Résumé

Au Niger, les agriculteurs utilisent les semences améliorées pour intensifier leur production agricole. L’étude utilise les modèles Logit et Tobit pour modéliser les décisions d’adoption et d’intensification des semences améliorées du niébé. L’échantillon est constitué de 612 ménages agricoles choisis de manière aléatoire simple sans remise au niveau de 16 villages. Les données ont été collectées grâce à une enquête par questionnaire et focus group réalisée en 2015-2016. Les résultats montrent un taux d’adoption de 39,7 % de semences améliorées du niébé. L’adoption des semences améliorées du niébé est déterminée par l’éducation, l’accès à la vulgarisation agricole et adaptabilité, productivité des semences. L’intensité de cette adoption est déterminée par la perception du risque de production et préférence, précocité des semences. Ces déterminants d’adoption et d’intensification sont essentiels pour toute action de diffusion des semences améliorées afin de rehausser le taux d’adoption, l’intensité d’utilisation, l’impact et la durabilité chez les producteurs.


Mots clés: Modélisation, adoption, intensification et semences améliorées, niébé.


 

INTRODUCTION

En Afrique de l’Ouest, plusieurs contraintes limitent le développement durable de l’agriculture (Conseil Ouest et Centre Africain pour la Recherche et le Développement Agricoles (CORAF), 2011) principale source de nourriture et de revenu des populations. Dans cette région, les rendements et la productivité agricoles sont parmi les plus faibles au monde (Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde (FARM), 2016).

Au Niger, pays en développement, l’agriculture est la principale activité économique. Elle occupe plus de 85% de la population et contribue à 36,7% dans la formation du Produit Intérieur Brut (PIB) (Banque Mondiale, 2014). Ce niveau de performance de l’agriculture reste faible en raison des multiples contraintes qui conduisent à une baisse de productivité des cultivars locaux (Illiya, 2007) entraînant la récurrence du phénomène d’insécurité alimentaire (Michirels et al., 2012; Système d’Alerte Précoce (SAP), 2016).

Dans ce contexte, la transformation de l’agriculture est un impératif pour assurer la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté (Tomen, 2013). Cet objectif ne peut se réaliser qu’à travers des modèles de développement agricole durables (Zoundi, 2012) qui prônent sur l’intensification des productions. Cette amélioration peut se faire à travers le développement, la diffusion et l’adoption des semences améliorées (FARM, 2016).

La vulgarisation des semences améliorées se fait par la recherche agricole (Institut National de la Recherche Agronomique du Niger (INRAN), l’International Crops Research Institute for the Semi-Arid Tropics (ICRISAT) et Universités), les développeurs (Ministère du Développement Agricole (MDA), Banque Mondiale (BM), Programme de Productivité agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO), la FAO (Food and Agriculture Organisation), les ONGs et Projets) et les privés (Entreprises semencières et distributeurs). Le niébé est la principale légumineuse vulgarisée en raison de son importance socio-économique et de sa dominance dans le système de production agricole du pays (MDA, 2011).

La décision d’adoption d’une technologie par les agriculteurs comporte deux étapes: la première est la décision d’adoption ou non adoption de la technologie et la seconde est la décision d’intensification de l’adoption de la technologie (Ngondjeb et al., 2011).

Dans la littérature, les principaux déterminants de l’adoption des technologies sont relatifs aux facteurs socio-économiques (éducation, revenu, âge, attitude face au risque, expérience dans l’agriculture), démographiques (nombre de personnes du ménage, nombre d’actifs), agro-écologiques (climat, sol, contraintes et contexte de production) et institutionnels (information, formation, appartenance à une organisation de producteurs) (Adéoti et al., 2002; Ngondjeb et al., 2011; Combary, 2013; Mabah et al., 2013; Barham et al., 2014; Karen, 2014; Mbétid-Bessane, 2014; Mounirou, 2015; Roussy et al., 2015 ; Villemaine et al., 2016). Les modèles Probit et Logit sont généralement utilisés pour modéliser la décision d’adoption des technologies. Quant au modèle Tobit, il est utilisé pour la modélisation de l’intensité d’adoption (Tobin, 1956; Combary, 2013; Roussy et al., 2015).

Au Niger, malgré l’importance de la vulgarisation des semences améliorées, il n’y a quasiment pas de travaux de recherche sur leur adoption par les agriculteurs. La question a été partiellement abordée par Germaine et Bokar (2001) sur le volet adoption de nouvelles technologies de niébé. La présente étude s’inscrit dans la logique de ces auteurs. Nous contribuons ainsi à la littérature en analysant les décisions d’adoption et d’intensification des semences améliorées du niébé. Les résultats contribueront à une meilleure orientation des actions de diffusion des semences améliorées en production pluviale au Niger et dans la sous-région ouest africaine. L’étude utilise le modèle Logit pour modéliser la décision d’adoption et le modèle Tobit pour modéliser l’intensification des semences améliorées du niébé.

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Zone d’étude, échantillonnage et collecte des données

Dans les zones agricoles du Niger, une quinzaine de variétés améliorées du niébé sont utilisées par les agriculteurs (MDA, 2016). Ces variétés ont été introduites par les institutions de recherches, les partenaires, les services agricoles, les privés et les producteurs eux-mêmes.

Les données de l’étude ont été collectées dans le Sud-Ouest à climat tropical humide et le Centre-Est à climat sahélien du Niger (Figure 1).

Les communes et villages d’étude ont été choisis avec l’aide des agents de Service Départementaux de l’Agriculture sur la base des critères suivants : (i) importance de la production de niébé, (ii) bénéficiaires des semences améliorées de niébé distribuées par l’État ou PPAAO ou FAO au cours des trois dernières années, (iii) développement de l’activité de production de semences certifiées de niébé et (iv) existence d’au moins un privé qui appuie la diffusion des semences améliorées de niébé. Dans le Sud-Ouest, les villages d’étude sont Balléyara, N’Gawa et Tabla (Ballkéyara), Boubon, Karma et Tagabatchi (Kollo), Mamaga, Bokki et Djabou (Say). Au niveau du Centre-Est les villages sont Bougoum, Brundi, Tourmou et Kandine (Damagaram Takaya), Angoual Gamji, Bandé et Magaria (Magaria). Au total 16 villages, dont 9 dans la zone Sud-Ouest et 7 au Centre-Est, ont été visités.

Les personnes enquêtées sont les chefs de ménage agricoles. Ces personnes ont été échantillonnées sur la base de la liste des ménages agricoles de chaque village. Pour certains villages, cette liste a été élaborée lors du passage de la collecte de données. Par contre, pour d’autres, nous avons utilisé la liste fournie par les Services de l’Agriculture. Dans ce dernier cas, une actualisation a été faite au village avec l’aide des chefs et autres personnes ressources. Pour l’ensemble des villages d’étude, 4 159 ménages agricoles ont été recensés. Nous avons enquêté 612 ménages, correspondant à 15% du total. Ces ménages enquêtés ont été choisis à l’aide de la méthode de tirage aléatoire simple sans remise après avoir numérotés tous les ménages de 1 à N pour chaque village. Les données ont été collectées à l’aide d’un questionnaire comportant des informations sur les caractéristiques socio-économiques, démographiques, institutionnelles, l’utilisation des semences améliorées du niébé, les perceptions sur le risque de production et sur les caractéristiques de ces semences améliorées.

Cadre théorique de l’adoption et de l’intensification des nouvelles technologies

Le producteur fonde sa décision d’adoption ou d’intensification d’une technologie sur la base du principe de rationalité et particulièrement l’hypothèse de maximisation de l’utilité de la théorie néoclassique. Il n’adopte ou n’intensifie la technologie que si la profitabilité anticipée est supérieure à celle de la non adoption ou non intensification (Marenya et Barrett, 2007). Toutefois, il est bien établi que la raison pour laquelle les agriculteurs adoptent une technologie va au-delà de ces considérations de la théorie néoclassique. Le producteur rationnel préfère la culture (variétés) qui lui procure le plus d’utilité.

Les travaux en économie sur l’adoption et l’intensification des technologies montrent que les décisions des agriculteurs sont influencées par des multiples facteurs endogènes ou exogènes (observables et non observables directement) et les caractéristiques intrinsèques de la technologie (Ngondjeb et al., 2011; Combary, 2013; Mabah et al., 2013; Mbetid-Bessane, 2014; Mounirou, 2015; Roussy et al., 2015).

Dans le cadre de la présente étude, l’adoption fait référence aussi bien à la décision dichotomique (acceptation ou rejet) qu’à l’intensité d’utilisation (surface engagée sur surface totale disponible) des semences améliorées du niébé.

Dans la littérature économétrique, les modèles d’estimation empirique des décisions d’adoption des technologies dépendent du type de mesure mis en œuvre lors des enquêtes, c’est à dire si l’exploitant à fait un choix discret, hiérarchisé ou d’intensité. Pour l’analyse des choix discrets, comme pour l’étude de l’adoption/rejet, il n’est pas possible d’utiliser des modèles linéaires classiques car les réponses sont binaires. On utilise alors des modèles de choix dichotomiques de type Probit ou Logit. Pour les réponses ordonnées ou hiérarchiques, les modèles polytomiques, comme les Probit et Logit multinomiaux ou ordonnés, sont utilisés (Roussy et al., 2015). Le modèle Tobit permet quant à lui de modéliser l’intensité de l’adoption ainsi que le taux d’adoption des technologies lorsque la variable dépendante est continue et censurée au point 0 (Tobin, 1956 ; Ngondjeb et al., 2011; Combary, 2013).

La fonction d’utilité d’un producteur i est donnée par:

Uij = Uij (Mbetid-Bessane, 2014) (1)

Considérant Xi un vecteur colonne de k facteurs déterminant la décision d’adoption de la variété de niébé et j l’utilité résultant du choix de la variété (j=1,2). Le producteur choisira la variété 1 si Ui1˃Ui2. Cette préférence de choix du producteur peut être représentée par la variable latente Yi* telle que

Yi*= βXi + ɛi (2)

β est un vecteur ligne de k paramètres et ɛi une perturbation aléatoire; Yi*˃ 0 si Ui1˃ Ui2 ; Yi*≤ 0 si Ui1 ≤ Ui2. En définissant une variable dichotomique Yi telle que Y1 = 1 si la variété 1 de niébé est choisie et Y= 0 si non. La probabilité Pi d’adoption de la variété 1 de niébé est par

Pi=Prob (Yi=1)=Prob (Y1*˃0)=Prob (βXi + ɛi˃0) =Prob (ɛi˃-β’Xi) (3)

En supposant une distribution symétrique de ɛi, on obtient: Pi = Prob (ɛi < βXi) = F (βXi), F est une fonction de répartition définie par la loi de ɛi. Selon que ɛi suit une loi normale ou une loi logistique, l’adoption de l’agriculteur peut être représentée par un modèle Logit ou Probit. La présente étude utilise le modèle Logit pour des raisons de simplicité.

Selon Philippe (2013), la forme standard du modèle Logit G est donnée par la formule:

G(z) = exp(z)/ [1+ exp(z)] = A(z) (4)

L’effet marginal de la variation de la probabilité d’adoption des semences améliorées suite à la variation d’une variable explicative est donné par:

G(z) = exp(z)/ [1+ exp(z)]2 (Philippe, 2013) (5)

Le modèle Logit présente la probabilité d’adoption des semences améliorées du niébé sans mesurer l’intensité de cette adoption. Pour se faire, nous utilisons le modèle Tobit.

Si on considère la variable latente Vh* non observée qui dépend des choix alternatifs et des caractéristiques socioéconomique, démographique et institutionnel du producteur (Ki), le modèle Tobit peut s’écrire :

Vh* = Kiλ + ϴi ; i=1, … N (McDonald et Moffitt, 1980) (6)

Vh = 0 si Vh* ≤ 0 non intensité d’adoption des semences améliorées

Vh = Vh* si Vh* ˃ 0, intensité d’adoption des semences améliorées

Où Vh représente la variable observée (intensité d’adoption), λ un vecteur des paramètres inconnus et ϴi le terme aléatoire indépendamment distribué selon une loi normale de moyenne 0 et de variance σ2 et N le nombre d’observations.

La valeur espérée de V est spécifiée de la façon suivante:

E(V) = K’ λ F(z) + σ f(z) (McDonald et Moffitt,1980) (7)

La valeur espérée de V pour les observations au-dessus de la censure (V*˃ 0) est définie par:

E(V*) = K’ λ + σ f(z)/ F (z) (McDonald et Moffitt, 1980) (8)

z représente K’ λ / σ, f(z) la fonction densité normale et F(z) la distribution de la fonction cumulative normale.

L’effet marginal de la variation de la probabilité d’intensité d’adoption des semences améliorées suite à la variation d’une variable explicative s’obtient par:

ΔE(V*)/ ΔKi = λi [1- z f(z)/F(z) – f(z)2/F(z)2 ] (9)

(McDonald et Moffitt, 1980)

Les statistiques descriptives ont été réalisées avec SPSS (Statistical Package for the Social Sciences) version 20 et les estimations du modèle Logit et Tobit ont été faites à l’aide du logiciel STATA (Logiciel statistique de gestion et d’analyse des données) version 13.

Définition des variables des modèles d’analyse

A partir de la littérature théorique et économétrique sur l’adoption des technologies et des données d’enquête, les variables des modèles (Logit et Tobit) ont été définies (Tableau 2). La décision du producteur d’adopter une innovation technologique dépend de facteurs comme les caractéristiques socioéconomiques et démographiques. Dans le cadre de l’étude, la variable dépendante du modèle Logit est l’utilisation de semences améliorées (variable dichotomique) du niébé. La variable dépendante du modèle Tobit est définie comme la proportion de la superficie de semences améliorées (variable continue de 0 à 1) du niébé. Les variables indépendantes sont identiques pour les deux modèles afin de comparer les résultats. Certaines de ces variables sont quantitatives et d’autres qualitatives. Le tableau 2 présente les variables introduites dans les modèles Logit et Tobit.

RÉSULTATS

Cette section présente les résultats de l’analyse descriptive des caractéristiques des ménages, de l’estimation du modèle Logit d’adoption des semences améliorées du niébé, de l’estimation du modèle Tobit d’intensification de l’utilisation de ces semences et la discussion.

Résultats

Caractéristiques des ménages et de leur exploitation

Plusieurs caractéristiques socio-économiques et démographiques sont observées chez les ménages de l’échantillon d’étude (Tableau 2).

Le sexe masculin est majoritaire dans l’échantillon dont beaucoup ont un âge compris entre 39 et 62 ans. L’agriculture reste la principale activité des ménages et le travail journalier en est son secondaire. En moyenne, les ménages ont une taille de 10 personnes dont 4 actifs agricoles. Avec une expérience en agriculture de 23 ans en moyenne, les chefs d’exploitation n’exploitent qu’en moyenne 3,24 ha. Plusieurs personnes interrogées perçoivent le risque de production agricole. Le pourcentage des personnes non instruites est important, le coranique et la scolarisation sont les plus dominant parmi les instruits. L’accès à la vulgarisation agricole et l’appartenance à un groupement de producteurs sont faibles chez les personnes enquêtées. Le bétail et autres biens de production sont observés chez beaucoup des ménages. Ces différentes caractéristiques des ménages enquêtés sont consignées dans le tableau 2.

Déterminants de l’adoption des semences améliorées du niébé

Le test de ratio de vraisemblance indique que le modèle estimé est globalement significatif au seuil de 1%. Ce qui montre la bonne spécification du modèle et que les variables retenues permettent d’expliquer significativement l’adoption des semences améliorées du niébé. Parmi les seize (16) variables introduites dans le model Logit, 8 influencent de manière significative l’adoption des semences améliorées du niébé. Les degrés d’expression de ces variables sont présentés dans la deuxième colonne du tableau 3. Il s’agit de l’accès à la vulgarisation, disponibilité, accessibilité et productivité des semences (1%); âge, éducation et adaptabilité de semences (5%) et accessibilité du village (10%).

Les effets marginaux présentés sur la dernière colonne du tableau 3 montrent l’impact de la variation d’une unité de chaque variable sur la probabilité d’adoption. Ainsi, la variation d’une unité de l’accessibilité du village, l’éducation, l’accès à la vulgarisation et l’adaptabilité, la disponibilité, la productivité des semences améliorées augmente la probabilité d’adoption respectivement de 0,06; 0,05; 0,15; 0,18; 0,39 et 0,12. Cette variation d’une unité de l’âge et l’accessibilité des semences entraîne une diminution de la probabilité d’adoption respectivement de 0,002 et 1,15.

Le taux d’adoption des semences améliorées du niébé est de 39,7%.

Ces différents résultats du modèle Logit sont présentés dans le tableau 3.

Tableau 3: Estimation du modèle Logit d’adoption des semences améliorées du niébé

Déterminants de l’intensité d’adoption des semences améliorées du niébé

Le tableau 4 présente les résultats d’estimation économétrique du modèle Tobit d’intensification de l’utilisation des semences améliorées du niébé. Le test de ratio de vraisemblance indique que le modèle estimé est globalement significatif au seuil de 1%. Ce qui montre qu’il est bien spécifié et que les variables retenues permettent d’expliquer significativement l’intensité d’adoption des semences améliorées du niébé. Cette intensité d’adoption est expliquée par sept (7) variables à savoir: accessibilité du village, perception de risque de production et disponibilité, accessibilité des semences (1%); âge, préférence et précocité des semences améliorées (5%).

Les effets marginaux présentés sur la dernière colonne du tableau 4 montrent l’impact de la variation d’une unité de chaque variable sur la probabilité d’intensification des semences. Ainsi, la variation d’une unité de l’accessibilité du village, la perception de risque de production et la préférence, la disponibilité et la précocité des semences augmente la probabilité d’intensification de semences respectivement de 5,53; 8,96; 15,85; 23,33 et 5,06. Cette variation d’une unité de l’âge et l’accessibilité des semences entraîne une diminution de la probabilité d’intensification de semences respectivement de 1,34 et 15,65.

DISCUSSION

Déterminants de la décision d’adoption des semences améliorées du niébé

En dehors de l’âge et accessibilité des semences, toutes les autres variables qui déterminent la décision d’adoption des producteurs ont le signe attendu. Le signe négatif de l’âge indique les producteurs les plus âgés (expérimentés) ont tendance à rejeter les semences améliorées du niébé contrairement aux jeunes agriculteurs. Ce résultat montre que les personnes âgées ne sont pas favorables au changement des variétés proposé par la vulgarisation, probablement pour des raisons culturelles ou de réticence. On peut aussi penser que les producteurs les plus âgés valorisent moins les bénéfices à long terme des semences améliorées du niébé. Le rôle de l’âge dans l’adoption de technologie est diversement apprécié (Ndondjeb, 2011; Mabah et al., 2013). Le rôle positif de l’accessibilité du village, l’éducation, la vulgarisation et la disponibilité, l’adaptabilité, l’accessibilité et la productivité des semences améliorées a été révélé par la littérature (Mabah et al., 2013; Barham et al., 2014; Mounirou, 2015; Roussy et al., 2015). Les agriculteurs les plus éduqués disposent de plus d’informations leur permettant de mieux évaluer les semences améliorées et ainsi de limiter leur niveau d’incertitude (Roussy et al., 2015). Mariano et al. (2012) montrent que le contact des producteurs avec les agents du conseil agricole a un effet positif sur l’adoption de nouvelles techniques de production du riz.

Certaines caractéristiques des semences améliorées (adaptabilité et productivité) ont une influence positive alors que l’accessibilité a une influence négative sur l’adoption. Les perceptions d’une innovation se font à travers ses caractéristiques telles que la profitabilité, l’efficacité et l’adaptabilité. Plus les agriculteurs perçoivent l’intérêt de l’innovation, plus son adoption est accrue (Pandit et al., 2011; Abdulai et Huffman, 2014). Les perceptions des agriculteurs sur l’innovation sont fortement liées aux perceptions de risques et peuvent être modifiées par l’acquisition d’expériences ou d’informations. Ainsi, le résultat sur l’influence de la perception des producteurs sur l’accessibilité trouvée dans notre étude est surprenant. En fin l’appartenance à un groupement de producteur n’a aucune influence sur l’adoption des semences améliorées de niébé dans la zone d’étude. Cette situation est inattendue mais montre que les organisations de producteurs des villages d’étude ne fournissent pas d’informations sur les semences améliorées à leurs membres.

Ces structures paysannes n’existent que sur le papier mais n’exercent aucune activité puisqu’elles ont été mises en place à la demande des partenaires au développement et non à l’initiative propre des agriculteurs. Sur cette variable, nos résultats sont en contradiction avec la littérature. En effet, les réseaux locaux et la coopération entre les agriculteurs favorisent ou expliquent l’adoption de l’innovation. Ces cadres d’échange permettent aux producteurs l’acquisition d’informations et de partage d’expériences, ce qui réduit l’incertitude des exploitants et les aide à percevoir de manière plus objective l’innovation et les risques encourus (Kuhfuss et al., 2013; Parcell et Gedikoglu, 2013).

Déterminants de la décision d’intensification des semences améliorées du niébé

Les résultats économétriques du modèle Tobit montrent que dans la zone d’étude, l’intensification des semences améliorées est déterminée par l’accessibilité du village, la perception de risque de production, l’âge et la préférence, la disponibilité, la précocité, l’accessibilité des semences. A l’exception de l’âge et l’accessibilité des semences, toutes les autres variables influencent positivement la décision d’intensification des semences améliorées du niébé. Ces résultats sont en accord avec les travaux de nombreux auteurs en Afrique comme Mbetid-bessane (2013 et 2014) en Centrafrique, Ngondjeb et al. (2011) au Cameroun et Combary (2013) au Burkina Faso. Ces auteurs ont montré que les variables institutionnelles, sociales et économiques jouent un rôle déterminant dans l’intensification agricole par les intrants de production. Les élasticités révèlent que la perception du risque de production conduit au rehaussement de la dose des semences améliorées du niébé.

Dans la zone d’étude, le risque de production les plus fréquents sont liés au changement climatique et les ennemies de cultures. Les producteurs réalisent leur choix en fonction de leurs préférences et de leurs perceptions du risque qui est un des principaux facteurs de rejet d’une innovation (Mounirou, 2015). Menapace et al. (2013) montrent que les agriculteurs les plus averses au risque perçoivent de manière accrue les risques de pertes sur leur récolte. Adesina et al. (1995) montrent que si les nouvelles variétés de sorgho permettent de réduire la perception de risque de production sur le rendement, elles sont plus facilement adoptées par les agriculteurs. De leur côté, Greiner et al. (2009) montrent que les agriculteurs qui perçoivent principalement le risque de sécheresse, adoptent les bonnes pratiquent de conservation de l’eau. Une innovation sera d’autant plus adoptée qu’elle est perçue comme moins risquée que la situation actuelle de l’agriculteur et que son avantage relatif est évalué comme positif par l’agriculteur (Roussy et al., 2015).

Les ménages d’un village d’accès facile c’est-à-dire situé sur une voie latéritique ou goudronnée ont une forte probabilité d’intensification de l’utilisation des semences améliorées du niébé. Ce rôle de la position géographique du village dans l’intensification des intrants agricoles a été révélé par Combary (2013) au Burkina Faso. Cet auteur montre que les producteurs du village situé sur une voie latéritique ont une grande probabilité d’intensification de l’utilisation des engrais. La perception de risque de production, le sexe et l’accès à la vulgarisation agricoles augmentent la probabilité d’intensification des semences améliores du niébé. Pendant que la préférence et la disponibilité des semences augmente son intensification, l’accessibilité réduit cette intensité.

Ce résultat inattendu se justifie du fait que les semences sont distribuées gratuitement par l’État et les partenaires, donc leur accès par les producteurs est facilité dans la zone. Un autre résultat non attendu est lié à la non influence sur l’intensification des semences des variables comme l’éducation, l’appartenance à un groupement de producteurs, l’adaptabilité, la qualité et la productivité des semences améliorées du niébé. Ainsi, les résultats sur ces variables ne confirment pas les travaux de Mbetid-bessane (2013 et 2014) en Centrafrique, Ngondjeb et al., (2011) au Cameroun et Combary (2013) au Burkina Faso. Ces auteurs ont trouvé que ces variables augmentent la probabilité d’intensification des intrants agricoles.

Chez les producteurs des zones Sud-Ouest et Centre-Est du Niger, quatre (4) variables déterminent à la fois les décisions d’adoption et d’intensification des semences améliorées du niébé. Ces variables sont: l’accessibilité du village, l’âge et la disponibilité, l’accessibilité des semences. L’éducation, l’accès à la vulgarisation agricole et adaptabilité, productivité des semences influencent uniquement la probabilité d’adoption des semences améliorées du niébé. La perception du risque de production et préférence, précocité des semences affectent seulement la probabilité d’intensification d’utilisation des semences améliorées de niébé. La prise en compte de ces déterminants d’adoption et d’intensification des semences améliorera l’efficacité, l’impact et la durabilité des actions de recherche et de vulgarisation des semences.

CONCLUSION

Dans le Sud-Ouest et le Centre-Est du Niger, plusieurs variables déterminent l’adoption et l’intensification des semences améliorées du niébé. L’accessibilité du village, l’éducation, l’accès à la vulgarisation et l’adaptabilité, la disponibilité, la productivité des semences augmentent la probabilité d’adoption. Par contre, l’âge et l’accessibilité des semences diminuent cette probabilité. Le taux d’adoption des semences améliorées du niébé est estimé à 39,7% de l’échantillon. L’intensification des semences est positivement influencée par l’accessibilité du village, la perception de risque de production et la préférence, la disponibilité, la précocité des semences. Par contre, cette intensification est négativement influencée par l’âge et l’accessibilité des semences améliorées de niébé.

Ces résultats permettent de tirer plusieurs implications en termes de politiques agricoles pour l’amélioration de la productivité de l’agriculture vivrière durable au profit de la sécurité alimentaire. Ainsi, le devenir de ces politiques dépendrait de comment les déterminants de l’adoption et de l’intensification des semences améliorées identifiés par l’étude seront pris en compte. A ce titre, les chercheurs et les développeurs engagés dans la diffusion des semences améliorées doivent renforcer les actions de l’information, la formation et la sensibilisation des agriculteurs. Des facilités sont aussi nécessaires pour favoriser la disponibilité et l’accessibilité physique et économique des semences améliorées afin de rehausser le taux d’adoption et l’intensité d’utilisation de cet intrant, base de toute production agricole.

Cependant, l’étude présente deux principales limites. Premièrement, les données ont été collectées sur la base de la déclaration des personnes enquêtées, ce qui peut entraîner des subjectivités dans les réponses fournies par les enquêtés. Deuxièmement, l’étude ne fait pas de distinction entre les différentes variétés améliorées du niébé diffusées pour déceler le taux et déterminants d’adoption et d’intensification de chacune d’entre elles.

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