Étude ethno-zoologique et formes d’utilisation de Trichechus senegalensis au Sud Bénin

Auteurs-es

  • Hermann AWO Laboratoire de Biogéographie et d’Expertise Environnementale, Département de Géographie et Aménagement du Territoire, Université d’Abomey-Calavi, Bénin
  • Sylvestre Abiola CHAFFRA Laboratoire de Recherche en Ecologie Animale et de Zoogéographie, Ecole de Foresterie Tropicale, Université Nationale d’Agriculture, Bénin
  • Francis Biaou YABI Laboratoire de Recherche en Ecologie Animale et de Zoogéographie, Ecole de Foresterie Tropicale, Université Nationale d’Agriculture, Bénin
  • Toussaint Olou LOUGBEGNON Laboratoire de Recherche en Ecologie Animale et de Zoogéographie, Ecole de Foresterie Tropicale, Université Nationale d’Agriculture, Bénin
  • Maximin DJONDO Benin Environment and Education Society (BEES), Bénin
  • Brice TENTE Laboratoire de Biogéographie et d’Expertise Environnementale, Département de Géographie et Aménagement du Territoire, Université d’Abomey-Calavi, Bénin

Résumé

Le lamantin Africain (Trichechus senegalensis) est une espèce fortement utilisée par les communautés riveraines du sud-Bénin. L’objectif de cette étude est de recenser les importances ethno-zoologiques et les formes d’usage de l’espèce. Ainsi, une enquête ethno-zoologique a été réalisée auprès de 255 personnes réparties dans 11 localités. Six (6) groupes socio-culturels ont été pris en compte. Quelques indices ethno-zoologiques comme la Valeur d’Usage de l’espèce, la Diversité d’Utilisation, l’Equitabilité d’Utilisation, la Connaissance Globale et la Fréquence d’Utilisation de l’espèce ont été calculés. Au total, 25 organes de l’espèce sont utilisés en alimentation (96,8%), médecine traditionnelle (83,0 %), les activités culturelles (29,8 %) et dans le touristique (13,8%). La diversité d’utilisation est plus élevée chez les groupes socio-culturels Fon et Mina en alimentation. En médecine traditionnelle, il est élevé chez les groupes socio-culturels Goun et Wémè. Les populations disposent d’une bonne connaissance du Trichechus senegalensis et sa fréquence d’utilisation (FU=73,7 %) est supérieur à 50 %. Les pressions anthropiques et naturelles dénotent tant des atouts que des faiblesses pour la conservation et la valorisation de l’espèce. Il est suggéré la mise en œuvre d’un plan d’action incluant les populations locales à la conservation de l’espèce qui tiendra compte de l’interdiction de la chasse, la valorisation des potentialités écotouristiques, les suivis participatifs de ses habitats et de ses effectifs ainsi que la création d’une Aire communautaire de conservation pour tous les habitats de l’espèce et pour d’autres espèces.

Mots clés: Lamantin, Trichechus senegalensis, ethno-zoologie, conservation, zones humides, écotourisme, Bénin

Téléchargements

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Introduction

Les écosystèmes des zones humides africaines représentent pour les populations riveraines, un domaine vital aux plans écologique, économique et social (Kpétéré et al., 2015). Une pression énorme s’exerce sur la faune des écosystèmes des milieux humides à travers le prélèvement abusif, notamment de la faune mammalienne aquatique qui voit sa population de jours en jours régresser (Laudisoit et al., 2017). Le lamantin Africain (Trichechus senegalensis), un mammifère aquatique subit une pression liée à son prélèvement par les populations locales (Link, 1795; UICN, 2001). Leur disparition s’est accentuée ces dernières décennies avec la croissance démographique et les besoins en produits alimentaires dont la viande de brousse (Daniel, 1992). Pour Ndour (2010), Trichechus senegalensis de l’ordre de Sirenia est endémique à l’Ouest et au Centre Ouest de l’Afrique occidentale. Par contre, Mayaka et al. (2015) notent que l’espèce est répartie dans l’Afrique de l’Ouest à partir de la Mauritanie jusqu’en Angola en Afrique centrale. Ainsi, l’espèce est présente dans 22 pays d’Afrique, au niveau du fleuve Niger, du lac de Debo au Mali, des lacs de Léré et de Tréné au Tchad (Diagne, 2015). Au Bénin, l’espèce est retrouvée dans les principaux cours d’eau et lacs du réseau des zones humides du sud-Bénin (fleuve Ouémé, lagune de Porto-Novo, rivière Sô, lac Nokoué, fleuve Couffo, lac Ahémé, lagune côtière, lac Toho, fleuve Mono, rivière Sazoué et la lagune de Grand-Popo) (Dossou-Bodjrènou et al., 2011). Elle est également présente à Karimama dans la partie nord-est du Bénin et dans le fleuve Niger et ses affluents (Dossou-Bodjrènou et al., 2011).

Le lamantin est un mammifère aquatique herbivore des zones tropicales ou subtropicales (Marsh et al, 2012; Mayaka et al, 2015). Selon l’UICN, le lamantin d’Afrique est menacé de disparition et est classé comme «Vulnérable» sur la liste rouge des espèces menacées, après le constat d’une réduction de près de 20 % de sa population sur une durée de dix ans (Perrin, 2001). C’est ainsi qu’il est classé en Annexe I de la CITES (Convention International sur le Commerce des Espèces de Faune et de Flore menacées) en 2013 (Mayaka et al., 2013; Laudisoit et al., 2017). Cependant, l’espèce continue d’être chassée illégalement pour sa viande, sa peau, son huile, ses os et ses parties génitales qui sont utilisées dans la médecine traditionnelle, contre les poisons et pour des vertus aphrodisiaques (Mayaka et al., 2015). Les espèces de Trichechidae sont menacées. Ces menaces peuvent être classées en trois catégories: la pression de chasse sur l’espèce pour divers usages (alimentaire, médicinal, médico-magique etc.), la destruction de son habitat et les pollutions chimiques dans les zones humides (Powell et Kouadio, 2010; Marsh et al., 2011; Miksis-Olds et al., 2011; Mayaka et al., 2015). Généralement en Afrique de l’Ouest, l’espèce est également capturée pour sa viande, sa peau, ses os ou son huile (Silva & Araújo 2001; Dodman et al., 2008; Diagne 2015). Le lamantin d’Afrique a une importance socioculturelle puisqu’ayant des vertus tant nutritives que thérapeutiques (Ndour, 2010).

Au Bénin, l’espèce est beaucoup appréciée dans l’alimentation des populations riveraines des zones humides (Padonou, 2017). Les connaissances existantes sur ce mammifère sont le plus souvent empiriques. Les quelques études conduites sur l’espèce se sont focalisées sur les sites de présence, les aires de répartition, les facteurs qui influencent la distribution et rarement sur les habitats de préférences de l’espèce. Elles n’abordent point le volet ethnozoologie qui constitue un pilier aussi très important à prendre en compte pour la conservation de cette espèce (Dossou-Bodjrènou et al., 2011; Padonou, 2017). Cette espèce occupe une place de choix dans la culture et la mythologie de la plupart des populations qui la connaissent.

Vu les différentes menaces qui pèsent sur l’espèce, les connaissances endogènes sur son mode de vie et ses valeurs culturelles et mythiques pourraient apporter des solutions pour sa préservation.

Matériel et méthodes

Situation géographique de la zone d’étude

Elle s’étend de la côte de l’Océan Atlantique jusqu’à la latitude de Zangnanando (Figure 1). Le climat qui y règne est de type subéquatorial (Adam & Boko, 1993). La température moyenne annuelle est de 27,5 °C et on distingue deux saisons pluvieuses et deux saisons sèches intercalées (Houndagba, 1984). Les moyennes pluviométriques annuelles sont de 1500 mm. Ces caractéristiques climatiques du sud Bénin sont favorables à la présence et à la reproduction de l’espèce.

Collecte des données

L’évaluation des connaissances ethno-zoologiques de Trichechus senegalensis a démarré par une enquête exploratoire. Ainsi, 50 personnes sont choisies de façon aléatoire, tout groupe socio-professionel (agriculteurs, pêcheurs, guérisseurs, chasseurs, agents touristiques etc.) confondu (Fandohan et al., 2017). Il est demandé à chaque enquêté de choisi s’il connaît l’espèce par présentation d’une photo de cette dernière pour faciliter la reconnaissance. Ceci a permis de connaître la proportion de personnes ayant connaissance de l’espèce afin de déterminer le nombre d’enquêté (n) en utilisant la formule de Dagnelie (1998):

Avec: n, la taille de l’échantillon par village sélectionné et p, proportion d’enquêté ayant connaissance sur l’utilisation du lamantin ; U1−α/2, la valeur standardisée à une probabilité p égale 1−α/2, pour une probabilité de 0,95 (avec α = 0,05, U1−α/2 ≈1,64); d est la marge d’erreur des paramètres mesurés et une erreur standard de 10% est considérée pour cette recherche. Un effectif total de 255 enquêtés a été obtenu.

Les enquêtes se sont déroulées dans 11 localités du sud Bénin (Aguégués, Sèmè-Podji, Porto-Novo, Houéyogbé, Ouinhi, Kpomassè, Sagon, Zoungamè, Grand-Popo, Guézin et So - Ava). Les ethnies majoritairement rencontrées sont les Fon, les Mina, le Yoruba, le Goun, le Mahi, le Ouèmè.

Face aux données qualitatives ou descriptives, plusieurs techniques sont exploitées:

• L’entretien structuré et semi-structuré sont effectués à travers un questionnaire adressé à chaque interviewé de la zone de répartition actuelle que passée du Lamantin d’Afrique;

• Le focus group réalisé suivant les classes d’âge et les sexes a permis de collecter les perceptions des populations de façon groupée afin de vérifier les données collectées individuellement sur le terrain auprès des populations;

• L’observation directe participante est une technique qui complète les autres techniques mises en œuvre au cours de cette activité. Elle consiste à procéder à la vérification des informations recueillies par le questionnaire lors des entretiens structurés et semi-structurés;

• La méthode «boule de neige» (Combessie, 2007) est utilisée pour le choix des tradi-praticiens ainsi que les pêcheurs professionnels. Cette technique utilisée conjointement avec un échantillonnage bien raisonné a consisté à demander aux personnes ayant déjà participé au sondage d’identifier d’autres participants possibles. Cette technique est utile pour identifier les personnes qui détiennent de bonnes connaissances sur les utilités, les usages ainsi que la distribution des Lamantins d’Afrique (Trichechus senegalensis) dans les zones humides du sud Bénin.

Traitement des données

Après dépouillement des fiches de l’enquête ethno-zoologique, une base de données dans Excel a été élaborée. La valeur d’usage des organes et d’autres indices sont calculées pour chaque catégorie d’usage par l’équation suivante, définie par Lykke (2004):

Valeur d’usage:

• VU: est la valeur d’usage de l’espèce pour une catégorie donnée;

• N: est le nombre de répondants pour une catégorie d’usage;

• Si: est le score d’utilisation attribuée par les répondants;

L’intérêt de la valeur d’usage est qu’elle permet de déterminer de façon significative l’organe ayant une grande valeur d’utilisation. Le tableur Excel est utilisé pour calculer les scores moyens.

Après avoir calculé la valeur d’usage, les paramètres suivants sont utilisés pour déterminer les distributions de connaissance et l’utilisation du lamantin d’Afrique au sein des personnes interviewées.

Indice de Diversité d’Utilisation (UD)

L’indice de diversité d’utilisations (UD) de Byg et Baslev (2001) est le rapport du nombre d’usages rapporté par catégorie (alimentaire, médicinale, etc.) (Ucx) par le nombre total pour toutes les catégories d’utilisations (Uct). Cette valeur est obtenue par l’équation suivante:

Cet indice mesure l’importance des catégories d’utilisation et indique comment celles-ci contribuent à la valeur d’utilisation locale. Elle est basse si la partie a un nombre restreint de catégories d’utilisation et élevé lorsque l’utilisation de la partie est beaucoup plus diversifiée. Ce nombre est compris entre 0 et le nombre n de catégories d’utilisation de la partie.

Indice d’Équitabilité d’Utilisation (UE)

La valeur de l’équitabilité d’utilisations (UE) de Byg et Baslev (2001) est la valeur de la diversité d’utilisations (UD) divisée par la valeur de la diversité maximale (UD max). Ce nombre est obtenu par l’équation suivante:

Cet indice mesure le degré d’homogénéité de connaissance liée à l’utilisation des organes de Trichechus senegalensis comparée aux catégories d’utilisation. L’indice d’équitabilité d’utilisation est compris entre 0 et 1. Si EU < 0,5, le degré de connaissance des prélèvements examinés comparé aux catégories d’utilisation de la partie n’est pas homogène, mais si UE ≥ 0,5, il est homogène.

Pour le calcul de la valeur d’utilisation, les données sont arrangées par catégorie d’utilisation. La valeur globale d’utilisation ethno-zoologique (EUVk) des différents organes du lamantin d’Afrique de chaque catégorie d’utilisation a été calculée au moyen de l’équation de Byg et Baslev (2001).

Indice de Connaissance Globale (ICG)

Dans le but d’évaluer la connaissance de l’espèce par les populations afin d’apporter les mesures idoines pour sa protection et la réalisation du schéma directeur d’aménagement des habitats, il est calculé l’indice de connaissance global (ICG) pour lamantin d’Afrique (Assogbadjo et al., 2011; Lougbegnon, 2013) par les populations riveraines.

Vm représente la valeur d’usage moyenne des utilisateurs et N le nombre total d’utilisation. Les degrés de connaissance varient suivant les valeurs d’ICG. Ainsi quand: ICG < 10 %=degré de connaissance médiocre; 10 ≤ ICG < 20 % = degré de connaissance assez bonne; 20 ≤ ICG < 30 % = degré de connaissance moyen; 30 ≤ ICG < 40 % = bon degré de connaissance; 40 ≤ ICG ≤ 50 % = très bon degré de connaissance.

Fréquence d’utilisation (FU)

Dès lors, pour évaluer l’importance du lamantin d’Afrique pour les populations enquêtées, il a été calculé la fréquence d’utilisation (FU) (Assogbadjo et al., 2011) suivant la formule ci-après:

Rv (>50 ans), Rah (25-50 ans) et Raf (< 25 ans) sont respectivement le nombre de vieux, adulte et jeune utilisant des propriétés de l’espèce; Ne représente quant à lui le nombre total de personnes interviewé. Une propriété est jugée crédible si FU est supérieure à 50 %.

Résultats

Fréquence de citation des catégories d’usage

La figure 2 présente les fréquences de citation des usages du Lamantin d’Afrique au sein des personnes interviewées au sud Bénin.

Il ressort que les populations utilisent Trichechus senegalensis plus dans l’alimentation et la pharmacopée avec respectivement 96,8 % et 83,0 % de citations. Les usages touristiques (13,8 %) et commerciaux (29,8 %) sont moins représentés. Néanmoins, ces usages sont aussi bien représentés au sein de certaines ethnies enquêtées. Les communautés du sud Bénin disposent d’une bonne diversité d’utilisation ou d’exploitation des populations du Trichechus senegalensis.

Valeur d’usage

La valeur d’usage des organes de Trichechus senegalensis dans l’alimentation, la pharmacopée sont représentés par la figure 3.

Au total, 25 organes du Trichechus senegalensis sont utilisés dans la pharmacopée et dans l’alimentation des communautés du sud Bénin. La chair, le cœur, le foie, la poitrine, la queue et la peau sont utilisés dans l’alimentation tandis que 12 différents organes sont très sollicités dans la pharmacopée (Cœur, crottes, dents, gonades, langue, os, peau, poitrine, queue, salive, sexe et yeux). Parmi ces organes, la chair est plus utilisée dans l’alimentation (0,74) et l’os et la salive sont plus utilisés dans la pharmacopée (0,41) chacun et les gonades, les crottes, les dents, la langue, la peau, les poils, la queue, le sexe et les yeux toujours pour la pharmacopée (0,39) chacun. Pour ces deux catégories, le cœur, la chair, la queue, la peau et la langue sont les organes les plus sollicités.

Indice de diversité et équitabilité

Les indices de diversité et d’équitabilité des catégories d’usages sont calculés pour apprécier l’utilisation de Trichechus senegalensis par les ethnies au sud du Bénin. Le tableau I présente, les indices de diversité et d’équitabilité des catégories d’usages du Trichechus senegalensis par les ethnies au Sud du Bénin.

D’après l’indice de diversité (Tableau 1), les catégories alimentaires et pharmacopée sont les plus citées. La diversité est plus prononcée chez les Fon et les Mina avec une très bonne répartition pour les quatre catégories d’usages. Pour la pharmacopée, l’indice de diversité est très élevé chez les Goun et Wémè, respectivement 0,43 et 0,41. Cela témoigne de l’importance que ces deux ethnies (apparentées) accordent à l’espèce du Lamantin d’Afrique pour la médecine traditionnelle. Pour le tourisme, seuls les Mina, les Wémè et les Fon accordent une importance touristique pour les espèces de Lamantin d’Afrique avec un indice de diversité généralement faible (0,26 pour les Mina et Wémè et 0,05 pour les Fon). L’indice d’équitabilité indique une homogénéité de connaissances au niveau des différentes catégories. En effet, l’indice d’équitabilité indique un très bon degré de connaissance au niveau de la pharmacopée (UE>0,85). Cela témoigne d’une bonne homogénéité de connaissances dans la pharmacopée au niveau de toutes les ethnies enquêtées. Pour l’alimentation, le degré d’homogénéité est bon pour l’ensemble des ethnies (UE>0,50). Il faut noter une forte homogénéité de connaissances chez les Wémè (UE=0,99) et Goun (UE=0,86), respectivement pour le tourisme et le commerce.

Indice de Connaissance Globale (ICG)

L’indice de connaissance global (ICG) du Lamantin d’Afrique indique un bon degré de connaissance des populations pour les usages alimentaires et pharmacopée (ICG =32,4% pour l’alimentaire, ICG =36,9 % supérieur à 30 %), un degré de connaissance assez bon pour l’usage commercial (ICG = 10,2 % supérieur 10 %) et très médiocre pour l’usage touristique (ICG=6,12 supérieurs à 10 %). Dans l’ensemble, les populations disposent d’une bonne connaissance du Lamantin d’Afrique. Il faut intervenir dans la valorisation touristique du Lamantin afin de développer des activités génératrices de revenus et réduire les différentes formes de pressions sur le prélèvement de l’espèce.

Fréquence d’utilisation (FU)

La fréquence d’utilisation de Trichechus senegalensis FU=73,7 est supérieur à 50 %, cela témoigne la crédibilité de cette propriété et indique que les populations du sud Bénin utilisent fortement les populations de lamantin d’Afrique pour différents usages (alimentaire, pharmacopée, commercial et touristique). Il urge d’intervenir pour améliorer la conservation in-situ des populations du lamantin d’Afrique dans le sud Bénin.

Discussion

Les populations locales riveraines des zones humides du sud Bénin exercent une pression énorme sur Trichechus senegalensis. Il ressort des résultats de cette recherche que les populations utilisent le Lamantin d’Afrique sous quatre formes à savoir l’alimentation, la pharmacopée, le tourisme de vision et la commercialisation de sa viande et de ses organes. La fréquence de citation obtenue pour la catégorie alimentaire est de 96,8% suivie de la pharmacopée avec 83,0 % de la proportion des personnes enquêtées autour des zones humides du sud Bénin. La catégorie touristique est de 13,8% contre 29,8% pour la catégorie commerciale. Il apparaît clairement à la lumière de ces résultats que la catégorie alimentaire est plus citée par les populations, suivie de la pharmacopée, du commerce et de la catégorie touristique. A cet effet, les populations locales autour des zones humides du Sud Bénin disposent d’une très bonne diversité d’utilisation ou d’exploitation de Trichechus senegalensis. Il faut reconnaître que ces populations utilisent plusieurs parties du corps de l’espèce en lien avec les différentes catégories d’utilisations précitées. Ainsi 25 organes de Trichechus senegalensis sont utilisés dans la pharmacopée africaine et dans l’alimentation des populations locales peuplant les périphéries des zones humides au sud du Bénin. Les organes comme la chaire, le cœur, le foie, la poitrine et la peau sont utilisés dans l’alimentation tandis que douze sont très utilisés dans la pharmacopée. De tous ces organes, seule la chaire est beaucoup plus utilisée dans l’alimentation avec une valeur d’usage associée de 0,74 suivie de la salive et des os dans la pharmacopée africaine avec une valeur d’usage correspondante à 0,41. La diversité des connaissances sur Trichechus senegalensis, la variété de l’utilisation connue de ses organes et sous-produits montre en partie les menaces qui pèsent sur la survie de l’espèce au sud du Bénin. L’originalité de cette recherche réside dans le fait qu’elle est arrivée à utiliser l’ethno-zoologie quantitative pour apprécier les connaissances que les populations ont sur l’espèce étudiée. De même, elle a hiérarchisé l’usage des différentes parties de Trichechus senegalensis dans les catégories d’utilisations. Plusieurs recherches ont portée sur l’utilisation de Trichechus senegalensis par les populations locales. La recherche de Balingua et Dyc (2018) sur l’aperçu de la récolte illégale d’espèces aquatiques en danger, menacées ou protégées en Afrique de l’ouest a étudié la méthode de capture de l’espèce par les populations locales à des fins alimentaires et commerciaux. Mais ne sont pas arrivées à quantifier le degré d’utilisation de l’espèce par les populations tant sur le plan alimentaire que commercial comme dans de cette recherche. Par contre, Mayaka et al. (2013) dans leurs recherches dans le bassin inférieur de la Sanaga au Cameroun, ont étudié le statut de conservation de Trichechus senegalensis en se basant sur son évaluation ethno-biologique au sein des populations locales. Les recherches de Sa et al. (2008) dans les zones humides en Guinée-Bissau ont montré que les carcasses de lamantin sont utilisées pour la nourriture et pour d’autres usages. Mais dans cette région, la chasse au lamantin est estimée en déclin. Ce qui montre la régression drastique des populations de cette espèce dans la sous-région et au monde. Les résultats issus de la recherche de Jallow et al (2008) dans les zones humides de la Gambie ont prouvé que les lamantins sont largement et illégalement chassés par les pêcheurs pour la nourriture et la médecine traditionnelle. Ce qui est en lien avec les résultats de cette recherche. De même, en Guinée équatoriale, Richard et al. (2008) sont arrivés à démontrer que certaines ethnies chassent le lamantin et la viande est typiquement consommée dans la famille du chasseur ou partagée entre les pêcheurs et les chasseurs du village. L’huile et les os sont utilisés à des fins médicales. Ces différents résultats montrent que les populations locales autour des zones humides en Afrique ont pratiquement les mêmes connaissances sur l’utilisation de l’espèce. Cet état de choses montre clairement la pression sur l’espèce dans une échelle plus ou moins large. Au Ghana, les lamantins ont des valeurs différentes entre les communautés, certaines les chassent pour la nourriture (Amlalo, 2008), tandis que d’autres les tuent pour qu’ils servent d’appât (Ofori-Danson et al., 2008). Par contre au Togo, les lamantins sont chassés illégalement pour leur viande qui est vendue et consommée localement et utilisée dans la médecine et les cérémonies traditionnelles (Segniagbeto et al., 2008). Des recherches menées sur l’espèce au Bénin, ont trouvé qu’il existe peu de preuves d’une chasse organisée aux lamantins bien que le fait de tuer un lamantin reste un événement important dans la vie d’un pêcheur (Rihanath Olga and Tchibozo, 2008) et les lamantins sont utilisés pour la nourriture, la médecine et les cérémonies traditionnelles (Tchibozo, 2002; Dossou-Bodjrènou et al., 2004). L’ensemble de ces recherches ont montré d’une manière qualitative l’utilisation de Trichechus senegalensis par les populations sur le plan alimentaire, médicinal et magico-religieux. La recherche de Agelici et al. (2001) a révélé que la chasse aux lamantins était intensive et continue aujourd’hui à une échelle inférieure pour des fins de consommation et de médecine malgré une forte baisse de la population des lamantins (Oboto, 2002; Fa et al., 2006).

Conclusion

La présente étude sur les connaissances et les formes d’utilisation de Trichechus senegalensis au sud du Bénin a montré l’importance de l’espèce au sein des populations riveraines des zones humides. L’entretien auprès des populations autour des cours et plan d’eau a permis d’évaluer les formes d’utilisations de Trichechus senegalensis. Les résultats traduisent la perception des populations sur l’espèce et ces dernières estiment en effet que Trichechus senegalensis est une espèce mythique. L’espèce est en nette régression, d’où l’importance d’une recherche sur la distribution passée et actuelle de l’espèce, gage d’une bonne base scientifique sur la conservation de l’espèce et de son habitat. La diversité des connaissances sur le lamantin d’Afrique, l’utilisation variée de ses organes et produits dénotent tant des atouts (espèce sacrée et protégée) que des faiblesses (existence d’une chasse rituelle contrôlée et réservée à certaines familles) pour la conservation et valorisation de l’espèce. La dégradation des habitats et le déclin des populations résultent essentiellement des pressions anthropiques (e.g. la réduction de leur habitat, le braconnage, l’eutrophisation, la colonisation des franges d’eau libre par les plantes envahissantes, l’empoisonnement des eaux). Face à pression anthropiques et à la dégradation de l’habitat, il est préconisé aux acteurs de la conservation des ressources naturelles, la mise en œuvre d’un plan cohérent qui valorise la conservation de la biodiversité dans la région avec le lamantin comme espèce parapluie. Ce plan, arrimé aux documents (stratégies et plans d’actions) nationaux de conservation de la biodiversité, pourra prendre en compte, outre l’interdiction de la chasse, la valorisation des potentialités écotouristiques de cette région à partir des connaissances ethno-zoologiques, les suivis participatifs des habitats et des effectifs et la création d’une aire de conservation pour tous les habitats du Trichechus senegalensis et d’autres espèces d’importance pour la biodiversité au Sud du Bénin.

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Publié-e

18-06-2020

Numéro

Rubrique

Ressources Naturelles et Foresterie