Résumé

La présente recherche vise à contribuer aux acquis existants concernant les contraintes au développement de la labellisation de l’huile d’olive dans un contexte d’un pays en Méditerranée du Sud, à savoir le Maroc. Elle vise à proposer une lecture critique de certaines stratégies de l’État en matière de valorisation de l’huile d’olive par des signes officiels de qualité. La méthodologie employée est fondée sur une approche qualitative basée sur des entretiens semi-directifs, menée sur un échantillon de 12 accompagnateurs chargés du développement et de la promotion des produits des terroirs. L’analyse des données textuelles révèle treize contraintes entravant le processus de labellisation de l’huile d’olive et reliées à quatre enjeux majeurs identifiés: l’organisation des agriculteurs (facteur humain, gouvernance), les conditions de production (reconversion de métier, traçabilité des produits , dépendance aux appuis de l’État, contraintes de financement de la production), valorisation des produits et insertion des producteurs dans le marché (contraintes liées à la commercialisation, valeur inaperçue par l’agriculteur, engagement avec l’agrégateur) et les caractéristiques de la demande (habitudes et modes de consommation et faible notoriété des labels).


Mots-clés: Filière oléicole, huile d’olive, labellisation, SDOQ, Plan Maroc vert, Maroc

INTRODUCTION 

Bien que la filière de l’huile d’olive au Maroc soit actuellement plus développée que dans les années 80 et 90, elle le reste insuffisamment face à un marché mondial qui est devenu de plus en plus concurrentiel. Des recherches suggèrent que la valorisation des produits des terroirs constitue un des moyens pour créer des emplois (Giovannucci et al., 2009), créer des ponts entre les régions et les marchés (Fresno et Ramírez, 2009), contribuer à la pérennité des terroirs (Zago et Pick, 2004) et renforcer le développement économique des territoires (Bendriss, 2009; El Badaoui et Ait El Mekki, 2017; Marie-Vivien et Chabrol, 2014). Aujourd’hui, la valorisation des produits des terroirs offre une opportunité importante pour redynamiser les économies des territoires, et protéger et valoriser leurs savoirs faire et leurs cultures.

De nombreuses recherches ont montré l’intérêt des signes de qualité. Ils permettent de donner une valeur ajoutée aux produits, aux marques et aux territoires (Fort, 2014). Certains signes de qualité dont l’Appellation d’origine contrôlée (AOC), et protégée (AOP), l’indication géographique protégée (IGP), constituent les instruments de politique de développement de l’espace rural, d’autres ont pour principal but de rassurer le consommateur et de réduire les asymétries d’information (Ilbert H. et al., 2009). Les chercheurs et les professionnels s’accordent qu’il est plus que crucial que ces produits soient protégés par des indications géographiques reconnues à l’international (Hadjou et Cheriet, 2015). C’est ainsi que le Maroc s’est inscrit dans cette logique.

En 2008, avec la réforme de la politique agricole dénommée Plan Maroc Vert (PMV), les pouvoirs publics ont mis en œuvre une politique d’accompagnement tournée vers la valorisation des richesses locales de l’agriculture, avec notamment des stratégies d’agrégation, d’encadrement des petites exploitations (Pilier I), l’encouragement et le soutien aux pratiques agricoles modernes et à la promotion des produits du terroir (Pilier II). Ainsi, le Maroc a accordé aux produits de terroir (PT) une place importante dans sa stratégie de développement agricole qui cible les petites exploitations. Une stratégie qualifiée de «top-down», car ce sont les organismes publics qui ont impulsé le recours aux signes de qualité (Lamani et al., 2015). Il s’agit notamment de la loi n° 25-06 de 2008 relative aux signes distinctifs d’origine et de qualité (SDOQ) des produits agricoles et des denrées alimentaires et des produits halieutiques.

Cependant, les labels qui ont conduit à un succès commercial ne sont pas le fruit du hasard. Certaines conditions préalables doivent être réunies. Comme le notent Marescotti et Belletti (2006), un environnement propice est indispensable pour la réussite d’une stratégie de labellisation. Au Maroc, et jusqu’à présent, des efforts ont été entrepris dans ce sens. Toutefois, la croissance du marché national des produits labellisés connaît un véritable blocage. En effet, la situation actuelle montre que plusieurs contraintes persistent au niveau de toute la chaîne de valeur de la sous-filière oléicole labellisée, aussi bien au niveau de l’amont (production, transformation, valorisation), qu’au niveau de l’aval (commercialisation).

Dans ce contexte, nous avons mené une étude sur les contraintes au développement de la sous-filière de l’huile d’olive labellisée au Maroc. La problématique de cette recherche est donc la suivante: quels sont les problèmes et les contraintes au développement de la sous-filière d’huile d’olive labellisée au Maroc? Pour répondre à cette question, nous avons opté pour des enquêtes auprès des accompagnateurs des services publics marocains chargés de la promotion et de la valorisation des produits des terroirs. Le choix de cette approche, basée sur les points de vue des accompagnateurs des services publics, est justifié d’abord par le fait que la majorité des travaux de recherche sur le sujet se sont intéressés principalement aux organisations professionnelles (coopérative, GIE, etc.) comme un objet de recherche pour identifier les contraintes (Ait Hmida, 2016; El Hachami, 2016; Ouhna et Amine, 2019; Rouas et al., 2015). Cette approche peut en effet conduire à masquer certaines contraintes que seuls les accompagnateurs peuvent identifier lors de la mise en œuvre des plans d’action de la stratégie de développement des produits des terroirs, en particulier pour l’huile d’olive. L’intérêt de cette recherche est double: contribuer à combler le manque dans la littérature sur ce sujet, et proposer une lecture critique de certaines stratégies de l'État en matière de valorisation de l’huile d’olive par des politiques de labellisation. L’étude est fondée sur une approche qualitative exploratoire, basée sur des entretiens semi-directifs avec les accompagnateurs.

Dans un premier temps, nous présentons la méthodologie de l’étude (2), ensuite, les résultats des analyses textuelles (3). Enfin, nous concluons avec quelques recommandations en réponse aux contraintes identifiées dans la présente étude (4).

MÉTHODOLOGIE 

Dans cette recherche, nous avons opté pour une démarche exclusivement qualitative. Le choix de cette approche est adapté à notre objet d’étude dans la mesure où elle nous permet d’avoir une profondeur dans la description des phénomènes (Ridder, 2012), et de mieux appréhender la complexité du phénomène (Moriceau et Soparnot, 2019). Notre étude peut être considérée parmi les travaux interprétativiste, en ce sens, que la génération de la connaissance s’appuie sur la compréhension du sens que les acteurs donnent à la réalité (Thiétart, 2014).

Pour la collecte des données, nous avons procédé par entretiens semi-directifs s’appuyant sur un guide d’entretien, triangulés avec des analyses documentaires. Au total, 12 entretiens ont été effectués dans cette étude (Tableau 1). Le choix de la taille de notre échantillon s’est fait selon le principe du point de saturation. Nous avons arrêté les entretiens lorsque ceux-ci n’apportaient plus de nouvelles informations à notre étude. Le choix des individus interrogés s’est fait d’une manière non-aléatoire (méthode d’échantillonnage de boule-de-neige). Pras et al. (2003) soulignent que cette méthode d’échantillonnage non aléatoire est utile lorsqu’on recherche la compréhension d’un phénomène nouveau, qui n’est pas assez étudié. Enfin, les entretiens se sont déroulés en face-à-face et à distance, ils ont duré en moyenne soixante minutes.

Notre guide d’entretien a été évolutif au fil des entrevues dans la mesure où l’on s’est appuyé sur nos premiers résultats auprès des répondants pour le compléter par d’autres questions émergeantes. Ce guide est structuré autour de deux axes: le premier concerne l’amont agricole (production, valorisation au niveau de la transformation) et le second porte sur la commercialisation.

Les entretiens ont été enregistrés et transcrits, de sorte qu’ils puissent être traités et analysés en adoptant la technique d’analyse de contenu (Bardin, 2013) à l’aide du logiciel Nvivo 10. L’objectif de ceci étant de dégager des univers sémantiques. Cette analyse repose sur le postulat de décontextualisation/recontextualisation du corpus (Avenier et Gavard-Perret, 2012). Il s’agit dans un premier temps, de déstructurer le corpus en le découpant en unités de sens, de façon à isoler un extrait du texte de son contexte et à le rendre sémantiquement indépendant, puis, dans un second temps, en procédant par des regroupements en catégories ou thèmes, de réaliser un nouvel assemblage des extraits porteurs du même sens. Le processus de codage passe ainsi par le repérage thématique des «noyaux de sens» qui composent le corpus, pour regrouper par la suite toutes les parties portant sur un thème identique, et in fine, en faciliter l’interprétation.

RÉSULTATS

Au total, nous avons identifié treize (13) contraintes concernant tous les niveaux de la chaîne de valeur de l’huile d’olive labellisée. Au niveau de l’amont agricole, nous avons identifié les contraintes suivantes: facteur humain, gouvernance, valeur ajoutée inaperçue par l’agriculteur, dépendances aux appuis de l'État, manque de communication, manque d’engagement, contraintes liées à la commercialisation, au financement, et à la production, reconversion de métier, traçabilité. Au niveau aval, nous avons identifié deux contraintes, à savoir: les habitudes et mode de consommation et la faible notoriété des labels agricoles.

Le tableau 2 montre la fréquence de citation par répondant, et pour chaque contrainte identifiée.

Après l’étape de décontextualisation du corpus, nous avons regroupé en catégories les verbatims porteurs du même sens, et en étroite relation de façon à recontextualiser le corpus. Ainsi quatre groupes de contraintes sémantiquement liés ont été identifiés (Figure 1).

Groupe 1: gouvernance et facteur humain

L’analyse thématique des données montre que le facteur humain apparaît comme le maillon le plus faible pour l’ensemble des OPA. Neuf répondants sur douze ont déclaré que les contraintes au développement de l’huile d’olive labellisé sont imputables à la faiblesse du capital humain.

«Le premier problème que nous avons rencontré, c’est par rapport au facteur humain, avec qui on travaille, il nous fallait plus de temps pour juste leur faire comprendre cette notion du terroir et de la labellisation, en quoi ça consiste ?» (A01).

Cette faiblesse du capital humain est fort préoccupante dans la mesure où elle se répercute directement sur la qualité de la gouvernance. En effet, il ressort de notre analyse textuelle que la gouvernance demeure un problème majeur au sein de la plupart des GIE (Groupement d’Intérêt Économique).

«Il y a toujours des problèmes de gouvernance, de gestion, 90 % des groupements ont ces problèmes. Ils n’ont pas les moyens matériels et humains, et ils ne sont pas intéressés par ces choses» (A12).

Ces problèmes, liés à la gouvernance, apparaissent notamment au niveau de la gestion et du management au sein des GIE (gestion administrative, financière et technique) et ont pour origine principalement le manque de compétences nécessaires, et du professionnalisme.

«Il a toute l’unité de valorisation, l’emballage est fourni, et le producteur vient vers la fin de la saison pour te dire, j’ai un problème de fond de roulement, alors que ce n’est pas un problème de fond de roulement, c’est un problème de gouvernance, les subventions ont été versées, il a fait un mauvais calcul des charges, probablement cela a été considéré comme un acquis» (A04).

À cela s’ajoutent aussi des problèmes hiérarchiques qui sont à l’origine des conflits au sein des OPA et qui entrave son fonctionnement.

«Le problème ... il y a souvent des problèmes internes, des tensions, qui sont liés à l’origine de la constitution de la coopérative, et qui ne permet pas d’avancer dans l’organisation des producteurs au même rythme prévu au départ» (A08).

Les problèmes de gouvernance se répercutent notamment sur l’activité de la production. Les agriculteurs rencontrent des difficultés pour respecter les bonnes pratiques de production et les exigences sanitaires (loi 28-07 relative à la sécurité sanitaire des produits alimentaires). Deux raisons sont avancées par nos répondants: la première raison est liée au facteur humain, notamment au manque des compétences nécessaires.

«Et puis il y a des problèmes liés à la production, au niveau des bonnes pratiques de production, des bonnes pratiques de qualité, les exigences réglementaires notamment le respect des règles sanitaires prévues par la loi 28-05 que l’ONSSA contrôle, les agriculteurs ne s’y connaissent pas, comment remplir et maintenir à jour leur registre? Donc tout est lié à la gouvernance» (A04).

La deuxième raison avancée est relative au désintéressement des producteurs vis-à-vis de tout ce qui concerne les procédures et la traçabilité.

«(…) il n’a pas une visibilité sur le marché, et n’a pas la capacité de répondre aux exigences du label, ne sait pas remplir des fiches, il n’a pas le temps à donner à cette approche» (A12).

Groupe 2: problèmes financiers, valeur ajoutée inaperçue des labels et dépendance aux appuis de l'État

Dans le cadre du Plan Maroc Vert, l'État a entrepris une politique d’aides aux agriculteurs, à travers plusieurs appuis financiers, techniques et matériels.

«L'État a planté pour eux les arbres, a installé le goutte-à-goutte, finance l’emballage, et organise des sessions de formation, et leur installe même l’unité de trituration, c’est un projet intégré de l’amont à l’aval» (A06).

Cette politique est à double tranchant, car d’une part elle a permis de soutenir l’ensemble des parties de la chaîne de valeur, mais en revanche, elle a instillé une dépendance vis-à-vis de l’appui de l'État, dans la mesure où les petits agriculteurs attendent toujours ces aides pour engager la procédure de la labellisation.

«Déjà il faut savoir que dans leur logique, c’est l'État qui doit tout faire pour eux, les initiatives qui viennent des groupements sont très peu présentes, ils comptent toujours sur l'État» (A07).

L'État a considéré que cette stratégie va permettre d’inculquer une stratégie collective de certification à travers les appuis financiers, y compris même l’achat d’emballage. Cependant, ces appuis financiers semblent être perçus par les agriculteurs comme un droit légitime. Cette situation fait que les groupements demeurent dépendants des appuis extérieurs et ne parviennent pas à se consolider. Sachant qu’en absence d’une bonne gouvernance collective, la survie de ces groupements est mise en question.

«Jusqu’à présent, c’est l'État qui leur certifie ces produits IGP ou AOP, mais à un moment, ils doivent prendre la relève pour faire la certification eux-mêmes, alors qu’ils sont dès le départ désintéressés» (A11).

Il convient de souligner que les aides peuvent prendre deux formes, une forme financière octroyée par les DRA, et d’autres sous forme d’un accompagnement à travers les ateliers de formations et d’accompagnement sur le terrain menés par l’Agence de développement Agricole (ADA).

«(…) On achète pour eux l’emballage, on développe pour eux des prototypes, pour que le produit soit valorisé. Pour le packaging, il y a des actions du ministère, qui leur achète ces produits via des marchés publics et ils sont distribués aux coopératives» (A06).

Néanmoins, les agriculteurs semblent se désintéresser pour certifier et labelliser une partie de leur production. D’après nos répondants, cela s’explique notamment par l’invisibilité de la valeur ajoutée de la labellisation. Deux facteurs sont avancés par nos répondants. Le premier est de nature financier dans la mesure où plusieurs OPA argumentent qu’elles n’ont pas les moyens pour certifier et labelliser leur produit.

«L’agriculteur n’a pas la capacité financière pour certifier ou labelliser son produit, ou n’est pas intéressé car il considère que le cahier des charges va lui compliquer son travail» (A01).

Deuxièmement, les agriculteurs ne voient pas la valeur ajoutée d’un label sur leur huile d’olive en termes de marge bénéficiaire, car sa viabilité commerciale n’est pas assurée. Il n’a donc pas une incitation forte pour s’engager dans une telle démarche, notamment avec les frais et les procédures administratives qu’elle implique.

«Il faut dire que les agriculteurs ne sont pas intéressés par la labellisation, ils ne voient pas l’intérêt des labels» (A11).

Groupe 3: production, valorisation et commercialisation

Selon nos répondants, le taux d’approvisionnement des GIE en olives reste en dessous de 20 % chez la plupart des agriculteurs. Cette situation s’explique notamment par les campagnes oléicoles déficitaires, mais surtout à la difficulté d’approvisionnement des unités du GIE dû essentiellement à l’incapacité de ces derniers à payer leurs adhérents au moment de la livraison. Cela est dû en l’occurrence, à la faiblesse de leurs fonds de roulement, ce qui oblige les agriculteurs à vendre leur production d’olives sur pied ou sur le marché.

«Le problème, je peux faire connaître une huile d’olive labellisée ailleurs, et si je décroche un contrat d’achat, je n’arrive pas à respecter telle ou telle quantité, il n’y a pas une régularité dans la production» (A01).

Le deuxième problème souligné par nos répondants est relatif au faible niveau technologique des unités de valorisation, associé à la dégradation de la qualité des olives avant et après la période de récolte, en raison des mauvaises conditions de son stockage qui génèrent des huiles non-conformes aux normes de qualité d’une huile labellisée.

«Cette année, le producteur fournit une bonne huile d’olive extra-vierge, l’année suivante, il peut proposer une huile d’olive d’une qualité inférieure, nos producteurs ne maîtrisent pas encore les bonnes pratiques de production, par exemple il y a ceux qui mettent les olives dans des sacs bleus de plastique avec le sel. Pour le producteur, c’est une pratique pour la conservation, alors que c’est le contraire, l’acidité augmente, la qualité se dégrade» (A06).

Il convient toutefois de souligner que parmi les raisons citées relatives à la qualité d’huile d’olive, on note la reconversion du métier. En effet, le contrat programme (CP) de mise à niveau de la filière signé oléicole en 2009, avait envisagé de faire une extension des plantations pour atteindre une superficie de l’ordre de 1.220.000 ha à l’horizon 2020. Les agriculteurs ont donc été incités pour cultiver l’olivier. Le problème qui semble découler de cette politique est que les agriculteurs dont le métier de base concernait d’autres cultures que l’olivier, semblent moins performants que ceux qui ne faisaient que de l’olivier.

«(…) L'agriculteur avait l’habitude de cultiver le blé, le maïs, ou autre, et du jour au lendemain, tu viens pour lui dire de faire l’olivier et l’huile d’olive, et tu lui installes une unité de trituration, alors que ce n’est pas son métier de base. Cette contrainte de technicité est présente chez les nouveaux producteurs et ceux qui ont connu une reconversion» (A06).

D’après nos répondants, la commercialisation constitue le maillon le plus faible pour l’ensemble des groupements de producteurs. Les huiles labellisées sont quasiment absentes sur le marché, que ce soit au niveau national ou international. Ces huiles sont surtout vendues dans les foires et les salons nationaux et internationaux. Au niveau national, nous assistons à une concurrence accrue entre les OPA.

«Le premier problème c’est au niveau de la commercialisation des produits du terroir, les producteurs se font concurrence entre eux» (A04).

La commercialisation de l’huile d’olive nécessite aussi des compétences spécifiques par rapport au marketing et la négociation commerciale. Les répondants soulignent que les GIE n’ont pas suffisamment de compétences dans la mesure où ils manquent de ressources humaines, en particulier des profils capables de mener une stratégie commerciale offensive et de négocier avec des distributeurs potentiels.

«(…) Est ce qu’ils ont une connaissance du marché ? est ce qu’ils ont les compétences pour faire le marketing de leur produit ? Parce que cette IG, c’est une image qui doit être marquetée, il faut savoir comment commercialiser cette IG, il y a un cahier des charges, le producteur est occupé avec sa production et ses problèmes internes» (A02).

Un autre problème qui ressort de l’analyse des réponses en matière de la commercialisation est le manque d’engagement des agriculteurs par rapport aux contrats de vente.

«Par exemple, un producteur avait négocié un contrat avec Marjane à long terme pour 25 dh par litre, et il est bien gagnant, il a 2 ou 3 dh de bénéfice, quand il est parti au secteur informel, il a trouvé que le marché informel offre 30 dh, il a tout fait pour résilier le contrat» (A04).

Finalement, nous avons constaté qu’il y a une quasi-unanimité sur le problème de la multiplicité des activités auxquelles les OPA sont amenées à assurer de la production à la commercialisation, en passant par la transformation et la valorisation. Il ressort de nos entretiens que l’agriculteur ne peut pas assurer à la fois les trois activités (production, valorisation, et commercialisation).

«Le problème aussi c’est que les GIE, ne peuvent pas faire à la fois la production, la valorisation et la commercialisation, il faut que quelqu’un s’occupe pour eux de la valorisation et la commercialisation, ils ne peuvent pas faire tout à la fois, ils n’ont pas les moyens matériels et humains, voilà je produis mais où est le reste de la chaîne?» (A01).

Groupe 4: habitudes et mode consommation, faible notoriété des labels agricoles

Attitude et mode de consommation

Les habitudes et le mode de consommation apparaissent comme des contraintes majeures au développement de l’huile d’olive labellisée. Les répondants soulignent clairement la particularité des habitudes de consommation des marocains. En effet, l’huile d’olive connaît souvent des achats de masse. Le consommateur marocain achète souvent sa consommation annuelle pendant ou après la compagne oléicole.

«Il va acheter sa consommation de l’année, 10 ou 15 litres directement dans une unité de trituration» (A03).

Cette forte demande oblige l’agriculteur à vendre sa production dans une courte période.

«Il y a le facteur de saisonnalité, durant la campagne oléicole presque tout le monde achète l’huile d’olive, mais après, il y a des soucis de commercialisation, pour la simple raison que personne ne cherche d’huile d’olive après, c’est-à-dire l’agriculteur qui triture les olives, et fait le conditionnement et espère vendre à un moment donné, il trouve difficilement des clients» (A04).

Ces habitudes de consommation sont accompagnées par un manque de confiance dans le produit industriel considéré par le consommateur d’une qualité inférieure à celui issu des circuits de commercialisation traditionnels. Après trituration, le circuit de commercialisation le plus dominant est toujours traditionnel, soit directement auprès du consommateur final, soit vers les commerçants de détail. La prédominance de ce mode de consommation ne répond pas aux normes sanitaires et nutritionnelles requises, et porte atteinte à la santé du consommateur et à l’image des produits oléicoles.

«Le consommateur préfère acheter les olives et les triturer dans une unité de trituration devant lui» (A02).

À cela s’ajoutent des préférences de consommation qui vont à l’encontre de la qualité de l’huile d’olive labellisée. Le consommateur moyen a encore des habitudes alimentaires qui portent ses préférences vers des huiles acides, au détriment des huiles d’olive extra-vierge.

«Ils n’ont pas confiance dans les marques en général, et les habitudes en terme de goût sont différentes, c’est-à-dire l’huile d’olive qui répond aux standards de qualité internationales le marocain moyen elle ne lui plaît pas, il dit qu’elle a un goût fruité intense» (A10).

«Parce que les marocains ont toujours le problème avec l’extra-vierge par rapport au goût, quand l’huile d’olive contient la première acidité et que le taux de polyphénol est élevé, ils ne l’aiment pas, ils préfèrent la fruitée douce, alors que les nouvelles unités ne produisent que de l’extra-vierge» (A07).

Les répondants soulignent que ces tendances en matière de consommation s’expliquent notamment par l’insuffisance des actions de sensibilisation sur les bienfaits de l’huile d’olive, et par des considérations liées au pouvoir d’achat. Il est reconnu que le prix est un facteur déterminant dans la décision d’achat. En effet, le prix d’un litre d’huile conditionnée appliqué par l’ensemble des groupements varie entre 45 Dh et 70 Dh, alors que le prix moyen du marché traditionnel est de 30 à 35 Dh.

«Acheter une huile d’olive labellisée implique un prix supérieur aux autres formes d’achat, parce que le producteur a déjà investi dans la certification, l’étiquetage, mais par contre si le consommateur connaît les bienfaits et les qualités du produit labellisé, il va probablement l’acheter» (A03).

À ce niveau, nous pouvons dire que l’huile d’olive labellisée est actuellement à la portée de la classe des consommateurs aisée et cultivée.

«Ceux qui achètent les produits labellisés sont ceux qui ont un pouvoir d’achat important, ces consommateurs sont exigeants en termes d’emballage, ils ne vont pas acheter de l’huile dans un emballage de l’eau minérale» (A06).

Faible notoriété des labels

Ces habitudes de consommation sont aussi accompagnées par une faible notoriété des labels auprès des consommateurs marocains. D’abord, la terminologie employée pour caractériser les produits labellisés telle qu’IGP ou AOP semble très peu connu par les consommateurs.

«Les marocains ne connaissent pas les labels, il y a quelques publicités dans la radio de temps en temps mais c’est insuffisant» (A10).

Un produit labellisé est un produit de qualité spécifique qui a respecté un cahier des charges, et ayant fait l’objet d’un contrôle. Le label est par conséquent un gage de qualité. C’est aussi un produit issu de l’économie solidaire. D’après nos entretiens, il semble que le consommateur ignore ces paramètres, et par conséquent la valeur ajoutée du produit est peu ou pas connue chez les consommateurs.

«Le consommateur n’est pas conscient du produit labellisé, il ne sait pas qu’il est contrôlé et certifié» (A02).

Selon nos répondants, ces paramètres sont des arguments importants qui peuvent convaincre le consommateur. Cependant, malgré les efforts entrepris, il y a encore un manque de communication dans ce sens.

«L’établissement X entreprend des efforts importants en matière de communication et de promotion, mais ça reste insuffisant».

CONCLUSION

Notre recherche a été initiée suite à un double constat. D’une part, les chercheurs et les praticiens s’accordent sur l’idée que la valorisation de l’huile d’olive contribue fortement au développement économique et social des territoires ruraux. D’autre part, la littérature actuelle aborde très peu les contraintes de la labellisation d’huile d’olive, sachant que les contextes de mis en œuvre sont différents d’un pays à l’autre, ce qui peut limiter notre compréhension des conditions de réussite d’une stratégie de labellisation. Au total, treize facteurs contraignants ont été identifiés dans le cadre de cette étude, qui peuvent être reliés à quatre enjeux majeurs:

L’organisation économique des producteurs

• L’organisation économique des producteurs apparaît comme l’un des enjeux majeurs pour la structuration de chaînes de valeur pérennes. L’approche «top down» a eu des effets limités en matière de regroupement des producteurs et de création d’interprofessions. Cette situation soulève la question de la légitimité, de la représentativité et ainsi de la gouvernance des coopératives prenant le plus souvent la forme de GIE. La création d’organisations de producteurs doit s’inscrire dans un processus de co-construction entre les pouvoirs publics et les acteurs permettant ainsi l’appropriation de ces organisations par les producteurs eux-mêmes. A notre sens, cette co-construction à l’échelle des territoires et piloté par les acteurs de la filière est une condition essentielle au développement de l’huile d’olive labellisée car elle pourrait être un moteur pour le développement de nouvelles pratiques adaptées à une meilleure valorisation de produits labellisés et de qualité spécifique.

• La question de la dépendance des appuis de l'État se pose également avec acuité, puisque les agriculteurs ne semblent pas avoir pris conscience de la nécessité de prendre l’initiative pour certifier et labelliser eux-mêmes leur production, sans compter toujours sur les aides de l'État. Bien que la politique des subventions dans l’agriculture ait depuis longtemps des effets positifs, elle a par contre inculquée chez les petits agriculteurs une forme de dépendance vis-à-vis des appuis de l'État. Les pouvoirs publics sont appelés à trouver une autre approche pour inciter les agriculteurs, sans pour autant les renfermer dans un esprit de dépendance aux appuis financiers.

La valorisation des produits et l’insertion dans le marché

• La viabilité commerciale est un facteur indispensable dans une stratégie de valorisation via la labellisation. Si les agriculteurs perçoivent une marge bénéficiaire intéressante, il est fort probable que le besoin de la valorisation de l’huile d’olive sera exprimé par les producteurs eux-mêmes. Il est préférable que la labellisation soit une démarche volontaire qui exprime un besoin de l’agriculteur et non des instances étatiques. Il est important d’insister sur ce dernier point, car cela peut éventuellement résoudre d’autres contraintes telles que le respect des bonnes pratiques de production et d’hygiène, le respect de l’engagement avec l’agrégateur et la dépendance des appuis de l'État. Comme le mentionne Giovannucci et al. (2009), si une stratégie de labellisation n’est pas viable au moins au plan commercial, les producteurs ne seront pas intéressés.

• Finalement, nos résultats montrent aussi que dans le contexte marocain, le développement du marché de l’huile d’olive labellisée fait face à une forte concurrence du secteur informel dans lequel la commercialisation en vrac domine. Cette situation, contraint le développement de circuits de commercialisation rémunérateurs pour les producteurs de produits labellisés. Par conséquent, la mise en œuvre de stratégies de communication d’envergure de la part des pouvoirs publics pourrait permettre une meilleure valorisation des produits.

Les caractéristiques de la demande: les habitudes et modes de consommation et la faible notoriété des labels

Cette recherche soulève la spécificité des habitudes et des pratiques de consommation de l’huile d’olive des consommateurs marocains. Il apparaît indispensable de multiplier les efforts de communication afin de faire connaître les caractéristiques spécifiques et les avantages de l’huile d’olive labellisée, notamment au niveau des aspects liés à la sécurité sanitaire et aux caractéristiques nutritionnelles, mais aussi sur la dimension solidaire des produits labellisés. Toutefois, le prix de vente demeure aussi un facteur déterminant dans la décision d’achat du consommateur marocain. Ce dernier, notamment le consommateur moyen, est traditionnellement habitué à l’achat en grande quantité pour subvenir aux besoins de l’année. Des questions se posent à ce niveau: l’huile labellisée ne devrait-elle pas faire l’objet d’une stratégie de segmentation dont l’une des cibles privilégiées serait les consommateurs à haut pouvoir d’achat et disposant d’un niveau de connaissance des labels? Est-il possible de changer le mode de consommation des marocains habitués traditionnellement aux achats de masse, et aux achats auprès de réseaux relationnels de confiance? Qu’en est-il de la confiance dans le produit industriel? Josling (2006) et d’autres chercheurs (Broude, 2007; Rangnekar, 2004) incitent à la prudence, indiquant que chercher à obtenir une IG n’est dans certains cas pas la meilleure solution.

Cet article ne prétend pas trancher le débat sur les potentialités et les contraintes de la labellisation de l’huile d’olive au Maroc, il tente plutôt de cerner les contraintes qui entravent la réussite de la stratégie de valorisation des produits initiée dans le cadre du PMV. Le but est de faire émerger quelques conditions nécessaires pour la réussite d’une stratégie de la labellisation, notamment dans un contexte d’un pays en Méditerranée du Sud. Notre travail de recherche peut être considéré comme exploratoire car l’étude nécessiterait des recherches plus approfondies à travers notamment des enquêtes de terrain plus systématiques et des analyses comparatives entre les GIE ayant réussi et les GIE en difficulté afin de mieux cerner les défis et les contraintes au développement de l’huile d’olive labellisée. Une autre comparaison intéressante à étudier, notamment celle qui peut porter sur les groupements créés à partir d’initiatives volontaires des agriculteurs, et ceux crées par incitations de l'État. L’hypothèse sous-jacente des résultats de notre étude selon laquelle les groupements créés dans le cadre de démarches volontaires sont plus réussis que ceux crées par incitations de l'État, ce qui nous ramène à la question suivante: les instances étatiques, doivent-elles continuer à promouvoir le recours aux signes de qualité par une logique «top-down» ? ou serait-il plus opportun d’encourager les acteurs indirectement en créant un environnement favorable et en facilitant plus la commercialisation? À notre sens, seule une labellisation potentiellement génératrice de valeur ajoutée, d’une marge bénéficiaire importante est susceptible de développer et promouvoir l’huile d’olive labellisée.

BIBLIOGRAPHIE 

Ait Hmida A. (2016). Stratégie de valorisation de l’huile d’olive par l’origine et la qualité: Évaluation du projet Tyout-Chiadma, première AOP au Maroc. In "L’oléiculture au Maroc de la préhistoire à nos jours: Pratiques, diversité, adaptation, usages, commerce et politiques". (Ater M., et al. (ed.). Options Méditerranéennes: Série A: 118: 161‑167, CIHEAM.

Avenier M.-J., Gavard-Perret,M.-L. (2012). Inscrire son projet de recherche dans un cadre épistémologique. In "Méthodologie de la recherche en sciences de gestion -Réussir son mémoire ou sa thèse en science de gestion" (Pearson Education Universitaire, p. 11‑62).

Bardin L. (2013). L’analyse de contenu. Presses Universitaires de France.

Bendriss K. (2009). Stratégies de promotion, labellisation: Appellation d’origine de l’huile d’olive au Maroc. Marché international, stratégies de promotion de l’huile d’olive de qualité (appellation d’origine, label, etc..) et marketing. Journées Méditerranéennes de l’Olivier, Meknès, 19 et 21 Octobre.

Broude T. (2007). Conflict and complementarity in trade, cultural diversity and intellectual property rights. Asian Journal of WTO and International Health Law and Policy, 2: 345.

El Badaoui R., Ait El Mekki A. (2017). Perception du consommateur marocain de l’huile d’olive: Problématiques, approches et perspectives managériales. Revue Marocaine de Recherche en Management et Marketing, 2:1-21.

El Hachami N. (2016). Stratégie marketing des GIE producteurs d’huile d’olive (Rapport d’expertise).

Fort F. (2014). Terroirs en Méditerranée: Concepts, théories, pratiques et perspectives de recherche. In Séminaire doctoral ”Terroirs en Méditerranée”, p. 90 UMR MOISA.

Fresno C. del C. Ramírez G. (2009). Développement territorial en zones rurales métropolitaines: Rôle des produits agroalimentaires de qualité dans la région de Madrid. Séminaire international sur Les Produits de Terroir, les Indications Géographiques et le Développement Local Durable des Pays Méditerranéens, 89: 255‑269.

Giovannucci D., Josling T., Kerr W., O’Connor B. T. Yeun M. (2009). Guide des indications géographiques: Faire le lien entre les produits et leurs origines. Centre du commerce international, Genève.

Hadjou L. Cheriet F. (2015). Contraintes institutionnelles et labéllisation des produits Algériens de terroir: Cas du vin et des dattes. Les cahiers du CREAD, 29: 65‑84.

Ilbert H., Tekelioglu Y. Tozanli S. (Éds.). (2009). Les produits de terroir, les indications géographiques et le développement local durable des pays méditerranéens, Vol. 89. CIHEAM, Montpellier.

Josling T. (2006). The war on terroir: Geographical indications as a transatlantic trade conflict. Journal of Agricultural Economics, 57: 337‑363.

Lamani O., Ilbert H. Khadari B. (2015). Stratégies de différenciation par l’origine des huiles d’olive en Méditerranée. Cah. Agric., 24: 145‑150.

Marescotti A. Belletti G. (2006). GI Social and Economic Issues [SINER-GI WP2 Report (D2)]. Université de Florence.

Marie-Vivien D. Chabrol D. (2014). Geographical Indications (GIs), biodiversity and poor communities. The opportunity of GIs to provide protection of traditional indigenous biodiversity products and benefits to poor agricultural communities. A Desk Study on six target countries: Cambodia, Laos, Indonesia, Vietnam, Ethiopia, Mauritania.

Moriceau J.-L. Soparnot R. (2019). Recherche qualitative en sciences sociales: S’exposer, cheminer, réfléchir ou l’art de composer sa méthode. EMS Éditions.

Ouhna L. Amine M.A. (2019). Place des labels qualité dans le marketing des produits de terroir. International Journal of Innovation and Applied Studies, 26: 732-742.

Pras B., Evrard Y. Roux E. (2003). Market: Études et recherches en marketing - Fondements, méthodes. Dunod.

Rangnekar D. (2004). International protection of geographical indications: The Asian experience. Regional Dialogue on Intellectual Property Rights (IPRs), Innovation and Sustainable Development, People’s Republic of China: Final technical report, Hong Kong.

Ridder H.-G. (2012). Case study research: Design and methods. Zeitschrift für Personalforschung , 26: 93‑95.

Rouas S., Rahmani M., Antari A.E. Baamal E. (2015). Amélioration de la production oléicole au Maroc: Contraintes des groupements de production. New Medit, 3: 22-28.

Thiétart R.-A. (2014). Méthodes de recherche en management, Dunod.

Zago A.M. Pick D. (2004). Labeling policies in food markets:  Private Incentives, public Intervention and welfare effects. Journal of Agricultural and Resource Economics, 29: 150‑165.