Le piège à tissus comme méthode physique innovante de surveillance et de capture au champ de Noorda blitealis, principal ravageur du Moringa

Auteurs-es

  • Mamane Sani HALILOU Laboratoire de Gestion des Bioagresseurs, Département de Biologie, Université Abdou Moumouni de Niamey, Niger
  • Ali DOUMMA Laboratoire de Gestion des Bioagresseurs, Département de Biologie, Université Abdou Moumouni de Niamey, Niger

DOI :

https://doi.org/10.5281/zenodo.13731863

Mots-clés :

Piège à tissu, surveillance, échantillonnage, de Noorda blitealis, Moringa oleifera

Résumé

Le Moringa Moringa oleifera Lam occupe une place importante dans les systèmes de culture des zones semi-arides d'Afrique de l'Ouest et contribue à l'équilibre nutritionnel des populations. La chenille défoliatrice du moringa est l’une des principales contraintes de sa production. Ce ravageur peut engendrer des pertes totales de la culture. Pour réduire les pertes, les producteurs utilisent des insecticides malgré leurs effets nocifs. Au Niger, certains rapports rapportent même l’utilisation du DDT, un pesticide prohibé, pour lutter contre ce ravageur de Moringa. Pour éviter les effets nocifs des méthodes chimiques et identifier une méthode plus écologique, une étude sur la bioécologie de Noorda blitealis Walker a été conduite en station. Nous avons utilisé un piège qui consiste à attacher un morceau de tissu autour du tronc des plants de Moringa pour ainsi collecter les larves du ravageur lors de leurs déplacements sur le plant. Cette étude a été conduite pour déterminer la hauteur à laquelle il faut placer ce dispositif sur l’arbre de M. oleifera pour une évaluation effective de la densité des larves du ravageur. Ainsi, trois positions ont été comparées avec une fréquence de capture de 56,3% des larves de N. blitealis à la base du tronc, 81,0% au niveau du tronc et 64,6% dans la cime. Ces résultats peuvent contribuer à renforcer les programmes de surveillance de cet important ravageur de M. oleifera, arbre d’importance alimentaire au Sahel.

Mots-clés: Piège à tissu, surveillance, échantillonnage, de Noorda blitealis, Moringa oleifera

INTRODUCTION 

Moringa oleifera Lam. est une culture commerciale au Niger consommée quotidiennement comme légume-feuilles dans les zones urbaines (Halilou, 2021). Sa production est cependant entravée par un ravageur défoliant, Noorda blitealis Walker dont les dégâts causés peuvent aller à 100% de pertes en certaines périodes de l’année (Halilou, 2023).

Face à cela, le plus souvent les producteurs ont recours aux pesticides chimiques de synthèse dont l’utilisation, souvent non raisonnée, entraîne des conséquences négatives sur la santé humaine et l’environnement (Halilou et Doumma, 2023; 2024).

Cependant, des méthodes de surveillance pour une gestion efficace et raisonnée du ravageur manquent. Il est alors crucial de trouver une méthode pratique de capture de la chenille de Noorda blitealis afin de déterminer sa dynamique dans l’espace et dans le temps.

L’étude de la diversité et de l’abondance des insectes implique généralement l’utilisation de pièges, qu’ils soient d’interception ou d’attraction (Yattara et Francis, 2013). Le choix du type de piège qui convient le mieux aux groupes d’insectes que l’on souhaite étudier est donc important (Aoun et al., 2015).

La technique de piège à tissus a été mise au point en 2021 par l’équipe d’entomologie de l’ICRISAT à partir d’un constat du regroupement des chenilles de Noorda blitealis au niveau des tissus reliant les jeunes plants du Moringa aux supports de tuteurage. Ainsi, les larves se servent du tissus utilisé pour attacher les jeunes plants du Moringa aux tiges de bois ou de métal destinées à les tuteurer, comme abri (Halilou, 2022).

En effet, la chenille défoliatrice du Moringa, N. blitealis, par des déplacements verticaux circadiens qu’elle effectue se regroupent ainsi pour se loger au niveau des tissus enroulés sur des branches (Halilou, 2022; Ratnadass et al., 2021).

Cette technique dite méthode physique de piégeage de N. blitealis peut être utilisée comme méthode de capture ou de surveillance d’insectes, méthode de pulvérisation localisée d’insecticides ou méthode de prospection des ennemis naturels.

Dans cette étude, nous avons évalué en station la performance relative de méthodes de piégeage à tissus dans une parcelle du Moringa. L’objectif est de comparer l’effet de la position des tissus attachés sur les plants pour évaluer leur efficacité de piégeage de la chenille de N. blitealis en vue de développer un dispositif de surveillance et de capture.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Site expérimental

Les expérimentations au champ se sont déroulées du 1er au 21 Octobre 2021, mois durant lequel l’infestation de N. blitealis est intense, à la station de recherche de l’ICRISAT à Sadoré, dans la zone bioclimatique du Sahel. La station est située dans la partie Sud-Ouest du Niger (13°15 de latitude Nord et 2°18 de longitude Est) à 40 km de Niamey non loin de la ville de Say.

Dispositif expérimental

L’expérimentation s’est déroulée avec un dispositif composé de 12 plants de Moringa oleifera répartis en 3 lignes de 4 plants. Les plants sont entretenus uniformément (taille, fertilisation) et arrosés de façon régulière. Les traitements constituent les trois positions aux niveaux desquels les tissus ont été attachés sur les plants. Il s’agit du tissu attaché dans la cime (le feuillage), du tissu attaché sur le tronc et du tissu attaché au collet (à la base du tronc). Sur chacun des plants du dispositif sont attachés les tissus aux niveaux de trois positions.

Conduite de l’expérimentation

La technique du piège à tissus consiste à enrouler un morceau de tissu (de préférence de couleur blanche) autour du tronc ou des principales branches des plants du Moringa (Figure 1). Les chenilles des stades (L4, L5) par des déplacements verticaux circadiens qu’elles effectuent se regroupent pour s’entasser au niveau des tissus enroulés.

Au premiers jours après avoir placé les tissus, les larves descendent pendent les heures de la journée et s’assemblent d’une part entre ces tissus et l’écorce et d’autre part elles s’enroulent dans le tissu à l’aide de soies qu’elles utilisent pour se reposer ou pour se nymphoser (Figure 2).

Les larves peuvent être collectées facilement une fois que les tissus sont détachés des branches (Figure 3). Par ailleurs, les femelles viennent aussi pondre des œufs à l’intérieur des tissus pour les protéger des prédateurs et des parasites (Figure 4).

Observation et collecte des données

Tous les 36 tissus ont été attachés le 1er Octobre et observés le 7, le 14 et 21 Octobre 2021 (Soit une observation par semaine pendant 3 semaines). Au total 108 observations effectuées ont servi à la collecte et au comptage des œufs et des larves capturées.

Les nombres d’œufs et des larves collectés est déterminé selon la position d’enroulement du tissu (dans la cime, au milieu du tronc et à la base du tronc). Ces larves et œufs collectés ont été ramenés au laboratoire pour identifier les ennemis naturels larvaires et oophages du ravageur.

Analyse des données

Les données ont été analysées à l’aide du logiciel SPSS (IBM SPSS Statistics 25). Des statistiques descriptives (fréquences, moyennes et erreurs standards) ont été calculées pour les différentes variables. Les variables quantitatives ont été soumises au test de significativité statistique des moyennes à l’aide d’ANOVA (analyse des variances) comparées par les tests Student-Newman-Keuls au niveau de 5%. Et lorsque les ANOVA sont significatives les moyennes sont soumises test Post hoc à l’aide du test de la différence significative minimale (LSD) de Ficher. Les variables qualitatives ont été soumises au test du chi carré.

RÉSULTATS

Fréquence de capture des larves et œufs

La fréquence moyenne de la capture des larves a été de 81,3% sur le tronc, 64,6% sur la cime et 56,3% au niveau du collet avec une différence significative entre les trois positions (χ2(2ddl) = 7,07; P= 0,029) (Tableau 1). La fréquence de la ponte des œufs a été de 37,5% sur la cime, 8,3% sur le tronc et 18,8% au niveau du collet (χ2 (2ddl) = 12,4; P= 0,002).

Abondance des larves et œufs piégés en fonction de position des tissus attachés

La figure 5 indique les nombres moyens des larves et d'œufs en fonction de la position d’attache du tissu. On a collecté en moyenne 56 larves au niveau du tronc qui sont significativement plus élevées aux 39 larves observées au niveau de la cime et 17 au niveau du collet (F (2, 33) = 7,02; P = 0,003). Quant au nombre moyen d’œufs obtenu, il est significativement plus élevé au niveau de la cime avec 25 œufs par plant comparativement aux 2 œufs sur le tronc et 4 œufs sur le collet (F (2, 33) = 12,5; P < 0,001).

Capture des parasitoïdes larvaires au niveau du piège à tissus

Des larves parasitées ont été obtenues dans les champs du Moringa à l’aide de cette technique de piégeage des larves. Des émergences de parasitoïdes larvaires, de l’ordre d’hyménoptère ont été obtenues à partir des larves mortes collectées et mises en incubation au laboratoire. Après incubation des larves collectées, des émergences de H. hebetor et d’autres parasitoïdes larvaires ont été obtenues (Figure 6).

DISCUSSION

Les résultats de cette étude ont révélé que les chenilles des derniers stades (L4, L5) de Noorda blitealis, par des déplacements verticaux circadiens qu’elles effectuent aux heures chaudes de la journée et aux heures plus fraîches de la soirée, se regroupent pour s’entasser au niveau des tissus enroulés. Ratnadass et al. (2011) ont suggéré que le fait d’interférer avec ce comportement de N. blitealis ouvre des perspectives de régulation des populations du ravageur en favorisant la destruction éventuellement mécaniquement de ces stades endogés (chenilles au repos).

La technique du piège à tissus semble bien répondre à cette éventualité. En effet, dès les premiers jours après avoir placé les tissus, les larves se regroupent et s’assemblent d’une part entre ces tissus et l’écorce et d’autre part elles s’enroulent dans le tissu à l’aide de soie qu’elles utilisent pour se reposer ou pour se nymphoser. Les larves capturées peuvent être collectées facilement une fois que les tissus sont détachés des branches. Par ailleurs, les femelles de Noorda blitealis viennent aussi pondre des œufs à travers les mailles à l’intérieur des tissus pour les protéger des prédateurs et des parasites. Cela permet également de capturer les œufs pondus par les femelles.

Le système du piège à tissus dans une parcelle du Moringa semble être prometteur pour développer la surveillance et l’échantillonnage de N. blitealis. Ils semblent offrir un moyen de détection précoce de la présence de la chenille avant que son infestation envahisse la parcelle. Le piège à tissus présente, en plus, plusieurs avantages notables pour son adaptation à la culture arbustive du Moringa. Il faut noter que les tissus attachés au niveau des troncs ont été plus efficaces pour la capture des chenilles, aussi bien en quantité qu’en nombre de fois de capture que les tissus attachés aux niveaux du feuillage et du collet. Cette méthode offre une perspective de pouvoir réaliser les pulvérisations des insecticides localement sur les tissus attachés au niveau central du tronc où les larves se regroupent le plus sans atteindre les feuilles avec les produits utilisés.

Le simple fait que la technique du piège à tissus ne soit pas onéreuse et est peu exigeante en main d’œuvre, elle peut être grandement implémentée dans un système de gestion intégrée de N. blitealis. Des essais devraient également être réalisés pour comprendre la dynamique des auxiliaires larvaires et oophages sous le piège à tissus, et ainsi mieux gérer leur présence. La technique du piège à tissus peut également être considérée comme une méthode de lutte physique.

Selon Larry et David (1994), l’abondance et la répartition spatiale des insectes dans les paysages agricoles sont rarement statiques, les populations traversant généralement plusieurs habitats au cours d’une saison. Lors de l’échantillonnage ou de l’examen d’hypothèses concernant les processus qui affectent le nombre ou la répartition des arthropodes, les entomologistes se concentrent souvent sur une unité de gestion spécifique (par exemple, un champ de culture, un verger). Même si cette technique du piège à tissus à elle seule peut suffire à comprendre la dynamique temporelle de N. blitealis par plant dans une même parcelle, elle peut également être utilisées pour comprendre des aspects importants des interactions d’autres insectes prédateurs avec ce ravageurs et, dans le meilleur des cas, conduire à des résultats sur des interactions avec leur environnement.

Des investigations scientifiques seront poursuivies sur l’évaluation d’effet de la couleur de tissu, des dimensions et les différentes formes des plis sur la capture des larves de N. blitealis à travers le piège à tissus.

CONCLUSION 

La présente étude a décrit en premier lieu la méthode physique pour la surveillance et la capture des larves et des œufs de N. blitealis. Cette méthode peut servir aussi comme méthode de prospection des parasitoïdes. Elle peut également être considérée comme méthode de lutte physique. Elle offre une perspective de pulvériser localement les insecticides sur les tissus attachés au niveau central du tronc où les larves sont plus capturées. La technique du piège à tissus n’est pas onéreuse et est peu exigeante en main d’œuvre.

Cette technique ouvre une perspective de prospection des parasitoïdes de N. blitealis. Des investigations scientifiques seront poursuivies sur l’évaluation d’effet de la couleur de tissu, des dimensions et les différentes formes des plis pour la capture des larves de N. blitealis à travers le piège à tissu.

RÉFÉRENCES

Aoun M., Lupien N. G., Briand N., Le Mat A., O’Byrne C. (2015). Évaluation de filets monoparcelle pour la protection des pommiers contre les insectes ravageurs sans utilisation d’insecticides. Fiche technique, CETAB.

Halilou M.S. (2022). Bioécologie et gestion intégrée des populations de N. blitealis Walker, chenille défoliatrice du Moringa au Niger. Thèse de Doctorat, Université Abdou Moumouni de Niamey, Entomolgie Appliquée, Niamey (Niger), 138 p.

Halilou M.S. (2023). Paramètres de la table de survie et dynamique des populations de la chenille défoliatrice, Noorda blitealis Walker (1859) (Lepidoptera: Crambidae), sur trois espèces du Moringa (Capparales: Moringaceae), en conditions expérimentales au Niger. African J. Trop. Entomol. Res., 2:26-38.

Halilou M.S., Doumma A. (2023). Étude de l’efficacité des biopesticides à base du neem et du DeltaCal 12,5 EC (Deltaméthrine) sur Noorda blitealis Walker (Lepidoptera: Crambidae), chenille défoliatrice du Moringa au Niger. In Recherche Universitaire au Service du Développement. Colloque Scientifique International en Hommage au Professeur Yenikoy Alassane.

Halilou M.S., Doumma A. (2024). Parasitic capabilities of Trichogrammatoidea sp. and Habrobracon hebetor for biological control of Noorda blitealis, a defoliating caterpillar of Moringa oleifera. Moroccan Journal of Agricultural Sciences, 4: 70-76.

Halilou M.S., Ba M.N., Karimoune L., Doumma A. (2022). Farmers’ knowledge, perceptions and management of the moringa tree defoliator, Noorda blitealis Walker (Lepidoptera: Crambidae), in Niger. Int. J. Trop. Insect. Sci., 42, 905–915.

Larry P.P., David B.G. (1994). Handbook of sampling methods for arthropods in agriculture. Library of Congress Cataloging in Publication Data, 632-652 dc20, 93 24175 CIP.

Ratnadass A., Ousmane-Moussa Z., Salha H., Minet J., Amadou-Seyfoulaye A. (2011). Noorda blitealis Walker, un ravageur majeur du Moringa au Niger (Lepidoptera, Crambidae). Bulletin de la Société entomologique de France, 116: 401-404.

Yattara A.A., Francis F. (2013). Impact des méthodes de piégeage sur l’efficacité de surveillance des pucerons: illustration dans les champs de pommes de terre en Belgique. Entomol. Faun-Faun. Entomol., 66: 89-95.

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Publié-e

15-09-2024

Numéro

Rubrique

Production Végétale et Environnement