Performances de germination et de croissance de trois provenances du tamarinier (Tamarindus indica L.) en région Guinéo-Congolaise
Résumé
Cet essai a été conduit en région Guinéo-Congolaise au Bénin afin d’évaluer la variation de l’aptitude des semences et des juvéniles du tamarinier à germer et à croitre en fonction des provenances écologiques. Les semences ont été collectées sur dix arbres adultes et sains de trois régions bioclimatiques et trempées dans de l’eau simple pendant 48 heures avant semis. Les résultats ont révélé que la provenance écologique n’a pas un effet significatif (p ? 0,05) sur la germination des semences. Pour toutes les provenances, la germination a commencé entre 5 et 7 jours après le semis et a atteint un taux de 87,5 à 99,17% au bout de 10 à 12 jours. Le rythme de développement des plants a significativement varié d’une provenance à l’autre en pépinière et en plantation. Cependant, les traits de développement des plants des différentes provenances étaient assez similaires au bout de l’expérience en pépinière. En plantation, les meilleures performances en croissance ont été observées au sein de la provenance Soudano-Sahélienne. Toutefois, il a été remarqué que l’effet de la saison sur les paramètres croissance dépend de la provenance. Des investigations à moyen terme plus poussées en écophysiologie donneraient des résultats robustes et vulgarisables.
Mots clés : Taux de germination, Temps moyen de germination, hauteur, diamètre au collet, nombre de branches, Bénin.
INTRODUCTION
En 2018, la production globale annuelle de poisson s’est stabilisée autour de 179 millions de tonnes et devrait s’élever à 204 millions de tonnes à l’horizon 2030 (FAO, 2018), quantité de loin insuffisante pour couvrir la demande lorsqu’on sait que la consommation moyenne quotidienne de protéines de poisson a sensiblement augmenté et représente environ 17% de toutes les protéines animales consommées par la population mondiale et 6,7% de l’ensemble des protéines consommées (FAO, 2016). Cette production statique ou en régression des pêches de capture est liée à la diminution des stocks de poisson elle-même liée entre autres aux polluants chimiques qui contaminent les biotopes aquatiques. Entre autres polluants chimiques nous avons les pesticides chimiques de synthèse abondamment utilisés au Bénin en culture de coton pour augmenter la production et la productivité (Agbohessi, 2014; Agbohessi et al., 2015a et b; Agbohessi et al., 2020). Ces pesticides utilisés dans les champs contaminent les écosystèmes aquatiques. Au sein de ces biotopes, ces pesticides peuvent avoir des effets biocénotiques et démoécologiques se traduisant, soit de façon directe par la mortalité des populations concernées, soit de façon indirecte par des perturbations affectant la reproduction, la croissance, le comportement de survie face aux prédateurs (Ramade, 1991). Ces biocides agissent ainsi sur le renouvellement des stocks de chaque maillon de la chaîne trophique aquatique dont les poissons (Agbohessi, 2014; Agbohessi et al., 2015a). Un des insecticides utilisés dans le bassin cotonnier du Bénin, il y a un insecticide systémique et translaminaire contenant 48 g/l d’Emamectine benzoate et 64 g/l d’Acétamipride. C'est un binaire aphicide utilisé en première et deuxième fenêtre pour protéger le cotonnier contre les chenilles carpophages (Helicoverpa amigera, Diparopsis watersi, Earias sp, etc), les chenilles phyllophages (Syllepte derogata, Anomis flava, Spodotera littoralis) et les piqueurs suceurs (Bemisia tabaci, Aleurodes, Aphis gossypii, Dysdercus spp, etc), (CRA-CF, 2019).
L’Emamectine benzoate (No CAS 155569-91-8) est un insecticide de la famille des Avermectine (Zaouani, 2010). C’est un sel issu de la réaction de l’acide benzoïque avec l’Emamectine, molécule dérivée de l’Abamectine (Fanigliulo et Sacchetti, 2008). Sa solubilité dans l’eau est faible et équivalente à 24 mg/l à 25 °C et au pH= 7. Il a une demi-vie dans l’eau de 29,1 jours à pH = 9 (Zaouani, 2010). Sa pression de vapeur est de 4 μPa à 21 °C et son coefficient de partage octanol/eau log kow = 5 à 23 °C et au pH= 7 (Fanigliulo et Sacchetti, 2008). Des études ont révélé que l’Emamectine benzoate réduit la prise alimentaire et la croissance chez Oreochromis niloticus (Roy et al., 2020).
L’Acétamipride ou (E)-N 1 -[(6-chloro3-pyridyl) méthyl]-N 2 -cyano-N 1 –méthyl (N° CAS 160430-64-8) de la famille des Néonicotinoïdes est soluble dans l’eau (4,25 x 103 mg/l à 25 °C) mais n’est pas volatile (US-EPA, 2012). Sa pression de vapeur est égale 1.10-6 PA à 25 ᵒC et sa Constante de Henry <5,3x10-8 Pa/m3 (US-EPA, 2012). Son coefficient de partage octanol/eau faible (log Kow = 0,8 à 20 °C) indique sa non lipophilicité et sa facilité de transport par les eaux de pluie (Zoumènou et al., 2015). Sa demi-vie à 25 °C est de 420 jours et son temps de demi- vie dans l’eau est de 8,5 jours (US-EPA, 2012). Des études ont montré l’effet réducteur de la croissance chez certaines espèces de poisson de plusieurs Néonicotinoïdes (Gibbons et al., 2014).
Dans le bassin cotonnier du nord Bénin, les insecticides étant utilisés en première et deuxième fenêtre, leur utilisation coïncide avec la montée des eaux, période de reproduction et de besoin de croissance de plusieurs espèces de poissons en milieu naturel. Puisque l’effet individuel des matières actives est différent de celui lorsqu’on les mélange, nous nous sommes proposés d’étudier l’effet d'un inecticide binaire sur la croissance, l’efficacité alimentaire et la composition biochimique des juvéniles de C. gariepinus. Il s’agit de déterminer l’effet d’une exposition chronique à l'Emamectine benzoate et à l'Acétamipride sur la croissance, l’efficacité de conversion de la nourriture et les paramètres nutritionnels chez C. gariepinus.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Dispositif expérimental
Le test a été réalisé dans les locaux du Laboratoire de Recherche en Aquaculture et Ecotoxicologie Aquatique (LaRAEAq) de l’Université de Parakou au Bénin. Le dispositif expérimental utilisé est constitué de 9 aquariums en verre, chacun de 30 l de contenance, disposés sur un support métallique.
Matériel chimique et traitements appliqués
Le produit insecticide utilisé pour le test est un produit commercial (Emamectine benzoate 48 g/l et Acétamipride 64 g/l) utilisé par les Cotonculteurs dans le bassin cotonnier béninois. Ce produit a été acquis auprès des groupements des cotonculteurs dans la Commune de Banikoara (Bénin). Ce produit se présente sous forme d’un liquide visqueux. L’eau qui a été utilisée pour la fabrication des solutions d’essai durant toute l’expérience est l’eau de robinet destinée à la consommation, fournie par la Société Nationale des Eaux du Bénin (SONEB). Cette eau caractérisée par une teneur en Nitrate de 11,4 ± 0,08 mg/l et en Nitrite de 0,02 ± 0,01 mg/l, a d’abord été déchlorée avant utilisation. Le pesticide, comme cela se fait en milieu paysan, a été mélangé à l’eau sans aucun solvant. Les solutions d’essai ont été préparées et utilisées immédiatement. L’exposition s’est réalisée en triplicat et en système semi-statique avec renouvellement de la totalité des solutions d’essai toutes les 48 h selon les lignes directrices 203 et 210 de l’OECD avec quelques modifications. La CL-50-96h du produit commercial = 4,9 µl/l pour les juvéniles de C. gariepinus (Données non encore publiées). La CL-50-96h, c’est la concentration du polluant qui tue 50% de la population exposée. Les concentrations testées dans la présente étude sont les concentrations sub-létales nominales fixées à partir de cette CL-50-96h déjà obtenue (0; 1/20 et 1/10). Cela donne T0 = 0 (traitement témoin constitué d’eau de dilution simple sans aucun insecticide), T1 = 1/20 CL-50 ≈ 0,25 µl/l et T2 = 1/10 CL-50 ≈ 0,5 µl/l. Les différentes solutions d’essai sont obtenues à partir de la dilution d’une solution- mère de concentration 50 µl/l fabriquée en mélangeant 50 µl du produit commercial dans 1 l d’eau.
Matériel biologique
Un lot de 170 alevins de C. gariepinus a été acheté dans une structure piscicole de la ville de Parakou (Bénin) pour le test. Les alevins ont été acclimatés dans des aquariums en verre pendant 12 jours conformément à la ligne directrice 234 de l’OCDE. Ils ont été nourris ad’libitum avec l’aliment Gouessant (46% de protéines) sous forme de granulés extrudés jusqu’à 24 h avant le début de l’essai. Au terme de l’acclimatation ce lot a été validé parce que la mortalité cumulée était inférieure à 5% selon la ligne directrice 203 de l’OCDE.
Suivi et entretien
90 alevins de C. gariepinus calibrés de manière à avoir un même poids moyen individuel initial (2,38 ± 0,1 g), ont été sélectionnés du lot acclimaté et répartis dans les 9 aquariums en verre contenant chacun 25 l de solution d’essai (T0, T1 et T2 chacun en triplicat), à une densité de 10 alevins par aquarium. L’expérience a duré 28 jours avec des pêches de contrôle tous les 7 jours (J7, J14, J21 et J28). L’essai s’est déroulé en conditions semi-statiques avec renouvellement à 100% des solutions toutes les 48 h. Au cours de l’essai, la photopériode a été maintenue à LD 12:12. Dans chaque aquarium, la température (26,7 ± 0,2 °C), le pH (6,8 ± 0,2) et la concentration en oxygène dissous (6,4 ± 0,5 mg/l) ont été mesurés tous les matins et soirs. Les poissons ont été nourris à satiété apparente 5 fois par jour (7 h, 10 h, 13 h, 16 h, 19 h) jusqu’à la fin de l’essai avec l’aliment commercial Gouessant (46% de protéines) à une ration de 5% de leur biomasse. A chaque pêche de contrôle, les biomasses par aquarium ont été reprises et les rations recalculées. Après le nourrissage de 19 h, le reste de l’aliment est pesé. Les aliments non consommés ont été retirés des aquariums lors des renouvellements des solutions d’essai. Au cours de l’essai, les réactions comportementales des juvéniles face aux pesticides telles que les pertes d’équilibre, la nage rapide, la position verticale, etc, ont été notées. Les poissons morts ont également été sortis des aquariums, pesés et conservés à -20 °C. Au 14ème jour et à la fin de l’essai (28ème jour), 4 poissons ont été prélevés par aquarium et conservés à -20 °C pour le dosage des paramètres nutritionnels.
Dosage des paramètres nutritionnels
Le dosage en vue de la détermination de la composition biochimique des poissons par traitement à J14 et à J28, a été fait sur des broyats de poissons entiers prélevés au cours de l’essai. Les analyses ont été réalisées selon les normes de l’AOAC (Association of Official Agricultural Chemists) au laboratoire du Département de Nutrition et des Sciences Alimentaires de la Faculté des Sciences Agronomiques de l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin).
Détermination de la matière sèche (MS)
Pour la détermination de la matière sèche, 2 g de broyat ont été pesés pour déterminer le poids humide (ph), puis placés dans une étuve à une température de 90°C jusqu’à obtention d’une masse sèche (ps) constante (~ 48 h) (AOAC, 1990).
Détermination de la teneur en cendres
La teneur en matière minérale des broyats est déterminée après calcination selon la méthode standard (AOAC, 1995). 1g de broyat sec est placé dans un creuset en porcelaine préalablement pesé. Le creuset est mis dans un four à mufles à 600°C pendant 6 h. Le creuset est refroidi à température ambiante à l’abri de l’humidité dans un dessiccateur. Le creuset est pesé contenant le résidu.
Détermination de la teneur en protéines totales
La détermination de la teneur en protéines totales est effectuée par la détermination de l’azote total par la méthode de Kjeldhal qui est une méthode officielle et standard (AOAC, 1995). 1 g de broyat frais est introduit dans des tubes prévus à cette analyse. Une pastille de minéralisation et 15 ml d’acide sulfurique concentré sont ajoutés dans les tubes. Puis, les tubes coiffés de leurs capteurs de fumée sont mis à chauffer progressivement jusqu’à 450°C. Lorsque la solution est devenue de couleur vert pâle (~ 90 mn), la minéralisation est arrêtée. Après refroidissement des tubes, les capteurs de fumée sont rincés avec de l’eau distillée récupérée dans les tubes. Le contenu des tubes est installé dans une unité de distillation automatisée (Distilation and Titration unit UDK 152). Le taux de protéines brutes est déterminé en multipliant la quantité d’azote par le facteur 6,25.
Détermination de la teneur en lipides totaux
Les lipides totaux ont été estimés selon la méthode de Folch et al. (1957). L’extraction des lipides a été réalisée par un mélange de chloroforme/méthanol/eau (2/1/0,8). L’extrait lipidique a été placé dans un tube à vis pré-pesé, évaporé sous flux d’azote et les lipides totaux ont été estimés par la différence de poids du tube avant et après évaporation. Les extraits lipidiques des échantillons ont été repris dans un mélange toluène/éthanol (4v/1v), ce qui permet la conservation des lipides à basse température (-80°C) sans risque d’altération pendant plusieurs mois.
Paramètres calculés
A l’issu de l’essai plusieurs paramètres ont été calculés en vue d’évaluer les performances de croissance des poissons, caractériser l’efficacité de l’aliment distribué et évaluer l’effet du pesticide sur l’utilisation des nutriments chez les individus exposés.
Paramètres zootechniques
Taux de survie (TS)
C’est la proportion de juvéniles de C. gariepinus vivants.
TS (%) = 100 × Nf / Ni
Ni: Nombre initial des juvéniles et Nf: Nombre final des juvéniles.
Gain de poids moyen (GP)
Il permet d’évaluer la croissance pondérale des poissons au cours de l’essai.
GP (%) = 100 × (Pmf – Pmi) / Pmi
Pmi: Poids moyen initial des juvéniles; Pmf: Poids moyen final des juvéniles.
Taux de croissance journalier (TCJ)
Appelé également Gain de Poids Quotidien (GPQ), il est utilisé pour évaluer la vitesse de croissance des poissons au cours de l’essai.
TCJ= GP/ Δt
Δt: Durée du test
Taux de croissance spécifique (TCS)
Il permet d’évaluer le poids gagné par le poisson chaque jour, en pourcentage de son poids vif.
TCS (%/j) = 100 x [Ln (Pmf) - Ln (Pmi)] / Δt
Paramètres d’utilisation alimentaire
Efficacité Alimentaire (EA)
C’est la quantité d’aliment qui permet d’obtenir 1g de poids.
EA= Qa/GP ou EA= GP/Qa
Paramètres nutritionnels
Les analyses au laboratoire ont permis de déterminer la teneur en protéines et en lipides totaux. Cependant, les données d’analyse ont permis aussi de calculer la teneur en matière sèche, la teneur en cendres et la teneur en glucides des poissons.
Teneur en matière sèche
Elle s’obtient par la formule:
MS (%) = ps x 100 / ph
Avec ps: poids sec du broyat, ph: poids humide du broyat
Teneur en cendres
Cendres (%) = Mr x 100 / Mi
Avec Mr: masse du résidu après calcination, Mi: Masse initiale du broyat sec.
Teneur en glucide
La teneur en glucide a été obtenue par la méthode par différence qui calcule la quantité de glucides par la différence entre la quantité totale de matière organique sèche d’une part et la somme des protéines et des lipides d’autre part (Rérat, 1956).
Glucides = MS - (Teneur en protéines + Teneur en lipides)
Analyses statistiques des données
L’unité expérimentale est l’aquarium. Les résultats sont exprimés sous la forme Moyenne ± Écart type de la moyenne. La comparaison des moyennes de chaque paramètre étudié a été faite en utilisant l’analyse des variances à un critère de classification (Concentration du pesticide) et le test de Turkey a été utilisé pour la comparaison entre traitements. Le seuil de significativité a été fixé à 5 %. Toutes ces analyses ont été faites avec STATISTICA version 16.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
L’étude consiste à évaluer l’impact d'un produit insecticide commercial (Emamectine benzoate 48 g/l et Acétamipride 64 g/l) sur les performances de croissance, l’efficacité alimentaire et les paramètres nutritionnels chez le poisson-chat africain Clarias gariepinus.
Comportements anormaux des poissons et mortalités enregistrées au cours de l’essai
Les résultats de cette étude indiquent que les individus exposés à l'insecticide juste après chaque renouvellement des solutions d’essai et donc après chaque réintroduction de l’insecticide dans le milieu, avaient des comportements inhabituels comme la fuite dans tous les sens, l’accélération des mouvements operculaires, la position verticale, l’augmentation des activités de surface, l’hyperactivité et la perte d’équilibre (Tableau 1). L’accroissement de ces différentes réactions quand le toxique augmente dans le milieu, indique que ces modifications comportementales ont été induites par cet insecticide. Selon plusieurs études (Werner et Moran, 2008; Agbohessi et al., 2013; Guedegba et al., 2019; Houndji et al., 2020), ces différentes réactions révèlent la neurotoxicité du polluant. Slobodkin (1974) avait indiqué que face à une perturbation environnementale, les réponses comportementales constituent le premier niveau de réaction avant la physiologie. Selon Scott et Sloman (2004), le comportement de fuite chez le poisson est un réflexe en lien direct avec le système nerveux. Si le danger (polluant) est trop soudain, la seule possibilité pour l’animal est la fuite (Péan, 2012). Plusieurs auteurs avaient également observé des comportements de fuite chez cette même espèce C. gariepinus. En effet, Ezemonye et Ikpesu (2011), Yekeen et Fawole (2011) et Agbohessi et al. (2013) avaient observé des comportements de fuite chez les juvéniles de C. gariepinus soumis à l’endosulfan. Siang et al. (2007) avaient aussi indiqué ce type de comportement chez Monopterus albus exposé à des concentrations de 0,01-10 ppb d’endosulfan. Quand le polluant envahit le milieu et qu’il n’est plus possible au poisson de l’éviter, viennent les autres comportements inhabituels. Ainsi, l’accélération des mouvements operculaires, la position verticale et l’augmentation des activités de surface chez les poissons peuvent exprimer un stress hypoxique engendré par le toxique (Graham, 1997; Val et al., 1998) ou une détresse respiratoire qui est l’un des premiers symptômes d’intoxication par les pesticides (McDonald, 1983). Agbohessi et al. (2013) avaient aussi révélé des mouvements operculaires intenses chez les juvéniles de C. gariepinus exposés à l’endosulfan. Guedegba et al. (2019) ont rapporté une hyperventilation chez les juvéniles de O. niloticus exposés à la Lambdacyhalothrine ou au mélange Lambdacyhalothrine + Acétamipride. Houndji et al. (2020) dans l’exposition des juvéniles de C. gariepinus à l’Acétamipride, à la Lambdacyhalothrine avaient aussi révélé la position verticale de certains individus exposés 3 h de temps après. L’augmentation des activités de surface avait été signalée par Agbohessi et al. (2013) chez certains juvéniles de C. gariepinus exposés à l'Endosulfan. La nage rapide, la perte de l’équilibre et l’hyperactivité, observées dans cette étude avaient été aussi rapportées chez C. gariepinus soumis à l'Endosulfan et à un insecticide binaire (Spirotetramat 75 g/L + Flubendiamide 100 g/L) (Agbohessi et al., 2013), chez O. niloticus exposé à la Lambdacyhalothrine par Guedegba et al. (2019) et chez C. gariepinus contaminé à l'Endosulfan et à la Lambdacyhalothrine (Houndji et al., 2020). Ces changements dans la présente étude sont probablement l’effet de l’une ou de l’ensemble des constituants de l’insecticide commercial évalué. L’Emamectine benzoate est neurotoxique (Fanigliulo et Sacchetti, 2008) et est classé dans le groupe des activateurs des canaux chlore. Il agit au niveau neuromusculaire, en se fixant de manière irréversible au niveau du récepteur GABA et sur le récepteur glutamate H (Syngenta, 2005). Cette fixation provoque un blocage des canaux chlore en position ouverte et donc un flux entrant d’ions chlore au sein des cellules nerveuses, il s’ensuit une hyperpolarisation cellulaire qui bloque toute activité nerveuse et entraîne une inhibition de la contraction musculaire de l’insecte donc une paralysie (Bloomquist, 2003; Zaouani, 2010). L’Acétamipride, comme les autres molécules de la famille des Néonicotinoïdes, agit au sein du système nerveux central en interférant avec la transmission neuronale. Il se lie aux récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine (nAChR) dans le neurone post-synaptique, agissant ainsi en tant que «faux neurotransmetteur» (agoniste). Cette interférence avec le signal du neurotransmetteur de l’acétylcholine est cause d’une activation continue du récepteur qui conduit à des symptômes neurotoxiques (Gibbons et al., 2014; Zoumènou et al., 2015).
Les taux de survie des poissons au cours de l’essai sont statistiquement semblables, quelle que soit la période et les traitements (Figure 1). Cependant, quelques rares mortalités ont été notées en T0 les deux premières semaines et en T2 pendant la première semaine de l’essai. Ces rares cas de mortalités notées en T0 sont sûrement le fait d’une mauvaise manipulation. Mais les mortalités enregistrées en T2 peuvent être liées aux effets conjugués du stress engendré par les pêches de contrôle et du stress chimique provoqué par la présence du polluant. En effet, le stress induit par les pêches de contrôle et les réponses comportementales comme la fuite dans tous les sens, l’hyperactivité, la nage rapide, etc, engendrent des coûts métaboliques que seuls les individus dans un état physiologique adéquat, c’est-à-dire ayant une réserve d’énergie à allouer à cette activité peuvent assurer (Domeneci et al., 2007; Péan, 2012). Or, pendant cette période les individus exposés consomment moins, donc la mort de ces rares poissons pourrait s’assimiler à l’épuisement de leurs réserves d’énergie (Agbohessi et al., 2013). Dans la présente étude les taux de survie varient de 83,3 à 100%. Agbohessi et al., (2014) avaient obtenu des taux de survie de 100% chez les juvéniles de C. gariepinus exposés à des concentrations sub-létales de Tihan et de Thionex pendant 28 jours.
Paramètres de croissance et efficacité alimentaire
L’impact de l'insecticide évalué sur la croissance des juvéniles de C. gariepinus est clairement lisible au regard des résultats obtenus. De façon globale, il apparaît un faible gain de poids des individus exposés par rapport aux témoins (Figure 2). De la même manière, les taux de croissance journalier des individus soumis à l'insecticide évalué sont relativement faibles à celui des lots témoins durant toute la durée de l’essai (Figures 3). Ces résultats sont contraires à ceux obtenus par Han et al. (2011) sur le poisson zèbre Danio rerio exposé à une concentration de 10 ng/l de β-endosulfan. Des résultats semblables à ceux obtenus dans la présente étude avaient été rapportés par McCarthy et Fuiman (2008) chez Sciaenops ocellatus exposé à des doses de 40 et 80 µg/l d’Atrazine ou de 1 - 10 µg/l de Malathion. La réduction de poids avait été aussi obtenue chez le poisson-chat australien Tandanus tandanus contaminé à des concentrations de 2 ou 10 µg/l de Chlorpyriphos (Huynh et Nugegoda, 2012), chez O niloticus soumis à des doses de 5 - 20 mg/l de Dimethoate ou 0,5; 1 et 2 mg/l de Malathion (Sweilum, 2006). Cette même baisse de gain de poids avait été révélée par Agbohessi et al. (2014) chez C. gariepinus exposé à l’endosulfan et au Tihan. En dehors de J7 ou les taux de croissance spécifique sont semblables pour tous statistiquement, durant tout le reste du temps de l’essai les taux de croissance spécifique des poissons exposés sont restés faibles par rapport à ceux des poissons non exposés (Figure 4). Des résultats du genre avaient été obtenus par Agbohessi et al. (2014) chez la même espèce C. gariepinus exposée à l’endosulfan et au Tihan. Mais ces résultats sont contraires à ceux de Han et al. (2011) sur le poisson zèbre exposé à une concentration de 10 ng/l de β-endosulfan. Une seule cause est à la base de cette baisse des performances de croissance: le stress chimique induit par l’insecticide (Agbohessi et al., 2014). Le stress influe sur la croissance via la modification du comportement alimentaire, de l’efficacité de conversion de la nourriture, du métabolisme énergétique et/ou de la stimulation hormonale (Brett, 1979; Pickering et al., 1991; Gregory et Wood, 2010). Dans la présente étude l’insecticide évalué a fortement influencé la prise alimentaire. En effet, l’évolution de la consommation alimentaire durant l’essai a montré que les poissons exposés se sont moins alimentés les deux premières semaines et ont beaucoup plus consommé l’aliment les deux dernières semaines. En réalité, les deux dernières semaines les poissons étaient déjà habitués à leur nouvel environnement fait de solution de l'insecticide (Agbohessi et al., 2014). D’ailleurs, l’Emamectine benzoate avait déjà été révélée comme réduisant la prise alimentaire et le poids chez O. niloticus (Roy et al., 2020).
Le stress chimique induit par l'insecticide évalué dans la présente étude a également influé sur l’efficacité de conversion de l’aliment (Figure 5). En effet, on a noté à la fin de la première semaine une faible efficacité de conversion de l’aliment chez les poissons exposés par rapport aux témoins, puis à la fin de la deuxième semaine une montée de l’efficacité de conversion alimentaire chez ces individus soumis et les deux dernières semaines des efficacités semblables pour tous les traitements. Cette évolution de l’efficacité alimentaire durant l’essai est différente de celle rapportée par Agbohessi et al. (2014) chez les juvéniles de C. gariepinus, qui ont trouvé dans leurs études une faible efficacité alimentaire durant tous les 28 jours d’essai chez les poissons exposés au Thionex par rapport aux témoins.
Par ailleurs, plusieurs études (Jarvinen et Tanney, 1982; Nagel et al., 1991; Huynh et Nugegoda, 2012) avaient également montré que l’inhibition de la croissance peut être le résultat de l’inhibition de l’acétylcholinestérase. En effet, l’Acétamipride est de la famille des Néonicotinoïdes connues pour leur effet d’inhibition de l’activité de l’acétylcholinestérase, prouvée par exemple chez Gambusa affinis (Cheghib et al., 2020).
Paramètres nutritionnels
La composante nutritionnelle des poissons a été fortement influencée par l’exposition à l'insecticide évalué (Tableau 2). Si les teneurs en matières sèches et en minéraux sont identiques pour tous les traitements, on note que les poissons exposés ont une teneur en protéines corporelles plus faibles que ceux non contaminés. Par contre, les individus contaminés ont une teneur en lipides totaux plus élevée que les individus témoins. La teneur en glucides est plus forte en T2 quelle que soit la période. Cela signifie que les poissons exposés à l’insecticide ont utilisé les protéines et dans une certaine mesure une partie des glucides pour produire de l’énergie. C’est cette énergie qui a été utilisée pour compenser le coût énergétique des réactions inhabituelles ou de résistance au stress chimique, sous l’action combinée des catécholamines et des glucocorticoïdes ainsi que l’inhibition du comportement alimentaire (Pickering et al., 1991; Gregory et Wood, 2010; Agbohessi et al., 2014). En terme plus clair, l’organisme des poissons a préférentiellement utilisé les protéines et une partie des glucides comme sources d’énergie tout en épargnant les lipides. Cette observation est contraire aux résultats de Sancho et al. (1998), Handy et al. (1999), Smolders et al. (2003) et Agbohessi et al. (2014), dans des études similaires. Ces auteurs ont observé plutôt l’utilisation des lipides et une épargne protéinique des poissons face aux stress induits par les pesticides. La différence observée avec nos résultats peut être liée à la nature des pesticides testés qui ne sont pas de la même famille et n’ont donc pas les mêmes effets sur les poissons. Dans la présente étude, l’utilisation des glucides observée en T2 avait aussi été mentionnée par Vijayavel et al. (2006) dans une étude d’exposition du crabe Scylla tranquebarica au Naphtalène. Ces auteurs ont estimé que les conditions hypoxiques crée par le toxique ont engendré des dépenses d’énergie d’origine glucidique. D’autres auteurs (Mulet et al., 2007; Tendulkar et Kulkarni, 2012; Agbohessi et al., 2014) ont été plus précis en indiquant que c’est plutôt le glycogène qui est utilisé parmi les glucides pour suppléer à la demande d’énergie induit par le polluant.
Une comparaison de l’évolution de la teneur en lipides du J14 au J28 indique une régression du taux de lipides au cours de l’essai contrairement à l’augmentation du taux de protéines observée. Cela signifie que l’épargne lipidique observée dans la présente étude, diminue avec le temps.
CONCLUSION
Les résultats de l’étude ont montré que l’insecticide évalué a induit des changements de comportements et un stress chimique qui a influé sur la prise alimentaire, l’efficacité de conversion de la nourriture et le métabolisme énergétique chez Clarias gariepinus. Tout ceci s’est répercuté sur la croissance pondérale des poissons. L’étude a révélé que pour faire face à ce stress chimique et le coût énergétique des réactions comportementales, cette espèce a préféré utilisé les protéines et une partie des glucides comme sources d’énergie tout en épargnant les lipides. Des dosages plus approfondies doivent être réalisés pour déterminer la nature réelle des sucres qui ont été utilisés comme source d’énergie.
RÉFÉRENCES
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© Revue Marocaine des Sciences Agronomiques et Vétérinaires