les pays exportateurs de pétrole est globalement lente. Sa contribution à l’augmentation de la croissance n’a été que de 16% sur la période 2001-2017. La dotation en ressource naturelle aurait ainsi un impact négatif sur la dynamique du processus de réallocation de la main-d’œuvre des secteurs à faible productivité vers les autres secteurs de l’économie à productivité plus élevée.
La réallocation de la main-d’œuvre vers le secteur des services a été le principal moteur de la transformation structurelle sur le continent au cours de la période 1991-2017. En Afrique de l’Est, une phase intermédiaire est cependant observée durant la période 1991-2001. Cette dernière est marquée notamment par une transformation structurelle portée par le secteur industriel, avec une contribution du secteur aux gains de productivité intersectorielle estimée à 89%. L’annexe 2, présente la contribution en pourcentage de la transformation structurelle aux gains de productivité par région sur la période 1991-2017.
On observe ainsi un saut dans le processus de développement en cours en Afrique. Dans les dynamiques observées au cours du miracle économique des pays d’Asie, et même dans les pays développés, la réallocation de la main d’œuvre, s’est faite au cours de la première phase de la transformation vers l’industrie manufacturière, puis par la suite, au fil du temps au profit du secteur des services à haute valeur ajoutée. Rodrik (2012) souligne notamment que les industries manufacturières modernes se caractérisent par une convergence inconditionnelle vers la frontière de la productivité mondiale, même en l’absence des fondamentaux (institutions fortes, infrastructures et capital humain).
Les déterminants de la transformation structurelle en Afrique
Compte tenu des caractéristiques des variables indépendantes, le risque de multi colinéarité est très élevé. L’analyse de la corrélation entre les variables indépendantes ainsi que le test de colinéarité (estimation du VIF) ont donc été conduits. Ces analyses révèlent une forte corrélation entre plusieurs variables indépendantes. Le taux d’inscription au secondaire est par exemple fortement corrélé (coefficient supérieur à 0,8 en valeur absolue) aux variables : niveaux initiaux de l’emploi agricole, accès à l’électricité, taux d’inscription dans le supérieur et le nombre moyen d’années de scolarité.
Dès lors, une analyse en composante principale (ACP) est réalisée, afin de combiner les variables fortement corrélées et ainsi isoler les éléments communs de ces variables. Le tableau ci-après présente les résultats de l’ACP. Dans l’ensemble des cas, le pourcentage de la variance expliquée par la première composante est supérieur à 70%, et sa valeur largement supérieure à celle des autres composantes. On peut donc aisément utiliser la première composante comme proxy des différents agrégats (capital humain, capital physique, gouvernance, capital humain et physique). Compte tenu de la corrélation forte (0,88) entre le capital physique et le capital humain, le principal proxy pour ces deux variables sera le capital physique et humain lorsqu’il faudra les inclure dans la régression. Ce dernier agrégat présente notamment une corrélation forte, hautement significative avec le capital humain (0,99) et le capital physique (0,90).
La première régression à effets fixes (R-EF) conduite, porte uniquement sur les conditions initiales, notamment la part de l’emploi dans le secteur agricole à la période initiale. En effet, un pays ayant une part relative élevée du secteur agricole dans l’emploi total en début de période, est potentiellement susceptible d’enregistrer une réallocation plus importante de la main d’œuvre vers les autres secteurs de l’économie, contribuant ainsi à réduire le gap de productivité entre l’agriculture, le secteur des services et celui de l’industrie. Les résultats montrent que la part initiale de l’emploi, explique à elle seule environ 40% des différences au sein des pays en ce qui concerne la contribution de la transformation structurelle. La deuxième spécification du modèle, introduit le capital humain. Les deux variables sont hautement significatives à 1%, et expliquent ensemble 61% (0,61) des variations. En prenant séparément les différentes variables de la composante du « capital humain », le résultat est toujours significatif (5% pour l’inscription au secondaire et tertiaire, et 1% pour l’espérance de vie et le nombre d’année de scolarité) mais R2 ajusté est moins élevé que la deuxième spécification. L’usage du proxy pour la régression est donc plus intéressant que l’utilisation des variables individuelles. La troisième spécification remplace le capital humain par le capital humain et physique. Le modèle reste robuste. La cinquième spécification intègre les conditions initiales, le capital humain et physique, et la croissance de la population. Le modèle global reste hautement significatif (1%). On constate que le coefficient de la variable physique et humain, baisse par rapport à son niveau dans le modèle 3. Cela est dû principalement à la corrélation (négative) existante entre la croissance de la population et la composante du capital physique et humain . A l’exception du taux d’intérêt réel dont le coefficient apparait significatif à 5% pour un modèle global peu satisfaisant, les autres variables notamment le solde du compte courant, l’inflation, l’ouverture au commerce international ou encore la gouvernance ne sont pas significatives et n’apportent aucune amélioration au modèle.
Compte tenu du fait que la variable dépendante est une valeur estimée (et donc sujette à un "bruit"), des valeurs de R2 autour de 0,6 peuvent être considérées comme relativement bonnes. D’autres variables non prises en compte dans le cadre de cet article, jouent également un rôle crucial dans le processus de la transformation structurelle. Martins (2019), montre par exemple que la dotation en ressource minière avait un effet négatif (même si faible) significatif sur le rythme de la transformation structurelle. Les distorsions sur les marchés des facteurs, peuvent également influencer sur la réallocation des ressources, impactant le processus de transformation de l’économie.
Dans la littérature sur la transformation structurelle, le seul travail traitant des déterminants de la transformation structurelle sur données de panel est le travail de Martins (2019) qui porte sur 169 pays (dont 47 en Afrique) sur la période 1991-2013. L’échantillon de l’auteur porte par contre sur deux périodes, 1991-2002 et 2002-2013. Nos résultats sont proches de ceux obtenus par l’auteur concernant l’Afrique. La dynamique démographique sur le continent n’est cependant pas prise en compte directement dans le modèle économétrique par l’auteur. Malgré cela, en comparant les estimations du modèle (R-EF5) au modèle FE-(iii) de l’auteur, les coefficients des paramètres pour la variable emploi dans l’agriculture, caractérisant la situation initiale des économies, et la variable capital humain et physique sont semblables dans les deux modèles.
Source : Martins, 2019
CONCLUSION
Le développement économique est associé à un changement structurel de l’économie, marqué par une réallocation de la main d’œuvre de secteurs à faible productivité vers des secteurs à forte productivité, moins dépendant des ressources naturelles. Ce processus est un facteur essentiel à une croissance économique de long terme.
Dans cet article, nous avons analysé dans un premier temps, à travers une décomposition de la productivité du travail, la contribution de la transformation structurelle en Afrique sur la croissance de la productivité du travail. Dans un second temps, une analyse économétrique des déterminants du processus de la transformation structurelle a été conduite. Les deux niveaux d’analyses portent sur la période 1991-2017 et un panel de 37 pays africains.
Toutes les régions à l’exception de l’Afrique centrale, ont enregistré une réallocation de la main-d’œuvre de l’agriculture vers les autres secteurs de l’économie. La part relative du secteur des services s’est nettement accrue au cours de cette période. La contribution de la transformation structurelle a représenté environ 1/3 des gains de productivité sur le continent. Elle est plus importante dans les pays sans littoral que dans les pays côtiers. Même si la dynamique intra sectorielle reste le principal moteur de la croissance de la productivité, la contribution de la transformation structurelle s’est améliorée dans la plupart des pays depuis le début des années 2000.
L’analyse des déterminants du processus de transformation structurelle en cours en Afrique, révèle un effet positif significatif du capital humain et physique, et de la croissance démographique. Le niveau initial de l’emploi agricole détermine également le rythme de la transformation structurelle, et serait en partie, à la base des écarts observés entre les pays, au niveau de la contribution de la transformation aux gains de productivité. Il apparait donc nécessaire pour une croissance durable des économies africaines, dans un contexte de désindustrialisation précoce, d’une part d’accélérer le rythme de la transformation structurelle à travers l’investissement dans l’éducation et les infrastructures, et d’autre part, accroitre le ratio capital/travail dans le secteur agricole afin de stimuler la croissance de la productivité, améliorer la compétitivité des producteurs locaux et favoriser l’émergence d’une industrie alimentaire locale capable d’absorber une partie de la main d’œuvre agricole migrante. Par ailleurs l’accélération de la transition démographique dans plusieurs pays du continent notamment d’Afrique Subsaharienne, contribuerait à la réduction de la pression de l’offre sur le marché du travail et améliorer les gains de productivité à l’échelle globale.
ANNEXE
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