Analyse du secteur marocain des ovoproduits et perspectives d’évolution
Résumé
Une étude de la filière Marocaine des ovoproduits a été réalisée afin d’en comprendre l’organisation, le fonctionnement, la dynamique et d’identifier des leviers d’action. La démarche a consisté en l’identification des contraintes du secteur des œufs transformés. Une approche de recherche qualitative a été réalisée, des entretiens individuels dirigés et semi-dirigés ont été menés auprès des producteurs, utilisateurs et professionnels des œufs et des ovoproduits au Maroc. La filière nationale des ovoproduits est très jeune. Il existe actuellement trois unités spécialisées dans la transformation des œufs. À titre de comparaison, en 2016, l’œuf transformé représentait en France environ 37,4% de la production française d’œufs en coquilles, destinés aux industries alimentaires et à la restauration hors domicile (ITAVI, 2018). Le risque de contamination par les microorganismes, notamment par Salmonella spp., est une préoccupation majeure de la filière. Le contenu des œufs provenant d’élevages sains est en général stérile, mais il peut toutefois être contaminé par une flore diversifiée regroupant des microorganismes d’altération, et parfois pathogènes pouvant représenter un réel danger pour la santé publique. Le développement du marché des ovoproduits au Maroc requiert un travail de sensibilisation, de vulgarisation et de promotion, voire même des mesures d’accompagnement sur le plan réglementaire. Le développement de cette filière aura un impact positif, aussi bien en santé publique vétérinaire, qu’en termes d’opportunités d’emploi.
Mots clé: Œufs, Ovoproduits, Casserie, développement, filière, sécurité sanitaire
Téléchargements
INTRODUCTION
Au Maroc, la filière de l’œuf et des ovoproduits, de par le potentiel de développement qu’elle recèle, joue un rôle de taille dans le raffermissement du tissu économique national.
Durant les quatre dernières décennies, cette filière a connu un taux d’accroissement moyen d’environ 6,2%, avec une production de 6,9 milliards d’œufs en 2019 (FISA, 2020). En dépit de cet accroissement, la filière de transformation de l’œuf est restée à ce jour très peu développée.
La première «casserie» au Maroc a vu le jour en 2005, la deuxième en 2006, et la troisième en 2017. L’ovoproduit liquide pasteurisé (entier, blanc, et jaune) est le seul type d’ovoproduit fabriqué au Maroc.
En comparaison avec les pays de l’union européenne, la part des ovoproduits dans la consommation globale d’œufs a été estimée à environ 17% en 2016. En France, cette part est passée de 34,5 % en 2006 à 37,4 % en 2016. Sur la même période, elle a augmenté en Espagne (14,2 % à 16,9 %), en Allemagne (18,5 % à 21,4 %), tandis qu’elle a baissé en Italie (de 35,8 % à 34,6 %) et au Royaume-Uni (24,3 % à 22,3 %) (ITAVI, 2018).
De nombreux utilisateurs de l’œuf coquille au niveau des industries agro-alimentaires et de la restauration hors foyer en Europe ont remplacé l’œuf en coquille par les ovoproduits (Magdeleine et Dulion, 2005).
Sur le plan de la qualité sanitaire, les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) causées par les œufs et les ovoproduits sont en général à manifestation digestive, caractérisées par les symptômes d’une gastro-entérite plus au moins sévère en fonction du germe, accompagnés de douleurs abdominales, de diarrhées, de la fièvre associée le plus souvent à des nausées et parfois de vomissements. Les espèces de bactéries responsables sont Salmonella spp., E. coli, Staphylococcus aureus, Bacillus cereus et Listeria monocytogenes.
Au Maroc, entre 1995 et 2004, 1186 foyers de TIAC ont été rapportés, dont 11693 cas et 178 morts. Les agents mis en cause étaient dans 80% des bactéries, dont 43% des salmonelles, et dans 38% Staphylococcus aureus. Ces deux germes sont devenus les plus incriminés durant les dix dernières années. Les œufs et les produits dérivés représentent 7% des aliments incriminés dans les toxi-infections alimentaires (Bouzouma, 2007).
À ce jour, aucun travail ne s’est intéressé à la filière nationale des ovoproduits. La présente étude a consisté en une enquête qualitative descriptive visant à la fois les unités agréées pour la transformation de l’œuf (3 unités), ainsi que le maillon «utilisateurs de l’œuf coquille et ovoproduits». L’objectif en a été d’analyser cette filière à travers un premier diagnostic, et ce en vue d’en déterminer le potentiel, les freins de développement, et les attentes des utilisateurs.
Les données concernant la production, l’importation et l’utilisation des ovoproduits ont pu être obtenues à travers des enquêtes et des investigations auprès des fabricants, des utilisateurs et des professionnels du domaine.
Après avoir défini de façon succincte les objectifs et délimité le cadre de travail, il est opportun de définir l’approche méthodologie qui permettra d’aboutir aux résultats escomptés de cette étude.
MATÉRIELS ET MÉTHODES
Maillons de l’enquête
Notre enquête a ciblé aussi bien les unités nationales bénéficiant d’un agrément sur le plan sanitaire pour la production des ovoproduits que les établissements utilisateurs des œufs coquille et des ovoproduits. Il s’agit de:
• Trois unités agréées pour la transformation de l’œuf coquille en ovoproduits liquides pasteurisés. Ce sont les seules «casseries» existant au Maroc (deux à Casablanca et une à Kénitra).
• 184 établissements agro-alimentaires utilisateurs des œufs et des ovoproduits. Au sein de ces établissements, 70% utilisent les œufs en coquille, 27% utilisent les ovoproduits liquides pasteurisés produits au niveau national, et 3% importent les ovoproduits en poudre. Nous avons procédé à un échantillonnage aléatoire de ces établissements qui sont répartis au niveau de plusieurs villes du royaume: 45% à Casablanca, 21% à Rabat, 9% à Agadir, 8% à Meknès, 7% à El Jadida, 2% à Mohammedia, 2% à Marrakech, 2% à Kénitra et enfin 1% à Tanger, Al Hoceima, Fès, et à Nador. Par ailleurs, la répartition par type des établissements échantillon d’enquête se décline ainsi: 129 pâtisseries traditionnelles, 16 biscuiteries industrielles, 10 boulangeries et pâtisseries industrielles, 8 restaurants, 6 traiteurs, 3 glaciers artisanales, 3 charcuteries industrielles, 2 sociétés de sauces et assaisonnements, un hôtels, une société de grande distribution, un glacier industriel, et enfin une société d’hygiène corporelle (Figure 1).
Méthodologie et Outils d’enquête
Pour chaque maillon objet de notre enquête, nous avons élaboré un questionnaire (fiche d’enquête) destiné la collecte de l’information. Il s’agit d’un instrument flexible du fait de la variété de questions pouvant être posées. Les fiches ont été conçues de façon à apporter des informations bien déterminées. Les questions ont été formulées de manière à éviter toute ambiguïté et à garantir la fiabilité des données à recueillir.
Les questionnaires élaborés ont été testés auprès d’un échantillon restreint de professionnels avant que ne soit déclinée la version finale.
Par ailleurs, et dans le but de recueillir des informations supplémentaires auprès des professionnels, leurs avis, et leurs propositions, nous avons eu recours à des entretiens directs ou téléphoniques avec certains directeurs et responsables.
Lorsque cela a été possible, nous avons eu recours aux sources officielles pour quantifier les tonnages des œufs et des ovoproduits produits au niveau national, ainsi que ceux importés.
D’autres informations ont été recueillies auprès de différentes sources nationales comme l’Office National de Sécurité Sanitaire des produits Aliments (ONSSA), la Fédération Interprofessionnelle de Secteur Avicole (FISA), l’Association Nationale des Producteurs de l’Œuf (ANPO), le Haut-Commissariat au Plan (HCP), l’Administration des douanes et Impôts directs, la Fédération Marocaine des Boulangeries et pâtisseries (FMBP), et enfin le Ministère de l’industrie.
Fiche d’enquête «producteurs nationaux des ovoproduits»
La fiche d’enquête a été élaborée pour recueillir des informations en relation avec les aspects suivants:
• Identification de la casserie: nom, adresse, catégorie d’entreprise, capital, effectif, année de démarrage d’activité, et capacité journalière de production;
• Type et quantité annuelle d’ovoproduits fabriqués;
• Gamme de produits commercialisés à part les ovoproduits;
• Clients destinataires des produits;
• Contraintes liées à la production et à la commercialisation;
• Approvisionnement en œufs coquille.
Fiche d’enquête «utilisateurs des œufs et des ovoproduits»
Le questionnaire destiné aux industries et à l’artisanat alimentaire qui sont utilisateurs des œufs se décline en trois parties, chacune regroupant un certain nombre de thèmes:
• Données générales: Cette introduction du questionnaire permet l’identification de l’établissement enquêté, son nom, le secteur d’activité, et l’adresse ainsi que le type d’œufs utilisés.
• Partie I: consacrée aux utilisateurs des œufs en coquille: Elle permet de déterminer le nombre moyen mensuel d’œufs coquille utilisés au niveau de leurs productions, les contraintes rencontrées à l’utilisation, les raisons du non recours aux ovoproduits à la place des œufs coquille, et les critères déterminant le choix de basculer vers l’utilisation des ovoproduits.
• Partie II: destinée aux utilisateurs des ovoproduits liquides pasteurisés. L'objectif étant de recueillir les informations relatives au niveau de satisfaction en relation avec la qualité du produit et la qualité de service des ovoproduits nationaux, le type d’ovoproduit le plus utilisé, ainsi que les souhaits/recommandations en rapport avec les attentes des utilisateurs en termes d’amélioration de l’offre qualité/service de l’ovoproduit.
• Partie III: destinée aux utilisateurs des ovoproduits en poudre, vu qu’il s’agit d’un type d’ovoproduits importé. Cette partie apporte des informations sur les types d’ovoproduits déshydratés utilisés, leurs fournisseurs, les quantités importées, les contraintes liées à l’utilisation, enfin les appréciations et les attentes de ce type d’utilisateurs. Les informations ciblées au niveau de cette partie ont été complétées par le recours aux informations communiquées par l’ONSSA, et par des professionnels internationaux de la filière ovoproduits (ACTINI, SANOVO, OVOBIO…).
Analyse des données collectées
Les données recueillies au niveau des différentes étapes de nos enquêtes ont été regroupées dans une base de données sur le programme «Microsoft Excel». Les données ont été analysées en ayant recours à la méthode d’analyse statistique suivante: Les données ont été codifiées dans un tableau disjonctif (binaire), 0 et 1 respectivement «absence» et «présence» de la réponse.
Le test χ2 d’Indépendance a été mis en œuvre afin de vérifier la présence ou l’absence de lien statistique entre deux variables catégorielles. Le test χ2 d’homogénéité a été appliqué afin de comparer les proportions des réponses au risque d’erreur de 0,05.
Les données ont été analysées à l'aide de JMP SAS Pro software (Version 14, SAS Institute Inc).
RÉSULTATS
Enquête producteurs nationaux des ovoproduits
Afin de faire le point sur la filière des ovoproduits au niveau national, en termes d’offre et de demande, aussi bien sur les plans quantitatifs que qualitatifs, nous avons tout d’abord conduit une enquête auprès des trois industriels de la transformation de l’œuf existant au Maroc (Tableau 1) (ONSSA, 2020).
Les résultats de l’enquête et les entretiens réalisés nous ont permis de situer les niveaux de production nationale ainsi que les importations des ovoproduits. Nous avons aussi pu en déduire la part des ovoproduits dans la production globale des œufs au Maroc.
La première casserie au Maroc a démarré son activité en 2005, permettant ainsi le lancement de la production des ovoproduits liquides pasteurisés. En 2017, trois casseries bénéficiaient de l’agrément sur le plan sanitaire. Au sein de ces trois unités, une part importante de la production est constituée par l’entier liquide pasteurisé (84%), suivie par le blanc d’œuf liquide (11%), et le jaune d’œuf liquide pasteurisé 6% (Figure 2).
En 2017, et selon les résultats de notre enquête, 39 millions d’œufs ont été transformés en ovoproduits liquides pasteurisés (équivalant à 1950 tonnes d’ovoproduits liquides pasteurisés) sur une production globale de 6,3 milliards d’œufs. En 2018, la quantité d’œuf transformés en ovoproduits a été estimée à 34 millions 600 mille unités (équivalant à 1730 tonnes d’ovoproduits liquides pasteurisés) sur une production globale de 6,6 milliards d’œufs.
En 2019, et toujours selon les résultats de notre enquête, la quantité d’œuf transformés en ovoproduits a été estimée à 38 millions 200 mille unités (équivalant à 1910 tonnes d’ovoproduits liquides pasteurisés) sur une production globale de 6,9 milliards d’œuf.
En résumé, nous pouvons estimer que la part des ovoproduits dans la production globale des œufs au Maroc pendant ces trois années (2017, 2018, et 2019) ne dépasse pas 1% (Figure 3).
La filière «ovoproduits» nationale, est représentée par 3 unités industrielles ayant une capacité de production de 15.000 tonnes/an, alors que la production annuelle ne dépasse pas les 2.000 tonnes. En pourcentage, cette production ne représente que 1% de la production totale en œufs au Maroc. Ce secteur crée aujourd’hui quelques 300 postes d’emplois directs et indirects.
La production des ovoproduits est principalement localisée dans la région de Casablanca-Rabat. Les ovoproduits sont destinés au marché national. Ils sont utilisés au niveau des biscuiteries et pâtisseries industrielles, boulangeries et pâtisseries traditionnelles, hôtels et restaurants, etc…
Le prix des ovoproduits suit les changements du prix des œufs de consommation, lequel varie en fonction de l’offre et la demande.
Les résultats de notre enquête auprès des industriels de la filière ont montré que les ovoproduits restent peu connus au Maroc, malgré leurs multiples avantages. Selon les industriels marocains, la faible utilisation des ovoproduits peut être imputée à de multiples facteurs, parmi lesquels il convient de citer:
• La filière demeure un secteur où les marges sont faibles et où la compétitivité est paradoxalement intimement rattachée à l’œuf en coquille qui en constitue la matière première.
• L’absence d’obligations réglementaires imposant l’utilisation des ovoproduits par les opérateurs des industries agro-alimentaires ou par les professionnels de la restauration collective.
Pour pallier à la faible demande, les producteurs nationaux ont choisi d’élargir leur gamme avec d’autres produits de la pâtisserie et de la restauration (crème chantilly, mozzarelle, chocolats, amandes, pralinés,…), et ce afin de compenser leurs pertes et augmenter les marges.
Enquête utilisateurs œufs et ovoproduits
Dans le cadre de notre analyse de la filière nationale des ovoproduits, nous avons mené une enquête auprès des utilisateurs des œufs en coquille et des ovoproduits (ovoproduits liquides pasteurisés, ovoproduits en poudre). 184 établissements utilisateurs ont été ciblés par l’enquête. En plus de l’élaboration d’un questionnaire qui leur a été destiné, nous avons aussi interviewé certains de ces utilisateurs.
Les œufs et les ovoproduits sont des produits intermédiaires utilisés dans la préparation de nombreux produits alimentaires, et donc utilisés par de nombreux secteurs d’activité. Nous pouvons en général parler de deux types d’utilisateurs: L’industrie et l’artisanat alimentaire.
Au niveau des industries agro-alimentaires, ces unités sont représentées par les biscuiteries, les boulangeries et pâtisseries industrielles, les traiteurs modernes, les fabricants de crèmes glacées, de potages, les industries de la charcuterie, des entremets et desserts, des pâtes alimentaires, des sauces et assaisonnements, ainsi que la restauration.
Utilisateurs des œufs en coquille
129 établissements objets de notre enquête utilisent les œufs en coquille. La quantité moyenne globale utilisée par ces établissements est d’environ 7 millions d’œufs par mois. Sachant que le contenu de 20 œufs entre dans la composition de 1 kg d’ovoproduit pasteurisé, les 7 millions d’œufs évoqués représentent l’équivalant d’environ 300 tonnes d’œufs liquides pasteurisés. Ce tonnage représente un manque à gagner par la filière ovoproduits nationale. Ce manque correspond à une augmentation de potentiel de marché d’environ 80% en comparaison avec la quantité produite actuellement.
Contraintes des utilisateurs d’œufs en coquille
L’analyse statistique Khi deux d’homogénéité (χ2=243,584, p<0,0001) a révélé une différence hautement significative quant à l’importance des problèmes déclarés liés à l’utilisation des œufs en coquille (Tableau 2).
Ainsi, 9,74 % des établissements enquêtés n’ont pas de problèmes avec l’utilisation des œufs en coquille, par contre 90,3% soulèvent plusieurs contraintes.
Les problèmes de perte en œufs, de perte en main d’œuvre et la perte en temps représentent l’essentiel des problèmes évoqués, avec respectivement 32,7%, 31,6% et 22,7% (Tableau 3, Figure 4).
Le risque sanitaire associé à l’utilisation directe de l’œuf est minoré par les clients potentiels, sachant que le cassage à grande échelle, tel que pratiqué par les industriels, présente plus de risques de contamination croisée de l’œuf à partir de coquilles contaminées.
L’ovoproduit apporte une solution à ces problèmes. En effet, le process de cassage automatique permet de minimiser les pertes en œufs, d’augmenter le rendement, ainsi qu’une bonne séparation du blanc et du jaune. Les machines de cassage qui existent sur le marché ont au minimum une capacité de 20 000 œufs/h, donc un gain en œufs, en temps, et en main d’œuvre.
Raisons de la non utilisation des ovoproduits par les établissements enquêtés
L’analyse statistique Khi deux d’homogénéité (χ2=369,524, p<0,0001) a montré une différence hautement significative dans la répartition des raisons de refus de l’utilisation des ovoproduits (Tableau 4).
Le prix élevé et la nécessité de stockage à froid sont les raisons déclarées comme les plus importantes justifiant le refus des clients d’utiliser des ovoproduits, avec respectivement 46,0% et 37,1% des exigences (Figure 5, Tableau 5).
Les utilisateurs de l’œuf coquille arguent que le prix de vente des ovoproduits est plus élevé par rapport à celui du prix des œufs en coquille. La comparaison de prix faite par ces utilisateurs ne tient pas compte du coût inhérent à la transformation/logistique des ovoproduits. Ainsi, les coûts indirects liés à l’utilisation des œufs en coquille (nécessité de main d’œuvre pour le cassage des œufs, gestion des déchets de coquille et des alvéoles, espace important pour le stockage des œufs) ne sont pas comptabilisés. Par ailleurs, la composante «sanitaire» liée à l’utilisation des œufs coquille avec risque de contamination au niveau process n’est pas prise en considération.
Contrairement à l’œuf en coquille qui peut être stocké à température ambiante. L’ovoproduit liquide pasteurisé, type d’ovoproduit le plus demandé, nécessite un strict respect de la chaine de froid. Vu son caractère périssable, il doit être livré et stocké à une température maximale de 4°C. Ainsi, les professionnels utilisateurs potentiels déclarent que la nécessité d’investir ou de disposer d’un réfrigérateur ou d’une chambre froide pour l’entreposage des ovoproduits représente un surcoût en comparaison avec la simple utilisation des œufs en coquille.
Analyse contingence des conditions d’utilisation des ovoproduits par «prêt au remplacement des œufs en coquille»
L’analyse statistique de Khi deux d’homogénéité (χ2=92,101, p<0,0001) a révélé une différence hautement significative pour la disposition des utilisateurs à recourir aux ovoproduits, dont une partie majoritaire de 92% est prête à utiliser les ovoproduits tandis que 8% ont déclaré leur refus d’utilisation (Figure 6; Tableaux 6 et 7).
L’analyse statistique Khi deux d’homogénéité (χ2=394,992, p<0,0001) a montré une différence hautement significative dans la répartition des conditions et des raisons de refus de l’utilisation des ovoproduits. En outre, les enquêtés qui acceptent l’utilisation des ovoproduits conditionnent leur utilisation au facteur «bon prix» (BP), et aussi bien au prix qu’à une qualité fonctionnelle optimale des ovoproduits adaptés à leurs besoin (QFAB).
Prix élevé, habitude aux œufs en coquilles, et manque de confiance dans les ovoproduits restent les raisons évoquées pour lesquelles les clients refusent l’utilisation de ces derniers avec respectivement 5%, 2% et 1% (Figure 7, Tableaux 8 et 9).
Enquête utilisateurs des ovoproduits liquides
Afin d’évaluer le niveau de satisfaction ainsi que les attentes des utilisateurs d’ovoproduits liquides produits au niveau national, nous avons établi un questionnaire à l’attention de ces derniers.
Au sein de tous les établissements objets de notre enquête, 28% utilisent les ovoproduits liquides pasteurisés produits au niveau national. L’œuf entier liquide est le type le plus utilisé, surtout par les opérateurs de la biscuiterie et de la pâtisserie.
82% des clients enquêtés déclarent être très satisfaits des deux composantes «qualité produit et service» des ovoproduits nationaux, 16% sont satisfaits, et 2% sont peu satisfaits.
84% des utilisateurs n’évoquent aucun problème lié à l’utilisation des ovoproduits nationaux. Par contre, 10% déplorent l’absence de petits conditionnements d’ovoproduits liquides.
4% des clients destinataires de notre questionnaire se plaignent d’une instabilité occasionnelle de la qualité attendue des ovoproduits, surtout pour le blanc d’œuf liquide, et ce en rapport avec le degré/qualité de foisonnement et la stabilité de la mousse obtenue.
2% des utilisateurs trouvent le prix de vente des ovoproduits élevé et souhaitent qu’il soit revu à la baisse.
Les recommandations faites aux utilisateurs, en rapport avec les conditions d’utilisation des ovoproduits liquides pasteurisés, stipulent que les contenants doivent être utilisés dans les 48 heures après ouverture et que la Durée Limite de Validité (DLV) de ces produits est comprise entre 10 jours et 15 jours à une température maximale d’entreposage de 4°C. En rapport avec ces derniers critères, 18% des clients recommandent que le produit soit livré dans des conditionnements plus petits (500 g ou 1 kg), sachant que les conditionnements actuels sont compris dans une fourchette de 2 à 20 kg. Le petit conditionnement offrirait plus de flexibilité aux clients qui ont recours à de plus faibles quantités d’ovoproduits dans leurs recettes, notamment en limitant les gaspillages.
Il est à rappeler que l’ovoproduit liquide au Maroc est conditionné dans des bidons ou seaux en plastiques alimentaires (polyéthylène téréphtalate ou polyéthylène haute densité).
8% des établissements souhaitent une DLV plus longue du produit pour une meilleure gestion des stocks.
Pour les ovoproduits, le marché du frais propose des produits avec une DLV de 8 à 12 jours pour les ovoproduits industriels nature, et jusqu’à 30 à 60 jours pour les ovoproduits en restauration hors foyer. Les ovoproduits «stabilisés» (congelés, déshydratés, stables à température ambiante) se déclinent avec des Dates Limites d’Utilisation Optimal (DLUO) de 12 à 36 mois selon le cas (Françoise et al., 2010).
Enquête utilisateurs des ovoproduits en poudre
Les ovoproduits en poudre sont importés en totalité. Il n’existe pas de producteur national de ce type d’ovoproduits (ONSSA, 2018). Les chiffres dont nous disposons reflètent la demande réelle globale du Maroc en ce type d’ovoproduits.
En 2017, le Maroc a importé 391.3 kg d’ovoproduits (Figure 8), dont 42,20% de jaune d’œufs en poudre, 39,2% d’œuf entier en poudre, 12,0% de blanc d’œuf en poudre, 3,81% d’omelettes congelées, 2,50% d’œufs précuits congelés et 0,26% des produits à base d'oeufs (Figure 9).
En 2018, le Maroc a importé 360.436 kg d’ovoproduits; ce tonnage s’est inscrit en baisse de 8% par rapport aux importations de 2017 (Figure 8). En pourcentage, la répartition par type se décline comme suit: 42,7% d’œuf entier en poudre, 27,0% de jaune d’œuf en poudre, 14,80% d’ovalbumine autre que celle séchée, 10,11% d’œuf entier congelé, 5,29% de jaune d’œuf congelé, 0,02% d’ovalbumine séchée, et 0,01% de blanc d’œuf en poudre (Figure 9). Ainsi, entre 70% et 80% des importations sont représentées par les ovoproduits en poudre.
Le Maroc importe les ovoproduits essentiellement à partir des pays suivants: France (58,2%), Ukraine (35,1%), États-Unis (5,29%), Allemagne (1,38%), et Danemark (0,02%) (Figure 10).
Notre enquête a ciblé cinq sociétés utilisatrices des ovoproduits en poudre; elles appartiennent à différents secteurs d’activités: deux sociétés de sauces et d’assaisonnement, une société de glaces et sorbets, une société de biscuiterie, et une société de produits d’hygiène corporelle.
Chaque société recherche en ce type d’ovoproduits une fonction bien définie, à savoir, l’émulsification pour les industries des sauces et assaisonnements, l’enrichissement et la texture pour le secteur des crèmes glacées, la dorure pour certaines biscuiteries.
En ce qui concerne les critères de choix des fournisseurs, les sociétés qui utilisent les ovoproduits en poudre, accordent une grande importance au prix, à la qualité, et au délai de livraison.
La fréquence et les quantités achetées dépendent de plusieurs facteurs, à savoir, la saisonnalité de la production dans le cas de certains secteurs d’activité tels que celui des crèmes glacées, et de la conservabilité des produits. Les délais d’approvisionnement (délai entre commande et réception) peuvent s’étaler de 15 à 60 jours au maximum.
Les quantités d’ovoproduits utilisés par chaque unité dépendent du tonnage traité, ainsi que de la proportion des œufs par rapport au produit fini.
Les ovoproduits séchés offrent de nombreux avantages aux utilisateurs objets de notre enquête:
• Une durée de conservation accrue (DLUO de 2 ans).
• Un stockage peu coûteux à température ambiante sans risques de développement microbien.
• Encombrement minimum et coûts de transport et de stockage moins importants en comparaison aux ovoproduits liquides, congelés ou œufs en coquille.
• Homogénéité et facilité d’emploi.
• Possibilité d’utilisation partielle et fractionnée des unités de conditionnement.
• Contrôle précis de la quantité d’eau apportée dans les formulations, et possibilité d’utilisation dans les mélanges secs.
Le problème qui se pose avec les ovoproduits en poudre, c’est l’importation et la dépendance vis-à-vis du marché externe vue l’absence d’une production locale.
Les unités ciblées par l’enquête espèrent un produit local équivalant à celui importé qui répond à leurs exigences en termes de salubrité, qualité, reproductibilité, et traçabilité du produit. Aussi, en termes de service, le respect des délais de livraison et une facilité de paiement.
L’implantation d’une unité d’ovoproduits déshydratés nécessite un équipement sophistiqué et un investissement lourd. Pour une unité de séchage de petite capacité, il faut compter au minimum environ 1.000.000 Euros pour l’achat des équipements, sans compter le fond de roulement (ACTINI, 2020).
Les poudres d’œuf ont d’abord un rôle essentiel dans la régulation des marchés. En effet, les élevages dégagent en certaines périodes de l’année des surproductions. Le stockage des œufs coquilles et le séchage, en particulier de l’œuf entier, permettent donc de différer les consommations et/ou d’alimenter le marché des ingrédients. Cette logique d’approvisionnement d'oeufs coquilles positionne les poudres d'oeufs à un niveau de prix globalement intéressant pour les acheteurs, sur le long terme (Françoise et al., 2010).
Les poudres d’œuf sont considérées comme un simple outil de dégagement d’une surproduction, ou d’équilibre des bassins de production. Ces poudres sont aujourd’hui essentiellement techniques, et répondent à des problématiques inaccessibles avec des ovoproduits frais (facilité de stockage, durée de vie plus étalée utilisation fonctionnelle,…). Elles proposent des propriétés fonctionnelles originales, différentes et complémentaires de celles des ovoproduits liquides.
Vu la nature et les avantages des œufs en poudre surtout en termes de facilité de transport et de stockage, l’investissement dans ce secteur d’activité serait très prometteur. Ainsi il permettrait au Maroc de satisfaire son marché local en stabilisant le prix tout en créant des opportunités pour exporter ces ovoproduits vers des pays potentiellement demandeurs.
L’atout majeur qui avantage le Maroc est sa position géographique par rapport à des pays africains. La considération des marchés des pays voisins augmente l’évolution du marché potentiel d’ovoproduits.
DISCUSSION
Les résultats de notre étude mettent en exergue la faible utilisation des ovoproduits au Maroc, et ce en dépit de leurs multiples avantages, à propos desquels les utilisateurs potentiels restent peu informés. Les potentiels clients utilisateurs arguent sur le coût plus élevé de l’ovoproduit en comparaison avec l’œuf en coquille. Toutefois, la comparaison faite par les clients ne tient pas compte du coût de production et de transport des ovoproduits, sans oublier tous les avantages en relation avec une meilleure garantie en relation avec la sécurité sanitaire du produit.
Les ovoproduits offrent comme avantages une grande facilité d’utilisation en comparaison aux œufs frais en coquille, une production de masse rentable, une certaine facilité à être distribués et/ou transportés, en plus de qualités nutritionnelles, sensorielles et fonctionnelles au moins équivalentes à celle de l’œuf frais.
Le coût inhérent au conditionnement représente une part importante du coût global du produit fini. Au Maroc, les ovoproduits liquides pasteurisés sont conditionnés dans des bidons ou seaux en plastique de qualité alimentaire de contenance comprise entre 2 kg et 20 kg maximum.
Le potentiel de développement des ovoproduits liquides actuels passe par la mise sur le marché de nouveaux types de conditionnement, à savoir les petits pots en plastiques, les boites de conserve et les sachets polyéthylène à fermeture hermétique, ou même des camions-citernes pour les utilisateurs à grande échelle. Nous pouvons introduire au marché national d’autre type d’ovoproduits tels que les blancs et les jaunes d'oeufs liquides salés ou sucrés.
Le secteur des ovoproduits au Maroc a besoin d’un accompagnement étatique, tel que la récupération de TVA non apparente qui représente, au niveau de l’industrie des ovoproduits, jusqu’à 10% du coût de revient du produit fini. La récupération de la taxe non apparente sur l’achat des œufs localement réduirait le coût de revient de l’œuf liquide transformé et pousserait les industriels à l’utiliser. Cette disposition de la note circulaire N°726 relative aux dispositions fiscales de la loi de finances N°70-15 de l’année 2016, est déjà accordée aux légumineuses, oléagineux, fruits et légumes, et dernièrement les produits laitiers (loi de finances 2018) pour la récupération de la TVA non apparente des produits précités. La mise en œuvre d’une telle mesure serait à même de réduire le prix de vente des ovoproduits et d’en favoriser la vulgarisation aussi bien sur le marché national qu’à l’export.
La plupart des entreprises agro-alimentaires marocaines qui n’utilisent pas les ovoproduits intègrent des œufs frais dans la préparation de produits finis ; les perspectives de développement des ovoproduits dans ce secteur paraissent prometteuses. En effet, la qualité hygiénique et sanitaire ainsi que la facilité d’emploi sont des atouts décisifs qui plaident en faveur des ovoproduits.
Au Maroc, le secteur de la restauration collective (cantines d’entreprises, d’écoles, d’universités, et d’hôpitaux) a connu un développement relativement soutenu au cours des dernières années, mais la pâtisserie et la restauration commerciale (restaurants, fast-food, cafétérias, hôtel….) ont connu un essor plus remarquable. Ces dernières catégories sont très largement utilisatrices des œufs en coquille, mais les ovoproduits restent pour certains restaurants peu compatibles avec une « Image traditionnelle ». Toutefois, comme ces établissements sont soumis à une réglementation sanitaire imposant les bonnes pratiques d’hygiène (BPH), ainsi que des procédures basées sur les principes HACCP pour les unités de restauration collective disposant d’une cuisine centrale, il est évident que les incitations ou même l’obligation de n’utiliser que les ovoproduits dans ce secteur pourraient, sous la pression des services chargés du contrôle de l’autorité compétente nationale (ONSSA), amener les restaurateurs et les traiteurs à y avoir recours pour limiter les risques sanitaires.
CONCLUSION
Pour l’heure, et bien qu’ils soient d’un grand intérêt nutritionnel avec plusieurs avantages, les ovoproduits n’ont pas encore connu le chemin vers l’assiette des consommateurs marocains.
La filière des ovoproduits est très développée dans plusieurs pays. Au Maroc, cette filière n’est encore qu’à ses balbutiements eu égard au faible pourcentage en œufs coquille traité au niveau des 3 établissements agréés.
La part des ovoproduits dans la production globale des œufs au Maroc ne dépasse pas 1%. Par contre l’utilisation des ovoproduits est très développée dans plusieurs pays de l’UE où la part des ovoproduits dans la consommation d'oeufs est estimée à environ 17 %.
La faible utilisation des ovoproduits au Maroc résulte de plusieurs contraintes, telles qu’une réglementation contraignante imposant l’utilisation des ovoproduits, surtout par les utilisateurs des œufs à grande échelle. Il en est de même pour le manque de sensibilisation aux avantages des ovoproduits et aux risques sanitaires des œufs coquille dans les industries agro-alimentaires (IAA).
Les utilisateurs des œufs arguent sur le prix d’achat plus élevé des ovoproduits en comparaison aux œufs en coquille, mais sans prendre en considération les avantages des ovoproduits, et le coût indirect des œufs coquille.
La filière devrait permettre d’accompagner les industries agro-alimentaires dans leur mise à niveau sanitaire.
De même, le secteur des ovoproduits au Maroc est prometteur et le développement de cette filière peut contribuer à valoriser l’œuf auprès des consommateurs nationaux et internationaux. Ceci devrait s’inscrire dans les efforts menés par la Fédération Interprofessionnel de Secteur Avicole (FISA) en vue de promouvoir la consommation de l’œuf à travers des compagnes d’information sur ses qualités nutritionnelles, sa valeur santé, et les atouts sanitaires des ovoproduits.
Les ovoproduits ont aussi pour vocation d’absorber et de valoriser les excédents de production de la filière de l’œuf de consommation.
Le développement de cette filière au Maroc requiert un travail de sensibilisation, de vulgarisation, et de promotion, voire même, d’un accompagnement réglementaire.
RÉFÉRENCES
ONSSA (Office National de la Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires) (2018). Direction de contrôle des produits alimentaires ONSSA Rabat. Lettre N°006763.
ITAVI service économique (2018). Situation du marché des œufs et ovoproduits, édition Avril 2018. Consulté le 08/03/2019.
Magdelaine P., Dulion P. (2005). Analyse de secteur français des ovoproduits et perspectives d’évolution, ITAVI. Consulté le 04/05/2018.
FISA (Fédération Interprofessionnelle du Secteur Avicole) au Maroc (2020). Statistiques du secteur avicole, Évolution Annuelle de la production d’œufs de consommation. Consulté le 02/01/2020.
BOUZOUMA S. (2007). Filière des œufs de consommation et des ovoproduits dans la Grand Casablanca: Hygiène de la production et de la commercialisation. Thèse pour l’obtention du doctorat vétérinaire, Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, Rabat-Instituts.
Françoise N. Catherine G., Florence B.,Jean-louis T., (2010). Science et Technologie de l’œuf, de l’œuf aux ovoproduits,Volume 2, Edition TEC & DOC, collection sciences & techniques agroalimentaires: Paris.
ONSSA (Office National de la Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires) (2020). Consulté le 17/03/2020.
Entretien avec le Directeur Commercial de Groupe ACTINI France (2020), Multinationale en fabrication des équipement de traitement thermique des ovoproduits.
Publié-e
Numéro
Rubrique
Licence
Revue Marocaine des Sciences Agronomiques et Vétérinaires est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.
Fondé(e) sur une œuvre à www.agrimaroc.org.
Les autorisations au-delà du champ de cette licence peuvent être obtenues à www.agrimaroc.org.