Reverdissement du Centre-Sud du Niger: Deux décennies de données de télédétection et de terrain
Résumé
Depuis plus de quatre décennies, les pays de l’Afrique de l’Ouest sont confrontés à une forte dégradation du potentiel productif de leurs systèmes agro-sylvo-pastoraux, sous les effets conjugués du changement climatique et des pressions anthropiques. Mais, au cours de ces trois dernières décennies la tendance à la dégradation des terres est contrée par un processus de «reverdissement» ou «re-végétalisation» qui a eu lieu grâce à la pratique de la régénération naturelle assistée (RNA). Cette étude vise à mettre en évidence à petite échelle le reverdissement dans Centre-Sud du Niger en confrontant les données de terrains à celles des images satellitales de deux (2) villages pionniers (Dan saga et El Guiéza) de la pratique de la RNA dans la région de Maradi. Pour cela, trois images Landsat de 1999, 2008 et 2018 ont été exploitées. Une matrice de transition a été établie pour analyser les changements de couverture terrestre. L’Indice Standardisé des Précipitations (SPI) de 1996 à 2018 a été utilisé pour mettre en évidence les tendances climatiques. Des relevés de mesures dendrométrique d’étude antérieures et actuelle ont été utilisé pour évaluer la densité des arbres et arbustes et la dynamique de la végétation. Les résultats de l'imagerie satellite montrent un modèle géographiquement cohérent de l'augmentation de la productivité de la végétation, caractérisée par une augmentation de la différence de l’indice de végétation normalisée traduisant ainsi, une tendance au reverdissement. Les résultats montrent régression des zones peu reverdis (NDVI<0 et 0-0,14) dans tous les sites d’études entre 1999 et 2018. A l’opposé les zones reverdis (NDVI >0,14) augmentent en superficie. Pendant, cette période, les précipitations ont eu une forte tendance à l'aridité, avec 11 ans de sécheresse contre 9 ans d’humidité. Cela montre la persistance du déficit pluviométrique. Les caractéristiques des peuplements ligneux révèlent une tendance à la reconstitution des ressources végétales. En témoigne la forte proportion d’individus relativement jeune et la dynamique de la végétation de plus de 70%. Les résultats de cette étude confirment le reverdissement de la bande sud du Niger.
Mots clés: régénération naturelle assistée (RNA), indice de végétation normalisée (NDVI), l'Indice Standardisé des Précipitations (SPI), reverdissement, changement climatique, Niger
INTRODUCTION
Le Sahel a connu deux grâves sécheresses en 1972-73 et en 1983-84 qui ont provoqué un déséquilibre écologique (Le Barbé et Lebel, 1997; Lebel et Ali, 2009; Nicholson, 2013). Cependant, après ces années sécheresses le Sahel connaît un reverdissement (Seaquist et al., 2009; Bégué et al., 2011). En effet, l'imagerie satellite montre un modèle géographiquement cohérente de l'augmentation de la productivité de la végétation, caractérisé par une augmentation de la différence normalisée de l’indice de végétation (NDVI) saisonnier, depuis le début des années 1980. Plusieurs études ont montré que les changements dans la gestion des terres, les pratiques culturales ont été à la base de ce reverdissement observé (Reij et Kaboré, 2004; Reij et al., 2005; Reij et al., 2009).
Au Niger, la pratique de la régénération naturelle assistée (RNA) est généralement considérée comme le pilier du reverdissement (Rinaudo, 2007; Tougiani et al., 2009; Baggnian, 2014). Elle a permis une augmentation de la population d'arbres sur environ cinq millions d’hectares entre 1983 à 2005 dans la bande sud du Niger principalement dans les régions de Maradi et de Zinder (Larwanou et al., 2006; Sendzimir et al., 2011). Ainsi, grâce à cette mise en valeur des connaissances locales et de savoir-faire des populations rurales, en vingt ans plus de 200 millions d'arbres se sont régénérés soit une mise à jours de 500 000 ha/an de terres cultivables assurant ainsi, la sécurité alimentaire à plus de trois millions de paysans (Reij et al., 2009). Pour comprendre les interactions entre l'environnement en mutation et le développement humain en particulier Seaquist et al., 2006 et 2009 ont recommandé la nécessité de mener des études à petite échelle.
Dans l’optique de mettre en place et des mécanismes durables de gestion de ces agroécosystèmes reverdis, il s’avère nécessaire de disposer de données sur le processus de changement de l’occupation des terres et de la végétation. Si la disponibilité des données scientifiques est une étape première pour soutenir et guider les méthodes de gestion des ressources naturelles, il est aussi important de proposer ces données sous forme d’outils qui puissent être utilisés par un grand nombre d’acteurs (Ouédraogo, 2009). L’étude sur les tendances du NDVI et la dynamique de l’occupation de la végétation permet ainsi d’établir l’état de référence et l’état actuel d’une zone d’étude. Cette étude a pour objectif de mener à petite échelle une étude dans deux terroirs villageois du Centre-Sud du Niger à fin d’apprécier les changements de la différence de l’indice de végétation normalisée à partir d’une approche diachronique basée sur le SIG. Mais aussi, confronter ces données avec ceux collectées sur le terrain, afin de mettre évidence, le reverdissement constater au sahel depuis 1983 (Hermann, et al., 2005; Olsson et al., 2005).
MATERIEL ET METHODES
Localisation des sites d’études
L’étude s’est déroulée dans cinq (2) terroirs villageois du Centre-Sud du Niger dans la région de Maradi. Il s’agit de Dan Saga situé à environ 20 km au Nord de la ville d’Aguié, à 13°41’43’’ de latitude Nord et 7°44’12’’ de longitude Est. El Guiéza situé à 17 km au Sud d’Aguié dans le département de Gazaoua entre 13°25’58’’ de latitude Nord et 07°54’47’’ de (Figure 1). Ces villages ont été choisis à cause de leur longue histoire dans la pratique de la RNA à la base de leurs potentialités en ressources ligneuses (Dramé et Berti, 2008; Botoni et Reij, 2009).
Figure 1: Région d’étude
Choix du satellite Landsat pour l’étude de la dynamique de la végétation
Les données satellitales, recommandées pour l’étude du NDVI, doivent fournir une qualité spatiale suffisante capable d’identifier le couvert végétal. Les valeurs brutes du NDVI sont obtenues à partir des mailles des coordonnées GPS de deux sites. La tendance NDVI est représentée dans une gamme de couleurs allant de l’orange au vert dans 3 classes (<0; 0-0,14 et > 0,14). Les pixels orange et gris indiquent des valeurs négatives de NDVI (peu de changement ou réduction de la végétation) et les pixels verts indiquent les valeurs positives de NDVI (augmentation de la végétation au cours d’une période). Aussi, les valeurs théoriques extrêmes du NDVI sont comprises entre -1 (pas de végétation) et 1 (végétation dense). Ainsi, des images Landsat, télécharger sur le site de la United States Geological Survey (www.earthexplorer.usgs.gov/) ont été utilisé. Données pluviométriques de du département d’Aguié de la période 1996-2018 ont été obtenu de la Direction Nationale de Météorologie du Niger.
Analyses de données
Les densités des arbres adulte et arbuste ont été estimé sur la base des études antérieures (Adam et al., 2006 et Baggnian et al., 2013). Le calcul du taux de régénération (TRG) est effectué d'après l’équation (1) (Mahamane et Saadou, 2008) :
Taux de régénération global (TRG)
Nombre d'individus régénérés < 5 cm
TRG (%) = ------------------------------------------------------- x 100 (1)
Nombre d'individus total de plants
Le taux de mortalité (M) : c’est le dénombrement des pieds et des souches d’arbre et arbustes morts (obtenus dans chaque placette) par site exprimé en pourcentage de l’effectif total des plants équation (2).
Taux de mortalité global (TMG)
Nombre total pieds morts
TMG (%) = ------------------------------------------------------- x 100 (2)
Nombre d'individus total des plants
Le taux de dynamique (TD) total du peuplement ligneux: la dynamique est considérée comme la différence entre le taux de régénération et la proportion de mortalité de jeunes plants. Elle s’exprime suivant l’équation (3) :
T D (%) = TRG – TMG (3)
D T= taux de dynamique total; TR = taux de régénération global; TM = taux de mortalité global.
Analyse de la dynamique du couvert végétal
La superficie des classes de NDVI pour chaque année a été calculée à l'aide du logiciel Arc GIS 10.2. Le calcul des changements de superficie a été effectuée pendant trois périodes (1999-2008; 2008-2018 et 1999-2018) en utilisant une matrice de transition de deux dates (t0 et t1) superposées. La sortie est une matrice carrée condensée décrivant les changements du NDVI pendant la période considérée (Bamba et al., 2008). Le taux de changement annuel moyen pour chaque classe était obtenu en utilisant l'équation 4 (Puyravaud, 2003).
r = (100/t2-t1) x ln A2/A1 (4)
Où r représente le taux de variation annuel pour la classe i; A1 est la surface de la ième classe et au temps t1 et A2 est la surface de classe i au temps t2.
Calcul de l’Indice Standardisé des Précipitations
La quantité et la répartition spatio-temporelle des précipitations contrôle la croissance des plantes et doivent être pris en compte dans une analyse de la dynamique de la végétation. L'Indice Standardisé des Précipitations, ou en anglais Standardized Precipitation Index (SPI) créé par MCKEE et al. (1993) a été utilisé pour identifier les années de sècheresse et les reliées à la dynamique de la végétation observée (Bergaoui et Alouini, 2001). SPI a été calculé à l'aide de l'équation 5:
SPI=(Xi-Xm)/Si (5)
où Xi est le cumul de la pluie pour une année i; Xm et Si, sont respectivement la moyenne et l'écart type des pluies annuelles observées pour une série donnée.
Les valeurs d'index indiquent des détails sur l'humidité ou la sécheresse environnementale (Tableau 1).
Tableau 1: Classification de la sècheresse en rapport avec la valeur de l'Indice Standardisé des Précipitations (SPI).
RESULTATS
Tendance de l’évolution du peuplement ligneux
Évolution de la densité des ligneux
L’évolution de la densité du peuplement ligneux en général et celle des arbustes en particulier dans son ensemble est évolutive entre 2005 et 2018 (Figure 2). En effet, la densité des juvénile a triplé en moins de deux décennie.
Figure 2: Tendance du peuplement ligneux juvénile et adulte de 2005-2018
Dynamique du peuplement ligneux juvénile
La dynamique de la végétation ligneuse est positive dans l’ensemble des sites avec un taux de plus de 70% (Tableau 2).
Tableau 2: Dynamique du peuplement ligneux juvénile dans les sites d’étude
Dynamique de l'utilisation et de l'occupation des sols par le couvert végétal de 1999 à 2018
Le taux de changement de la superficie occupé par la couverture végétale (Figure 3 et 4), (Tableau 3) montre une diminution de 2862 et 2276 ha respectivement à Dan Sage te El Guiéza durant la période de 1999 à 2018, représentant une perte de 6 % dans les zones peu reverdis des deux terroirs (NDVI<0 et 0-0,14). Par contre durant la même période dans les zones reverdis des deux terroirs villageoise (NDVI >0,14) il est observé une augmentation de 5 724 et 4 553 ha de la superficie occupé par la couverture végétale (Figure 3 et 4) (Tableau 3), soit un gain de 12 et 4 % respectivement à Dan Saga et El Guiéza.
Figure 3: Carte d'occupation des terres par le couvert végétal de 1999 à 2018 dans le terroir de Dan Saga
Figure 4: Carte d'occupation des terres par le couvert végétal de 1999 à 2018 dans le terroir de El Guiéza
Tableau 3: Dynamique de l'utilisation des terres par la couverture végétale
Effet du climat
L'Indice Standardisé des Précipitations (SPI) calculer à partir d'une série chronologique des précipitations sur 23 ans montre que le département d’Aguié a connu 1 ans de forte sécheresse, 2 ans de sécheresse modéré, 10 ans de sècheresse extrême, 2 ans humidité modérée et 6 ans humidité extrême. Dans l'ensemble, les années de sécheresse (13) ont été plus fréquentes que les années humides (Figure 5).
Figure 5: Courbe de variation de l'Indice Standardisé des Précipitations (SPI).
Discussion
La tendance évolutive du NDVI observée dans les zones reverdis des deux terroirs villageoise (NDVI >0,14) durant la période 1999-2018 renforce l'hypothèse du reverdissement du Centre sud du Niger. Ces résultats sont conformes aux observation de plusieurs auteurs (Eklundh et Olsson, 2003; Anyamba et Tucker, 2005; Herrmann et al., 2005; Hickler et al., 2005; Olsson et al., 2005; Heumann et al., 2007; Fensholt et al., 2009; Herrmann et Tappan, 2013; Dardel et al., 2014) qui affirment que le reverdissement du Sahel a commencé depuis les années 1980. Aussi, la dynamique positive de l’évolution du couvert végétal (+70%) marqué non seulement par une augmentation de la densité des arbres adulte, mais aussi, par une forte dominance des arbustes, s’explique par la pratique de la RNA. Ainsi, cette tendance montre la résilience de ces écosystèmes agricole jadis dégradés. L’inventaire fait ressortir une dominance des arbustes par rapport aux grands arbres. Cet état de fait peut s’expliquer par l’intensification de la pratique de la Regeneration Naturelle Assistée dans la zone d’étude. En effet, dans cette, Baggnian et al., 2013 ont également noté une diminution des grands et une forte augmentation la densité d'arbustes. Certains facteurs de pression anthropique comme la création des marchés de bois, l’insécurité alimentaire, le vol de bois, les coupes frauduleuses, les tradipraticiens, les éleveurs locaux, les transhumants, les cordonniers, le manque de leadership de certains chefs de village, les bûcherons et la vente d’arbre vivant étaient à la base de cet état de fait (Baggnian et al., 2012 et 2013). La même observation a été faite par Herrmann et Tappan (2013) qui conclut à un déclin de la population des grands arbres, une forte augmentation la densité d’arbustes, et une baisse de la diversité des espèces interprétées comme un changement vers plus d'espèces arides tolérante dans le Centre du Sénégal. Une autre étude basée sur des photographies aériennes, images Ikonos et des mesures sur le terrain au Sénégal et en Mauritanie conclu à une baisse générale de la densité des arbres et de la diversité dans l'ouest du Sahel (Gonzalez et al., 2012). Cette tendance à la baisse peut être liée au changement climatique, caractérisé par des déficits des précipitations.
Cette tendance caractérisé par un retour de la végétation est comparable aux observations de Herrmann et al., (2005) qui qualifient ce type de situation de "retour des conditions de pré-sécheresse ou une transition vers un nouvel état d'équilibre" est appelé reverdissement. Des tendances similaires ont été trouvées dans l’Ouest et le Centre sud du Niger, le Centre et l'Est du Soudan (Herrmann et Tappan, 2013; Dardel et al., 2014, Saidou et Ambouta, 2020). Par ailleurs, le fort reverdissement observé, suggère une haute résilience des agroécosystèmes après les sécheresses des années 1980. En effet, Baggnian et al., (2013) ont noté la résilience de ces agroécosystèmes malgré quelques pressions anthropiques. Dans certaines régions du Burkina Faso et du Niger le reverdissement a permis d’augmenter la capacité de résistance, par une augmentation de la couverture forestière et par des rendements plus élevés (Sendzimir et al., 2011; Mortimore, 2010; Reij et al., 2009; Tougiani et al., 2009, Baggnian et al., 2018 et 2019).
Dans le Centre-Sud, les tendances de reverdissement ne semblent pas être liées à la pluviométrie. En effet, la tendance generale est marqué par une baisse des precipitations par rapport à la moyenne. Ce résultat est conforme aux observation de Saidou et Ambouta (2020), et Hountondji et al., (2006) qui avaient constaté qu’au Burkina Faso et au Niger l’évolution des rapports de l’efficience d’utilisation des pluies par la couverture végétale est dans l’inertie dans avec une tendance au déclin. C’est dire que le facteur climatique n’explique pas à lui seul la tendance au reverdissement récent observée dans la frange sahélienne.
Conclusion
Cette étude compare les données de NDVI à celles du terrain dans le Centre-Sud du Niger. Il ressort une bonne concordance entre ces deux types de données. En effet, il a été noté une dynamique évolutive positive des valeurs du NDVI à travers les images satellitales et de la densité de la végétation sur le terrain et de population. Cependant, après plus de 20 ans d’efforts, certains villages ont pu reverdir leur terroir alors que, dans d’autres on assiste sous l’effet de la mauvaise pratique culturale à une dégradation de la fertilité chimique, physique et biologique des sols. Le corollaire est une diminution tragique de leur productivité. C’est pourquoi il s’avère nécessaire d’évaluer les déterminants du succès de la pratique de la régénération naturelle assistée plié du reverdissement au Sahel.
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