Résumé

Suite à la hausse des cours enregistrés sur le marché international du blé tendre entre la période 2007-2008 et les crises alimentaires qui en ont découlé, la priorité accordée à la disponibilité alimentaire au Maroc s’est traduite par une facture d’importation très élevée entraînant un déficit assez chronique de la balance commerciale. Outre ces effets négatifs, les estimations établies par les institutions internationales à l’horizon 2030 annoncent qu’un déficit d’offre internationale serait prévu, en particulier, dans les régions à forte production du blé tendre. En effet, d’autres facteurs structurels persistent et semblent perdurer entraînant une étroitesse des marchés et engendrant de nouveaux chocs des cours à l’échelle internationale. En réponse à la demande croissante en blé tendre, l’objectif de cette étude consiste à analyser la vision de l’État dans le cadre du PMV face aux menaces potentielles du marché d’approvisionnement. Les résultats obtenus montrent que cette vision permettrait d’atténuer légèrement les risques potentiels(en termes de quantité et prix) pour stabiliser la sécurité alimentaire. Or, compte tenu de la dépendance envers les conditions climatiques, d’une part, et du marché international pour l’approvisionnement, d’autre part, la vulnérabilité restera chronique, ce qui nécessite la mise en place de politiques beaucoup plus efficaces pour assurer la sécurité alimentaire en blé tendre.


Mots clés: Vulnérabilité, Choix Politique, Blé Tendre, Sécurité Alimentaire.

INTRODUCTION

Suite à la crise alimentaire 2007-2008, on assiste à un regain d’intérêt de la notion de sécurité alimentaire. Fruit d’une lente maturation du concept, la définition la plus adoptée est celle soutenu par le Sommet Mondial de l’Alimentation (en 1996); «la sécurité alimentaire existe lorsque toutes les personnes, en tout temps, ont accès physique et économique à une alimentation suffisante, saine et nutritive leur permettant de couvrir leur besoins nutritifs et satisfaire leurs préférences alimentaires de manière à leur assurer une vie saine et active» (FAO, 2005). Cette définition donne pleinement droits à l’aspect multidimensionnel du concept qui se décline aussi bien quantitativement que qualitativement selon quatre composantes, à savoir; disponibilité, accessibilité, stabilité et qualité des aliments. Pour y atteindre, les problèmes alimentaires diffèrent d’une région à un autre dans le monde; si les pays du Nord cherchent aujourd’hui à atteindre la salubrité des aliments, les pays du Sud cherchent encore à assurer la disponibilité alimentaire. Cette dernière renvoie à une offre alimentaire suffisante en quantité et qualité et quelques soit la provenance (production nationale, importation ou aide alimentaire).

Au Maroc, la question alimentaire se présente sous la forme du déficit de la demande solvable d’aliments de base et de l’insuffisance importante de l’offre alimentaire intérieure. En effet, malgré l’intérêt constant accordé par les politiques d’autosuffisance durant les années (1970-1980) et celle de sécurité alimentaire au milieu des années 1990, le pays n’assure que partiellement la couverture de ses besoins en produits alimentaire de base (Céréales, Lait, Huiles, Viandes et Sucre). Importateur net en céréales, notre choix de filière est ancré sur le produit dominateur des politiques de sécurité; à savoir le Blé Tendre. En réponse à la faible productivité nationale lors de la crise alimentaire 2007-2008, le recours aux marchés d’importations constituait le facteur clé pour stabiliser la sécurité alimentaire. Ce choix politique aggrave la vulnérabilité alimentaire du pays d’une part. D’autre part, les menaces potentielles estimées sur le marché d’approvisionnement international, peuvent placer le pays dans une situation assez chronique. Les projections établies par les institutions internationales (FAO, FIDA, BQ) montrent que tous les pays tributaires des importations, en l’occurrence le Maroc, resteront déficitaires en disponibilité alimentaires BT et annoncent qu’un déficit d’offre international en matière du blé tendre serait prévu à l’horizon 2030 d’où ces pays seront confrontés à deux types de risque; en termes de quantité (indisponibilité due à une étroitesse des marchés) et de prix (inaccessibilité à l’approvisionnement due aux prix trop élevés).

Notre objectif général consiste à analyser la vision de l’État face à la forte dépendance du pays aux importations. Les finalités recherchées ont pour but de vérifier si l’État serait en mesure d’atténuer les risques et menaces potentiels prévus sur le marché international (en termes de quantité et prix) pour répondre à la demande croissante en blé tendre.

CONTEXTE DE L’ÉTUDE 

Malgré l’importance des céréales dans l’alimentation des marocains, le blé tendre représente la denrée la plus demandée, soit 67 % du total consommé en céréales (ONICL, 2007). Face à sa forte sensibilité en sécurité alimentaire, le BT bénéficie jusqu’à présent d’une intervention massive de l’État et demeure la seule céréale administrée par l’ONCL.

Sous l’effet direct des programmes et projets de développement initiés depuis les années 1990, le BT occupe lors du lancement du PMV, près de la moitié des superficies céréalières, pourtant on note un déficit structurel en production dont 93 % de l’offre BT est située en zone pluviale et reste tributaire de la pluviométrie. En effet, les rendements restent faibles (1,3 t/ha) et extrêmement variable d’une année à une autre. (MAPM/DSS, 2007).

Importations BT (en volume) lors de la crise 2007-2008

Certes, les efforts déployés par l’État ont pu freiner la dégradation de la vulnérabilité alimentaire mais sans renverser la tendance d’où le pays demeure importateur net en BT. Pour répondre à la demande croissante lors de la crise 2007-2008, près de 70 % des céréales ont été importées dont 40 % était composée de BT (Figure 1).

Figure 1: Part du blé tendre (%) dans les importations céréalières, agricoles et globales au Maroc entre 2007-2008

Source: Base des données MAPM, DSS, Office des Changes, 2008

Par origine, l’Union Européenne représente le principal fournisseur du pays en BT. En effet, près de 3.666.109 (T) d’importations ont été effectuées au cours de la campagne 2007-2008 d’où la majeure partie est issue de France, soit 53,3 % du volume importé. Quant au reste, l’approvisionnement s’oriente vers d’autres marchés internationaux, soit, 9 % d’Allemagne, 7 % d’Argentine, 4 % des USA et 32 % pour le reste du monde (Figure 2).

Figure 2: Part importée en blé tendre (%) par provenance (en volume) entre 2007-2008

Source: Base des données MAPM, DSS, Office des Changes, 2008

Importations BT (en valeur) lors de la crise 2007-2008

Face aux effets dévastateurs de la crise 2008 sur l’accès financier aux marchés d’approvisionnement international, l’intérêt accordé à la disponibilité alimentaire du blé tendre s’est traduit par une facture d’importation qui s’élevait à 10 MDhs du budget consacré à l’importation BT (MAPM/DSS et Office des changes, 2008). En effet, les parts des importations totales du blé tendre (en valeur) totales représentent respectivement 62 %, 27 % et 4 % de l’ensemble des importations céréalières, agricoles et globales. (Figure 3).

Figure 3: Part du blé tendre (%) dans les importations céréalières, agricoles et globales (en valeur) entre 2007-2008

Source: Base des données MAPM, DSS, Office des Changes, 2008

Au total, le recours aux marchés internationaux permet certes de stabiliser l’offre alimentaire nécessaire pour couvrir les besoins en consommation intérieure, mais entraîne des déficits assez chroniques en termes de la balance commerciale et engendre des coûts croissants ayant un impact négatif sur l’équilibre budgétaire de l’État. Quelle sont les objectifs prévus par l’État réduisant la dépendance du pays vis-à-vis des marchés d’importations?

Objectifs visés par l’État face à la forte dépendance au marché mondial du blé tendre

Si l’État dans ses différentes décisions visait l’intensification des superficies céréalières, en particulier celles du BT, le choix politique dans le cadre du PMV s’est contourné vers la réduction des dites surfaces, soit 22 % de baisse pour atteindre 4,2 Mha à l’horizon 2020 contre 5,4 M d’ha en 2008 (ADA, 2009).

Malgré la baisse visée en superficies, la volonté politique fût exprimée par un objectif ambitieux en termes d’évolution de la production potentielle. L’accroissement prévu oscille entre 20 % à 30 % afin de réduire ses importations de 15 % à 20 % à l’horizon 2020 (MAPM/ DSS et ADA, 2008). Pour concrétiser cet objectif, le choix politique se base essentiellement sur l’accroissement de la productivité, entre autres, le renforcement de l’utilisation des semences certifiées (ADA, 2009). Il faut souligner qu’aucun objectif n’a été précisé par espèce, sauf quelques indications, dans le cadre du Contrat Programme relatif à la filière semencière, ont été prévues pour but d’accroître la productivité potentielle; soit une quantité de 280 000 T de semences certifiées pour le totale des céréales dont 62% est consacrée au blé tendre (Tableau 1).

Tableau 1: Objectifs fixés à l’horizon 2020 pour l’amélioration du taux d’utilisation des semences certifiée pour les céréales et blé tendre

Objectif d’utilisation des semences

certifiées à l’horizon 2020 (*)

Quantité

(Qx) Taux d’utilisation des semences certifiées (%)

Céréales 2,8 millions Qx 45

Blé tendre 1,4 millions Qx 62

(*) y compris production nationale et importation

Source: MAPM, DSS, Contrats-Programmes (2009-2020) relatif à la filière semencière

La présente étude s’inscrit dans le cadre des perspectives de la nouvelle stratégie du «Plan Maroc Vert» et permet de répondre aux questions suivantes; Dans quelle mesure les objectifs visés par l’Etat peuvent-ils réduire la vulnérabilité alimentaire du pays? Quel choix politique face aux futures fluctuations des cours internationaux du BT?

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Pour analyser la vulnérabilité du pays en sécurité alimentaire deux méthodes ont été mobilisées et la démarche méthodologique a été structurée en deux étapes.

Étape 1: Estimation de la vulnérabilité alimentaire du blé tendre sur la base des objectifs visés par l’État en céréales

Vu l’absence des données prévues par espèces, nous allons procéder tout d’abord au calcul de la part que représente le blé tendre par rapport au total des céréales. En effet, le blé tendre représente la céréale la plus cultivée et représente respectivement 48 % et 60 % de la production et des importations totales des céréales.

A l’aide des outils statistiques, nous allons estimer la part du blé tendre visé par l’État à l’horizon 2020 en adoptant la démarche suivante:

• Estimation de la production BT (à l’horizon 2020)= [(Part représentative du blé tendre dans la production totale des céréales entre 2007-2008: 48 %) * (objectifs prévu à l’horizon 2020: accroissement de la production potentielle de 20%)];

• Estimation des importations BT (à l’horizon 2020)= [Part représentative du blé tendre dans les importations totales des céréales entre 2007-2008: 60%) * (objectifs prévu à l’horizon 2020: baisse des importations de 15 à 20 %)];

• Estimation de la disponibilité alimentaire BT (à l’horizon 2020)=(Production+Importations) Prévisionnelles à l’horizon 2020;

• Taux de Dépendance au Importation BT (%) (À l’horizon 2020)=(Importation prévisionnelle/disponibilité alimentaire prévisionnelle) * 100.

Le but recherché dans cette étape consiste à vérifier si les objectifs visés par l’État permettent de réduire la vulnérabilité alimentaire en blé tendre pour but d’atténuer les menaces potentielles du marché d’approvisionnement en termes de quantité blé tendre.

Étape 2: Estimation de la vulnérabilité alimentaire blé tendre sur la base du modèle économique (régression linéaire simple, et multiple)

Pour tester l’efficacité de l’État, nous optons pour une méthode d’estimation basée sur une série temporelles/ série chronologique. À l’aide des données historiques correspondantes à la période (1980-2007), notre méthode consiste à établir des projections des deux agrégats économiques Production et Importations (du blé tendre).

• Estimation de la production potentielle en BT: basée sur une série temporelle/chronologique correspondante à la période 1980-2007, les données concernent aussi bien la production que la pluviométrie. En s’inspirant du modèle de régression linéaire simple, nous estimons la production potentielle du blé tendre en fonction des variations climatiques; on a considérée que la pluviométrie soit constante basée sur une moyenne interannuelle de 275 m. En effet, notre modèle d’estimation se présente comme suit:

F (Production) = a0 + a1*t + a2*P (pluviométrie)

• Estimation des importations BT: basée sur une série temporelle/chronologique correspondante à la période 1980-2007, les données concernent les importations du blé tendre. En s’inspirant du modèle de régression linéaire simple, nous estimons la les importations potentielle du blé tendre en appliquant le modèle d’estimation comme suit:

F (Importation) = a0 + a1*t

• Évaluation de la vulnérabilité alimentaire du blé tendre : sur la base des résultats d’estimations obtenus sur les deux agrégats (importations et production blé tendre), nous calculons le ratio de vulnérabilité comme suit:

TDI = (Importations prévisionnelles/Offre Prévisionnelle) × 100

Selon la FAO (2008), le risque de vulnérabilité du pays par rapport à la sécurité alimentaire est réel quand le TDI calculé selon les deux approches présentées ci-dessus est supérieur à 50%. Le but recherché dans cette étape consiste à évaluer l’efficacité de l’État face aux objectifs prévus dans le cadre du Plan Maroc Vert et sa fiabilité face aux besoins croissants en termes de quantité blé tendre

Collecte des données

Pour répondre aux objectifs visés par cette étude, les investigations se sont basées tout d’abord sur les données secondaires collectées sur un ensemble de documents portant notamment sur des analyses et études effectuées sur les politiques agricoles, particulièrement, en sécurité alimentaire. En outre, d’autres travaux d’évaluation sur la filière spécifique du blé tendre ont été également consultés, notamment en ce qui concerne les effets de la crise des matières premières de 2008, les réformes du secteur agricole et de la Caisse de Compensation ainsi que les choix politiques dans le cadre du Plan Maroc Vert (PMV).

Pour compléter ces informations, d’autres données primaires ont été collectées auprès de structures gouvernementales liées à la filière du blé tendre, à savoir:

• Le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime;

• L’Office National Interprofessionnel des Céréales et Légumineuses;

• L’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires;

• La Direction de l’Irrigation et de l’Aménagement de l’Espace Agricole;

• Le Ministère Délégué Chargé de L’eau;

• Le Ministère de l’Économie et des Finances;

• L’Office des Changes;

• Le Haut Commissariat au Plan.

Le tableau 2 représente l’évolution des données relatives à la production et aux importations du blé tendre durant la période comprise entre 1980 et 2007 ainsi que de la pluviométrie à l’échelle nationale au cours de la même période. Le logiciel EViews a été ensuite utilisé pour l’analyse économétrique des données collectées.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Nous rappelons que les objectifs du PMV visent d’équilibrer la balance commerciale à travers la baisse des importations potentielles des céréales et atteindre près de 5 MT jusqu’à 4 MT à l’horizon 2020 contre 6 MT entre 2007-2008. En effet, la disponibilité potentielle des céréales atteindra près de 12 MT, ce qui se traduit par un TDI de 42 % à l’horizon 2020 (Tableau 3).

Tableau 2: Évolution de la production et importations du blé tendre (en 1000 Qx) et la pluviométrie interannuelle (mm) entre (1980-2007)

Année Pluviométrie (mm) Production

(En 1000 Qx) Importations

(En 1000 Qx)

1980 247,4 2817 18210

1981 294,2 7772 22441

1982 198,8 7318 13692

1983 328,1 8182 19615

1984 283,4 10166 23049

1985 340,8 18278 19224

1986 246,9 13019 13124

1987 390,3 22534 20905

1988 365,3 21604 13396

1989 384,8 19972 10605

1990 394,9 27232 17608

1991 286,6 8804 14748

1992 209,7 9417 24942

1993 341,6 31809 23281

1994 230,2 6520 7800

1995 588,7 36460 25908

1996 426,9 14349 11855

1997 424,2 28341 21786

1998 215,7 13540 20699

1999 262,4 9533 22540

2000 312,9 22776 30036

2001 288,3 23252 23386

2002 395,3 33806 22998

2003 468,5 35151 19298

2004 220,8 21024 17441

2005 420,9 42313 17754

2006 275,0 10688 9867

2007 275,0 25270 36831

Source: Ministère Délégué Chargé de L’eau et ONICL, 2014

Tableau 3: Résultat des objectifs prévus en importations et productions (en Tonnes) des céréales à l’horizon 2020

Libellé État des lieux entre

[2007-2008] Objectif visé à l’horizon [2020]

Importations des Céréales de (-15%) à (-20%) 6 125 562 5 206 727 à

4 165 382

Production des céréales 5 243 630 7 000 000

Sources: Résultats calculés sur la base des données ADA, 2012

Estimation du TDI blé tendre en fonction des objectifs visés par l’État à l’horizon 2020

Sur la base de la part que représente le BT du total des céréales, les importations potentielles oscilleront entre 3 MT à 2 MT, soit 60% des résultats prévus par l’État pour l’ensemble des céréales. En effet, la disponibilité potentielle du blé tendre enregistrera une croissance de 5% et atteindra 65 MQx en 2020 contre 62 MQx entre 2007-2008 (Tableau 4).

L’État semble être efficace face à ses objectifs fixés dans du PMV, enregistrant une baisse de 13 points en termes de vulnérabilité, passant à 46 % à l’horizon 2020 contre 59 % entre 2007-2008.

Estimation du TDI BT basé sur le modèle économique (régression linéaire simple)

Sur la base des variables (Production, importations) estimées, nous obtiendrons, à l’aide du modèle adopté dans notre investigation, les équations suivantes:

Pour analyser l’efficacité des résultats par rapport aux objectifs prévus par l’État, notre deuxième test d’estimation semble atteindre les mêmes résultats que la première méthode. En effet, les importations potentielles suivront une tendance baissière de (-17%) entre 2007-2020, passant respectivement de 36 MQx à 28 MQx. (Figure 4).

Malgré la baisse enregistrée, le pays demeurera tributaire des importations; si notre premier résultat d’estimation annonce une tendance baissière du TDI d’ordre de 22 %, le deuxième test d’estimation prévoit un accroissement de la dépendance du pays vis-vis des importations de deux points, soit 5 % d’évolution (passant de 45 % à l’an 2020 contre 43 % lors du lancement PMV) (Tableau 5).

En dépit de la hausse de la vulnérabilité, les deux résultats d’estimation paraissent acceptables puisque le taux de dépendance aux importations est moins risqué à l’horizon 2020 (TDI ≤ 50%). En revanche, face aux menaces potentielles du marché international prévues à l’horizon 2030, ce taux ne serait plus valable et devrait être moins de 50%; le déficit prévu en termes d’offre internationale des blés, quelques soit le pouvoir d’achat de l’État marocain, l’approvisionnement des marchés d’importations ne pourra être assuré. En effet, l’étroitesse des marchés pourrait entraîner une restriction des importations pays tributaires des marchés d’approvisionnement BT (IFPRI et FAO, 2007). Au regard de ce qui précède, il s’avère que la politique de sécurité alimentaire adoptée par le gouvernement marocain atteint ses limites. L’État est amené à renforcer sa sécurité alimentaire à travers sa production locale, puisque le marché international semble constituer le facteur le plus risqué.

Choix politique pour l’accès financier aux marchés d’importations BT

Au-delà du problème de disponibilité alimentaire résolu en partie par des importations massives, l’État se soucie également de l’accès financier au marché international pour assurer la sécurité alimentaire. Or, ce dernier enregistre des évolutions parfois spectaculaires où les cours du blé tendre connaissaient une période de forte tension attribuée en grande partie à des facteurs exogènes sans aucun rapport avec le bilan physique (ADA, 2012).

Dans le cadre de sa nouvelle stratégie de développement agricole, pour faire face à la forte fluctuation des cours internationaux et ses effets sur la balance commerciale, l’État s’est orienté vers la promotion des exportations à travers l’investissement dans plus de 1500 projets atteignant 147 Mdh étalés sur une dizaine d’années (Akesbi et al, 2008). L’objectif ultime de l’État a pour but d’augmenter 3 à 4 fois ses volumes à l’export pour atteindre en effet 4,6 MT/an (Akesbi et al., 2008). Pour aboutir à cet objectif, chaque filière orientée vers l’exportation a fait l’objet d’un contrat programme signé entre l’organisation interprofessionnelle qui la représente et l’État en prenant des engagements mutuels et objectifs communs (ADA, 2009). Est-ce le développement des exportations peuvent il pallier le déficit alimentaire lors d’un nouveau choc des cours ?

En effet, malgré l’intérêt accordé au développement des céréales, en particulier le blé tendre, l’orientation de la vision semble claire; les objectifs prévus pour l’ensemble des filières dans le cadre du PMV diffèrent d’une culture à une autre; Si l’État anticipe 75 % d’accroissement de production en matière des fruits et légumes (filières destinées à l’exportation), soit une offre potentielle multipliée par 3 ou 4 à l’horizon 2020 par rapport à celle enregistrée en 2008, les objectifs prévus dans les cadre des filières stratégiques en alimentation, en particulier celle du BT, oscillant entre 30 % et 45 % (Objectifs PMV, 2008).

Face à son ultime objectif, le PMV ne peut concrétiser sa proposition vision stratégique. Comme souligné par Harakat et al., (2008), la promotion d’exportation ne peut se réaliser qu’à travers une stratégie cohérente, volontariste nécessitant une réforme de structures de promotion économique du Maroc à l’étranger. Or, dans le cadre de sa nouvelle politique, il est à signaler l’absence des structures d’appui et de promotion sur les marchés cibles ou potentiels S’ajoute également l’incapacité des agriculteurs de réagir aux forces du marché et de saisir les nouvelles opportunités sans subir le poids de la concurrence liée aux produits fortement subventionnés par les pays développés. En effet, le secteur ressent encore d’énormes difficultés à faire face à la persistance de la pauvreté en milieu rural. (FAO, 2005).

Mode d’intervention de l’État face à la forte fluctuation des cours internationaux du BT

Au-delà du choix politique, l’État a tenté de maintenir l’accès financier aux marchés internationaux à travers des subventions habituellement prélevées sur les importations et complétée par un apport budgétaire important, soit 38 Mdh en 2008 (Tableau 6).

Tableau 6: Évolutions des subventions à l’importation BT entre (2008-2009)

La politique de subvention a toujours été adoptée comme principal filet de protection sociale favorisant l’accès régulier aux marchés d’importation. Synthèse des rapports publiés par plusieurs institutions gouvernementales (Ministère des finances, Conseil de Concurrence, ONICL, loi des Finances 2015, etc), la politique de subvention engendre des coûts budgétaires, entraîne des distorsions sur le marché, entrave la compétitivité, empêche le développement du secteur céréalier et incite à l’importation surtout que la qualité importée demeure supérieure à celle produite sur le marché local.

Pour son efficacité, la subvention doit être temporaire et reliée à des objectifs fixés et datés. Ceci suppose l’existence d’une clause de caducité qui limite la subvention dans une période de temps (Zoubir et Erraoui, 2008). Au Maroc, cette limitation aura pour effet positif l’incitation à la production, l’orientation des opérateurs importateurs vers l’offre locale, l’atténuation de la dépendance des opérateurs vis-à-vis de la subvention ainsi que la réduction des coûts politique qu’elle induit.

Certes, les subventions varient en fonction des cours internationaux. Néanmoins, pour améliorer les conditions commerciales au profit des opérateurs-importateurs, l’État a tenté de supprimer les droits de douanes lors de la crise financière (ADA, 2012). Étant un outil de contrôle, la dite suppression empêche l’efficacité du contrôle régulier des importations et créent des distorsions sur le marché commercial des blés.

Pour son efficience, ces subventions ainsi que les ressources financières y afférentes peuvent être utilisées de manière plus productive et réorientée par contre vers l’incitation à la qualité BT puisque le blé national ne constitue qu’un produit de force ou parfois améliorateur de la qualité du blé importé. En effet, la qualité produite localement ne permet de répondre aux exigences des importateurs et minotiers. (Résultats d’entretien, ONICL, 2014).

En somme, si l’État peut aujourd’hui assurer sa politique de subvention, à l’horizon 2030 lors d’un nouveau choc des prix, celui-ci pèsera lourdement sur son budget; les prix peuvent être prohibitifs compromettant les achats même si les quantités sont disponibles sur les marchés mondiaux (FIDA et FAO, 2007). En effet, la fragilité de l’équilibre des finances publiques peut limiter les options de financement pour assurer l’approvisionnement régulier des marchés internationaux puisque les ressources budgétaires ne vont pas lui permettre de faire face aux chocs sur le long terme.

CONCLUSION 

Sur la base de notre étude, il s’aperçoit que les objectifs visés par l’État seront en mesure de réduire la dépendance vis-à-vis des marchés internationaux mais de façon très légère. Ainsi, le pays demeurera importateur net en BT. Tributaire de la pluviométrie, la production BT serait confrontée au risque de pénurie d’eau à l’horizon 2030, ce qui constitue un handicap pour une offre croissante au niveau national comme déjà signalé par le Ministère Délégué Chargé de l’Eau en 2010.

Au total, si le pays peut réduire ses importations, les facteurs structurels en termes des ressources en eau accélérés par la faible productivité expliquent l’incapacité de l’État de répondre à la demande potentielle en se basant sur la production nationale. En effet, le pays sera confronté à plusieurs types de risques. En termes de quantité, l’étroitesse des marchés internationaux prévue à l’horizon 2030, les changements climatiques, la pénurie d’eau ainsi que la forte croissance de la démographie, autant de facteurs structurels aggraveront l’insécurité alimentaire et placeront le pays dans une situation alimentaire très vulnérable de manière chronique.

En termes de prix, lors d’une nouvelle fluctuation des cours internationaux, la vitesse à laquelle les prix alimentaires peuvent augmenter apparaît problématique en raison de l’inélasticité de l’offre et de la demande. En effet, les pauvres ne peuvent ni modifier ni réduire rapidement leur consommation en réponse à des prix élevés. De même pour les producteurs qui ne peuvent également augmenter rapidement l’offre en réponse aux prix élevés en raison de la durée du cycle saisonnier de la production agricole et la lenteur du développement des technologies agricoles.

Au final, le gouvernement marocain est amené à évaluer le niveau du risque (prix et quantité) qu’il peut tolérer ainsi que le montant qu’il peut consacrer à son atténuation en vue d’élaborer une stratégie de bonne gouvernance basée sur une gestion des risques atténuant l’impact des futurs chocs de prix.

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