Résumé

L’objectif de cette étude a été de comparer la rentabilité des variétés de manioc (Manihot esculenta Cranz.) améliorées par rapport à celles de manioc local et d'évaluer les obstacles d’adoption de nouvelles variétés diffusées par les institutions de recherche dans le site d’étude. Une enquête de terrain a été conduite dans 40 petites exploitations familiales sélectionnées sur l’axe Alibuku (Point kilométrique 30), en utilisant la méthode d’échantillonnage « boule de neige ». La culture du manioc est pratiquée de façon extensive, accompagnée d’une courte jachère. Les principales opérations culturales sont le défrichement, l’incinération, le bouturage, le désherbage et la récolte. Les travaux de désherbage occupent la grande part du coût de production. Le rendement moyen par hectare enregistré par le paysan était de 9 tonnes/ha pour la culture du manioc à variétés améliorées contre 5,7 tonnes/ha dans la culture des variétés locales. Le produit brut généré par le cultivar amélioré est de 348700 CDF/ha (218 USD/ha). Au contraire, la valeur commercialisée par hectare de manioc local est de 119 600 CDF (74,75 USD). Cette disparité de produit brut des variétés améliorées par rapport aux variétés locales serait expliquée par l’amélioration génétique et la résistance à la Mosaïque Africaine du Manioc (MAM). Les rentabilités financières ont été de 1,39 et 3,48 respectivement pour la culture de Manioc local et celle à variétés améliorées. Le manque d’adoption des variétés améliorées, bien qu’étant plus productives que les variétés locales, est expliqué par les préférences locales habituelles (qualité organoleptique, maitrise de mode de production).


 Mots clés: Rentabilité, Manioc amélioré, Manioc local, Alibuku, Tshopo, RD Congo

Introduction

La recherche agricole est l’un des principaux facteurs qui contribuent au changement des systèmes de production agricoles et d’évolution du monde rural. Elle contribue en particulier à l’amélioration de la productivité et des revenus agricoles et à l’évolution des pratiques agricoles (Castellanet, 2013). Elle a joué un rôle crucial dans la sécurité alimentaire et le développement agricole en augmentant la production agricole afin de satisfaire la demande vivrière d’une population en rapide croissance (FAO, 2014).

Par le moyen de la recherche agricole, plusieurs institutions de recherche dont l’Institut International pour l’Agriculture Tropicale (IITA) en tant qu’organisme international spécialisé dans la culture dite tropicale en Afrique subsaharienne, a pour objectif la promotion des cultures tropicales et principalement le manioc dans la province de la Tshopo. Le manioc, plante rustique, est la plante vivrière la plus importante de la zone tropicale humide. En 2020, la production mondiale est estimée à 250 millions de tonnes par an dont 47 % en Afrique (PLANETOSCOPE, 2020). L’importance relative du manioc varie beaucoup selon les objectifs de production : autoconsommation, commercialisation en frais, transformation (Raffaillac, 1996 ; Carter et al., 1992 ; Cock, 1985).

La République Démocratique du Congo, quatrième pays producteur mondiale du manioc derrière le Nigéria, le Brésil et la Thaïlande, se trouve empêchée d’accroitre sa production ces dernières années, suite à une absence de politique pouvant booster le développement de la culture (Faostat, 2020).

L’étude de Kouadio et al. (2010), s’est mis à comparer deux systèmes de culture du manioc : la culture améliorée (le système de plantation en couloir) et le système traditionnel en Côte d’Ivoire. Avec la culture en couloirs, la marge brute a pu être multipliée par 2,8. Elle a augmenté de 36% par rapport au système traditionnel. En outre, lorsqu’un paysan a investi un franc CFA (0,0021 US dollar) dans la culture en couloirs avec l’engrais composé azote, phosphore et potassium (NPK 20 : 36 : 36), cela lui a rapporté 2,69 FCFA (0,0056 dollar) supplémentaires. De même, un franc investi dans la culture en couloirs avec l’engrais organique fiente de poule (10 t/ha) a rapporté une somme supplémentaire de 3,10 FCFA (0,0065 dollar) contre 1,51 FCFA (0,0031 dollar) supplémentaires pour le système traditionnel.

Abalo et al. (2014) ont mené une étude sur la production du manioc et sa valeur sociale et économique dans la préfecture de Vo, Sud-est du Togo, les résultats de leur étude montrent que la quantité de manioc produite au cours des 5 campagnes agricoles de 2007/08 à 2011/12 dans le secteur d’étude est demeurée plus élevée que celle des autres cultures vivrières. Le manioc a atteint au cours de la campagne agricole 2009/10 un volume maximum de 94 336 tonnes, alors que la production du maïs, deuxième spéculation agricole dans la zone, était de 16 678 tonnes. Ils précisent que le manioc était cultivé uniquement pour l’autoconsommation, et il est devenu une culture commerciale pratiquée par la population de la préfecture de Vo. La culture alimente d’importants flux commerciaux débouchant surtout sur la ville de Lomé.

Une étude menée par la FAO en 2013, portant sur : « produire plus avec moins : le manioc », montre que l’amélioration devrait se concentrer sur la création de variétés qui soient bien adaptées à des agro écologies, à des systèmes de culture et à des utilisations finales bien spécifiques et qui donnent de bons rendements en nécessitant un apport minimal de produits agrochimiques et d’irrigation. La reproduction et la distribution systématiques d’un matériel végétal exempt de maladies de variétés améliorées sont essentielles dans une optique d’intensification durable.

Dans la province de la Tshopo, le manioc est un objet hybride à la fois écologique et social. Depuis plusieurs années, la FAO et l’IITA ont entrepris des recherches sur la dissémination des variétés de maniocs améliorés ; cependant, sa dimension socio-culturelle est souvent omise dans les programmes de recherche et de diffusion des variétés améliorées. Nous intéressant au devenir de cette plante dans le contexte des populations qui la cultivent, nous pensons que la liaison des objectifs socio-économiques et culturels contribuerait à l’insertion de ces cultivars améliorés dans cette zone d’étude.

L'amélioration du manioc axée sur la résistance à la maladie de la mosaïque du manioc (MAM) a été réalisée suite à la sélection végétale classique des variétés ayant un impact massif en République Démocratique du Congo (IITA, 2017).

La combinaison de la résistance à la mosaïque du manioc avec celle à la brûlure bactérienne du manioc (CBB) et des rendements élevés des racines a fait du manioc une culture utilisée en période de famine et une source majeure de calories pour les populations des zones rurales et urbaines. Cette réussite a clairement démontré l'impact qu'une sélection végétale bien ciblée pouvait avoir sur la sécurité alimentaire.

Grâce à son programme HarvestPlus, l'IITA a maintenu une approche de sélection variétale et de l'amélioration du manioc par l'introduction et le développement collaboratif de nouvelles variétés de manioc dans la province de la Tshopo. L'un des principaux objectifs a été de comprendre le contrôle génétique des nouvelles variétés, ainsi que la sélection pour, la résistance au virus de la strie brune du manioc et de la mosaïque africaine du manioc.

L'adoption de variétés de manioc mises en circulation avec des niveaux accrus de provitamine A devrait être important, notamment pour la nutrition et la santé des mères et des jeunes enfants.

Cependant, la rentabilité et le résultat de l’adoption de ces innovations dans la zone d’étude (hinterlands de Kisangani en général et Alibuku en particulier) suscite encore des questionnements.

Dans la province de la Tshopo, les études sur la comparaison de la rentabilité variétale du manioc maintenu dans les exploitations familiales et leur mobile d’adoption sont mal connues, et de ce fait peu valorisées.

Cet article évalue la rentabilité de manioc du type amélioré et celui du type local, mais aussi déniche les facteurs qui obstruent l’adoption de nouvelles variétés par les paysans du périmètre d’étude.

Matériels et méthodes

Site d’étude

Alibuku est un périmètre situé à 30 km au Nord de la ville de Kisangani sur la route Buta, à 0°44́ 41̋ de latitude Nord ; 25° 17́ 31̋ de longitude Est et 445m d’altitude par rapport au niveau de la mer (Mbete, 2016).

La végétation naturelle de ce milieu est du type des forêts à Gilbertiodendron dewevrei et les forets hétérogènes à caractère primitif dans lesquelles on reconnait localement une dominance de Cynometra sp. (Synambele, 2003) cité par Mbete, op.cit. Les principales activités économiques sont l’agriculture, le commerce et l’artisanat. 

Collecte des données

Dans l’élaboration de ce travail et considérant à la fois la configuration et l’orientation imprimée à l’analyse de notre objectif d’étude, nous avons choisi la méthode analytique. Il s’est agi d’une méthode à la fois quantitative et qualitative. Cette méthode nous a permis d’analyser les différentes informations et données en rapport avec notre article afin de tirer les conclusions qui s’imposent. Cette méthode a été secondée par la méthode statistique.

Pour matérialiser cette analyse, nous nous sommes servis, au premier degré, d’un échantillonnage à choix raisonné (guidé par l’accessibilité et la forte concentration des activités expérimentales de l’IITA) dans le périmètre de Alibuku.

Les exploitations agricoles familiales nous ont servi d’unités statistiques de recherche, dans lesquelles, le chef de l’exploitation est l’unité déclarante.

Faute de pouvoir interroger tous les agriculteurs, il nous a été convenu d'extraire de ceux-ci un groupe d’agriculteurs retenus qui en fournissent une image, fidèle c'est-à-dire un échantillon représentatif à partir duquel les observations faites, ont été généralisées à l'ensemble des agriculteurs de manioc.

Au second degré, un sondage à choix raisonné a été effectué dans un village se trouvant dans les hinterlands du site expérimental de l’IITA et un autre éloigné du dit site, compte tenu de leur importance dans la culture du manioc.

Ainsi, au troisième degré, d’une manière aléatoire, grâce au sondage en boule de neige ou sondage en réseau ; nous avons enquêté 20 cultivateurs des variétés locales et 20 autres de variétés améliorées.

Traitement et analyse des données

Un questionnaire d’enquête testé par pré-enquête en date du 20 mai 2018, un appareil photo pour capturer les images, les logiciels Microsoft Office Excel 2007 pour l’encodage et le traitement des tableaux ainsi que le logiciel SPSS 20.0 pour les traitements statistiques, sont des outils nécessaires qui nous ont servis dans le cadre de ce travail.

Deux types d’analyses ont été utilisés dans cette étude : analyse statistique et analyse économique.

Analyse statistique

Pour analyser les données, nous nous sommes servis des statistiques descriptive et inférentielle en vue de calculer les paramètres de position (pourcentage) et de dispersion tels que : la moyenne, l’écart-type, les coefficients des variations (CV %) et les tests de comparaison de moyennes.

Analyse économique

Le mode de calcul utilisé dans cette section a été inspiré de la méthode de Dufumier (1996) cité par Kouado et al. (2010) pour caractériser les systèmes de production.

Cependant, cette méthode a été adaptée pour mieux répondre à l’objectif de notre étude. Le calcul a reposé sur la valorisation, aux prix au bord du champ et du marché de la totalité des productions de l’unité considérée (kg, bassin, sac, panier) d’une part ; et d’autre part, a permis de comparer les revenus obtenus pour les différents types de variétés cultivées.

Ensuite, il a été nécessaire d’affecter, à chaque type de variété cultivée (améliorée ou locale), les différents postes de dépenses correspondants (achats d’intrants, dépenses pour la main-d’œuvre agricole et autres affectations).

Ces affectations ont permis de déterminer, pour chaque type de production, le produit brut, le coût de production, la marge brute et le ratio marge brute/coût de production (Rentabilité financière).

Coût de production

Le coût de production a été limité à l’utilisation des matériels aratoires et la rémunération du travail presté par la main d’œuvre extérieure (main d’œuvre contractuelle) pour chaque système de culture enquêté. Dans les sites d’étude, la rémunération de la main-d’œuvre externe a été fixée selon le consensus entre le propriétaire du champ et l’offreur des services par journée de travail. La plupart des enquêtés ont été des propriétaires terriens.

De nombreuses tâches ont été exécutées par contrat de solidarité. Le coût a surtout été fonction de l’intensité du travail et seulement secondairement en relation avec la taille de la parcelle.

Produit brut

Le produit brut calculé (exprimé en franc congolais) a été le produit du rendement commercialisé de manioc (selon les types local ou amélioré) et le prix unitaire.

Marge brute

La marge brute a été la différence entre le produit brut et le coût de production observés au niveau des systèmes de culture de manioc. Elle a permis d’apprécier les coûts et avantages des différentes activités réalisées sur une exploitation.

Ratio Marge brute/Coût de production

La rentabilité des systèmes de production a été calculée par la méthode du ratio marge brute / coût de production. Le ratio marge brute/coût de production indique ce que rapporte 1.00 $USD investi dans l’exploitation de manioc.

Pour effectuer l’analyse économique, le domaine de validité associé au ratio a été défini pour la valeur type 1. Le domaine de validité a permis de rejeter les ratios s’écartant trop de la valeur type 1. Les ratios inférieurs à 1 ont été considérés comme « mauvais ».

Résultats

Contribution de la culture de manioc dans le ménage

L’analyse des résultats indiqués au tableau 1 montre que la plupart de nos sujets d’étude (92,5%) font la culture du manioc pour la vente et la consommation contre 5% qui considère le manioc comme une culture de rente. Selon la plupart des cultivateurs interviewés, la proximité des villages de la ville de Kisangani, qui est le grand centre de consommation du manioc. Cependant, cette culture du manioc occupe la première place dans 56% des ménages enquêtés.

Tableau 1: Contribution de la culture dans le ménage

Temps de travail (hommes-jours/ha)

Le tableau 2 ci-dessous indique les temps de travail des opérations agricoles. La culture du manioc allochtone a présenté le temps de travail le plus faible, soit un total de 27 Hommes Jours/ha comparativement à la culture du manioc autochtone (34 Hommes Jours/ha). La quasi-totalité de la main d'œuvre dans la culture du manioc autochtone (47 %) a été consacrée au défrichage et au bouturage, soit seulement 18 % pour l’incinération et le deuxième sarclage. Cependant, la quasi-totalité du travail dans la culture du manioc allochtone (48 %) a été consacrée au défrichage et au bouturage, soit seulement 14 % pour l’incinération et le deuxième sarclage.

La rémunération d’une journée de travail représente ce que dépense le producteur lorsqu’il fait une journée de travail dans son champ. La rémunération a varié d’un type de culture à un autre. Elle a été de 10256 CDF/HJ (6,41 dollars/HJ) pour la culture du manioc autochtone et 4430 CDF/HJ (3 dollars/HJ) pour la culture du manioc allochtone.

La main-d’œuvre étant à 2250 CDF/Jour (1,4 dollars/jour) dans les sites d’étude, un producteur pourra économiser, en une journée de travail sur sa parcelle, 8006 CDF (5 dollars) pour la culture du manioc local et 2180 CDF (1 dollar) pour la culture du manioc allochtone. 

Tableau 2: Temps de travail (hommes-jour/ha)

Intrants agricoles utilisés

La lecture du tableau 3 montre que 100 % d’agriculteurs n’utilisent pas des fertilisants, à cause de la fertilité du sol (36,7 % d’agriculteurs) mais aussi de la rareté et du coût exorbitant des fertilisants (63,3 %). Concernant le mode d’acquisition des boutures, 31,3 % d’agriculteurs achètent auprès d’une organisation semencière certifiée et 68,7 % utilisent des boutures tout venantes. Les résultats montrent que l’IITA constitue une structure qui offre les boutures certifiées et saines (52,5 % d’opinions) contre 47,5 % des sujets qui ne reconnaissent aucune structure qui offre des boutures certifiées et saines dans le milieu.

Tableau 3: Intrants agricoles utilisés

Coût des matériels aratoires

Il relève de ce tableau 4 que les coûts d’acquisition de matériels aratoires utilisés par les agriculteurs ont varié selon l’importance de chaque outil. La machette, la houe et le couteau ont coûtés 12400 CDF avec un écart-type de 600 CDF pour la culture du manioc allochtone et 10550 CDF avec un écart-type de 450 pour la culture du manioc autochtone.

Tableau 4: Coût des matériels aratoires utilisés par les exploitations agricoles (CDF)

Coût total de production des modes de culture de Manioc

Les coûts de production ont été limités à l’utilisation des matériels aratoires de deux types de variétés de manioc (locale et allochtone) et le travail rémunéré (main-d’œuvre contractuelle) pour chaque type de culture. Ainsi, le coût de production moyen de cultures du manioc à variétés allochtones a été plus élevé 78000 CDF avec un écart-type de 35350 contre 50150 CDF avec un écart-type de 24300 CDF pour la culture du manioc à variétés locales. Les coûts les plus importants dans la culture du manioc à variétés allochtones ont concerné les postes défrichage (19 %) ainsi que le bouturage (23 %). Par ailleurs, les coûts les plus importants dans la culture du manioc à variétés locales ont concerné les postes défrichage (24 %) ainsi que le bouturage (30 %). En revanche, le premier sarclage dans la culture du manioc allochtone et récolte dans la culture du manioc à variétés locales constituent des coûts de production considérables.

Tableau 5: Coût total de production des modes de culture de Manioc

Marge brute

La lecture du tableau 5 montre que l’ensemble des résultats a été fortement positif. Il y a eu une grande différence entre la culture du manioc à variétés locales et celle de la culture du manioc à variétés améliorées. La marge brute de la culture à variétés améliorées a été plus élevée (270900 CDF/ha soit 169,3125 $ USD) que la marge brute de la culture à variétés locales (69500 CDF/ha soit 43,4375 $USD).

Tableau 6: Marge brute

Rentabilité financière de la culture du Manioc à variétés locales et améliorées

Le domaine de validité utilisé n’a pas permis de rejeter les ratios calculés. Les ratios ont été supérieurs à 1. Il n’y a donc pas eu de mauvais ratios. Les ratios ont varié de 1, 39 à 3,48.

Lorsqu’un paysan prend la décision d’investir 1 CDF (0,000625 USD) dans la culture du manioc, cela lui rapporte respectivement 1,39 CDF (0,00087 USD) et 3,48 (0,002175 USD) pour la culture de manioc local et la culture de manioc amélioré.

Tableau 7: Rentabilité financière de la culture du Manioc à variétés locales et améliorées

Facteurs limitant l’adoption des variétés productives allochtones

Les facteurs qui ont justifié l’attachement des cultivateurs aux variétés locales, bien qu’étant moins rentables, ont été d’ordre culturel. La plupart des paysans producteurs (76,19 %) font la comparaison entre les deux types de productions et estiment que les variétés locales ont une meilleure qualité organoleptique que celles diffusées par l’IITA. Cependant, 14,29 % des producteurs maitrisent plus la culture de manioc à variétés locale que celles diffusées par l’IITA et 4,76 % de producteurs pensent que les variétés diffusées par l’IITA peuvent disparaitre par contre les variétés locales demeureront.

Figure 1. Facteurs limitant l’adoption des variétés productives allochtones

Discussions

Suite à la vulnérabilité des cultivars de maniocs locaux dans la RDC en général et la province de la Tshopo en particulier, les programmes de recherche ont été exécutés pour une dissémination des cultivars améliorés plus productifs et résistants à la mosaïque africaine du manioc et de la striure brune, maladies sévissant le manioc dans la contrée. Cependant, ces objectifs ont du mal à répondre aux attentes des bénéficiaires directs (l’agriculture familiale).

La culture du manioc est celle qui utilise moins d’intrants quels que soient les systèmes de culture pratiqués. Cependant, les travaux de défrichage (19% du coût total de production) et de désherbage (39% du coût total de production) ont été les charges les plus considérables dans la culture du manioc. Nos résultats coïncident avec ceux trouvés par Mendez del Villar et al. (2017); Kouado et al. (2010) ; Kang et al. (1984). Selon ces auteurs, dans les petites exploitations, le coût de sarclage de manioc représente respectivement 36% ; 29,2% et plus de 30% de la main d’œuvre. Le coût de la récolte a été plus élevé en culture du manioc local (19%) que dans celle du manioc à variétés améliorées (15%).

Le rendement par hectare (en tubercules frais) est de 8 962,22 kg/ha (9 tonnes/ha) pour la culture du manioc à variétés améliorées contre 5 692, 50 kg/ha (5,7 tonnes/ha) dans la culture des variétés locales. Le produit brut généré par le manioc amélioré est de 348700 CDF/ha soit 218 $USD/ha. Au contrario, la valeur commercialisée par hectare de manioc local est de 119 600 CDF (74,75 $USD). Cette disparité de produit brut des variétés améliorées par rapport aux variétés locales serait expliquée par l’amélioration génétique et la résistance à la Mosaïque Africaine du Manioc (MAM), maladie qui sévit la culture dans le périmètre d’étude.

Le cultivar amélioré (Obama 2) présente un rendement légèrement supérieur à la moyenne de l’Afrique centrale (8,7 tonnes/ha) (Faostat,2020).

En revanche, les variétés locales, majoritairement cultivées, ont un rendement faible. Cette faible production est expliquée par une faible utilisation des intrants extérieurs et l’usage des pratiques culturales extensives (agriculture sur brûlis avec une courte jachère de moins d’une année). Nos résultats corroborent avec ceux trouvés par Abalo et al. (2014) et FAO (2013). Ces études font remarquer que de faibles rendements du manioc au Togo et en Afrique Subsaharienne seraient dus aux pratiques culturales non productives. Cependant, nos résultats sont en dessous de ceux trouvés par Kouakou et al., 2015 (30 tonnes/ha).

La valeur de 1,39 (0,00087 $USD) se compare favorablement avec celle trouvée par Kouadio et al. (2010) dans la rentabilité comparative de systèmes de culture du manioc en Côte d’Ivoire. Selon ces auteurs, une unité monétaire investie dans la production du manioc local rapporte 1, 51 unité monétaire. Cependant, le ratio marge brute/Coût de production obtenu dans la culture de manioc à variétés améliorées (3,48) révèle qu’une unité monétaire investie dans cette production rapporte 3,48 unités monétaires. Ces résultats coïncident avec ceux trouvés par Dao (2004) dans la culture de rente de la région du moyen Comoé en Côte d’Ivoire. Selon cet auteur, le cacao et le café affichent respectivement des ratios de 4 et de 3 dans la zone d’étude. Ce qui nous pousse à conclure que le manioc sortira de sa casquette de la culture de subsistance à une culture de rente, si les parties prenantes dans la recherche & développement s’y investissent.

Bien que plus rentables, le taux de l’adoption de nouvelles variétés (Mayombe et Obama 2) demeure encore faible et insignifiant. Selon les opinions des cultivateurs enquêtés (71%), les variétés améliorées (Mayombe introduite par l’INERA et Obama 2 disséminée par l’IITA) ont une productivité élevée, résistent aux maladies et ont une précocité culturale. Cependant, la qualité culinaire de ces variétés : difficulté de ramollissement lors de la cuisson, une mauvaise qualité de Lituma (manioc frais cuit et pilé) est un obstacle principal de ces variétés améliorés. Le manioc frais cuit et pilé (Lituma) est un repas de base du peuple Lokele et Topoke qui sont les tribus dominantes dans la zone d’étude. C’est pourquoi pour sécuriser leur alimentation, la population s’adonne aux cultivars locaux bien que moins rentables. Nos résultats s’apparentent à ceux trouvés par Dontsop-Nguezet et al. (2020). Sur une étude menée par un panel des pays de la région des grands lacs d’Afrique (Burundi, République Démocratique du Congo et le Rwanda), les auteurs démontrent que l’adoption des technologies d’intensification du système des cultures n’a été suivie que par 48,7% dans la région, avec une disparité par pays. Et même les ménages qui l’ont adopté, seulement ceux de la RDC ont vu leur taux de pauvreté être réduit de 13 points contre 6 points de ceux du Rwanda et les ménages du Burundi n’en ont connu que 2 points de régression de la pauvreté.  

Conclusion

Les résultats de cette étude montrent que la culture des variétés améliorées de manioc a montré une supériorité économique numérique par rapport à la culture des variétés locales.

Le rendement à l’hectare, le produit brut, la marge brute et la rentabilité financière des variétés améliorées du manioc cultivées ont été en moyenne le double de ceux obtenus dans la culture des variétés locales.

Cependant, les coûts de production de la culture de manioc à variétés allochtones ont été plus élevés que ceux de la culture des maniocs autochtones.

Toutefois, les principales causes du non adoption des variétés améliorées par les paysans demeurent encore d’ordre culturel et de préférences organoleptiques. Comme le taux de non adoption des variétés améliorées demeure encore faible dans le milieu d’étude, nous suggérons que les stratégies de réduction de la pauvreté basées sur la recherche intègrent les aspects sociologiques des bénéficiaires.

Les variétés améliorées, si elles s’adaptent avec les conditions écologiques et sociologiques du milieu, pourraient contribuer à la réduction de la pauvreté des paysans vulnérables.

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