Conflits alimentaires dans les zones agro-pastorales du nord-Bénin
DOI :
https://doi.org/10.5281/zenodo.15053972Mots-clés :
Alimentation, conflit alimentaire, terroirs agro-pastoraux, Nikki, BanikoaraRésumé
L’alimentation est le processus par lequel les communautés et les individus obtiennent, produisent, préparent, partagent, consomment et digèrent la nourriture. Cela reste une priorité dans les zones rurales où règne l’insécurité alimentaire. Malgré les stratégies développées par les communautés pour faire face à cette insécurité alimentaire, les inégalités sociales qui caractérisent les habitudes alimentaires ne garantissent pas un accès égal aux sources de nourriture et sont à la base de divers conflits. La présente étude s’est intéressée aux conflits alimentaires qui se manifestent dans les communautés agro-pastorales du nord-Bénin, dans la perspective de faire la typologie et la catégorisation de ces conflits. Les travaux de terrain ont été menés dans deux districts du nord-Bénin, notamment Nikki et Banikoara. Des données qualitatives ont été collectées à travers des entretiens individuels (102) et collectifs (07) semi-structurés et ouverts avec des femmes (56) et des hommes (46) des communautés Peulh, Bariba et Boo. En termes de résultats, on retient que: (i) les conflits autour du manger, dans le processus de production et travaux champêtres, dans la constitution et la gestion du stock alimentaire, dans la cuisine, autour du processus de services des aliments, dans la récolte, autour de compétences culinaires et autour des totems sont, entre autres, les types de conflits alimentaires observés dans les terroirs agro-pastoraux; (ii) les conflits alimentaires sont constatés dans toute la chaîne de production et de consommation alimentaire, et même après consommation. La prise en compte de ces résultats de recherche permettra de réajuster les politiques du cadre de vie des populations pour parvenir à une bonne cohésion sociale dans les régions arides du Bénin.
Mots clés: Alimentation, conflits alimentaire, terroirs agro-pastoraux, Nikki, Banikoara
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INTRODUCTION
L’alimentation exprime l’identité des mangeurs, mais aussi les changements qui touchent la société à laquelle ils participent (De Lesdain, 2002; Ma, 2015; Monterrosa et al., 2020). En dehors de sa fonction nutritive, l’alimentation assure également des fonctions économiques, sociales, culturelles et religieuses (Barou, 2006). Les pratiques alimentaires permettent une identification individuelle et collective (Palomares, 2000). L’alimentation au sein de nos communautés locales reste un sujet très pertinent, étant donné que ça touche la sécurité alimentaire et nutritionnelle des enfants et des personnes âgées. L’alimentation est considérée comme un objet d’études empiriques (donc un fait social) dans les sciences sociales en particulier la sociologie, mais qui a sa place aussi dans les discours des sciences biologiques. C’est une pratique culturelle qui sert de porte d’entrée pour comprendre en quelques sortes l’organisation des sociétés (De Saint Pol, 2017; Cardon et al., 2019). Elle est comme un espace où se forgent les goûts et l’identité d’une collectivité ou d’un groupe socioculturel. Selon Cardon et al. (2019), l’alimentation constitue un réseau plus large de normes et de contraintes qui permettent de projeter la structuration collective d’une société et ses transformations. En-dehors de sa fonction nutritive, l’alimentation assure également des fonctions économiques, sociales, culturelles et religieuses (Barou, 2006). Les conflits dans les sociétés africaines deviennent un sujet capital pour expliquer les mouvements sociaux ou la dynamique sociale; et semble se multiplier (Dehais et Pasquier, 2000; Mormont, 2006). De nos jours, il est remarqué que les conflits se répandent autour de l’alimentation au sein de nos communautés locales. Cela a pris plus d’ampleur au point où on assiste à des ségrégations ou à des divisions dans les ménages, familles ou groupes. La contestation des normes partagées par l’humanité sur l’alimentation entraîne des conflits entre les individus et les groupes (Baril et Paquette, 2012). Par exemple, lorsque les recommandations nutritionnelles ne sont pas prises en compte par l’un des individus d’une famille ou d’un ménage dans l’alimentation commune, des tensions naissent (Cardon, 2018). Ainsi, on retient que plusieurs sont ces facteurs ou indicateurs qui peuvent susciter des tensions ou des frustrations autour du manger dans les groupes sociolinguistiques. La plupart des recherches abordent ce volet de renforcement des capacités des communautés locales à surmonter les barrières de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Mais parlant des conflits anthropologiques qui naissent autour de l’alimentation ou des aliments, la littérature reste limitée. De nos jours, il est constaté que beaucoup de conflits naissent autour de l’alimentation dans les communautés locales. L’alimentation constitue une source d’inégalités sociales dans les sociétés et occupe une place aussi dans le processus de différentiation (Wong, 2011; Brück de Saint Pol, 2017; d’Errico, 2019). Les zones agro-pastorales du nord-Bénin, où l’agriculture et l’élevage interagissent fortement, font face à divers défis socio-économiques et environnementaux. L’évolution des pratiques agricoles, la pression démographique et les changements climatiques ont intensifié les tensions entre les communautés agricoles et pastorales, particulièrement en ce qui concerne l’accès aux ressources naturelles et la gestion des productions alimentaires. Les conflits liés à l’alimentation dans ces régions sont cruciaux, car ils affectent non seulement la sécurité alimentaire des populations locales, mais aussi la stabilité sociale et économique des communautés. L’objectif de cette étude est de dresser une typologie des conflits alimentaires dans les zones agro-pastorales du nord-Bénin. Dans un premier temps, cet article explorera les différentes perceptions des répondants concernant les conflits alimentaires, puis, dans un second temps, proposera une classification et une catégorisation de ces conflits.
MATÉRIELS ET MÉTHODES
Milieu d’étude
La présente étude a été conduite dans deux communes du nord-Bénin: Nikki et de Banikoara.
D’une superficie de 3.171 km² (soit 2,82 % de la superficie totale du Bénin), la commune de Nikki compte, selon le quatrième Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 2013, 151.232 habitants, soit une densité de 47692 habitants/km². Les hommes sont au nombre de 75.339 contre 75.893 femmes (Houngnihin, 2006). Par ailleurs, plusieurs groupes socioculturels sont enregistrés dans cette commune. Il s’agit des Bariba (46 % de la population) et Peul (40 %). On y rencontre également les Dendi (5 %) et d’autres minorités ethniques telles que les Yoruba (2,5 %) venus du Nigeria, les Otamari et les Fon (13). L’islam est la religion dominante dans la commune de Nikki avec 64,5 % de la population. Les religions traditionnelles sont très faiblement représentées (8,1 %) (Houngnihin, 2006). Dans la commune de Nikki, la polygamie est un phénomène ancien qui caractérise la nuptialité de la population. Mais elle varie selon l’âge et résulte aussi d’un certain nombre de normes socioculturelles. Ce phénomène perdure dans certaines localités de la commune à cause des valeurs endogènes. L’âge moyen au premier mariage est de 26,4 ans pour les hommes contre 19,9 ans pour les femmes. En général, les femmes prennent pour maris des hommes plus âgés. En moyenne, l’écart d’âge est de quatre ans et varie en fonction de l’appartenance ethnique, de la religion et du niveau d’instruction (Houngnihin, 2006).
A l’instar de toutes les communes du Bénin, on observe une répartition sociale des activités économiques, liée au statut de la femme. En effet, à l’échelle familiale, les femmes doivent s’occuper des corvées d’eau et du ménage, tâches qui mettent en exergue la division sociale du travail dans la zone d’étude. Pour assumer leurs rôles, elles doivent travailler durement et longtemps, alors qu’elles disposent de très peu de ressources et d’opportunités. Au total, deux éléments essentiels contribuent à apprécier le rôle des femmes dans la société baatonu: leur statut d’épouse et de mère et leur rôle dans la production de biens et services par rapport à la gestion de l’économie. Aujourd’hui, en investissant les sphères d’activité qui étaient réservées aux hommes dans la division traditionnelle du travail, elles sont plus impliquées qu’avant, dans la production de biens et de services (Houngnihin, 2006).
Selon le quatrième Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) du 2013, la commune de Banikoara compte 246 575 habitants, soit 122 445 hommes et 124 130 femmes. La population est très diversifiée et comprend une trentaine de groupes socio-culturels dont les plus importants sont: les Baatonu (70 %), les Fulbé (23 %), les Dendi (1,6 %), les Yoruba (1,3 %), les Fon (0,8 %) et les autres (3,3 %). Les religions les plus pratiquées sont respectivement l’Islam (51,7 %), la Religion Traditionnelle (34,4 %) et le Christianisme (8,1 %) (Bani, 2006). Dans la production végétale, les principales spéculations pratiquées sont le maïs, le coton, le sorgho, le niébé, le manioc et l’arachide. Les femmes ont également accès à la terre, mais ne peuvent pas hériter de la terre. Il leur est accordé des terres moins fertiles, elles exploitent les terres les plus pauvres. En milieu rural, 12 % des femmes en sont propriétaires. Dans les organisations paysannes, les femmes sont moins représentées et les rares postes qu’elles occupent sont d’une importance négligeable (Bani, 2006).
Choix du milieu d’étude et les sites d’investigation
Les deux communes sélectionnées pour cette étude font partie du projet «Amélioration du rôle des femmes dans un environnement alimentaire dynamique pour une meilleure nutrition des enfants dans les zones arides africaines: cas du Nord-Bénin (NaviNut)». Il s’agit d’un projet de recherche transdisciplinaire visant à améliorer la nutrition des enfants et à renforcer l’autonomisation des femmes grâce au co-développement d’aliments traditionnels prioritaires. Les travaux de terrain ont été menés dans les zones rurales et périurbaines de Banikoara et Nikki, afin d’analyser l’évolution des modes de vie et des habitudes nutritionnelles, tout en facilitant la possible extension de ces résultats à l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Ainsi, dans la commune de Banikoara, les villages de Gomparou, Gah Baka, Gah Gourou, Bakani, Sabanga, Wètèrou, Ganro, Dêrou, Atabenu et Soroko ont été choisis comme sites d’étude. Dans la commune de Nikki, les villages de Yassérou, Sakabansi, ainsi que Guéguiré 1 et 2 ont été explorés. La figure 1 montre la projection des sites d’investigation des deux communes sur la carte.
Collecte des données
La collecte des données dans le cadre de cette étude a mobilisé un certain nombre d’outils. A cet effet, nous avons fait l’usage des questionnaires qui ont été directement adressés aux différents membres des ménages ou familles rencontrés. Un guide d’entretien a été adressé aux personnes ressources (chef traditionnel, leader communautaire, chef du quartier, etc.) qui ont une bonne connaissance sur l’existence et la manifestation des conflits alimentaires. Ce guide a permis de recueillir et d’analyser plusieurs informations, telles que les perceptions des conflits alimentaires, les indicateurs d’un conflit alimentaire et les types de conflits alimentaires. Lors de nos entretiens individuels, des questions semi-directives et ouvertes ont été posées. Étant donné que nos sites d’investigation sont majoritairement peuplés par les communautés Bariba, Peulh et Boo, nous avons fait appel à des traducteurs pour faciliter les échanges entre les acteurs et les chercheurs, afin de surmonter toutes les barrières linguistiques rencontrées. Des discussions de groupe ont également été organisées. Cette approche qualitative a permis de confronter les différentes opinions des participants. Pour ce faire, elle a été appliquée à des groupes de 6 à 12 personnes maximum. L’objectif était de collecter des informations en faisant émerger des points de vue variés à travers les débats. Les opinions convergentes et divergentes ont été prises en compte pour des analyses comparées. Des enregistrements audios ont été réalisés, transcrits et analysés. Au total, 102 personnes ont été interrogées selon la méthode d’échantillonnage non probabiliste dans les villages, et 7 discussions de groupe ont été menées.
Analyse des données
Les données issues de la collecte de terrain ont été traitées et analysées avec les logiciels Excel et SPSS. Ces logiciels ont servi à la réalisation des graphes et diagrammes et à la réalisation des statistiques descriptives. L’analyse de contenu des discours et l’analyse des Correspondances Multiple ont été utilisées pour l’analyse et l’interprétation des données. L’analyse de contenu des discours a permis d’analyser les résultats obtenus après le traitement des données recueillies. Ainsi, les méthodes synthétiques et analytiques ont été utilisées. La méthode synthétique consiste à comprendre les discours des individus interviewés à travers l’élaboration d’un bref résumé. La méthode analytique quant à elle, est utilisée pour comparer plusieurs discours lors des discussions de groupes à partir d’une synthèse de ces discours (Igalens, 2007; Seignour, 2011). Pour vérifier la cohérence de l’échelle, le recours a été fait aux Analyses en Correspondances Multiple (ACM) ainsi que le calcul de la fiabilité des dimensions obtenues moyennant le coefficient d’Alpha de Cronbach. L’Alpha de Cronbach est jugé acceptable s’il est supérieur ou égal à 1. Le test de comparaison des moyennes a été utilisé pour appréhender la manifestation des conflits alimentaires autour des communes, du niveau d’instruction, du sexe, de l’ethnie, croyance et de la situation matrimoniale.
RÉSULTATS
Existence des conflits alimentaires dans les terroirs agro-pastoraux
Les inadéquations nutritionnelles sont plus fréquentes dans les environnements d’apprentissage qu’on pourrait l’imaginer. Ces questions restent sensibles. Car 99,0% des personnes interrogées ont admis que ce phénomène est souvent observé dans leurs maisons, villages, familles, ménages, camps, etc. A l’appui de cette affirmation, les personnes interrogées ont déclaré vivre dans un environnement de forte insécurité alimentaire. Ensuite, chacun doit prendre ses précautions pour ne pas être surpris par la faim. Au sein de cette dynamique, plusieurs conflits surgissent chaque jour. Ces derniers soulignent également qu’ils considèrent les conflits nutritionnels comme un sujet très tabou et donc peu abordés. Les conflits nutritionnels constituent donc un fardeau sociologique.
Conflit alimentaire du point de vue des enquêtés
L’élucidation des contradictions nutritionnelles ou des conflits alimentaires a été entreprise par les répondants dans divers contextes de recherche (Figure 2). Selon 29,4% des personnes interrogées, les conflits alimentaires ne sont que des conflits qui surviennent soit lors de la production alimentaire, soit lors de la production ou de la préparation agricole. Dans 19,6% des cas, des désaccords sur l’alimentation au sein du ménage en étaient la cause.
D’autres stipulent que les conflits alimentaires sont les disputes autour de la nourriture (14,7 %), c’est le manque de nourriture ou la mauvaise gestion des aliments (9,8 %)et les bagarres dans les travaux champêtres (9,8 %). En d’autres termes, pour certains enquêtés, les conflits alimentaires peuvent se comprendre par les mésententes au niveau de la cuisine (6,9 %), la mal-compréhension alimentaire (4,9 %), un litige qui oppose deux ou plusieurs personnes autour de l’alimentation selon l’intérêt de chacun (0,98 %). De l’analyse la figure 2, on retient que les enquêtés ont une bonne connaissance sur les conflits alimentaires. Cela a permis ainsi de faire la typologie de ces conflits. Le tableau 1 présente la signification en langue (Bariba, Peulh et Boo) des différents concepts selon le milieu d’étude.
Indicateurs des conflits alimentaires
En discutant avec les répondants sur leurs perceptions des conflits alimentaires, nous nous sommes intéressés à la façon dont les conflits alimentaires sont perçus à la maison, dans la famille, dans le campement, etc. (Figure 3). Pour les personnes interrogées, les conflits alimentaires se reconnaissent aux disputes (78,4%) et à la colère personnelle (56,9%).
Dans certains cas (52,0%), l’un des participants au conflit refuse de prendre le repas ou la nourriture préparée. Cela se voit le plus clairement entre frère et sœur ou entre mari et femme lorsque l’un d’eux refuse de manger après une telle dispute. Ces informations révèlent généralement des signes de conflits alimentaires dans les milieux agro-pastoraux. D’autres (29,4%) ont déclaré que lorsque des conflits alimentaires surviennent, ils constatent que la nourriture n’est pas fournie correctement. Cet indicateur est plus fréquemment observé chez les femmes en situation de conflit, indiquant leur insatisfaction à travers ce comportement. Selon 39,2% des personnes interrogées, les conflits alimentaires se traduisent également par la faim.
Typologie des conflits alimentaires
La figure 4 renseigne sur les différents types de conflits alimentaires identifiés dans les terroirs agro-pastoraux du nord-Bénin. Au total, on enregistre six (06) types de conflits alimentaires. Il s’agit du conflit autour des repas, conflit dans la production, conflit autour de la constitution et la gestion du stock alimentaire, conflit dans la transformation, conflit autour du service des aliments et conflit autour de compétences (transformation et service). Cette typologie a été faite sur la base de plusieurs critères. Il s’agit principalement du lieu, des acteurs impliqués, de la religion, des croyances, du sexe et de l’âge des acteurs impliqués. Chacun de ces critères est en corrélation avec les différents types de conflits.
Dans cette liste de conflits alimentaires, il faut noter que les conflits autour des repas, les conflits dans la production, les conflits autour de la constitution et la gestion du stock alimentaire, et les conflits dans la transformation sont les conflits alimentaires les plus récurrents dans les communautés locales avec les proportions respectives de 98,0 %, 71,6 %, 58,8 % et 44,1 %.
Analyse des Correspondances Multiple sur les conflits alimentaires au nord-Bénin
Les caractéristiques de divers conflits alimentaires concernant la communauté, le niveau d’éducation, le sexe, l’origine ethnique, la croyance et la situation matrimoniale sont présentées dans la figure 5. L’analyse des correspondances multiples effectuée sur la matrice des données d’enquête sur le terrain montre comment les variables sont distribuées et comment les informations contenues dans la matrice font la distinction. Le modèle s’explique par 40,7% en dimension 1 et 25,1% en dimension 2. La valeur moyenne de l’indice alpha de Cronbach est proche de 1. Cela confirme que les éléments sont en moyenne uniformes. Il existe donc une cohérence interne (fiabilité) entre les variables de l’ensemble (Tableau 2).
L’analyse de la figure 5 révèle que les conflits dans le manger et ceux dans la préparation sont concentrés au même titre autour des deux communes d’études. Par contre, les conflits dans la production et dans le stockage sont concentrés respectivement dans la commune de Banikora et de Nikki. Par ailleurs, les conflits autour des totems, autour des compétences culinaires, et autour du goût sont concentrés dans la commune de Banikora. En ce qui concerne la variable niveau d’instruction des enquêtés, on constate que la majorité des conflits sont concentrés autour du niveau d’instruction “non alphabétisé“ce qui montre que les conflits ne sont pas répartis en fonction du niveau d’instruction. Pour la variable sexe des répondants, les conflits dans le manger, dans le stockage, autour des totems et autour des compétences culinaires sont plus concentrés chez les femmes. Par contre, les conflits dans la production et dans la préparation sont concentrés chez l’homme. Mais il faut souligner que les conflits dans la préparation sont presque identiques tant chez l’homme que la femme. L’ethnie aussi est une variable significative dans la manifestation des conflits alimentaires. Les conflits dans le manger, dans le stockage et ceux dans la production sont concentrés autour de l’ethnie ‘’peulh’’. En ce qui concerne l’ethnie gando les conflits dans la préparation, autour des totems, autour des compétences culinaires sont plus concentrés. Par contre, les conflits dans la préparation et dans le manger sont aussi concentrés respectivement autour de l’ethnie Boo et Bariba. La situation matrimoniale est mise en exergue ici aussi dans l’analyse des correspondances multiples. Ainsi, on note que les conflits dans le manger, dans la préparation, dans la production, dans le stockage et autour des totems sont concentrés autour de la croyance ‘musulmane. Par contre, les conflits autour des compétences culinaires sont concentrés autour de la croyance ‘’catholique’’. L’ensemble des conflits est concentré autour de la situation matrimoniale ‘’marié’’.
Source des conflits alimentaires
Les conflits alimentaires dans les zones agro-pastorales s’expliquent par plusieurs causes (Figure 6). Ces causes varient selon la personne faisant l’objet de l’enquête.
Ainsi, les causes les plus fréquemment citées par les personnes interrogées étaient les compétences et savoir-faire culinaires (58,8 %), le manque de nourriture (49,0 %), la responsabilité civile non assurée (47,1 %), la faim (39,2 %), la paresse (32,3 %) et la polygamie (29,4%). Une cause qui n’est pas mentionnée ici est la pauvreté, qui a également été évoquée par les participants à l’enquête lors de diverses discussions. Pour eux, le manque de ressources peut devenir la base de conflits alimentaires.
Catégorisation des conflits alimentaires: De la terre à la table
Sur la base des résultats, il urge de faire de classifier les conflits alimentaires (Figure 7). De cette figure, il ressort clairement que des contradictions nutritionnelles sont observées des travaux champêtres jusqu’au manger. Par conséquent, lorsque nous parlons de conflits alimentaires, nous arrivons à la conclusion qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de nourriture, mais aussi d’une question de sources. Les conflits alimentaires peuvent être observés tout au long de la chaîne de production et de consommation alimentaire et même après la consommation. Ainsi, nous classons les conflits alimentaires en cinq catégories: conflits sur la production, conflits sur le stockage et la conservation, conflits sur la transformation, conflits sur les services et autres (par exemple, normes socioculturelles, totems). Les conflits alimentaires proviennent donc de la terre à la table.
DISCUSSION
Les conflits alimentaires sont perçus différemment dans les terroirs agro-pastoraux. Des différents entretiens tenus avec les enquêtés, on retient que les conflits alimentaires sont les disputes générées que ça soit dans le manger, dans la production ou dans la préparation; ou encore autour de la nourriture. C’est aussi le manque de la nourriture ou la mauvaise gestion des aliments ou les bagarres dans les travaux champêtres. Les conflits alimentaires peuvent se comprendre aussi par les mésententes au niveau de la cuisine, la mal-compréhension alimentaire, un litige qui oppose deux ou plusieurs personnes autour de l’alimentation selon l’intérêt de chacun. Ces résultats corroborent ceux de Saraga et Wykretowicz (2022) et Mebtoul et al. (2020) qui rapportent que les conflits alimentaires sont en quelque sorte les différends qui naissent autour de la nourriture et les tensions dans la gestion de l’alimentation familiale. Plusieurs types de conflits alimentaires sont enregistrés dans les zones rurales du nord-Bénin. Ainsi, la typologie des conflits alimentaires nous amène à trouver 06 types de conflits alimentaires. Il s’agit du conflit autour des repas, conflit dans la production, conflit autour de la constitution et la gestion du stock alimentaire, conflit dans la transformation, conflit autour du service des aliments et conflit autour de compétences (transformation et service). Les compétences culinaires, le manque de nourriture, la responsabilité non assurée, la faim, la paresse et la polygamie sont les causes fondamentales de ces types de conflits alimentaires répertoriés au nord-Bénin. L’étude de De Suremain (2000) se rapportant aux résultats obtenus, en ce sens qu’il a révélé que les conflits alimentaires se manifestent au sein des ménages polygames, entre co-épouses autour des nourritures qu’elles doivent donner à leur mari et aussi aux enfants. Une autre étude a montré que les conflits alimentaires naissent dans certaines zones à cause de l’insécurité alimentaire (Brück et d’Errico, 2019). L’étude de Wong (2011) a montré que la comparaison des repas de l’extérieur aux repas du ménage crée des conflits. Ceci se compare à un type de conflit alimentaire identifié où le mari préfère les repas de la femme de son petit frère au détriment des repas de ses propres femmes. L’étude de Atse (2017) a décrit les oppositions et divisions entre les cadets et leurs aînés autour de «l’ordre du mangeable». Cardon (2010) aborde dans le même sens que nous sur les compétences culinaires qui créent de disputes entre les individus au sein de la société. Cette typologie des conflits alimentaires nous a amené à faire une catégorisation de ces derniers. A cet effet, 5 catégories sont déclinées de cette typologie effectuée. Il s’agit de conflit autour dans la production, conflit autour stockage et conservation, conflit dans la transformation, conflit dans le service et autres (normes socio-culturelles, totem, etc.).
CONCLUSION
Le conflit alimentaire est un événement social qui survient dans les zones rurales et plus spécifiquement agricoles du nord du Bénin. Le but de cette étude était de créer une typologie des conflits nutritionnels et de les catégoriser. Les travaux de recherche ont montré que les conflits alimentaires sont les disputes, les tensions et les querelles constatées de la production jusqu’au manger. Cela nous a amené à déduire que les conflits alimentaires sont constatés de la terre à la table. Ainsi, nous pouvons avoir les conflits autour des repas, dans la production, autour de la constitution et la gestion du stock alimentaire, dans la transformation, autour du service des aliments et conflit autour de compétences (transformation et service). Cependant, ce domaine de recherche reste inexploré. Cela concerne par exemple la nature de ces conflits alimentaires, les acteurs impliqués et les mécanismes endogènes de gestion de ces conflits dans les zones agro-pastorales.
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