Résumé

Les pathologies figurent parmi les facteurs de perte de production dans les élevages piscicoles d’où la nécessité de l’observance des mesures de biosécurité. L’objectif de la présente étude était d’évaluer la pratique biosécuritaire et les déterminants socio-démographiques et technico-économiques dans les élevages piscicoles de la région du Centre-Cameroun afin de contribuer à l’amélioration de leur productivité. Ainsi, 50 fermes ont été identifiées et auditées de mars à avril 2022 moyennant la méthode “boule de neige”, l’interview face-à-face des pisciculteurs à l’aide d’un questionnaire semi-structuré et l’observation directe. Les résultats ont globalement montré des taux d’observance (TO) et d’adoption (TA) respectifs de 41,0 %. Aucun élevage n’a enregistré un TO > 75%. L’âge des pisciculteurs, le niveau d’étude, la formation en pisciculture, le coût et les contraintes liées à la pratique de biosécurité ont significativement affecté les taux d’observance. La composante gestion des mouvements (68,7%) a été significativement la plus observée suivie de l’isolement (48,6%) et l’assainissement (31,3%). La régression linéaire multivariée a été forte, positive et significative entre le taux d’observance, l’objectif de l’élevage et le lieu de formation. En revanche, elle a été faible, négative et significative entre le taux d’observance et le statut sanitaire des poissons. Les parties prenantes du secteur aquacole doivent davantage s’impliquer dans la biosécurité afin d’optimiser la productivité des élevages. La présente étude est un prérequis au processus de certification sanitaire des entreprises aquacoles ainsi que de l’assurance qualité de leurs produits.


Mots clés: Biosécurité, audit, fermes piscicoles, pathologies, productivité

INTRODUCTION

Au Cameroun, le poisson représente la principale source de protéines animales consommées, soit près de 11 kg/habitant/an (MINEPIA, 2015). Cependant, la production nationale de poissons n’est que de 335 000 tonnes/an avec 96% provenant des pêches de capture pour une demande évaluée à 500 000 tonnes. Pour combler ce déficit de production, le Cameroun importe annuellement près de 181 000 tonnes de poissons surgelés parfois de qualité douteuse occasionnant un coût en devises de 0,36 milliards de USD (MINEPIA, 2021). Face aux effets néfastes du changement climatique et de la surpêche, la pisciculture est devenue l’alternative la plus viable pour l’optimisation de la production halieutique nationale (FAO, 2018). Toutefois, la faible contribution de la filière piscicole à la production nationale, soit environ 4%, contraste avec les atouts naturels dont dispose le Cameroun notamment par son réseau hydrographique dense et de nombreux sites propices à la pisciculture. En effet, le secteur piscicole fait face à de nombreuses contraintes parmi lesquelles un faible dispositif de formation et d’encadrement technique des pisciculteurs, une difficulté d’accès au crédit auprès des banques commerciales et des établissements de microfinances (Kouam, 2004; Tomedi, 2015).

Outre ces contraintes, s’ajoutent les risques potentiels liés au non-respect des mesures de biosécurité dans les élevages aquacoles (Racicot et Vaillancourt, 2009). La biosécurité est la gestion des risques pour prévenir l’exposition, l’introduction, la transmission et la propagation des maladies dans les élevages. Le respect des mesures de biosécurité permet de réduire le coût associé aux maladies en élevage, y compris les affections subcliniques dont les conséquences peuvent passer inaperçues. Bien que peu visibles, elles peuvent avoir un effet important sur les performances, la qualité sanitaire des produits, la santé des consommateurs et les coûts de production des poissons. En effet, la biosécurité est l’un des outils qui contribue à la certification sanitaire des fermes et produits aquacoles (Arthur et al., 2008; Steeneveld et al., 2020;Alarcon et al., 2021). Souvent négligée par les pisciculteurs, la mise en place des mesures de biosécurité est un moyen efficace de maintien de l’état de santé des fermes piscicoles et de l’amélioration de leur productivité. Les conséquences de cette négligence ont été rapportées par plusieurs auteurs (Ryce et al., 2004; Johnson et al., 2004; Fonkwa et al., 2020). Il s’agit entre autres de l’émergence ou l’apparition d’agents pathogènes à l’origine des maladies responsables de mortalités élevées des poissons et des pertes économiques considérables, plus particulièrement dans les écloseries. C’est ainsi que la bactérie Mycobacterium marinum, responsable de la tuberculose du poisson et susceptible d’engendrer la perte totale de la production, a été observée chez les pisciculteurs en Côte d’Ivoire (Kone, 2015). De même, Flavobacterium psychrophilum est une bactérie capable de décimer 30 à 45 % des poissons Salmonidés d’élevage si aucune mesure de prévention n’est adoptée (Ryce et al., 2004). Au Cameroun, les pertes économiques tributaires des maladies des poissons sont très peu chiffrées. Ainsi, entre Avril et Mai 2021, une épizootie de Yersiniose (Yersinia sp) chez Oreochromis niloticus et Cyprinus carpio a engendré des pertes d’environ 420,5 USD dans une exploitation piscicole de la Région du Centre-Cameroun (Fonkwa et al., 2022).

Le traitement des maladies des poissons étant financièrement et techniquement contraignant, il est préférable d’accentuer la prévention à travers une observation rigoureuse des mesures de biosécurité. Cependant, les données relatives à la mise en place des mesure de biosécurité des fermes aquacoles ainsi que les facteurs déterminants sont rares au Cameroun. Le niveau d’éducation des producteurs et le manque de financement ont déjà été signalés comme des facteurs socio-économiques affectant significativement les pratiques bio-sécuritaires dans les élevages bovins (Lestari et al., 2019). Il en est de même des exploitations piscicoles (Ngueguim et al., 2020). Une meilleure connaissance des facteurs socio-économiques influençant les pratiques de biosécurité est à même d’améliorer la santé de l’élevage piscicole et leur productivité en zone forestière à pluviométrie bimodale du Cameroun et plus précisément dans la Région du Centre où se déroulent d’importantes activités piscicoles associées à des mortalités massives des poissons régulièrement signalées par des pisciculteurs.

La présente étude cadre avec la politique gouvernementale du Cameroun en matière de promotion de la santé animale et indirectement de la sécurité alimentaire et s’inscrit au point 2 (faim zéro) des Objectifs du Développement Durable (ODD). L’objectif général est de contribuer à une Aquaculture efficace, saine et durable par la réduction des risques de transmission des maladies aux animaux aquacoles. Plus spécifiquement, il s’agit d’évaluer le niveau d’implémentation des mesures de biosecurité, les facteurs socio-économiques qui les affectent et les répercussions zootechniques dans les élevages piscicoles de la Région du Centre.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Caractéristiques géo-climatiques de la zone d’étude

L’étude s’est déroulée de mars à avril 2022 dans cinquante (50) fermes piscicoles de cinq (5) Départements (Lekié, Méfou-et-Afamba, Méfou-et-Akono, Mfoundi et Nyong-et-So’o) de la Région du Centre-Cameroun (Figure 1). Cette Région est située entre 2°47’13’’- 6°57’28’’latitude Nord et11°40’00’’- 14°00’15’’longitude Est et à une altitude moyenne de 602 m. Le climat du type équatorial est caractérisé par un régime pluviométrique bimodal avec une courte (mars-juin) et longue (août - novembre) saisons de pluies qui alternent avec deux saisons sèches. Les précipitations annuelles moyennes se situent entre 1500 et 2500 mm. La température moyenne est de 23,5°C tandis que l’hygrométrie varie entre 35 et 98% en journée (CIRAD, 2013;DB-City, 2022).

Choix des élevages piscicoles

Un total de cinquante (50) fermes ont été sélectionnées, codifiées et auditées. En raison de l’absence d’une base de données sur la localisation géographique des fermes, la première ferme a été localisée par un agent vétérinaire puis inspectée après avoir présenté brièvement l’importance de l’enquête au responsable de la ferme concernée. Par la suite, les autres fermes ont été localisées par la méthode dite «boule de neige» (Delaunay et al., 2008; Kone, 2015). A cet effet, le responsable de la ferme précédemment auditée a été prié de faciliter l’évolution de l’enquête en indiquant la position géographique d’une autre ferme et ainsi de suite jusqu’à ce que l’ensemble de la zone soit couverte (Thierry, 2009). Les critères d’éligibilité des fermes piscicoles ont été l’accessibilité, la distance par rapport à la route principale, le temps de marche jusqu’aux fermes, le coût du transport, la période de récolte des poissons et la volonté de participation des pisciculteurs au sondage (Racicot et Vaillancourt, 2009).

Conception du questionnaire et technique d’enquête

Les données ont été collectées en présentiel d’une part par interview des gérants des fermes piscicoles moyennant un questionnaire de type semi-structuré et d’autre part par l’observation directe de l’enquêteur. Les questions ont été groupées en trois (3) parties notamment les caractéristiques socio-économiques des pisciculteurs (âge, sexe, situation matrimoniale, niveau d’étude, activité principale, formation reçue en pisciculture, nombre d’année d’exploitation mode d’acquisition du terrain, contraintes/entraves et coût/dépenses relatifs à la pratique de biosécurité), les caractéristiques zootechniques des fermes (présence de signes cliniques de maladie et productivité) ainsi que les mesures de biosécurité. Ces mesures ont été groupées en composantes isolement, gestion du mouvement (trafic) et assainissement (Arthur et al., 2008; FAO/WHO/World Bank., 2010). Le questionnaire a été testé au préalable en interrogeant un sous‐échantillon de dix (10) pisciculteurs afin de vérifier l’exactitude, la pertinence, la cohérence et la clarté des questions afin d’apporter des ajustements adaptés en cas de nécessité (Kouam et al., 2019). Les coordonnées géographiques des fermes ont été enregistrées au moyen de l’application GPS.

Notation des mesures de biosécurité

Un système de notation technique binaire des mesures de biosécurité a été utilisé. Ainsi, une mesure de biosécurité a été codée 1 si cette mesure a été implémentée ou 0 si la mesure a été absente (Kouam et al., 2019). Le score final d’une mesure de biosécurité a été la somme de toutes les valeurs enregistrées dans les fermes puis groupées selon la composante biosécuritaire (isolement, gestion du mouvement et assainissement). Le score maximal pour une mesure et une ferme donnée a été respectivement de 50 et 24 points. Le système d’équipondération ou pondération linéaire a été tributaire du fait que la présente étude s’est focalisée uniquement sur l’importance de l’implémentation des mesures de biosécurité sur la santé des poissons et non le niveau de risque lié à la non application d’une mesure biosécuritaire. Les mesures de biosécurité dans la transmission des maladies n’ont pas le même poids étant donné que le contact direct pose un plus grand risque de contamination comparativement au contact indirect (Can et Altug, 2014; Gelaude et al., 2014; Maduka et al., 2016).

Détermination des taux d’observance et d’adoption des mesures de biosécurité

Le taux d’observance (TO) et taux d’adoption (TA) des mesures de biosécurité ont été définis selon Racicot et Vaillancourt (2009) comme suit: TO = Nma/Nmrx 100; TA = Nfa/N x100 où Nma: Nombre de mesures appliquées par une ferme ou score de la ferme; Nmr: Nombre total de mesures recommandées ou prescrites par Arthur et al. (2008); Nfa: Nombre de fermes appliquant une mesure de biosécurité donnée (score total de la mesure); N: Nombre total de fermes auditées.

La classification des taux d’observance (faible, intermédiaire, élevé) proposée par Racicot et Vaillancourt (2009) (Tableau 1) a été aussi appliquée au taux d’adoption des mesures de biosécurité et adaptée à la présente étude à l’effet de déterminer la typologie des fermes piscicoles dans la Région du Centre.

Analyses statistiques

Les données ont été stockées dans le programme Excel (Microsoft Office 2010, USA) puis exportées vers le logiciel R pour analyse. Les caractéristiques socio-économiques et zootechniques, les taux d’observance et d’adoption de biosécurité ont été soumis à la statistique descriptive. Le test de Kurskal –Wallis (K), Mann-Whitney (U) et l’analyse de la variance (F) ont permis de comparer les moyennes des taux d’observance et d’adoption en fonction des caractéristiques socio-économiques et zootechniques fermes auditées. La régression linéaire multivariée a été utilisée pour évaluer la relation entre l’observance des mesures de biosécurité et les caractéristiques socio-économiques et zootechniques des fermes piscicoles. Le seuil de signification (p) de 0,05 a été retenu.

RÉSULTATS

Taux d’adoption des mesures de biosécurité

Le taux moyen d’adoption des mesures de biosécurité (Tableau 2) prises dans leur ensemble est intermédiaire, soit 41% des fermes adoptant au moins une mesure. Le taux d’adoption varie de 0 à 94% indépendamment de la composante de la biosécurité. «Tenue spéciale pour visiteurs» et «poissons morts incinérés» sont les mesures les moins adoptées contrairement à «pas d’échange de matériels avec d’autres fermes» et «vide sanitaire».

Taux d’observance des mesures de biosécurité dans les fermes piscicoles de la région du Centre

Le taux moyen d’observance des mesures de biosécurité est intermédiaire (Figure 2). Autrement dit, 41,0 % des mesures de biosécurité sont observées par les fermes. Ces dernières sont à cet effet de type B ou à risque modéré de contamination par les agents pathogènes. Le taux d’observance des composantes de la biosécurité est significativement (F = 38,3; p < 0,001) plus élevé pour la composante gestion du trafic/ mouvement (68,7 ± 26,4%) suivie de l’isolement (48,6 ± 21,6 %) et l’assainissement (31,3 ± 14,3%).

Distribution des fréquences de fermes en fonction du taux d’observance des composantes de la biosécurité

La distribution des fréquences de fermes en fonction du taux d’observance des composantes de biosécurité ainsi illustrée par la figure 3 montre respectivement des taux d’observance intermédiaires et faibles pour 76 et 24 % des fermes et indépendamment de la composante biosécuritaire considérée. Aucun élevage n’enregistre un taux d’observance > 75%. Autrement dit, il n’existe pas de ferme de type C ou à bonne pratique de la biosécurité. La bonne pratique ne concerne que les composantes isolement et gestion du trafic/ mouvement appliquées par respectivement 8 et 34% des fermes.

Répartition des fréquences des fermes en fonction du taux d’observance biosécuritaire et la localisation géographique

La répartition des fréquences des fermes en fonction du taux d’observance et la localisation géographique (Figure 4) ressort globalement une pratique de la biosécurité médiocre. Quel que soit le Département considéré, les fermes à taux d’observance intermédiaire sont les plus représentées avec des fréquences allant de 58,3% (Méfou-et-Afamba) à 100% (Mfoundi).

Effet des caractéristiques socio-économiques des élevages piscicoles sur le taux d’observance des mesures de biosécurité

La distribution des fréquences de fermes en fonction des caractéristiques socio-économiques des pisciculteurs (Tableau 3) révèle que 52% des pisciculteurs de la Région du Centre-Cameroun ont plus de 40 ans. Les hommes (68%) et individus mariés (68%) s’investissent plus dans ce secteur d’activité génératrice de revenus qui est la principale motivation chez 60% des pisciculteurs. Le niveau d’étude supérieur est le plus représenté (76%) et 44% des fermiers ont reçu une formation en pisciculture. La principale contrainte liée à la pratique biosécuritaire est le coût élevé relevé par 46% des pisciculteurs. Pour ce qui est du mode d’acquisition du foncier, 64% des pisciculteurs obtiennent les surfaces d’exploitation par l’achat.

L’effet des caractéristiques socio-économiques des élevages piscicoles sur le taux d’observance des mesures de biosécurité montre que l’âge des pisciculteurs, le niveau d’étude, la formation en pisciculture, les objectifs de l’élevage, le coût et les contraintes/entraves liées aux pratiques de biosécurité (négligence, ignorance etc) affectent significativement les taux d’observance. En effet, les valeurs du taux d’observance sont plus élevées chez les pisciculteurs âgés entre 18 et 40 ans ayant fait l’enseignement supérieur, reçu une formation en pisciculture et dont la pisciculture est pratiquée à but lucratif et d’autoconsommation. Les mesures barrières sont plus observées dans les fermes qui investissent plus de capitaux dans la pratique de la biosécurité.

Effet de l’observance biosécuritaire sur les caractéristiques zootechniques des fermes

Relativement aux caractéristiques zootechniques des fermes, les signes de maladies s’observent dans 28% des fermes (Tableau 4). Par ailleurs, 51,5% des élevages enregistrent des taux de mortalité élevés (> 15%) tandis que seulement 16% des fermes ont une productivité supérieure à 150 kg/an/m3.

L’effet de l’observance biosécuritaire sur les caractéristiques zootechniques montre que le taux d’observance (45,1 ± 15,0%) est significativement (p = 0,01) plus élevé dans les fermes où les poissons ne montrent aucun signe clinique d’infection. Les taux de mortalités des poissons et la productivité de la ferme ne sont pas affectés par l’observance des mesures de biosécurité. Aucune corrélation (r = -0,07; p = 0,687) n’est trouvée entre la productivité et le coût de la pratique biosécuritaire.

Relation entre les caractéristiques socio-économiques et zootechniques et observance biosécuritaire

L’analyse de la régression linéaire multivariée des facteurs socio-économiques et zootechniques affectant l’implémentation de la biosécurité dans la Région du Centre (Tableau 5) montre une relation forte, positive et significative entre le taux d’observance, l’activité principale, l’objectif de l’élevage et le lieu de formation. Une association forte, négative et significative est observée entre le taux d’observance et le sexe des pisciculteurs, la situation matrimoniale, le niveau d’étude et le mode d’acquisition du terrain. Cette association est plutôt faible, négative et significative entre le taux d’observance et le statut sanitaire des poissons.

DISCUSSION

Les résultats relatifs au profil biosécuritaire des élevages piscicoles en zone forestière à pluviométrie bimodale du Cameroun ont montré un taux global d’adoption des mesures de biosécurité intermédiaire (41%). Les mesures les moins adoptées ont été «Tenue spéciale pour visiteurs» et «poissons morts incinérés» contrairement à «pas d’échange de matériels avec d’autres fermes» et «vide sanitaire». La négligence, l’ignorance de certaines mesures et le manque de moyens financiers pour l’application de certaines mesures seraient tributaires des différences observées entre ces taux d’adoption. Les mesures les plus adoptées seraient moins contraignantes techniquement et financièrement. Kouam et Moussala (2018) et Kouam et al. (2019) ont noté que dans les élevages porcins de la Région de l’Ouest-Cameroun, les mesures les plus adoptées ont été «pas d’échange de matériels avec d’autres fermes» et «vide sanitaire» la moins adoptée. Pas d’échange de matériels avec d’autres fermes, visite vétérinaire, utilisation du pédiluve, poissons morts incinérés, analyse de la qualité de l’eau, absence d’autres animaux dans la ferme n’ont pas été adoptées par les pisciculteurs de la Région de l’Ouest-Cameroun alors que le vide sanitaire et l’absence des plantations et arbres autour de la ferme ont été les plus adoptées (100% des fermes) (Ngueguim et al., 2020). La variation des environnements socio-démographiques et technico-économiques expliquerait la légère différence entre les résultats de la présente étude et ceux auteurs précédemment cités. Par exemple, contrairement à la présente étude, Ngueguim et al. (2020) ont audité les fermes où les étangs ont été les seules infrastructures d’élevage. Il convient de noter toutefois que la pratique biosécuritaire est aussi fonction des caractéristiques techniques d’élevage.

La bonne pratique biosécuritaire n’a été notée dans aucune des fermes auditées. Par ailleurs, le taux global d’observance des mesures de biosécurité a été intermédiaire (41,0 ± 15,2 %). La norme voudrait que cette valeur soit élevée ou que les élevages soient à un niveau de risque mineur de contamination par les agents pathogènes. Cette valeur non satisfaisante du taux d’observance serait due aux pressions financières subies par les fermiers pour l’application de certaines mesures barrières. La conséquence qui en découle est l’exposition des poissons à diverses maladies. Bien qu’intermédiaire, le taux global d’observance enregistré pendant la présente étude est comparable à celui obtenu par Kone (2015) en Côte d’ivoire et plus élevé par rapport aux faibles valeurs (< 25%) notées par Boutin (2001) au Québec, Ricou (2006) en Suisse, Obosi et Agbeja (2015) au Nigeria puis Kouam et Moussala (2018) et Ngueguim et al. (2020). L’ignorance ou l’application inappropriée des mesures de biosécurité ont été évoquées par ces auteurs. La disparité entre les taux d’observance enregistrés pendant la présente étude et ceux des travaux précédents serait due à la forte représentativité (44%) des pisciculteurs de la Région du Centre ayant reçu une formation en pisciculture et les différences socio-démographiques et technico-économiques. La composante biosécuritaire relative à la gestion des mouvements/trafic dans la ferme comporte seulement 3 mesures par ailleurs moins coûteuses et moins contraignantes ce qui justifie pourquoi elle a été plus observée comparativement aux composantes de biosécurité liées à l’isolement et assainissement. Le résultat analogue a été rapporté par Kouam et al. (2019) et Ngueguim et al. (2020).

Les caractéristiques socio-démographiques et économiques des élevages piscicoles de la Région du Centre-Cameroun ont montré que les personnes âgées de plus de 40 ans sont les plus impliquées (52%) en pisciculture. Cette observation est en accord avec les travaux faits par Omobepade et al. (2014), Ntsama et al. (2018) et Ngueguim et al. (2020) en raison de la reconversion de métiers après retraite. En effet, ces auteurs ont relevé que certains fonctionnaires après de longues années de services, se lancent dans l’élevage de porcs, volailles et surtout de poissons. Par ailleurs, bien que les jeunes (≤ 40 ans) soient motivés par la pisciculture, la difficulté d’accès au financement constitue un obstacle et les contraint à d’autres métiers du secteur informel comme le transport public à motocycle appelé localement «moto-taxi».

Les contraintes socio-économiques auxquelles font face les femmes notamment l’accès difficile à la terre, le manque de capital, la formation insuffisante en management et le manque d’opportunités au crédit justifieraient leur faible représentativité (32%) dans les élevages piscicoles de la Région du Centre. La même observation a été faite par Ntsama et al. (2018) et Ngueguim et al. (2020) dans les Régions du Centre, Littoral, Sud et Ouest du Cameroun. Les pouvoirs publics devraient davantage promouvoir le regroupement des femmes en coopératives afin de mieux les impliquer dans les activités piscicoles.

La présente étude a révélé une proportion des pisciculteurs ayant reçu une formation (44%) plus élevée comparativement à 8% observées par Hirigoyen et al. (1997) dans la zone forestière du Centre-Cameroun. La cause serait la motivation à la formation en aquaculture résultant des programmes de vulgarisation implémentés par le gouvernement du Cameroun et surtout l’implication indéniable de l’Institut des Sciences Halieutiques de l’Université (ISH) de Douala à Yabassi dans la formation des ingénieurs halieutes. En effet, parmi les 44% des pisciculteurs de la Région du Centre ayant reçu une formation en aquaculture, plus de la moitié (52,4 %) est issue de cette école d’ingénierie halieute (ISH).

La faible représentation des fermes (28%) où les poissons ont présenté des signes cliniques d’infection serait due au déficit de formation en technique de diagnostic des maladies des poissons et de l’inattention de la plupart des pisciculteurs déclarant n’avoir pas observé des anomalies chez les poissons. L’absence des signes d’infection déclarée par les producteurs est donc problématique. Le niveau d’étude, l’absence de formation en pisciculture et le non observance des mesures de biosécurité probablement liée à son caractère onéreux seraient à l’origine des pathologies des poissons. Les conséquences sont les taux élevés de mortalités de poissons (> 15%) enregistrés par 51,5 % de pisciculteurs associées à la faible productivité (<150 kg/an/m3) de la majorité (84%) des élevages audités. En effet, la présente étude a révélé que les mesures de biosécurité sont significativement plus observées par les pisciculteurs ayant fait l’enseignement supérieur, reçu une formation en pisciculture et qui investissent financièrement plus dans l’implémentation biosécuritaire.

Les taux d’observance des mesures de biosécurité ont été plus élevés chez les pisciculteurs âgés entre 18 et 40 ans, ayant fait enseignement supérieur et reçu une formation en pisciculture probablement parce qu’ils maîtrisent mieux les effets positifs de ces mesures sur les performances zootechniques et la rentabilité économique des fermes en y investissant plus de capitaux. Le taux d’observance est significativement plus élevé dans les fermes où les poissons n’ont montré aucun signe clinique d’infection, cela pourrait indiquer que l’observance des mesures de biosécurité a un effet bénéfique sur la santé des poissons.

Une régression linéaire forte, positive et significative a été établie entre le taux d’observance et l’objectif de l’élevage. En effet, l’objectif principal de la pisciculture pour 60% des fermiers étant la génération de revenu, ces derniers craignent la perte de production causée par les maladies en accentuant sur les mesures d’hygiène. Une association forte, négative et significative a été trouvée entre le taux d’observance, le niveau d’étude et le statut sanitaire des poissons. La relation négative entre le taux d’observance et le statut sanitaire du poisson s’explique par le fait que l’observance rigoureuse des mesures de biosécurité amoindrit la probabilité de contamination des poissons par les agents pathogènes. L’influence positive du niveau d’éducation sur les mesures de biosécurité a été établie en Indonésie (Lestari et al., 2019) contrairement à la présente étude. Aucune relation n’a été établie entre niveau d’éducation et l’observance des mesures de biosécurité dans les élevages porcins et aquacoles de la Région de l’Ouest-Cameroun (Kouam et Moussala, 2018; Ngueguim et al., 2020). L’enjeu concernant le respect des mesures de biosécurité dans les fermes est indéniable car une bonne pratique de biosécurité peut contribuer à la certification sanitaire des fermes aquacoles, gage d’une assurance de la qualité sanitaire du poisson et des consommateurs.

CONCLUSION 

Cette étude a démontré que l’application des mesures de biosécurité dans les élevages piscicoles en zone forestière à pluviométrie bimodale du Cameroun a été significativement influencée par l’âge des pisciculteurs, le niveau d’étude, la formation en pisciculture, le coût et les contraintes liées aux pratiques de biosécurité. Par ailleurs, l’observance des mesures de biosécurité a montré un effet bénéfique sur la santé des poissons. Une relation forte, positive et significative a été établie entre le taux d’observance des mesures de biosécurité, l’objectif de l’élevage et le lieu de formation. Les parties prenantes du secteur piscicole doivent davantage investir dans la biosécurité afin d’optimiser les performances zootechniques des élevages. Les données obtenues sont une contribution importante et un prérequis au processus de certification sanitaire des entreprises piscicoles ainsi que de l’assurance qualité de leurs produits.

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