Résumé

Le «Bayoud», fusariose vasculaire du palmier dattier, est une maladie séculaire sévissant dans les oasis marocaines. L’importance stratégique de la phoeniciculture dans l’agriculture oasienne amorce son intensification par la création de nouveaux projets d’investissement sur des terrains potentiellement indemnes du Bayoud, mais proches de zones contaminées. La réussite de ces investissements requiert des mesures drastiques de prophylaxie et d’exclusion de l’agent pathogène. Dans ce travail, nous résumons les principaux acquis de recherche pouvant étayer cet effort. Nous faisons une analyse de la situation épidémiologique du Bayoud au Maroc et nous apportons une vision de gestion intégrée basée sur la détection précoce, la cartographie, et la résistance génétique pour limiter l’expansion de la maladie et sécuriser les investissements dans les nouvelles aires d’extension de culture du palmier dattier.


Mots clés: Palmier dattier, Bayoud, détection précoce, cartographie, résistance génétique

INTRODUCTION 

Le palmier dattier (Phoenix dactylifera L.) est une angiosperme pérenne dont la culture se localise principalement dans l’hémisphère nord du globe entre les parallèles 9° et 33° (Toutain, 1967; Munier, 1973). C’est une espèce monocotylédone dioïque (inflorescences mâles et femelles portées par des individus séparés) et diploïde (2n=36), bien que certaines variétés sont polyploïdes. Taxonomiquement, le dattier est classé dans le groupe des spadiciformes, l’ordre des palmacées (arecaceae), la sous-famille des coryphoïdées, et la tribu des phoénicées.

Dans l’immensité hostile du désert marocain, le palmier dattier a été depuis des temps l’échine qui supporte la vie dans un climat cruel. La palmeraie marocaine, auparavant constituée principalement de plantations traditionnelles le long des oueds et autour de points d’eau éparpillés du Sud-est au Sud-ouest, connaît actuellement une nouvelle dynamique. Pour atteindre ses objectifs de modernisation du secteur phoenicicole et d’intensification de la production dattière, l’état subventionne la création de nouvelles plantations. Grâce à cette politique, des milliers d’hectares de palmiers dattiers ont été plantés et de grands projets modernes ont vu le jour dans des zones à l’extérieur, mais proche, des oasis traditionnelles.

La protection contre le risque d’attaque par la maladie du Bayoud constitue un premier pas vers la réussite de ces investissements. Le Bayoud est une trachéomycose (maladie vasculaire) destructive et mortelle causée par le champignon tellurique Fusarium oxysporum f. sp. albedinis (Foa). Le Foa vit dans le sol et s’attaque par les racines aux palmiers de tout âge. Après une période plus ou moins longue le cœur de l’arbre fini par flancher causant sa mort. Depuis son apparition vers la fin du 19ème siècle (Djerbi, 1988), la maladie sévit dans toutes les principales oasis marocaines y causant des pertes économiquement considérables et une érosion génétique ayant fait disparaître un certain nombre de génotypes de qualité. Nos investigations sur le terrain montrent que le Bayoud est très répandu dans les palmeraies de Drâa, ziz, Tata et Figuig. La maladie existe aussi dans des oasis de moindre importance, comme celles d’Akka, Fom Elhisn, Fom Zguid, Taghajijte et Guelmim. Dans toutes ces contrées, des arbres moribonds et d’autre atones jonchant le sol sont le résultat de dégâts infligés par la maladie des années durant. Les causes qui ont mené à cette situation déplorable sont multiples, notamment:

• La période relativement longue qui s’est étalée entre l’apparition de la maladie (fin 19ème siècle) et l’identification scientifique de l’agent causal (Malençon, 1934). La cause et les moyens de dissémination du pathogène ayant été ignorés, les précautions nécessaires pour freiner la progression de la maladie ne pouvaient être prises.

• La pratique de l’irrigation gravitaire, basée généralement sur l’inondation des parcelles par les eaux de crues durant les périodes pluvieuses. A cause de cette méthode d’irrigation, l’eau est considérée comme le vecteur principal de distribution de la maladie à grande échelle en entraînant des particules de sols contaminés vers des zones indemnes.

• Les échanges entre agriculteurs de matériel végétal de qualité (rejets de variétés sensibles comme la Mejhoul, Boufeggous etc.), mais contaminé.

Devant l’incurabilité de la maladie, un important corpus de recherche et d’études ont été menées au Maroc pour la mise au point d’un paquet technique en mesure de limiter son impact. Les travaux de recherche ont visé le renforcement de tous les maillons dans la chaîne de lutte pour une gestion efficace de la maladie. Nous présentons ici l’état de l’art et les principaux acquis de recherche en matière de lutte contre le Bayoud. Ensuite, nous analysons le risque de dissémination du Foa de zones infestées vers d’autres encore indemnes. Enfin, nous proposons une vision intégrative de plusieurs outils scientifiques et techniques (détection précoce, cartographie et résistance variétale) pour contenir la maladie dans les zones déjà infestées et prévenir son expansion vers les plantations indemnes nouvellement installées.

PRINCIPAUX ACQUIS EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE BAYOUD

Les efforts de lutte contre le Bayoud au Maroc ont été axés sur les orientations principales décrites ci-dessous.

Promotion de la prophylaxie

La prophylaxie désigne le processus actif ou passif ayant pour but de prévenir l’apparition, la propagation ou l’aggravation d’une maladie. Vu l’importance de ce processus, le Ministère de l’Agriculture au Maroc, à travers ses institutions de recherche et de formation dans le domaine agricole (INRA, IAV, ENA), anime des sessions de formation périodiques au profit d’une large gamme d’intervenants dans le secteur phoenicicole (agriculteurs, agents de développement, techniciens, ingénieurs etc.) sur la gravité de la maladie, sa biologie, les voies possibles de sa dissémination et les mesures préventives à prendre pour limiter sa propagation. En effet, dans la quasi-totalité des projets et conventions de recherche et recherche-développement mis en œuvre antérieurement par le ministère et différents partenaires nationaux et internationaux (POS, POT, AIEA, IPGRI, OADA, FAO etc.) la composante formation a toujours été une partie intégrante dans l’implémentation de ces collaborations.

Développement de techniques de détection précoce et de cartographie de la maladie

La détection précoce est l’un des enjeux majeurs dans toute stratégie de lutte contre les maladies incurables des plantes. La détection précoce permet de ménager rapidement des stratégies d’éradication ou de confinement, et donc de réduire les pertes économiques et les effets environnementaux.

Concernant le Bayoud, des travaux antérieurs ont permis de mettre au point une technique moléculaire basée sur la PCR (Polymerase Chain Reaction ou réaction de polymérisation en chaîne) pour la détection de l’agent causal de la maladie. La PCR est largement utilisée dans le domaine de la phytopathologie pour la détection de divers micro-organismes phytopathogènes. Cette méthode consiste à amplifier une région génomique (ou gène) spécifique à l’organisme cible en utilisant des amorces ayant la capacité de repérer et s’hybrider spécifiquement aux régions flanquantes du gène recherché. Après amplification, la présence ou l’absence du gène, et par conséquent du pathogène, est confirmée après migration du produit de la PCR dans un gel d’agarose et visualisation sous lumière UV. Deux paires d’amorces ayant la capacité de détecter différentiellement l’agent causal du Bayoud d’autres espèces Fusariennes non-pathogéniques avec la technique de la PCR ont été développées (Fernandez et al., 1998; Figure 1). La fiabilité de ces paires d’amorces a été confirmée par d’autres études ultérieures (Freeman et Maymon, 2000). Cette approche a un grand potentiel d’utilisation pour la détection du Foa dans les sols nouvellement plantés où les palmiers ne présentent aucuns symptômes de la maladie, ou dans les sols destinés à l’installation de nouvelles exploitations. Cela constituera un outil puissant dans l’orientation du choix des sites de plantation avec des risques faibles.

Toutefois, la validation des amorces spécifiques au Foa a été faite en utilisant l’ADN purifié de celui-ci et d’autres Fusarium. L’utilisation de ces amorces pour sa détection dans un sol contenant l’ADN de millions d’autres microorganismes reste à vérifier et à optimiser. Une étude visant cet objectif est en cours à l’INRA-Maroc avant l’utilisation de ces amorces pour des fins de détection précoces dans les sols de palmeraies.

Figure 1: Gel d’agarose illustrant l’amplification par deux paires d’amorces spécifiques de deux fragments d’ADN de tailles différentes (bandes 1) dans le génome du Fusarium oxysporum f. sp. albedinis. Les profils 2 et 3 montrent l’absence d’amplification à partir des génomes d’autres espèces fusarienne (Fernandez et al., 1998)

La connaissance de la distribution géographique actuelle du Bayoud est aussi un élément clé qui peut apporter plus de visibilité sur la dynamique de l’évolution potentielle de la maladie et la stratégie à appliquer pour prévenir sa propagation. Une étude pilote de reconnaissance et de repérage géoréferencé de foyers actifs du Bayoud dans la palmeraie d’Aoufous, Région d’Errachidia, a été menée à l’INRA-Maroc. Dans cette étude, des investigations de terrain et des analyses de laboratoire du matériel végétal collecté de palmiers montrant des symptômes ont confirmé la présence de la maladie dans les zones prospectées. Les coordonnées GPS des foyers actifs ont été relevées et utilisées avec des images satellitaires dans un système d’information géographique pour corréler la présence/absence de la maladie avec des signatures spectrales spécifiques aux arbres atteints de la maladie. Les résultats ont montré que les foyers actifs de la maladie se situent dans les zones catégorisées « zones de stress » (Figure 2). Ceci suggère que les prospections du terrain et les analyses du végétal suspect couplés à l’usage de SIG et d’images satellitaires peuvent constituer des outils fondamentaux dans les actions de délimitation géographique et d’endiguement du Bayoud.

Figure 2: Foyers actifs du Bayoud (marqués par +) dans les zones prospectées de la palmeraie d’Aoufous

Élaboration d’une technique de désinfestation du sol

L’intervention opportune est une action décisive pour circonscrire et éradiquer une maladie suite à son apparition dans une zone indemne. Les résultats de recherche ont montré la possibilité de prévenir la progression du Bayoud en cas d’introduction dans des zones indemnes par un traitement localisé du sol basé sur la combinaison de la solarisation avec la fumigation (Figure 3; Essarioui et Sedra, 2017). La conduite technique des vergers de palmier dans les aires d’extension, notamment la pratique de l’irrigation localisée, ne permettant pas la dissémination du pathogène par les eaux d’irrigation et les mesures de prévention et d’exclusion rigoureuse pratiquées par les investisseurs, sont aussi des facteurs qui complètent cette stratégie de lutte.

Découverte de sols suppressifs et possibilité de lutte biologique

La suppressivité/résistance naturelle des sols aux diverses maladies de plantes causées par Fusarium a été initialement découverte au 19ème siècle par Atkinson (1892) et décrite plus tard dans toutes les contrées du globe (Smith et Snyder, 1977; Scher et Baker, 1980; Alabouvette, 1986; Hopkins et al., 1987; Sneh et al., 1987; Peng et al., 1999; Dominguez et al., 2001). Dans la foulée de telles études, des sols suppressifs à la maladie du Bayoud ont été découverts au Maroc dans la région de Marrakech (Sedra et Rouxel, 1989). Cette résistance à la maladie a été attribuée à l’activité antagoniste de la microflore résidant dans ces sols vis-à-vis du Foa. Cette découverte a ouvert de nouvelles pistes de recherche pour le développement de techniques de lutte biologiques contre le Bayoud. Des microorganismes parmi les plus antagonistes à l’agent pathogène ont été isolés et caractérisés (Sedra et Maslouhy, 1994) et leur capacité à juguler la croissance in vitro et in vivo du Foa a été démontrée (Essarioui et Sedra, 2010).

En plus de l’antagonisme microbien, des substrats biocides à base d’extraits de plantes et de la chitine pouvant inhiber la croissance du Foa et favoriser celle de ses antagonistes ont été identifiés (Essarioui et Sedra, 2010). L’amendement organique de sol après désinfestation avec des substrats biocides et l’introduction de microorganismes antagonistes ayant la capacité de coloniser le vide biologique créé par la désinfection du sol pourrait contribuer dans la pérennisation de l’effet de traitement de sol par le rétablissement d’une microflore bénéfique à même de protéger les racines des palmiers contre l’attaque du Foa.

Dans l’ensemble, nous pensons que le tandem biocide-antagonisme, cautionné en amont par la désinfection du sol et en aval par une rigueur collet monté dans la conduite des vergers du palmier, aurait sa justification dans une stratégie de lutte intégrée contre le Bayoud du palmier dattier.

Sélection de variétés résistantes

La résistance génétique est le moyen le plus efficace pour lutter contre les maladies vasculaires causées sur diverses plantes par les différentes formes spécialisées du Fusarium oxysporum. Les insuccès de la stratégie de lutte chimique préconisée au lendemain de l’identification du Bayoud ont réorienté les efforts vers la sélection massale de variétés résistantes à la maladie. De nombreuses campagnes de prospection visant l’exploration de l’importante diversité génétique de palmeraie traditionnelle marocaine, ont été menées pour le repérage de génotypes à caractères agronomiques intéressants, dont la résistance au Bayoud. Des pieds de palmiers prospérant dans des foyers actifs de la maladie ont été prélevés pour tester leur résistance par des techniques d’inoculation artificielle (Sedra, 1994a,b). Les résultats de ce programme étaient concluants et plusieurs variétés et clones résistants ont été sélectionnés par l’INRA (Sedra, 2015), notamment les variétés Ayour (INRA- 3415), Hiba (INRA-3419), Tanourte (INRA-3414), Al Baraka (INRA-3417), Tafoukte (INRA-3416), Mabrouk (INRA-1394), Khair (INRA-3300) et Najda (INRA-3014). Celle-ci a été multipliée à grande échelle par des techniques de culture des tissus et utilisée pour la réhabilitation des zones dévastées par le Bayoud. Le programme de sélection massale a donné naissance à une nouvelle série de 7 variétés de bonne qualité fruitière dont la vérification de la résistance à la maladie est en cours.

Bien que la lutte génétique ait permis de gérer efficacement la maladie dans les zones infestées pendant des décennies, l’utilisation d’une seule variété, en l’occurrence « Najda », dans cette stratégie engendrera une pression de sélection sur les populations du Foa qui risque d’évoluer en nouvelles races capables de surmonter les mécanismes de résistance. Par conséquent, il est temps de déployer de nouvelles variétés résistantes, aux mécanismes de résistances divers, pour se mettre en garde contre, et anticiper, l’éruption d’une épidémie dévastatrice du patrimoine phoenicicole.

ANALYSE DE RISQUE DE DISSÉMINATION DU BAYOUD DE ZONES CONTAMINÉES VERS DES ZONES INDEMNES

Si tant est que plusieurs plantations modernes du palmier dattier sont établies sur des terrains jamais cultivés et très probablement indemnes de l’agent du Bayoud, Il n’y a pas d’information suffisante pour confirmer ou infirmer cette hypothèse. En outre, la proximité géographique de la majorité des sites d’implantation de nouvelles exploitations phoenicicoles par rapport aux palmeraies traditionnelles hébergeant des foyers actifs du Bayoud (Figure 4), la monoculture basée sur des variétés à grande valeur marchande mais hautement sensibles (Mejhoul, Boufeggous, Bouskri), l’uniformité génétique, et l’intensification culturale sont autant de facteurs qui augmentent le risque d’attaque par le Bayoud. Devant cette situation, et en l’absence de moyens de traitements curatifs contre la maladie, l’application des mesures de prophylaxie et la détection précoce demeurent les dispositions principales à prendre pour prévenir une expansion épidémique de la maladie dans les zones encore indemnes.

La stratégie d’exclusion du pathogène doit se baser sur la connaissance de la situation actuelle de la maladie et l’évaluation des risques imposés par sa distribution géographique. Les palmeraies traditionnelles constituent la source principale d’inoculum pouvant contaminer les zones d’extensions du palmier dattier. Bien que nos données indiquent que la maladie soit présente dans toutes les palmeraies marocaines et que le mode de conduite, notamment l’irrigation gravitaire et la densité élevée des plantations, soit en faveur d’une distribution élargie de la maladie au sein de ces oasis, de plus amples investigations couvrant systématiquement ces zones sont nécessaires afin d’élargir notre visibilité sur la situation actuelle de la maladie et disposer d’un outil fiable d’évaluation du risque de dissémination de la maladie vers les nouveaux investissements.

STRATÉGIE PROPOSEE POUR UNE GESTION INTEGREE DU BAYOUD AU MAROC 

La gestion du Bayoud au Maroc devra capitaliser sur les acquis de recherche pour renforcer les bases scientifiques et techniques de lutte. Spécifiquement, cette approche peut être articulée autour de 3 principaux axes:

• Détection et cartographie de la maladie dans les régions oasiennes;

• Délimitation des zones de palmeraies prioritaires en matière de réhabilitation;

• Déploiement de nouvelles variétés résistantes pour la réhabilitation des zones dévastées par le Bayoud.

Détection du Bayoud

La distribution de la maladie peut être appréciée de deux techniques différentes, l’analyse du végétal et du sol. L’analyse du végétal repose sur la détection de l’agent pathogène dans les tissus des plantes montrant les symptômes de la maladie, tandis que l’analyse du sol se base sur l’utilisation de techniques de la biologie moléculaire, notamment la PCR, pour détecter l’éventuelle présence du Foa dans le sol. Chacune des méthodes présente des avantages et des inconvénients selon le contexte d’utilisation, zones à palmiers symptomatiques versus zones à palmiers asymptomatiques.

En effet, l’analyse du végétal est la technique la plus fiable pour la confirmation de la présence du pathogène dans le sol. L’utilisation du palmier comme plante indicatrice permet de confirmer de manière irrévocable la présence du Foa dans le sol. De ce fait, il est plus judicieux de prôner l’analyse du végétal pour détecter le Bayoud dans les zones de réhabilitation ou la maladie est déjà répandue.

Toutefois la détection du Bayoud dans un palmier ne peut se faire qu’après l’observation des premiers symptômes. Or, dans le contexte de nouvelles plantations, attendre l’apparition des symptômes signifie que la maladie est déjà établie et peut occasionner des dégâts. Par conséquent, il faut adopter une action anticipatrice de surveillance pour prévenir son installation. En l’absence de symptômes sur des palmiers, la PCR reste la seule technique à même de dépister le Bayoud dans le sol. C’est pour cette raison que cette approche s’adapte le mieux au contexte des zones avec des palmiers d’apparence saine ou destinées à la création de nouvelles exploitations.

Une contrainte pouvant affecter la fiabilité de cette technique est la taille des échantillons à analyser. Des études antérieures ont montré que la distribution du pathogène causant le Bayoud dans les sols contaminés est très hétérogènes et la densité relative de l’inoculum par rapport aux autres micro-organismes de sol est très faible même dans les foyers très actifs de la maladie (Tantaoui, 1989). Ceci dit, l’utilisation de la PCR pour la détection du pathogène dans le sol présente un risque élevé d’erreur de première espèce, rejeter à tort l’existence du Bayoud dans un sol légèrement contaminé. Pour pallier ce problème et augmenter la sensibilité du test basé sur la PCR, il faut procéder à un échantillonnage profond avec éventuellement une stratification autour des palmiers et des trous de plantation.

Cartographie du Bayoud et délimitation des foyers actifs

Zones à palmiers symptomatiques

Les palmeraies concernées par la cartographie du Bayoud peuvent être divisées en quadrats à prospecter par des équipes bien formées pour le repérage et le géoréférencement par coordonnées GPS de pieds suspects atteints de la maladie. La confirmation de présence de la maladie passe par l’analyse d’échantillons de feuilles présentant des symptômes du Bayoud à prélever d’arbres présentant des symptômes typiques. L’établissement des cartes de répartition du Bayoud se fera pour chaque palmeraie sur la base des résultats des analyses et de l’introduction dans un système d’information géographique (SIG) des coordonnées GPS des pieds confirmés atteints de la maladie. Cette approche permettra de délimiter les zones prioritaires en matière de réhabilitation après extrapolation des résultats dans chaque quadrat sur la base de la densité des pieds attaqués.

Comme exemple, la vallée de Ziz héberge la palmeraie la plus proche et la plus menaçante pour la majorité des nouvelles plantations du palmier (Figure 5). Cette vallée s’étend sur une longueur d’environ 64 Km (distance estimée sur Google Earth). Elle peut être divisée en 32 quadrats de 2 km de longueur chacun. Le temps estimatif pour la prospection d’un quadrat par une équipe de 4 membres est de 4 jours, soit un volume de travail de 16 homme-jours/quadrat. Ainsi la prospection de l’ensemble de la vallée de Ziz requerra: 32 quadrats x 16 homme-jours = 512 homme-jours.

Zones non-cultivées ou à palmiers asymptomatiques

L’établissement de l’éventuelle présence de la maladie du Bayoud dans les zones d’extension doit être basé sur des analyses du sol par la PCR. Les échantillons du sol à analyser doivent être prélevés autour de palmiers, ou trous de plantation, choisis au hasard et dont les coordonnées GPS sont connues. Pour mieux cibler les parties à haut risque d’infection, les échantillons de sol doivent être prélevés aléatoirement sur un rayon de 1-1.5 m autour des palmiers (ou trous) échantillonnés eu égard au développement racinaire important et aux conditions d’humidité favorables à l’infection induits par l’irrigation localisée dans cette zone d’échantillonnage. En outre, tenant compte de la possible distribution du Foa dans le profil du sol (Tantaoui, 1989) et des conditions physico-chimiques et biologiques requises pour l’infection, les échantillons du sol à analyser sont à prélever de deux profondeurs, 0,20 cm et 20-40 cm. Ainsi, la présence/absence du Bayoud peut être illustrée sur des cartes en utilisant les résultats des analyses de sol et des coordonnées GPS des palmiers échantillonnés dans un SIG.

Le nombre d’échantillons à analyser est à déterminer sur la base de la précision souhaitée en utilisant la formule: n = (z/ME)2 x p(1-p) (http://epitools.ausvet.com.au/content.php?page=1Proportion) où : n est la taille de l’échantillon, z ou z-score est la valeur statistique pour une précision donnée (z = 2,58 pour une précision de 99 %) (https://measuringu.com/zcalcp/), ME est la marge d’erreur souhaitée, p est la proportion attendu (lorsque p est inconnu, on utilise p = 0,5).

Pour 20 000 ha de plantations à une densité de 100 pied/Ha, soit 2 000 000 de palmiers, la taille minimum de l’échantillon à analyser pour détecter la maladie avec une précision de 99 % et une marge d’erreur de 1 % est de 16588 échantillons du sol. Cet échantillon doit être stratifié sur la taille des différentes exploitations.

Figure 6: Procédure d’échantillonnage du sol dans les zones d’extension pour la détection du Bayoud par PCR

DÉPLOIEMENT DE NOUVELLES VARIÉTÉS RÉSISTANTES DANS LES ZONES A FORTE INFESTATION

Pour accompagner les efforts en matière de cartographie et délimitation spatiale de la maladie du Bayoud, et dans un souci de diversifier les sources de résistance génétique dans les régions identifiées comme foyers actifs, les zones fortement infestées devront être repeuplées avec des variétés résistantes. Le mix variétal permettra de réduire les populations de l’agent pathogène à des niveaux très bas, ce qui endiguera l’expansion du Bayoud à l’intérieur des palmeraies infestées et diminuera par conséquent le risque imminent de son introduction dans les zones indemnes.

CONCLUSION

Gangrénée par l’occurrence du Bayoud, la somptueuse palmeraie traditionnelle au Maroc est aux abois. Sévissant depuis plus d’un siècle, cette maladie vasculaire du palmier dattier entrave l’intensification de la phoeniciculture dans les oasis marocaines. Qui plus est, la maladie impose un risque important aux plantations du palmier dattier établies dans des zones indemnes mais avoisinantes aux palmeraies traditionnelles fortement infestées. La protection de ces investissements requiert une approche intégrée qui prend en considération la distribution géographique de la maladie comme indicateur de niveau du risque, le déploiement de nouvelles variétés résistantes comme mesure de limitation et de confinement des populations de l’agent pathogène, et l’adoption de techniques de détection précoce pour éventuelle intervention opportune en cas d’apparition de nouveaux foyers.

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