Résumé

La salinisation des sols est un processus important de dégradation des sols qui ne cesse de prendre de l’ampleur avec un effet dépressif sur la croissance et le rendement des cultures. Le présent travail vise à étudier l’effet du stress salin sur la germination et la croissance de cinq variétés de sorgho du Sénégal. L’expérimentation a été réalisée au laboratoire de physiologie végétale de l’Université Ovidius de Constanta (Roumanie). Pour l’étude de l’effet sur la germination, les graines ont été mises à germer dans des boîtes de Pétri contenant des concentrations croissantes en sel (NaCl) allant de 0 g/L à 30 g/L. Pour l’évaluation de l’effet sur la croissance, le semis a été effectué dans des sachets plastiques et le stress salin a été appliqué sur les plantules de sorgho au stade quatre feuilles correspondant au 15-20e jour après germination. L’étude a montré que le sel a un effet dépressif sur le taux de germination et de la croissance biologique du sorgho. Cependant, cet effet varie en fonction de l’intensité du stress et de la variété en question. L’évaluation du taux de germination, de la hauteur et de la production en biomasse a montré que les variétés homologuées Nganda et Faourou et la variétés traditionnelles Mbayéri mbodéri se sont montrées les plus tolérantes au stress salin alors que les variétés F2-20 et Mbayéri baléri sont les plus sensibles au stress salin. Cette étude a aussi montré que la limite physiologique de germination du sorgho se situe à 15 g/L de NaCl tandis que celle de la croissance est de 7,5 g/L.


Mots-clés: Sorgho, stress salin, germination, croissance, NaCl, Sénégal

INTRODUCTION

Le Sénégal est un pays soudano-sahélien où l’agriculture constitue une des premières activités de production. Elle constitue la base de l’économie sénégalaise et emploie près de 70% de la population active (ANSD, 2020). Malgré cette importance, le secteur agricole n’a contribué qu’à hauteur de 7,6% du produit intérieur brut dans la période 2000-2012 alors que, dans la première moitié des années 1960, 18,75% du PIB provenait du secteur agricole (FAOSTAT, 2015). Cette situation a entraîné une paupérisation des ménages surtout en milieu rural (essentiellement agricole) dont 57,1% vivent en dessous du seuil de pauvreté contre 10 points de moins dans les centres urbains (ANSD, 2014). D’ailleurs, la faible productivité de l’agriculture ainsi que la part encore importante du secteur informel expliqueraient la faible productivité globale de l’économie sénégalaise (PSE, 2014). Cette agriculture reste dominée par les cultures pluviales dont les grandes céréales que sont le mil, le sorgho, le riz et le maïs et les cultures de rente essentiellement l’arachide et le coton. La culture du mil et du sorgho s’étend sur l’ensemble des six zones agro-écologiques du pays. D’ailleurs, le sorgho est la première culture céréalière au Sénégal oriental et en Casamance (ANSD, 2020).

Malgré l’importance du sorgho, les rendements sont faibles et sont de l’ordre de 750 kg/ha. Cette situation résulte de la conjonction de plusieurs facteurs dont les fluctuations pluviométriques, l’utilisation de variétés locales rustiques mais peu productives, la concurrence des adventices, la faible fertilité des sols et la salinisation croissante des terres. La salinisation des terres est un phénomène naturel de dégradation chimique des sols dans la zone d’interface «mer (océan)-Continent» (Zeng, 2003; Matty et Diatta, 2018). Elle se traduit par un enrichissement excessif du sol en sels solubles dont les principaux responsables sont les sels de sodium (Na+), de calcium (Ca2+), de magnésium (Mg2+), de potassium (K+), de chlorures (Cl-), des sulfates (SO42-) et des bicarbonates (HCO3-). L’accélération de ce processus est due à des causes multiples d’ordres naturel, notamment les sécheresses récurrentes et anthropique (déforestation, mauvais aménagements des terres). Au Sénégal, la dégradation des sols par salinisation affecte plus de 1,7 million d’hectares de terre sur les 3 800 000 ha des terres arables sont salées (Diouf, 2016). Cette situation compromet considérablement les potentialités de production. Face à cette contrainte, plusieurs stratégies ont été développées dans l’optique de récupérer et/ou de mettre en valeur les surfaces agricoles affectées par le sel ou d’atténuer les impacts de ce fléau. Ces stratégies consistent soit à modifier l’environnement pour améliorer les sols et les conditions de vie des plantes par la construction de barrages, de digues, de diguettes anti-sel, ou agir sur le sol en modifiant sa texture par l’amélioration des techniques culturales ou en modifiant le statut chimique par des amendements chimiques adéquats, une telle stratégie est dite mécanique, physique ou chimique. Sélectionner des plantes et/ou les modifier génétiquement afin qu’elles puissent s’adapter aux conditions de ces zones est l'approche dite biologique et qui consiste en la sélection d’espèces végétales tolérantes au sel, économiquement et socialement acceptables par les populations. Une troisième approche qui peut être qualifiée d’hybride, connue sous le vocable de biomécanique (Faye, 2003; Camara et al., 2015), est de combiner les deux stratégies précédentes pour améliorer l’efficacité des interventions sur ces milieux hostiles. Ainsi, depuis plusieurs décennies, des espèces exotiques halotolérantes (Melaleuca leucadendron, Tamarix aphylla, etc.) (Samba et al., 2018) et des variétés céréalières (riz, sorgho) tolérantes à la salinité (Ndène, 2018) ont été introduites dans le cadre de la récupération et de la valorisation des sols salés. Selon Faye et al. (2019), une stratégie biomécanique a été développée par le Projet de restauration agronomique des sols salés (PRASS: 1998-2004) dans la même optique pour mettre en valeur les surfaces agricoles déjà affectées par le sel ou atténuer les impacts de ce fléau. Cette stratégie consiste à cultiver une espèce végétale tolérante au sel qui présente un intérêt économique et social pour les populations locales. Pourtant, en dépit de l’importance des superficies impactées par la salinité, l’impact de celui-ci sur les grandes cultures reste peu documenté. C’est ainsi que cette étude se proposait d’évaluer l’effet de différentes concentrations de NaCl sur la germination, la croissance et la physiologie de cinq variétés de sorgho dont 3 issues de la recherche et 2 traditionnelles.

MÉTHODOLOGIE

Matériel végétal

Le matériel végétal utilisé est composé de graines de sorgho issus de variétés homologuées (F2-20 (V1), Nganda (V2), Faourou (V3)), et de variétés traditionnelles (Mbayéri baléri (V4), Mbayéri mbodéri (V5)). Les variétés traditionnelles ont été collectées en milieu paysan dans le département de Vélingara en Haute Casamance et les variétés homologués ont été obtenus au niveau du service de sélection du Centre National de Recherches Agronomiques de Bambey au Sénégal.

Effet du sel sur la germination

Les tests de germination ont été réalisés dans des boites de Pétri, à raison de 50 graines par répétition pour un total de trois répétitions. Les graines sont stérilisées dans une solution d’hypochlorite de calcium 0,5% pendant 5 min. Par la suite, elles sont rincées à l’eau distillée et mises à germer dans des boîtes de Pétri tapissées de papier filtre. Dans chaque boîte de Pétri sont versées 10 ml d’eau distillée (T0) et 10 ml de solution saline à 2,5 (T1), 5 (T2),10 (T3), 15 (T4) et 30 (T5) g NaCl /L. L’évolution de la germination est suivie durant un mois en calculant le pourcentage cumulé de germination chaque 48 heures. Une graine est considérée comme ayant germée lorsque la radicule émerge de la graine.

Effet du sel sur la croissance

Des graines sont germées individuellement dans des sachets en plastique (15 cm de hauteur et de 5 cm de diamètre, perforés) remplis d’un mélange de sable et de tourbe (1/1 v/v). Les plantules sont arrosées toutes les 72 fois avec de l’eau ordinaire jusqu’à atteindre le stade de 3-feuilles (environ 2 semaines), stade à partir duquel, le sel sera appliqué pendant 45 jours en arrosant avec des doses croissantes de NaCl (0; 2,5; 5; 10 et 15 g.L-1). Le nombre de plants utilisés (5 doses x 5 Variétés x 5 répétitions) est de 125 plants.

Mesures et observations

Pour l’étude de la germination, les paramètres suivants seront pris en compte:

Taux de germination final (TGF): Il présente la limite physiologique de germination des graines. Il est exprimé selon la formule: TGF= nombre de graines germées / nombre total de graines (Côme, 1970).

Cinétique de germination: il représente le nombre de graines germées quotidiennement.

Vitesse de germination: c’est l’énergie de germination responsable de l’épuisement des réserves de la graine. La vitesse de germination peut être exprimée par le temps moyen de germination (T50: temps au bout duquel on atteint 50 % des graines germées). Elle est déterminée par la formule de Côme (1970): Durée médiane (T50) = T1+ (0.5 -G1/ G2-G1) x (T2 –T1), avec G1 = pourcentage cumulé des graines germées au temps T1 dont la valeur est la plus proche de 50 % par valeur inférieure et G2 = pourcentage cumulé des graines germées au temps T2 dont la valeur est la plus proche de 50% par valeur supérieure.

Pour l’évaluation de la réponse des plantules au stress salin, les paramètres d’appréciation suivants seront pris en compte: les paramètres de croissance, la hauteur de la plante (HP), le nombre de feuilles (NF) et la biomasse des organes aériens sont mesurées par la masse de la matière fraîche puis sèche après séchage de 48 h à l’étuve réglée à 65°C. Les pesés sont effectuées à l'aide d'une balance de précision.

Traitements statistiques

Les résultats sont soumis à une analyse statistique descriptive et une analyse de la variance à un ou deux facteurs fixes de classification après un test de normalité. Les analyses ont été faites à l’aide du modèle linéaire généralisé (General Linear Model) avec le logiciel R version 4.2.2.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Effet de dose croissante de NaCl sur la germination de différentes variétés de sorgho

La figure 1 montre l’effet du stress salin sur la germination de cinq variétés de sorgho. Il ressort des résultats que les meilleurs résultats sont obtenus respectivement avec les variétés Nganda (V2) et Faourou (V3) dont les taux de germination en l’absence de stress salin et de salinité modérée avoisinent les 100%. Ainsi, on remarque que pour les variétés V1, V2, V5, le taux de germination commence à chuter à partir du traitement T3 correspondant à 5 g/L alors que la variété V1 semble la plus sensible avec un taux de germination qui chute même avec la dose faible (2,5g/L). Cependant, il faut noter qu’au-delà de 15 g/L le taux de germination est nul quel que soit la variété considérée.

Effet de la salinité sur la croissance en hauteur du sorgho

L’analyse de la variance et le test de Tukey au seuil de 5% montre que la croissance en hauteur des plantes varie significativement en fonction des variétés et de la salinité. Il ressort de l’analyse que l’effet de la variété est surtout observé avant l’application du stress salin. En effet, les variétés V2 et V3 ne sont pas significativement différentes quel que soit la modalité. Les variations observées sont certainement le résultat des caractéristiques intrinsèques de chaque variété. L’application du stress salin s’est traduit par une variation significative de la croissance en hauteur des plants indépendamment de la variété. Les hauteurs les plus importantes ont été obtenus dans les traitement témoin (sans apport de sel) et avec apport de doses faibles de salinités. Il s’agit des traitements V2T0, V3T1, V2T1 et V2T3. A l’opposé, les hauteurs les plus faibles sont obtenus dans les traitements V1T3 et V4T2 tandis qu’à partir de 5 g/l, toutes les variétés entrent en sénescence dose qui représente sans doute leur limite physiologique de survie.

Effet de la salinité sur la production en biomasse du sorgho

L’analyse de la variance suivie du test de comparaison des moyennes de Tukey au seuil de 5% montrent que la production en biomasse du sorgho varie significativement en fonction des doses de salinité (p value = 0.0283 *). Les meilleurs rendements en matière sèche ont été obtenus dans les traitement V2T0, V2T1 et V3T0 correspondant respectivement aux deux témoins sans apport de NaCl pour les variétés V2 et V3 et à l’apport de la dose minimale de NaCl pour V2. A contrario, les rendements en matière sèche les plus faibles ont été obtenus avec la dose T3 correspondant à un apport de 7,5 g/l de NaCl indépendamment de la variété. Dans les traitements T4 (15 g/l) et T5 (30 g/l), les plantules n’ont pas survécu à l’application du stress salin.

CONCLUSION

Les résultats rapportés dans cette étude montrent que la salinité a un effet dépressif sur la germination et la croissance du sorgho. Cependant, cette sensibilité varie selon les variétés. Les variétés Nganda et Faourou sont les plus tolérantes au sel. La variété Mbayéri mbodéri est quant à elle moyennement tolérantes. A l’opposé, les variétés F2-20 et Mbayéri baléri sont les plus sensibles à la salinité. Cependant, indépendamment de la variété, la capacité germinative et la vitesse de germination des variétés étudiées sont fortement touchées et elles diminuent avec l’augmentation de la concentration du NaCl ajouté. Concernant la croissance (Hauteur et Biomasse), on remarque un effet négatif du sel sur leur croissance en fonction de la variété et du stress appliqué. L’effet dépressif du sel remarqué est de nature osmotique, mais à de fortes concentrations, des phénomènes de toxicité se sont manifestés et devenant létales à partir de 7,5 g/L. Ces résultats sur la germination et la croissance sont importantes et, pourraient être considéré comme critères précoces de sélection des espèces végétales tolérantes au stress salin dans un contexte de changements climatiques.

RÉFÉRENCES

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