Exposition de la faune ichthyenne et autres animaux aquatiques aux polluants organiques, chimiques et biologiques dans le lac Nokoué au Sud du Bénin: Synthèse documentaire
DOI :
https://doi.org/10.5281/zenodo.8287762Mots-clés :
Pollution; Lac Nokoué; Faune aquatique; Extinction des espècesRésumé
Le lac Nokoué (Sud Bénin) est la pêcherie continentale la plus productive de l’Afrique de l’Ouest avec une très forte biodiversité, mais qui malheureusement il perd progressivement ses ressources à cause de sa pollution. Dans la présente étude, nous avons utilisé l’approche bibliographique pour évaluer le degré d’exposition de la faune de ce biotope. Ainsi, ce lac présente une forte pollution organique avec un état hyper-eutrophe. Les analyses de germes bactériologiques indiquent une forte pollution fécale susceptible d’influencer le système immunitaire des organismes exposés. Le lac reçoit les métaux toxiques (plomb, cadmium, mercure, etc), les pesticides (endosulfan, DDT, etc) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (naphtalènes, fluorènes, etc). Certains polluants chimiques comme les détergents industriels, les polychlorobyphényles, les dioxines et produits dérivés sont aussi suspectés dans ce lac, mais aucune étude n’a encore été initiée pour montrer leur présence. Tous ces polluants chimiques sont lipophiles et persistants, reprotoxiques, hépatotoxiques et inhibent la croissance de la faune aquatique. La plupart sont des perturbateurs endocriniens oestrogéniques qui exercent une menace sur la survie des espèces. La bioaccumulation des polluants dans les produits halieutiques du lac à des concentrations dépassant parfois les normes internationales admises, expose les consommateurs et pose un problème sérieux de santé publique.
Mots clés: Pollutions, lac Nokoué, faune aquatique, extinction des espèces
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INTRODUCTION
Au Bénin, les pêcheries continentales contribuent pour environ 75 à 80% à la production halieutique nationale et participent pour près de 31% à la consommation nationale de protéines animales (Rurangwa et al., 2014). Le complexe lagunaire lac Nokoué - lagune de Porto-Novo, classé site RAMSAR (1018), est le plus important plan d’eau continental du point de vue de son étendue, de sa productivité et de son exploitation (Yehouénou et al., 2013). La biodiversité de ce complexe est très élevée, avec une grande diversité de poissons, mollusques, crustacés, oiseaux et amphibiens (Villanueva et al., 2006). Le lac Nokoué est le lac le plus productif de l’Afrique de l’Ouest avec une production annuelle en poisson de plus de 1 à 2 T/ha (Lalèye et al., 2003) contre une moyenne annuelle de 290 kg/ha pour l’ensemble des lagunes ouest-africaines (Issola et al., 2008). En l’an 2000, la production halieutique du complexe lagunaire lac Nokoué - lagune de Porto-Novo représentait 65 à 70% de la production des eaux continentales du Bénin et le lac Nokoué y contribue pour près de 90% (Yehouénou et al., 2013). Malheureusement, ces ressources ont connu aujourd’hui une forte diminution à cause de la pollution avancée de ce cours d’eau. Par exemple, dans leur inventaire destiné à identifier les espèces menacées de disparition, Lalèye et al. (1997) ont recensé 67 espèces alors que Gras (1961) en avait recensé 87. Une différence de 20 espèces en 36 ans qui montre clairement une érosion de la biodiversité pour laquelle l’une des causes majeures est la pollution. En effet, plusieurs auteurs (Clédjo, 1999; Youssao et al., 2011; Yehouénou et al., 2013; Saizonnou et al., 2014) ont montré la pression que subit le lac Nokoué qui reçoit à lui seul les déchets solides et liquides des populations environnantes et des usagers du marché Dantokpa, les effluents urbains venant de la ville de Cotonou, de Calavi et de So-ava, les effluents agricoles contenant des pesticides drainés de la zone cotonnière du Nord Bénin par le fleuve Ouémé ou venant des zones agricoles environnant le cours d’eau, les effluents industriels et hospitaliers venant de la ville de Cotonou, des produits pétroliers (essence, pétrole, gasoil, huile à moteur) provenant du trafic sur ce cours d’eau, etc. Tous ces effluents libèrent divers types de polluants dans ce cours d’eau. Cet article vise à faire le bilan à travers une revue de littérature, des différents polluants que reçoivent le lac Nokoué et les conséquences éventuelles sur les poissons et autres organismes animaux de ce plan d’eau.
PRÉSENTATION DU LAC NOKOUE
Compris entre les parallèles 6ᵒ 20’ et 6ᵒ 30’ Nord, les méridiens 2ᵒ 20’ et 2ᵒ 35’ Est, le lac Nokoué (Figure 1) s’étend sur 20 km d’Est en Ouest et 11 km du Nord-Sud; il couvre ainsi une superficie d’environ 160 km2 en période de hautes eaux (Clédjo, 1999). Ce lac forme avec la lagune de Porto-Novo, la plus importante superficie d’eaux saumâtres du Bénin (Lalèye, 1995). D’une profondeur comprise entre 0,4 et 3,4 m, le lac Nokoué est directement relié à l’Océan Atlantique par le chenal ou lagune de Cotonou sur une longueur de 4,5 km avec une largeur de 300 m environ. La lagune de Porto-Novo, beaucoup moins étendue (35 km2), communique à l’Ouest avec le lac Nokoué par l’intermédiaire du canal Totchè, long de 5 km et d’une largeur de 200 à 300 m environ, et à l’Est avec la lagune de Lagos (Nigéria) par un canal de près de 100 km de long et 20 à 50 m de large (Gnohossou, 2006).
Le complexe lac Nokoué - lagune de Cotonou bénéficie d’un climat subéquatorial caractéristique du sud-Bénin : deux saisons sèches et deux saisons pluvieuses. Le régime hydrographique est caractérisé par une période de crue, qui s’étend théoriquement de septembre à décembre et une période d’étiage, qui s’étend de décembre à juillet (Tossou, 2001). Les principaux cours d’eau qui alimentent ce complexe sont le fleuve Ouémé et la rivière Sô, qui fonctionnent comme un système de vases communicants (complexe Ouémé-Sô). Ces cours d’eau sont responsables de la montée des eaux. Pendant la crue, l’eau du complexe lac Nokoué-lagune de Porto-Novo est douce. La durée des crues varie suivant que le chenal de Cotonou est fermé ou ouvert et selon l’importance des pluies (Gnohossou, 2006). En période d’étiage on observe une intrusion massive de l’eau de mer surtout pendant les hautes marées, ce qui rend l’eau du complexe lac Nokoué - lagune de Porto-Novo saumâtre.
Autour du lac Nokoué l’agriculture est très diversifiée et occupe plus de 80% de la population locale active. En dehors du maraîchage très consommateur d’engrais et de pesticides chimiques, pratiqué dans certains endroits le long du complexe lac Nokoué- lagune de Porto-Novo, les principales cultures pratiquées sont entre autres: le maïs, l’igname, le manioc, le haricot et surtout le niébé cultivé en période de décrue. L’élevage dominant est celui des porcins avec des volailles tant pour la vente que pour l’autoconsommation. Le secteur industriel est constitué des industries agro-alimentaires, de textiles, de papeteries et des matériaux de construction (Gnohossou, 2006). Le commerce est la deuxième activité autour du lac Nokoué. Ce commerce se fait majoritairement dans le marché Dantokpa le plus grand marché du Bénin et le marché principal de la commune d’Abomey-Calavi, situés tous à proximité du lac Nokoué (Gnohossou, 2006). La proximité du Nigéria avec le Bénin favorise également le trafic de produits pétroliers (essence, gasoil, huile à moteur, pétrole) sur ce cours d’eau (Dovonou, 2008).
La pêche est très pratiquée sur le lac Nokoué. Plusieurs engins et techniques de pêche sont utilisés: les ″acadjas″, les ″whédos″, les filets (éperviers, maillants ou dormants), les lignes à hameçons individuels ou multiples (palangres), les barrages et les nasses-pièges, etc (Lalèye et al., 2003). L’abondance et la diversité de la faune ichtyologique du lac Nokoué varient selon les saisons mais aussi en relation avec l’entrée d’eau marine dans le lac. Selon Gnohossou (2006) nous avons:
Les espèces littorales euryhalines marines qui sont saisonnières ou accidentelles dans les lagunes (Elops lacerta, Cynoglossus senegalensis, Citharichthys stampflii, Eucinostomus melanopterus, Lutjanus goreensis);
Les espèces estuariennes d’origine marine (Ethmalosa fimbriata);
Les espèces estuariennes d’origine continentale (Chrysichthys nigrodigitatus, Chrysichthys auratus, Hemichromis fasciatus);
Les espèces d’eau douce qui n’apparaissent que lorsque la salinité tend vers 0 (Clarias gariepinus, Synodontis schall, Schilbe intermedius).
Lalèye et al. (2003) ont recensé sur le lac Nokoué 51 espèces appartenant à 47 genres, 34 familles et 10 ordres. Onze espèces sur les 51 représentent 89,5 % de l’abondance numérique totale. De l’étude de ces auteurs, il ressort que Ethmalosa fimbriata est l’espèce de poisson la plus abondante du lac Nokoué (40%) suivie de Sarotherodon melanotheron (15%). L’une des espèces de poisson les moins abondantes, est Gobionellus occidentalis (0,5%).
Le zoobenthos du lac Nokoué est constitué des mollusques tels que: Corbula trigona, Anadala senilis, Crassostrea gasar, Tempanotonus sp et Pachymelania sp. (Maslin et Bouvet, 1986); et des crustacés comme: Goniopsys cruentata, Cardiosoma amatum et Clibernhardius africanus (Adandédjan et al., 2017).
La lagune Nokoué apparaît donc comme une lagune semi-fermée mais dont les ressources vivantes sont très soumises à la pollution organique, la pollution chimique et la pollution bactériologique, dues principalement aux activités humaines littorales.
INVENTAIRE ET CARACTÉRISATION DES DIFFÉRENTS POLLUANTS DU LAC NOKOUE
Plusieurs études (Youssao et al., 2011; Yehouénou et al., 2013; Saizonou et al., 2014; Adjagodo et al., 2016) ont inventorié les sources de pollution du lac Nokoué. Il s’agit des:
Déversements de produits pétroliers dans le lac;
Déversements quotidiens de branchages d'acadja;
Décharges d'ordures ménagères et biomédicales en bordure du plan d'eau;
Rejets des collecteurs d’évacuation d’eaux pluviales et usées domestiques en provenance de la ville de Cotonou et Calavi sans aucun traitement préalable;
Apports du fleuve Ouémé transportant des résidus de pesticides agricoles;
Rejets de matières fécales d’origines humaines et animales; et
Rejets de déchets ménagers (ordures) dans le lac par les populations lacustres.
Déversements des produits pétroliers
La proximité du Nigéria avec le Bénin favorise le trafic frauduleux de produits pétroliers (essence, gasoil, huile à moteur, pétrole) qui est l’une des activités caractéristiques menées sur le lac Nokoué et certains commerçants n’hésitent pas à renverser et à cacher des bidons remplis de ces produits dans le cours d’eau à la vue des forces de l’ordre pour échapper au contrôle (Hoteyi, 2014). Lors des transports, des déversements volontaires se font pour équilibrer les barques surchargées afin d’éviter les naufrages ou bien pour diminuer la charge dans le but d’échapper aux poursuites douanières. Quant aux déversements accidentels, ils sont dus aux éclatements de bidons usagés et au chavirement des barques surtout lors des orages ou des forces de courants non maîtrisables par les conducteurs (Dovonou, 2008). Le lac Nokoué sert également de lieu d’entreposage et de conservation des bidons remplis de produits pétroliers pendant des jours et des mois. Cette situation entraîne le déversement massif de ces produits dans l’eau (Dovonou et al., 2011). Aussi, l’utilisation des barques motorisées sur le lac Nokoué et l’important trafic routier sur les trois ponts érigés sur le chenal de Cotonou sont également des sources non moins importantes de déversement de produits pétroliers dans le lac Nokoué (Hoteyi, 2014). Plusieurs études (Dovonou, 2008; Dovonou et al., 2019) ont également montré que des huiles de vidange des moteurs de barques motorisées sont régulièrement versées dans le cours d’eau. Ces produits pétroliers contiennent diverses sortes de polluants. On peut citer entre autres les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) pétrogéniques dont les plus redoutables sont le benzo(a)pyrène, le benzo(k)fluoranthène et le benzo(ghi)pérylène (Dovonou et al., 2019), le plomb organique, le mercure, le soufre, les radionucléides, etc (Bawa et al., 2005).
Déversements de branchages d’ «acadja»
Les «acadjas» sont des pêcheries en branchages, une sorte de vaste récif artificiel, formé d’amas de branchages implanté en lagune dans des zones peu profondes. C’est des concentrations de branchages fixés dans la vase par une extrémité, ou simplement posés dans le fond, dans les eaux dont la profondeur à l’étiage varie de 80 à 140 cm (Buffe, 1958). Les poissons s’y rassemblent et y sont facilement capturés, après que l’acadja ait été entouré par un filet ou par des barrières en claies. Les «acadjas» couvrent une superficie de plus de 9 000 ha sur les 15 000 ha du lac Nokoué avec des productions en poissons variant de 4 à 20 T/ha/an (Dovonou, 2008). Cependant, l’exploitation excessive des espaces lagunaires par l’acadja entraîne des effets néfastes sur l’environnement dont le défrichement des forêts, l’érosion des berges et surtout la pollution organique de la lagune et les risques écotoxicologiques sont liés aux réactions chimiques produites lors de leur décomposition (Dovonou, 2008). Cette décomposition engendre entre autres des taux d’oxygène dissout faibles avec une production primaire très faible, un potentiel redox négatif, une élévation de l’ammonium et des sulfates, la présence continue des nitrates et des nitrites (Bankolé et Olou, 2000).
Décharges d’ordures ménagères et biomédicales
Le lac Nokoué reçoit directement les ordures ménagères provenant des populations lacustres vivant dans des habitations sur pilotis sur le cours d’eau (Sô-Tchanhoué, Sô-Zounko, Ganvié, Sô-Ava, etc) ou en bordure (Djidjè, Ahouansori, Gbèdjromédé, etc) et des ordures provenant du marché de l’arrondissement central d’Abomey-Calavi et surtout du marché Dantokpa, le plus grand marché du Bénin (Satchi et al., 2016). Il s’agit des déchets solides et liquides constitués entre autres de piles usagées, des déchets de cuisine, des déjections animales et humaines, de l’eau de javel, des lotions, du shampoing, des solvants de toutes natures, des huiles de vidange, etc (Adjagodo et al., 2016). Ce cours d’eau reçoit également des déchets biomédicaux des hôpitaux et cliniques basés dans les villages lacustres et surtout des hôpitaux situés à Cotonou mais qui bordent le cours d’eau comme l’hôpital de la mère et de l’enfant (Bankolé et Olou, 2000). Il s’agit des déchets solides et liquides hospitaliers constitués des produits toxiques liés à la radiologie, aux laboratoires d’analyses, des déchets liés aux dentistes, les médicaments inutilisés, les thermomètres cassés, etc (Adjagodo et al., 2016).Ces différents types de déchets engendrent une pollution organique, chimique et bactériologique du lac. La pollution chimique est la libération, entre autres, des éléments toxiques chimiques tels que les métaux toxiques comme le mercure issu des thermomètres cassés, le plomb et le cuivre issus des piles usagées, le cadmium, le zinc, etc, et d’autres polluants chimiques comme les dioxines et les alkylphenols polyéthoxylates contenus dans les déchets biomédicaux ou dans les lotions et shampoing. La pollution bactériologique, c’est le développement des germes bactériologiques comme les coliformes, les streptocoques, etc, issus de la décomposition des déjections animales et humaines, des restes d’aliments, etc (Dovonou et al., 2011).
Rejets des collecteurs d’évacuation d’eaux pluviales et usées domestiques
Le lac Nokoué reçoit par l’intermédiaire du chenal de Cotonou une importante quantité d’eaux usées domestiques et d’eaux de ruissellement de nombreux quartiers de Cotonou et d’Abomey-Calavi. Ces eaux s’y déversent sans aucun traitement par le biais de nombreux ouvrages d’évacuation d’eaux usées (Saizonou et al., 2014). Aussi, le secteur industriel dans la commune de Sô-Ava et autour du lac Nokoué est constitué des industries agro-alimentaires, de textiles, de papeteries et des matériaux de construction. Plus de 80% des unités industrielles du Bénin sont installées dans la zone côtière notamment la Société Béninoise de Brasserie (SOBEBRA), la Société Nationale pour l’Industrie des Corps Gras (SONICOG), la Société Béninoise de Textile (SOBETEX), la Société Béninoise de Peinture et Colorants (SOBEPEC), la Société des Ciments du Bénin (SCB) etc, et participent à la pollution des eaux le long de la côte (Hounkpè et al., 2017, Agbandou et al., 2018). Comme polluants déversés encore dans cet écosystème aquatique, on peut citer les effluents provenant des ateliers de coiffure, des garages automobiles, des ateliers de teinturerie, de blanchisserie, l’eau provenant des routes goudronnées après la pluie, etc. Ce lac reçoit quelques fois des boues de vidanges des fosses septiques des maisons de Cotonou, de Calavi et de Sô-ava. On note ici également des colorants, des lotions, des solvants, des shampoings et détergents notamment les alkylphénols polyéthoxylates comme l’octylphénol et le nonylphénol, les matières plastiques et les micropolluants industriels comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (naphtalène, acenaphtène, fluoranthène, etc), les polychlorobyphényles (PCB), les dioxines et produits dérivés (Tossou, 2001; Dovonou et al., 2019). On retient aussi les pesticides contenus dans les effluents de maraîchage notamment les organochlorés, les organophosphorés, etc, mais surtout les métaux lourds comme le plomb, le cadmium, le mercure, l’arsenic, le zinc, le cuivre, etc, (Youssao et al., 2011). Plusieurs de ces divers polluants sont également des sources de sels nutritifs notamment azotés, phosphatés et d’oligo-éléments (Saizonou et al., 2014).
Rejets des résidus de pesticides par le fleuve Ouémé
Le fleuve Ouémé est le plus long fleuve du Bénin (510 km2). Prenant sa source au nord dans les massifs de l’Atacora, ce fleuve traverse tout le pays et se jette dans l’Océan Atlantique en passant par le lac Nokoué et le chenal de Cotonou (Yéhouénou, 2005). Dans son parcours, des études (Okoumassoun et al., 2002; Yehouénou, 2005; Agbohessi et al., 2012; Yehouénou et al., 2013) ont rapporté que ce fleuve draine pendant la crue des résidus de pesticides-coton des bassins cotonniers du nord et du centre Bénin vers ces cours d’eau du sud dont le lac Nokoué.
TENEURS EN DIFFÉRENTS POLLUANTS DU LAC NOKOUE ET CONSÉQUENCES POUR LES RESSOURCES ANIMALES
Pollution organique
Le tableau 1 indique quelques caractéristiques physico-chimiques des eaux du lac Nokoué obtenues dans la littérature, quelle que soit la saison. Ce tableau montre que l’eau du lac Nokoué est légèrement acide à neutre. Les valeurs de pH sont semblables à celles obtenues par Issola et al. (2008) dans les eaux de la lagune Fresco en Côte d’ivoire (7,42 – 7,60) mais légèrement différents des pH des eaux du lac Zarivar en Iran (7,28 – 8,35) neutre à basique (Moslem et al., 2019). Le pH intervient dans les équilibres acido-basiques et la libération de certains composés toxiques chélatés (Dovonou, 2008). Les teneurs en oxygène dissous des eaux du Nokoué sont relativement faibles et identiques à 4,66 – 5,50 mg/l (Issola et al., 2008) relevées dans la lagune Fresco (Côte d’Ivoire) et 0,81 – 2,43 mg/l (Buhungu et al., 2018) observées dans la rivière Kinyankonge (Burundi).
Les teneurs en ions ammonium du lac Nokoué sont similaires à celles relevées par Moslem et al. (2019) dans les eaux du lac Zarivar en Iran (0,11 – 11,3 mg/l) et obtenues par Buhungu et al. (2018) dans la rivière Kinyankonge au Burundi (0,67 – 1,86 mg/l). Des teneurs très élevées en ammonium (5,2 – 30,0 mg/l) ont été observées par Agbohessi et al. (2023) lors des montées des eaux sur le lac Nokoué. L’ammonium résulte de la première étape de la dégradation de la matière organique azotée par les bactéries ammonifiantes. En dehors de la pollution organique (matières végétales, matières organiques animales ou humaines), l’ammoniac peut provenir des rejets industriels, des engrais, des eaux souterraines, des eaux de pluies, etc (Dovonou, 2008).
Les niveaux relevés en ions nitrites dans le lac Nokoué sont très faibles aux concentrations en ions nitrites obtenues dans la lagune Fresco en Côte d’Ivoire (6,12 – 36,4 mg/l) par Issola et al. (2008), mais similaires à celles obtenues dans la rivière Kinyankonge au Burundi (0,016 – 0,037 mg/l) par Buhungu et al. (2018). Les nitrites sont formés sous l’action des bactéries nitreuses du genre Nitrosomonas par oxydation de l’ammonium ou par réduction des nitrates. Ils peuvent également être d’origine industrielle. Ils constituent le plus souvent la preuve de la présence d’impuretés d’origine fécale. Ils ne se maintiennent que lorsque le milieu n’est pas suffisamment oxydant et leur présence indique un état critique de pollution organique car cela indique un manque d’oxygène pour l’autoépuration (Dovonou, 2008).
Les concentrations en ions nitrates dans les eaux du lac Nokoué semblent élevées comparées aux valeurs obtenues dans la lagune de Fresco en Côte d’Ivoire (0,22- 0,39 mg/l) par Issola et al. (2008), dans la rivière Kinyankonge au Burundi (0,94 – 1,83 mg/l) par Buhungu et al. (2018) et dans le lac Zarivar en Iran (0,001 – 0,011 mg/l) par Moslem et al. (2019). Les nitrates sont issus de l’oxydation des nitrites (nitration) grâce aux bactéries du genre Nitrobacter.
Les teneurs en ions phosphates dans les eaux du lac Nokoué sont identiques à celles notées en Iran dans le lac Zarivar (0,019 – 1,45 mg/l) par Moslem et al. (2019) et relativement faibles aux valeurs de 1,04-6,29 mg/l obtenues au Burundi dans la rivière Kinyankonge (Buhungu et al., 2018). Les phosphates se rencontrent dans les eaux naturelles, dans les eaux usées domestiques et agricoles. Ils se forment par suite de la décomposition de la matière organique. Ils jouent un rôle important dans la croissance des organismes et représentent un facteur limitant dans la productivité primaire des eaux: un milieu pauvre en phosphate est peu productif et est dit oligotrophe tandis qu’un excès de phosphate le rend eutrophe (Dovonou, 2008).
La demande chimique en oxygène (DCO) relevée dans les eaux du Nokoué est supérieure à celle obtenue au Burundi (42,9 – 279,6 mg/l) dans la rivière Kinyankonge (Buhungu et al., 2018). Par contre la demande biochimique en oxygène (DBO5) des eaux du lac Nokoué est très faible comparée aux valeurs de 21,9 - 139,2 mg/l observées au Burundi dans la rivière Kinyankonge (Buhungu et al., 2018). La mesure de la DBO5 permet d’évaluer le contenu d’une eau en matières organiques biodégradables et donc, dans une certaine mesure, sa qualité et son degré de pollution organique (Dovonou, 2008).
L’indice de pollution organique (IPO) pour le lac Nokoué selon Capo-chichi et al. (2022) varie de 2 à 3,75 traduisant une pollution organique modérée à forte et selon Agbohessi et al. (2023) l’IPO est de 1,33 indiquant une très forte pollution due à une faible minéralisation des matières organiques. Cette pollution organique du lac Nokoué est identique à ce qui est observé dans les eaux de la Merja Fouarat au Maroc (IPO = 1,5-3,75) par Chahboune et al. (2012) et dans les eaux naturelles de la région d’El Tarf au Nord-Est de l’Algérie (IPO = 1 – 2,33) par Bahroun et Houria. (2011). L’évolution des valeurs de l’IPO montre que cet état dégradé de la qualité des eaux du lac Nokoué est dû aux rejets des effluents domestiques et industriels (Benbouih et al., 2005) et aux dépotoirs d’ordures ménagères par endroits sur le plan d’eau. Les valeurs de cet indice s’expliquent par les teneurs élevées en ammonium et en phosphate (Benzizoune et al., 2004). La pollution organique du lac Nokoué entraîne l’hyper-eutrophisation caractérisée par la prolifération des plantes aquatiques comme la Jacinthe d’eau Eichhornia crassipes (Ogutu-Ohwayo et al., 1997). Cette prolifération des végétaux aquatiques est à l’origine de la formation d’un écran en surface des eaux qui empêche l’oxygénation du milieu. De plus, la décomposition de tous ces végétaux occasionne une importante consommation d’oxygène dissous, et va s’accompagner d’une désoxygénation du milieu, en particulier à l’interface eau/sédiment, d’où le niveau bas en oxygène dissous noté dans le lac Nokoué. Ces conditions sont défavorables à la vie de certaines espèces notamment celles dépendantes de l’oxygène dissous dans l’eau comme les Cichlidés. La production de sulfures et de nitrites inhibe le développement d’autres producteurs primaires et des poissons à grande sensibilité.
Pollutions du lac Nokoué par les métaux toxiques
Seuls le plomb, le cadmium et le mercure ont été pris en compte dans la présente étude du fait de leur forte gravité spécifique et de leur toxicité sur les divers organismes animaux aquatiques.
Teneurs des eaux en métaux toxiques
Les teneurs dans l’eau du lac Nokoué en plomb, en cadmium et en mercure sont recensées dans le Tableau 2. Les teneurs en plomb relevées dans l’eau du lac Nokoué sont relativement similaires à celles obtenues dans l’eau de la lagune de Porto-Novo (0,114 mg/l) au Bénin (Agbandou et al., 2018) et dans le lac Toho à Lokossa (0,1032 mg/l) toujours au Bénin (Hekpazo et al., 2020), dans l’eau du fleuve Congo (0,01 – 0,05 mg/l) au Congo (Jeff et al., 2021) et dans l’eau du bassin de Didagou (0,0004 – 0,0599 mg/l) au Togo (Kpiagou et al., 2022). Mais Kaki et al. (2011) ont obtenu des concentrations en plomb dans l’eau du lac Nokoué allant jusqu’à 10,1 mg/l très élevées et supérieures aux normes de l’OMS (organisation mondiale de la santé) pour les teneurs en plomb de l’eau fixées à 0,01 mg/l (OMS, 2017). Les teneurs en cadmium relevées dans l’eau du lac Nokoué sont semblables à celles trouvées dans l’eau du lac Toho (0,046 mg/l) par Hekpazo et al. (2020), et l’eau du fleuve Congo (0,01 – 0,02 mg/l) par Jeff et al. (2021) et supérieures à celles dans l’eau du bassin de Didagou (0,0005 – 0,0069 mg/l) par Kpiagou et al. (2022). Cette concentration en cadmium de 0,03 mg/l trouvée dans l’eau du Nokoué est supérieure à la limite de 0,003 mg/l fixée pour l’eau (OMS, 2017). La teneur en mercure de 0,0011mg/l relevée dans l’eau du lac Nokoué par Agbandou et al. (2018) est similaire à 0,0017 mg/l obtenue par les mêmes auteurs dans la lagune de Porto-Novo, semblable à celles obtenues par Khamar et al. (2000) dans les effluents urbains en Algérie (0,001 – 0,083 mg/l) et dans l’eau du bassin de Didagou (0,0003 – 0,0025 mg/l) au Togo par Kpiagou et al. (2022). Mais la concentration en mercure de 6,66 mg/l dans l’eau du Nokoué obtenue par Karim et al. (2023) est très élevée et supérieure à la limite de 0,006 mg/l fixée pour l’eau (OMS, 2017).
Teneurs des sédiments en métaux toxiques
Les teneurs des sédiments en métaux toxiques sont présentées dans le Tableau 3. Les concentrations en plomb dans les sédiments du lac Nokoué sont similaires à celles trouvées dans les sédiments de la lagune de Porto-Novo (3,52 – 60,6 mg/kg) par Chouti et al. (2010) et dans le lac Ahémé (21,3 mg/kg) par Agbandou et al. (2018), mais supérieures à celles rapportées dans les sédiments de la rivière N’zi (0,2 – 1,63 mg/kg) en Côte d’Ivoire par Ouattara et al. (2021) et faibles comparées aux teneurs en plomb trouvées dans les sédiments (118,9 mg/kg) de la lagune Ebrié en Côte d’Ivoire (Irié Bi et al., 2019). Les niveaux en cadmium obtenus dans les sédiments du lac Nokoué sont similaires à ceux rapportés dans les sédiments de la lagune de Porto-Novo (0,6-7,33 mg/kg) au Bénin (Chouti et al., 2010), de la rivière N’zi (0,44 – 0,53 mg/kg) en Côte d’Ivoire (Ouattara et al., 2021) et dans les sédiments de la lagune Ebrié (0,74 mg/kg) en Côte d’Ivoire (Irié Bi et al., 2019). Mais des valeurs allant jusqu’à 22,1 mg/kg ont été obtenues par Kaki et al. (2011) dans les sédiments du lac Nokoué. Ce niveau en cadmium est très élevé et supérieur à la limite de 0,11 mg/kg fixée par le groupe mixte d’experts sur les aspects scientifiques de la protection du milieu marin. Pour le mercure, les concentrations obtenues dans les sédiments du lac Nokoué sont semblables à celles des sédiments de la ferme aquacole de Bingerville en Côte d’Ivoire (0,169 – 0,177 mg/kg) relevées par Coulibaly et al. (2018) et à celles des sédiments de la rivière N’zi en Côte d’Ivoire (0,002 – 0,064 mg/kg) obtenues par Ouattara et al. (2021), mais faible par rapport aux valeurs trouvées par Chouti et al. (2010) dans les sédiments de la lagune de Porto-Novo (0,17-2,73 mg/kg).
Teneurs des poissons et autres organismes animaux aquatiques en métaux toxiques
Le Tableau 4 présente quelques données d’accumulation d’éléments traces métalliques dans quelques animaux aquatiques capturés dans le lac Nokoué quelle que soit la saison. Les niveaux en plomb dans les poissons, crabes, crevettes et huîtres pêchés dans le lac Nokoué sont globalement très supérieurs à la limite de 0,2 mg/kg fixée pour leur comestibilité (OMS, 2005). La concentration en plomb obtenue chez Liza falcipinnis (31,7 mg/kg) capturé dans le lac Nokoué est très élevée que celle obtenue chez la même espèce pêchée dans le fleuve Congo (1,17 mg/kg) par Jeff et al. (2021). La teneur en plomb trouvée chez Chrysitchtys spp (0,0992 – 29,5 mg/kg) capturée dans le lac Nokoué va à des limites très supérieures à celle rapportée chez la même espèce dans la lagune de Porto-Novo (3,44 mg/kg) au Bénin par Agbandou et al. (2018). De la même manière, les résidus de plomb obtenus chez Ethmalosa fimbriata (0,113 – 25,5 mg/kg) du lac Nokoué vont à des niveaux très supérieurs à ceux relevés chez la même espèce dans la lagune de Porto-Novo (5,90 mg/kg) par Agbandou et al. (2018). La concentration en plomb trouvée chez S. melanotheron (19,2 mg/kg) pêchée dans le lac Nokoué est largement supérieure à celles révélées chez Oreochromis niloticus pêchée dans le lac Toho (0,14 mg/kg) au Bénin (Hekpazo et al., 2020) et dans le fleuve Congo (0,25 mg/kg) au Congo (Jeff et al., 2021). La teneur en plomb obtenue chez les huîtres Crassostrea Spp (9,39 mg/kg) du lac Nokoué est très élevée comparativement à celle trouvée chez le même genre d'huître (2,95 mg/kg) par Ouro Sama et al. (2014) dans le système lagunaire togolais. Par contre, les crabes Callinectes amnicola du lac Nokoué concentrent moins (0,82 – 1,81 mg/kg) de plomb que leurs homologues du lac Ahémé (20,9 mg/kg) au Bénin (Dossou et al., 2022).
Les niveaux de concentration en cadmium des poissons, mollusques et crustacés rapportés dans le lac Nokoué sont de façon générale au-delà de la limite de 0,05 mg/kg fixée par OMS (2005) pour leur comestibilité. Pour ce qui est des poissons, la teneur obtenue chez C. auratus (0,3 mg/kg) du lac Nokoué est semblable aux teneurs trouvées chez O. niloticus (0,179 mg/kg) et C. gariepinus (0,173 mg/kg) du fleuve Congo par Jeff et al. (2021), chez Caranx hippos (0,33 mg/kg), Hemichromis fasciatus (0,98 mg/kg) par Ouro-Sama et al. (2014) dans le système lagunaire togolais et chez O. niloticus (0,087 mg/kg) du lac Toho par Hekpazo et al. (2020). Mais toutes ces valeurs sont très faibles comparées aux concentrations en cadmium rapportées dans le lac Nokoué chez L. falcipinnis (2,11 mg/kg), E. fimbriata (2,12 mg/kg) et S. melanotheron (2,19 mg/kg). Quant au mollusque C. gigas, sa teneur en cadmium dans le lac Nokoué (10,4 mg/kg) est largement supérieure à 0,83 mg/kg trouvée pour C. gasar (Ouro-Sama et al., 2014).
Les teneurs en mercure des organismes aquatiques rapportées dans le lac Nokoué notamment celles trouvées par Agbandou et al. (2018) sont nettement au-delà de 0,287 mg/kg trouvée chez E. fimbriata et de 0,046 mg/kg chez C. nigrodigitatus capturées dans la lagune de Porto-Novo par les mêmes auteurs.
Quelques conséquences de la contamination du lac Nokoué par les métaux toxiques
En réalité jusqu’à maintenant et à notre connaissance, aucune étude écotoxicologique n’a encore investigué l’impact de cette contamination en métaux toxiques sur les organismes animaux vivant dans ce cours d’eau. Des publications (Tabinda et al., 2010; Agbohessi et al., 2023) ont cependant rapporté que les métaux lourds sont dangereux pour les espèces aquatiques à cause de leur persistance dans l'environnement, leur tendance à la bioaccumulation et surtout leur toxicité. Ebrahimi et Taherinfard (2011) ont indiqué qu’une exposition chronique aux métaux lourds (Pb, Cd, Hg) inhibait chez les poissons la synthèse de l’œstrogène et des androgènes. Selon Hachfi et al. (2012), le cadmium est un métal perturbateur endocrinien capable d’affecter l’homéostasie, la reproduction et également d’altérer la fonction de l’axe hypothalamus -hypophyse - gonade – foie chez les poissons. De plus, il est également capable de perturber la synthèse hormonale et d’endommager la liaison aux protéines plasmatiques. Des études ont également prouvé que ces métaux toxiques altéraient la spermatogenèse, l’ovogenèse et causaient des perturbations hépatiques chez Labeo rohuta et chez Auchenoglanis occidentalis (Abalaka 2015; Saravpreed et al., 2018). L’exposition aux métaux lourds affecte le développement embryonnaire et larvaire des poissons en induisant l’augmentation du rythme cardiaque, la réduction de l’activité cardiaque, l’augmentation du taux de mortalité et le taux des malformations, les déformations de la colonne vertébrale, etc (Taslima et al., 2022). Les études d’une exposition aux éléments traces métalliques ont indiqué que ces métaux toxiques induisent un stress chimique qui inhibe la croissance chez plusieurs espèces de poissons dont Catla catla, L. rohuta, etc (Naz et Chatha, 2022).
Pollution du lac Nokoué par les pesticides
Teneurs en pesticides dans les eaux du lac Nokoué
Les résultats de l’analyse des sédiments prélevés entre 0 et 10 cm au fond de quelques sites du lac Nokoué sont présentés dans le Tableau 5. Les taux de DDT et ses métabolites les plus élevés obtenus sur les sites du lac Nokoué sont obtenus à Ladji et sont tous très élevés par rapport à la recommandation canadienne pour la qualité de l’eau (1,42 µg/kg [DDE], 3,54 µg/kg [DDD] et 1,19 µg/kg [DDT]). Ces teneurs obtenues dans les sédiments à Ladji par Yéhouénou (2005) sont également au-dessus des concentrations néerlandaises maximales permises (58 µg/kg [DDE], 39 µg/kg [DDD] et 98 µg/kg [DDT]). Les teneurs en DDE et DDD rapportées à Ladji sur le lac Nokoué par Yéhouénou (2005) sont respectivement supérieures à celles de Yéhouénou et al. (2006) à Kpassa (131 µg/kg [DDE] et 61,5 µg/kg [DDD]), et à Lowé (68 µg/kg [DDE] et 115,5 µg/kg [DDD]) sur le fleuve Ouémé. Cependant, la teneur en DDT rapportée à Ladji par Yéhouénou (2005) est en dessous de celles de Bétérou (139-809 µg/kg), Donga (134-189 µg/kg), Kpassa (159,5 µg/kg), Lowé (167,3- 312 µg/kg), Bonou (220 µg/kg) et Toué (123 µg/kg) sur le fleuve Ouémé (Yéhouénou et al. (2006b). Ensuite, les concentrations en DDE (280 µg/kg) et en DDT (23 µg/kg) des sédiments collectés à Ladji (Yéhouénou, 2005) sont largement au-dessus de ceux des retenus d’eau de Batran (respectivement 1,5 et 1,2 µg/kg) et de Sori (respectivement 2,1 et 1,5 µg/kg) (Douny et al., 2021). Aussi, le niveau en DDE dans les sédiments de Ladji rapporté par Yéhouénou (2005) est nettement supérieur à ceux (149 µg/kg) de la lagune Ebrié en Côte d’Ivoire (Marchand et Martin, 1985), (15,85 µg/kg) de la rivière Agbansiandi au Togo (Mawussi, 2008) et (4,47 µg/kg) du lac Nakuru au Kénya (Mavura et Wangila, 2003). Par contre les teneurs en DDD (128 µg/kg) et en DDT (23 µg/kg) des sédiments collecté à Ladji par Yéhouénou, (2005) sont très inférieures à celles trouvées dans la lagune Ebrié respectivement de 803 µg/kg et 354 µg/kg (Marchand et Martin, 1985).
Teneurs en pesticides de quelques organismes animaux du lac Nokoué
Le Tableau 6 présente quelques données chiffrées de résidus d’organochlorés retrouvés chez quelques animaux aquatiques (poissons, mollusques et crustacés) du lac Nokoué par Yéhouénou et al. (2013). L’analyse du tableau montre que les teneurs résiduelles en DDT et ses métabolites dans les poissons étudiés varient de 99 à 289 ng/g (DDE), de 55 à 168 ng/g (DDD), et de 20 à 123 ng/g (DDT). Ces valeurs de DDE sont supérieures à celles rapportées dans les retenues d’eau de Batran chez O. niloticus (5,3 ng/g) et chez C. gariepinus (8,0 ng/g) (Douny et al., 2021). Ces valeurs de DDE sont également au-dessus de celles obtenues sur le fleuve Ouémé à Kpassa chez O. niloticus (41 ng/g) à Bétérou chez C. gariepinus (66 ng/g) (Yéhouénou et al., 2006b), et dans la rivière Pendjari chez Polypterus endlicheri (93 ng/g) (Soclo, 2003) mais inférieures à celles rapportées à Atchakpa-Béri chez C. gariepinus (421 ng/g) par Yéhouénou et al. (2006) et dans la rivière Dridji chez C. gariepinus (403 ng/g) par Agbohessi et al. (2012). Ces niveaux de DDE sont supérieurs à ceux qui ont été trouvés chez les poissons du lac Nakuru au Kenya (34,9 ng/g) par Mavura et Wangila, (2003) et à ceux trouvés par Afful et al. (2010) (1,3 à 12 ng/g) dans les poissons du bassin de Densu au Ghana. Les taux en ∑ DDT (DDE+DDD+DDT) des poissons varient de 189 à 580 ng/g de lipides. Ces concentrations en ∑ DDT des poissons capturés dans le lac Nokoué sont supérieures à celles rapportées dans le fleuve Ouémé à Kpassa chez O niloticus (129 ng/g), Sarotherodon galileus (139 ng/g), à Toué chez Tilapia zillii (134 ng/g) et à Lowé chez Protopterus annectens (130 ng/g) (Yéhouénou et al., 2006b). Cependant ces valeurs trouvées chez les poissons du lac Nokoué sont très inférieures à celles rapportées sur le même fleuve Ouémé à Bonou chez C. gariepinus (1 642 ng/g) à Atchakpa-Béri, chez C. gariepinus (1 384 ng/g), à Lowé chez Schilbe intermedius (1 191 ng/g) et C. auratus (1 238 ng/g) par les mêmes auteurs et dans la rivière Pendjari chez P. endlicheri (6 900 ng/g) par Soclo (2003). Ces niveaux de ∑ DDT (189 à 580 ng/g) rapportés chez les poissons du lac Nokoué sont plusieurs fois élevés à ceux obtenus chez les poissons du lac Paranoa (1,35 ng/g) au Brésil (Caldas et al., 1999) mais très inférieurs à ceux rapportés chez Micropterus Salmoides (2100 ng/g) capturé au Kenya dans le lac Naivasha (Gitahi et al., 2002).
Les concentrations en α-endosulfan chez les poissons du lac Nokoué varient de 4 à 86 ng/g. Le niveau de α-endosulfan le plus élevé est rapporté chez Elops lacerta (86 ng/g) et est supérieur à celui des autres espèces mais très inférieur à celui rapporté chez P. endlicheri (8180 ng/g) dans la rivière Pendjari (Soclo, 2003).
Les concentrations en Aldrin des poissons du Nokoué varient de 2 à 31 ng/g et celles de la Dieldrine de 3-19 ng/g. Ces valeurs de la Dieldrine sont très inférieures à celles trouvées à Lowé par Yéhouénou et al (2006b) chez P. annectens (750 ng/g) et dans la rivière Pendjari chez P. endlicheri (200 ng/g) par Soclo (2003).
Les niveaux de ɣ-HCH rapportés chez les poissons du Nokoué varient de 4 à 28 ng/g mais très faibles par rapport à 174 ng/g observé dans la Pendjari chez P. endlicheri (Soclo, 2003).
Les niveaux de résidus organochlorés de poissons collectés dans le lac Nokoué sont inférieurs à ceux signalés pour les poissons des marchés et des zones de pêche d’Abidjan (Biego et al., 2010), du lac Qarun en Égypte (Mansour, 2009), lac Taabo en Côte d’Ivoire (Roche et al., 2007) et la lagune de Lagos au Nigeria (Adeyemi et al., 2008).
Les teneurs en ∑ DDT (DDE+DDD+DDT) des poissons variant de 189 à 580 ng/g, presque identiques à celle du mollusque Ostrea sp (<400 ng/g de lipide), sont toutes supérieures à celles obtenues chez les crustacés Callinectes sp (<50 ng/g) et Penaeus notialis (<60 ng/g). Pour ce qui est de l’endosulfan, les crustacés en sont pourvus tandis que Ostrea sp n’en contient pas.
Quelques conséquences de la contamination du lac Nokoué par les pesticides
A notre connaissance aucune étude écotoxicologique ne s’est encore penchée sur l’impact des effluents agricoles sur les organismes du lac Nokoué. Cependant, plusieurs études avaient déjà prouvé que les pesticides organochlorés comme le DDT et son métabolite pp’-DDE, la Dieldrine, le lindane, l’endosulfan ont des activités oestrogéniques sur les poissons contaminés (Agbohessi et al., 2015a et b). Agbohessi (2014) et Agbohessi et al. (2015b) avaient révélé que l’endosulfan perturbe chez Tilapia guineensis et C. gariepinus le système endocrinien et induit chez les individus mâles des testis-ova et chez les femelles des ovocytes atrétiques pré-ovulatoires, indiquant une féminisation de ces poissons. Okoumassoun et al. (2002) avaient également relevé chez des individus mâles matures de S. melanotheron collectés dans le fleuve Ouémé et contaminés en pesticides organochlorés (DDT, endosulfan, aldrin, dieldrine), des niveaux élevés de vitellogénine qui est une lipoprotéine synthétisée dans le foie sous l’impulsion de la 17β-estradiol qui ne devrait pas être présent à un niveau élevé chez les mâles. Cela signifie que ces pesticides organochlorés ont des activités oestrogéniques. Ces pesticides organochlorés inhibent la croissance chez de nombreuses espèces de poisson (Agbohessi et al., 2014).
Teneurs en hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) du lac Nokoué
Les teneurs moyennes totales en HAP relevées dans l’eau du lac Nokoué varient de 0,06 à 0,062 µg/l selon Dovonou et al. (2019) et 0,067 à 0,137 µg/l selon Tossou (2001). En termes de composition en HAP, Dovonou et al. (2019) ont trouvé dans l’eau du lac Nokoué la naphtalène (0,01 – 0,03 µg/l), l’acenaphtène (0,02 – 0,05 µg/l), l’anthracène (0,09 – 0,1 µg/l), la fluoranthène (0,0 – 0,06 µg/l) et l’acenaphtène (0,07 – 0,1 µg/l). Ces différents niveaux de naphtalène, d’acenaphtène, de fluoranthène et d’acenaphtène dans l’eau du lac Nokoué sont très élevés par rapport à la norme ISO fixée à 0,001 µg/l (CIRC, 2012). De la même manière la teneur en anthracène obtenue dans l’eau est supérieure à la même norme ISO fixée à 0,01 µg/l (CIRC, 2012). Les teneurs rapportées pour le lac Nokoué par Dovonou et al. (2019) en HAP du T. guineensis (0,0056 – 0,0068 µg/l), de H. fasciatus (0,0059 – 0,0068 µg/l) et de S. melanotheron (0,0059 – 0,0073 µg/l) sont supérieures à celles relevées par les mêmes auteurs chez les mêmes espèces dans la rivière Sô.
Aucune étude écotoxicologique n’a été faite à notre connaissance pour évaluer l’impact de ces HAP sur les organismes aquatiques dans le lac Nokoué. Mais la toxicité des HAP est reconnue et ces substances sont classées cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques et hépatotoxiques. Outre leur caractère ubiquiste, leur forte toxicité justifie leur classement en Polluants Organiques Persistants et leur inscription comme substances prioritaires sur les listes de la commission européenne, de l’agence de protection de l’environnement des États-Unis et de l’OMS (Du-Lacoste, 2008). Le benzo[a]pyrène par exemple, qui est très étudié, entraîne une diminution du poids, de la croissance, une augmentation du rapport gonado-somatique chez Oryzias latipes (Chikae et al., 2004), des cassures de l’ADN chez C. gigas (Wessel et al., 2007), des adduits à l’ADN chez Danio rerio (Tarantini, 2009). Des effets tératogènes notamment sur le coeur de Clupea pallasi et de D. rerio (Hicken et al., 2011) ont été observés ainsi qu’une anémie chez Sebastes schlegeli (Kim et al., 2008). Le benzo[a]pyrène affecte la reproduction chez Oniscus asellus et Asellus porcellio scaber, il s’accumule dans les ovocytes chez le poisson-chat Ictalurus punctatus (Montverdi et Di Giulio, 2000). Il perturbe l’expression de l’aromatase chez les femelles de Fundulus heteroclitus (Patel et al., 2006) et inhibe la synthèse de testostérone et d’œstradiol chez Platichthys flesus (Rocha Monteiro et al., 2000). La crevette (Palaemonetes pugio), exposée par l’aliment au pyrène, présente une réduction de la survie (Oberdörster et al., 2000). Les HAP sont des molécules lipophiles qui sont transportées et qui se retrouvent dans les ovaires via la vitellogénine (Montverdi and Di Giulio, 2000) et/ou la lipovitelline (Lee, 1993). Ils peuvent également entraîner une inhibition de la synthèse de la vitellogénine, comme cela a déjà été montré chez la truite après une exposition au β-naphtoflavone (Anderson et al., 1996). Cette exposition compromet la maturation des ovaires et provoque une augmentation de l’apoptose dans les cellules gonadiques (Marty et al., 1997). Ces polluants entraînent, par exemple, une inhibition de la reproduction chez les crevettes exposées au pyrène (Oberdörster et al., 2000). Chez les moules, les gamètes sont déformées et elles sont présentes en nombre réduit (Eertman et al., 1995). Chez le mâle, la qualité du sperme est réduite, et on observe également une augmentation de l’apoptose testiculaire.
Autres polluants chimiques du lac Nokoué
Plusieurs autres contaminants chimiques notamment des micropolluants industriels ont été suspectés dans le lac Nokoué sans avoir fait l’objet d’une étude réelle. Il s’agit des détergents industriels (Dovonou et al., 2019), des polychlorobyphényles (Dovonou et al., 2011) et des dioxines et autres produits dérivés (Adjagodo et al., 2016).
Les détergents industriels, c’est par exemple les alkylphénols polyéthoxylates qui sont des surfactants non ioniques, constituants des peintures et revêtements, des cosmétiques, etc, susceptibles d’être dans les effluents hospitaliers, les effluents domestiques et urbains, les effluents des industries de fabrication de peintures, les effluents de teinturerie, les effluents agricoles, etc. Les détergents industriels sont connus pour être des inhibiteurs de la croissance, reprotoxiques, hépatotoxiques et possèdent de très fortes activités oestrogéniques sur les poissons et autres animaux aquatiques (Boillot, 2008).
Les polychlorobyphényles (PCB) sont des composés organochlorés, des mélanges de biphényles à divers degrés de chloration. Ils sont utilisés généralement comme lubrifiants, fluides hydrauliques et fluides d’isolation. Ils se retrouvent dans l’environnement suite à l’incinération des plastiques en dessous de 1200 ᵒC et contenus aussi dans les rejets industriels et domestiques. Les PCB sont des perturbateurs endocriniens oestrogéniques (Daouk, 2011). Ils perturbent également le développement, le système reproducteur et hépatique des poissons (Monosson, 2000).
Les dioxines et produits dérivés sont issus d’une grande variété de processus domestiques et industriels (incinérations de plastiques, industries de pâtes à papier, usines de textiles, etc). Les effluents d’usines de papeterie, de textiles et de teinturerie ont prouvé déjà leurs effets oestrogéniques sur les animaux aquatiques (Matti et Raimo, 2019). Des études ont montré que ces substances altèrent la croissance des poissons, leur productivité telle que la diminution de la taille des gonades, leurs systèmes immunitaires et leurs processus biochimiques (Kamal, 2006).
Pollution bactériologique du lac Nokoué
Peu d’études sur les teneurs en germes bactériologiques ont été réalisées sur le lac Nokoué malgré l’exposition constante de cet écosystème à ce type de polluant. Les rares données concernent celles de Dovonou et al. (2011) qui ont rapporté dans ce biotope des teneurs en coliformes totaux d’environ 12 000 UFC/ 100 ml, des coliformes fécaux de 40 000 UFC/ 100 ml et des streptocoques fécaux de 40 000 UFC/ 100 ml. Ces différents taux sont supérieurs chacun à la norme 103 UFC/100 ml fixée par OMS (1989) pour le rejet direct dans l’environnement. La charge bactérienne en coliformes fécaux supérieure à la norme ˃20 000 UFC/100 ml de OMS (2014) indique une contamination par des germes fécaux. Cette contamination fécale a pour origine, la défécation directe dans l’eau du lac Nokoué par les populations lacustres, les boues de vidanges des fosses septiques des maisons de Cotonou et Calavi déversées dans ce cours d’eau, les déjections animales versées dans l’eau, les dépotoirs d’ordures ménagères par endroits le long de la berge de ce cours d’eau et les eaux résiduaires brutes de la ville d’Abomey-Calavi et de Cotonou. Des études de Adjahouinou et al. (2014) ont d’ailleurs montré dans les eaux résiduaires de la ville de Cotonou la présence de Escherichia coli (4,32 106 UFC/100 ml), de coliformes totaux (1,3 .107 UFC/100 ml), de streptocoques fécaux (4,3 106 UFC/100 ml) et de germes anaérobie sulfito-réducteurs (7,9 104 UFC/100 ml). Cette charge bactérienne du lac Nokoué est tout de même faible comparée à celle trouvée par Abdelmalek et al. (2012) dans les eaux de l’Oued Beni Aza (Blida, Algérie) qui ont rapporté des coliformes totaux de 188 .107 UFC/100 ml, des coliformes fécaux de 46. 107 UFC/100 ml et des streptocoques fécaux de 28. 107 UFC/ 100 ml. Cette contamination fécale du lac Nokoué peut influencer le système immunitaire des poissons et est une source potentielle d’épidémie (Adjahouinou et al., 2014).
CONCLUSION
Le lac Nokoué est un écosystème de productivité élevée abritant une forte biodiversité de poissons, de crustacés et de mollusques. Mais cette diversité biologique connaît une érosion depuis des années due à plusieurs facteurs dont le plus important aujourd’hui est la pollution (organique, chimique et biologique). Parmi ces polluants, les plus dangereux sont ceux chimiques. Il s’agit entre autres des métaux toxiques, des pesticides chimiques, des micropolluants industriels dont les hydrocarbures aromatiques polycycliques, les polychlorobyphényles, les détergents industriels, les dioxines et autres produits dérivés. C’est le mélange de tous ces toxiques qui impacte les organismes aquatiques de ce lac. Plusieurs de ces toxiques ont déjà été montrés comme perturbateurs endocriniens oestrogéniques. Afin d’éviter un désastre écologique, des études écotoxicologiques doivent donc être réalisées en vue d’évaluer l’impact réel de ce cocktail complexe de polluants sur les espèces de poissons, de crustacés et de mollusques. Certains polluants comme les métaux lourds, les HAP, les pesticides, etc, ont été retrouvés dans certains poissons très consommés à des concentrations hors normes. Cela pose le problème de la qualité sanitaire des produits de pêche issus du lac Nokoué et donc un problème de santé publique.
RÉFÉRENCES
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